Interview de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, et Pierre Moscovici, secrétaire national du PS, à TF1 le 26 janvier 1997, sur la situation du Crédit foncier, la réduction du temps de travail et l'emploi des jeunes.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Mme SINCLAIR : Bonsoir à tous.

Je vous propose un 7 sur 7, ce soir, à deux voix. Deux voix pour incarner deux projets pour la France :
    - l'un, c'est le projet du Président de la République et du Gouvernement. Il sera, ce soir, porté par Jean Arthuis, ministre de l'Economie et des Finances ;
    - l'autre projet, c'est celui des socialistes, et il sera représenté ce soir par Pierre Moscovici, l'un des bras droits de Lionel Jospin.

Par ailleurs, les sujets de la semaine sont nombreux et concrets qui réclament une réponse du Gouvernement et une appréciation de l'Opposition.

Le Crédit Foncier, bien sûr, principal dossier de cette semaine, et Jean Arthuis a été au cœur de la tempête.

La SNCF qui bouge et les chauffeurs de bus qui revendiquent.

La Justice que Jacques Chirac veut réformer. Papon qui sera, enfin, jugé.

Et l'Algérie où se poursuit une interminable tuerie.

A tout de suite avec nos invités.

Publicité.

Mme SINCLAIR : 7 sur 7 avec Jean Arthuis, ministre de l'Economie et des Finances, et Pierre Moscovici, député européen, Secrétaire national aux études du Parti Socialiste. Un des hommes de Lionel Jospin.

Avant de commencer à égrener la semaine avec vous, et puis chacun des dossiers qui sont assez chauds cette semaine, je voudrais poser à chacun de vous deux une question : les observateurs disent qu'on serait déjà en campagne électorale. Je voudrais savoir 1) si c'est vrai ou pas ? et 2) si c'est une bonne chose ou pas ?

Jean Arthuis.

M. ARTHUIS : Je crois que la France a trop souffert de politique qui était marquée par les contingences électorales. Il est clair que l'action qu'a engagée le Président de la République et le Gouvernement s'inscrivent dans la durée. Il y a des échéanciers électoraux...

Mme SINCLAIR : ...auxquels vous pensez, tout de même ! C'est humain !

M. ARTHUIS : Auxquels nous pensons, naturellement. Mais ce qui nous anime, c'est vraiment le redressement de la France et c'est l'emploi.

Mme SINCLAIR : Et vous, Pierre Moscovici ?

M. MOSCOVICI : J'ai l'impression qu'il y a un homme qui est en campagne électorale et que c'est Jacques Chirac. Il est vrai que ce n'est pas ce qu'il fait le plus mal...

Mme SINCLAIR : ...remarquez, il a été élu, lui, au moins.

M. MOSCOVICI : Voilà ! Il est bon candidat. Reste à savoir s'il est aussi bon, Président! Mais je crois que les Français n'ont pas encore la tête à ça. Cela dit, 1997, c'est l'année d'avant 1998 - c'est un peu tautologique ce que je dis - et pour le Parti Socialiste, c'est une année où l'on cristallise, où l'on travaille. Nous passons de nouvelles alliances. Nous passons de propositions à un programme, nous essayons de convaincre, nous serons sur le terrain et, bien sûr, pour nous, c'est l'année préélectorale. Cela dit, il est encore un peu tôt pour parler de campagne électorale.

M. ARTHUIS : Nous, nous agissons.

Mme SINCLAIR : C'est le rôle du Gouvernement ? le rôle de l'Opposition ?

M. MOSCOVICI : C'est votre travail.

Mme SINCLAIR : On va voir justement ce que chacun de vous, à la fois, propose et répond sur les dossiers les plus chauds de l'actualité et puis quelle philosophie se dégage justement de chacune des politiques que vous représentez.

On va commencer par la grosse actualité sociale de cette semaine : le plan épargne logement, la SNCF, les conducteurs de bus et le Crédit Foncier. Des dossiers chauds.

