Article de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, dans "Administration" de juillet septembre 1996, sur le traitement des déchets industriels et domestiques.

Prononcé le 1er juillet 1996

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Média : Administration

Texte intégral

Je tiens à remercier la revue « Administration » pour avoir réalisé un numéro spécial sur les déchets. C'est en effet un domaine dans lequel le législateur a adopté des objectifs courageux et ambitieux, qui ne seront atteints qu'avec l'adhésion de tous, administration, élus, grand public et associations. L'information et la sensibilisation jouent un rôle privilégié à cet égard.

La question des déchets est vieille comme l'histoire de l'Humanité. Le chapitre 23 du Deutéronome ne prescrit-il pas, dans son passage relatif à la pureté du camp, d'enfouir les déjections à l'extérieur ? Cette question prendra toute son acuité avec le développement des villes modernes. L'excellent article du professeur Guerrand nous rappelle que le préfet Poubelle avait inventé, non seulement le réceptacle qui porte son nom, mais également le principe de la collecte séparative.

Il faudra cependant attendre 1975 pour que notre pays se dote d'une législation moderne fixant les obligations de chacun, dont la naissance nous est relatée par le préfet Aubert. Malgré les succès certains qu'elle a remportés, notamment en permettant d'assurer la collecte des déchets ménagers de la quasi-totalité de nos concitoyens, cette politique a toutefois atteint ses limites à la fin des années 80. Elle n'a pas su, en effet, enrayer la croissance continue des quantités de déchets produits, liée au développement économique et à l'évolution des modes de consommation. En particulier, la contribution des emballages usagés au flux de déchets municipaux représente, aujourd'hui, plus du tiers en poids et de la moitié en volume. Cette politique n'a pas su non plus imposer la valorisation des déchets au-delà de la simple mise en décharge, qui concernait, en 1990, plus de la moitié des déchets municipaux.

Aussi, avec la loi du 13 juillet 1992, la France s'est-elle donné un délai de dix ans pour moderniser la gestion de ses déchets, dans une approche que le législateur a voulue pragmatique. La réduction des quantités de déchets, notamment d'emballages, le tri et la collecte séparative, la réutilisation et le recyclage constituent l'indispensable étape amont de cette politique. Les déchets non récupérés ou recyclés représentent néanmoins un gisement de matière et d'énergie. Leur traitement doit permettre, tout en protégeant au mieux les intérêts de l'environnement, de valoriser ce gisement. Les résidus ultimes, c'est-à-dire les déchets de ce traitement, seront, à l'horizon 2002, les seuls déchets autorisés à être enfouis.

10 ans pour moderniser la gestion des déchets représente un objectif ambitieux. Même si nombre de problèmes subsistent encore, un chemin important a été parcouru depuis 1992.

Les plans régionaux et départementaux d'élimination des déchets ont un rôle essentiel à jouer dans l'organisation de leur traitement. Je salue le travail accompli par tous, élus, techniciens, industriels, administration et associations, pour réaliser la première génération de plans. J'observe avec intérêt le développement de l'intercommunalité, préalable indispensable, pour des raisons tant économiques que pratiques, à la mise en oeuvre des orientations arrêtées dans ces plans.

Afin d'apporter une aide à cette mise en oeuvre, le législateur a créé le fonds de modernisation de la gestion des déchets. Géré par l'ADEME, il est alimenté par la taxe sur la mise en décharge, dont le taux croîtra progressivement jusqu'en 1998. Son principal objet concerne les aides aux équipements de déchets ménagers et assimilés.

Dans ce cadre, il me semble que notre première priorité doit être la valorisation des déchets, notamment des déchets d'emballages, et plus généralement, le développement de la collecte séparative des déchets recyclables.

Hier encore, nous observions avec incrédulité nos voisins d'Europe du Nord trier leurs déchets. Aujourd'hui, grâce au travail réalisé par Éco-Emballages et Adelphe avec de nombreuses collectivités locales, plus de 5 millions de Français sont desservis par des collectes séparatives. Demain, nous serons des dizaines de millions à être concernés. C'est certainement l'évolution la plus visible de la modernisation de la gestion des déchets, car elle va toucher chacun d'entre nous dans sa vie quotidienne. Elle permettra de retirer des filières de traitement environ 25 % du flux des ordures ménagères. Des millions de tonnes de matériaux trouveront de nouveaux débouchés.