Mutation : Réformer la SNCF, mais oui, cela a l'air possible. Sans conflit ? Cela reste à voir ! Adopté cette semaine par le Sénat, le projet du Gouvernement chamboule de fond en comble la structure de l'entreprise publique endettée jusqu'au cou depuis une bonne vingtaine d'années.

Grève : les cheminots, les routiers l'ont, alors pourquoi pas eux ? Les chauffeurs de bus rêvent de la retraite à 55 ans. Vendredi, dans toutes les villes de province, leur grève a paralysé les transports en commun.

Cas d'école : Après France Télécom, EDF-GDF expérimente la fameuse flexibilité. Au terme d'un accord signé par trois syndicats sur cinq, les salariés se verront proposer une semaine de 32 heures, rémunérée au moins 35. En contrepartie, la Direction s'engage à doubler le nombre de ses embauches au cours des trois prochaines années.

P.E.L. : un point de moins. Le Plan d'Epargne Logement ne sera plus rémunéré qu'à 4,25 %. Effective depuis jeudi dernier, cette baisse ne concerne que les nouveaux plans, les anciens qui conserveront leurs conditions avantageuses.

Conflit : Depuis 10 jours, ils le crient, ils le chantent, les employés du Crédit Foncier n'acceptent pas le démantèlement de leur entreprise décidé par Bercy. Face à cette détermination impressionnante, le Gouvernement cède. En échange de la libération du gouverneur de la Banque retenu dans les locaux pendant six jours, Matignon met sous le coude le plan Arthuis tant décrié.

Mme SINCLAIR : Jean Arthuis, vous avez été désavoué cette semaine puisque votre plan a été mis sous le coude et que vous n'avez pas partie prenante aux négociations. Est-ce que vous vous dites : « Si j'avais su, je m'y serais pris autrement, sur la forme et sur le fond ? »

M. ARTHUIS : Me permettrez-vous de vous dire, d'abord, que je n'ai pas Je sentiment d'avoir été désavoué. Il n'y a pas de plan Arthuis. Je voudrais revenir un peu sur la situation du Crédit Foncier de France. Il y a un an, nous étions véritablement en alerte rouge, il y avait le feu dans la Maison. Le Crédit Foncier de France ne pouvait plus emprunter. C'est à cette époque que nous avons changé de gouverneur, c'est à cette époque que nous avons demandé qu'il soit procédé à un audit des comptes du Crédit Foncier de France pour y voir clair. Et à c'est à ce moment-là, au printemps 1996, que nous avons vu l'ampleur des dégâts. Que s'était-il passé ?

Le Crédit Foncier de France avait une action pour le logement social, il permettait à des familles modestes d'accéder à la propriété. Il le faisait en distribuant, d'ordres et pour comptes de l'Etat, les prêts d'accession à la propriété. Il en avait le monopole. Mais dès 1988, le 12 octobre, Pierre Bérégovoy avait invité Je Crédit Foncier de France à se diversifier parce qu'il ne pouvait pas rester dans une situation de monopole sur le prêt social. Il fallait qu'il se prépare. Il s'est, à ce moment-là, livré...

Mme SINCLAIR : …C'est l'argumentation du Premier ministre qui dit : « Le Crédit Foncier souffre de la gestion qu'il a connue entre 1990 et 1993 » ?

M. ARTHUIS : A partir de 88-89, le Crédit Foncier est parti dans des activités qui relevaient de l'investissement immobilier et de la spéculation immobilière.

Mme SINCLAIR : Et le prêt à taux zéro ne lui a pas fait du bien ?

M. ARTHUIS : Le prêt à taux zéro n'a, en aucune façon, altéré les comptes du Crédit Foncier de France. Les 10 milliards de provisions pour dépréciation, qui ont été constatés en 1995, correspondent aux sanctions de cette période d'aventure. Qui pouvait imaginer que le Crédit Foncier de France, à vocation sociale, se lancerait dans des opérations de promotion immobilière, sur des hôtels de luxe à Paris, sur des vignobles dans le Bordelais ? Que sais-je encore! C'est cela qui a été sanctionné. Autrement dit, pendant la période 88-93, le Crédit Foncier se lance dans des aventures et, nous, nous gérons cet héritage. S'il n'y avait pas eu ces pertes, il n'y aurait pas eu ces difficultés et la nécessité de trouver un partenaire pour le Crédit Foncier de France.

Mme SINCLAIR : Cette nécessité de trouver un partenaire, c'est cela qu'on a appelé le plan Arthuis puisque le partenaire, c'était le Crédit Immobilier de France, et c'est ce que les salariés, d'une manière tout à fait exemplaire, parce que c'est une grève peu ordinaire où ils continuent à faire marcher la banque et où ils se sont considérablement mobilisés...

M. ARTHUIS : Anne Sinclair, le dialogue a été permanent...

Mme SINCLAIR : ...Ils vous regardent en ce moment, qu'est-ce que vous leur dites ?

M. ARTHUIS : Je voudrais dire que j'apprécie leur professionnalisme et leur dévouement. Ils ne sont pas en cause dans les sinistres du Crédit Foncier de France. C'est l'aventure, peut-être encouragée par le Gouvernement de l'époque, qui est la cause de ses difficultés.

Mme SINCLAIR. – Qu’est-ce que vous leur dites aujourd'hui de leur avenir ? Qu'est-ce qui leur arrive demain ?

M. ARTHUIS : Or, ce qui me préoccupe aujourd'hui, c'est de préserver les métiers du Crédit Foncier de France, de préserver, dans la plus large mesure du possible, les emplois du Crédit Foncier de France. Et j'ai dit, devant la Commission des Finances de l'Assemblée nationale, que nous devions, dans l’étude d'un projet, avec un partenaire, respecter les contraintes, respecter l'identité du Crédit Foncier et du partenaire. S'il y a d'autres partenaires, car j'ai refusé que l'on s'enferme dans un calendrier précis, j'ai refusé que l'on n'ait qu'une seule issue, je n'ai cessé de le dire, mais je mesure...

Mme SINCLAIR : ...C'est fini pour le Crédit Immobilier de France ? Monsieur Périssol, ce matin, chez Michèle Cotta à « Polémiques », a semblé dire qu'il souhaitait qu'il y ait d'autres repreneurs. Donc, c'est fini pour le Crédit Immobilier de France.

M. ARTHUIS : J'ai entendu un représentant du personnel disant : « La formule qui était imaginée ne nous convient pas, mais s'il y a d'autres formules, avec le Crédit Immobilier, nous sommes prêts à l'examiner ». Moi, ce que je souhaite, c'est qu'il y ait un dialogue. Or, si nous avons désigné Monsieur Philippe Rouvillois, c'est pour qu'il facilite ce dialogue. Et qu'on ne se méprenne pas, le Gouvernement entend bien défendre les intérêts des salariés.

Mme SINCLAIR : Pierre Moscovici, vous êtes dans le rôle, j'allais dire, facile de l'opposant qui peut critiquer face à un conflit. Mais que répondez-vous à ce que vient de dire Jean Arthuis ? Que proposez-vous ?

M. MOSCOVICI : Je crois que son analyse n'est pas juste sur le passé. Ce conflit est effectivement significatif de choses qui se sont produites dans les banques en général, dans le capitalisme français. Je dirais qu'au fond, c'est une double crise : C'est d'abord une crise de l'ultra-libéralisme. Effectivement, à la fin des années 80, au début des années 90, on a vu se multiplier la spéculation immobilière avec des bulles spéculatives, comme on dit, qui ont explosé et qui ont entraîné des sinistres absolument considérables.

Mme SINCLAIR : Reconnaissez-vous une responsabilité des gouvernements socialistes dans cette question ?