Les aides financières apportées par Éco-Emballages et Adelphe ont été augmentées. Initialement agréés pour une durée de 6 ans, de 1993 à 1999, ces deux organismes viennent, en effet, de bénéficier d'un réagrément, qui tient compte des résultats obtenus et qui donnera une plus grande visibilité aux communes.

Parmi les formes de valorisation – recyclage, matière, énergétique –, le compostage de déchets organiques me semble une technique prometteuse. Il a été cependant délaissé dans notre pays, le compostage de déchets bruts ne donnant pas toujours les résultats escomptés, en raison de la présence d'éléments polluants. En revanche, le traitement biologique de déchets fermentescibles collectés séparément constitue une opportunité pour traiter 20 à 30 % du flux des ordures ménagères.

Il est alors aisé d'imaginer les objectifs suivants : 25 % de recyclage, 30 % de compostage des déchets fermentescibles, et seulement 45 % des déchets à traiter, par exemple, par incinération avec récupération d'énergie. L'époque du tout décharge ou du tout incinération est révolue et doit être remplacée par une approche multi-filières : chaque déchet mérite un traitement adapté ; il ne faut pas opposer les techniques disponibles mais les conjuguer.

Ces objectifs devront être complétés par une action en amont. J'entends bien relancer nos efforts pour réduire la production de déchets à la source, par une responsabilité accrue des producteurs et par une information réelle des consommateurs. Nous avons appris à produire plus propre, il faut désormais des produits finis plus propres.

Je crois que nos sociétés industrielles devront envisager dans leur globalité les filières de production. Outre les déchets d'emballages, des actions sont d'ores et déjà engagées pour les véhicules hors d'usage, certains équipements électriques et électroniques, les médicaments, les piles et accumulateurs… Cette évolution me semble irrémédiable. Elle devra conduire à une révision du rôle des collectivités locales, qui ne peuvent porter seules tout le fardeau de la gestion des déchets. Le cas des emballages et de la responsabilité partagée qu'il institue sera déterminant pour structurer de nouvelles approches.

La rénovation de la gestion de nos déchets municipaux a toutefois un coût. Elle va nécessiter un investissement de l'ordre de 1 000 francs par habitant d'ici 2002. Elle coûtera alors un peu plus de 1 000 francs par tonne, collecte et traitement compris, soit un franc par habitant et par jour. C'est une somme modeste pour un individu, un montant non négligeable pour une famille et un investissement considérable pour la nation.

Mais si cet effort national est coûteux, il est porteur d'activité, d'emploi et d'espoir. M. Spitz nous montre notamment que la gestion des déchets peut créer des emplois d'insertion. De façon plus générale, l'environnement est devenu un secteur économique à part entière, au sein duquel la gestion et le traitement des déchets représentent plus du tiers de l'activité et emploient plus de 100 000 personnes. Il s'agit pour la France d'un atout véritable.

L'offre française dans le secteur des déchets figure parmi les toutes premières au monde. Ce numéro spécial le démontre abondamment. Il s'agit, non seulement de filiales de grands groupes, spécialisées notamment dans la collecte et le traitement, mais également de PME dynamiques telles que sociétés d'ingénierie ou fabricants de matériel. Elles représentent au total 60 000 emplois pour un chiffre d'affaires de 50 milliards de francs.

Les marchés remportés à l'exportation témoignent du degré de compétence technique et de la compétitivité de ces entreprises. Elles savent adapter leur offre au contexte local, qu'il s'agisse de pays industrialisés en pointe dans le domaine de l'environnement ou de pays en développement caractérisés par un mode de vie et un climat fort éloignés de ce que nous connaissons en France.

Puisse ce numéro spécial de la revue « Administration » contribuer au développement, tant en France qu'à l'étranger, du secteur économique des déchets.