M. MOSCOVICI : Je vais y venir. Et il Y a une deuxième crise qui est une crise de la gestion publique, du rapport entre l'Etat, entre sa tutelle et les banques, elles-mêmes, dont le Crédit Foncier, qui a entraîné sans aucun doute, et le Crédit Foncier n'est pas le seul dans ce cas-là, toute une série de dysfonctionnements.

En 1988, effectivement, nous étions dans une période où nous avons banalisé le crédit et supprimé un certain nombre de prêts bonifiés. Ce qui, je crois, est une bonne. Et du coup, le Crédit Foncier s'est engagé dans une série de diversifications, certaines ont été réussies, comme le crédit au logement, comme le crédit aux collectivités locales, d'autres n'ont pas été réussies, dans l'immobilier notamment. Mais encore une fois le Crédit Foncier, c'était le Cas de toutes les banques, qu'elles soient privées, publiques ou à statut mixte...

M. ARTHUIS : …Oui, mais...

M. MOSCOVICI : …Permettez, je ne vous ai pas interrompu, alors que pourtant j'en avais bien envie lorsque vous disiez : « tout cela a abouti à un premier contrôle, à la fin de 94, de la Commission bancaire qui a constaté qu'il y avait 3 à 4 milliards de pertes ». Bien, mais la responsabilité principale, le coup de grâce, il vient de la campagne présidentielle de Jacques Chirac. Jacques Chirac reprend une idée de Monsieur Périssol, qui était à l'époque un conseiller, puis qui est devenu ministre, le prêt à taux zéro.

Du coup, on supprime les prêts d'accès à la propriété qui étaient le monopole du Crédit Foncier, cela entraîne effectivement, vous l'avez dit, un problème de refinancement de cet établissement et du coup il perd, pour la seule année 94-95, dix milliards supplémentaires. On lui a porté le coup de grâce.

Alors, moi, j'ai envie de dire la chose suivante aujourd'hui...

Mme SINCLAIR : ...Que dites-vous aujourd'hui aux salariés si inquiets et aux repreneurs éventuels ou au plan... pardon, il n'y a pas de plan Arthuis, a dit Jean Arthuis, mais à ce qui apparaissait comme la solution proposée ?

M. MOSCOVICI : Moi qui suis un simple citoyen, je pense qu'il y a un plan Arthuis puisqu'on l'a appelé comme tel, mais peu importe d'une certaine façon ! Je dis : « Premièrement, cet établissement est aujourd'hui bénéficiaire. En 1996, il a fait un milliard de bénéfices… ».

Mme SINCLAIR : ...Cette année seulement.

M. MOSCOVICI : Oui, mais cela prouve tout de même, quand on rend hommage au professionnalisme de ces gens, qu'ils savent travailler et qu'ils ont fait des profits.

Deuxièmement, je formule deux demandes au fond :

La première est que cet établissement original du financement du logement social continue de vivre. Il le mérite et ses salariés le prouvent tous les jours. La deuxième chose, c'est qu'on maintienne son intégrité, qu'on ne procède pas - je crois que c'est cela qui a mobilisé ses salariés - à son démantèlement.

Or, vous dites aujourd'hui : « Le Crédit Immobilier... », il y a une petite contradiction. Monsieur Périssol dit qu'il ne faut pas le faire, Monsieur Arthuis vient de nous expliquer à demi-mots qu'il n'y avait pas d'autres solutions. Il faudrait que le Gouvernement se mette à gouverner tout de même.

M. ARTHUIS : Juste un mot : le Crédit Immobilier s'est déclaré spontanément. Je ne suis pas allé chercher le Crédit Immobilier. Certains ont même cherché à mettre en cause Monsieur Périssol qui n'est pour rien dans cette affaire, c'est le Crédit Immobilier qui nous a fait connaître l'intérêt qu'il portait aux activités du Crédit Foncier de France.

Je ne peux pas laisser dire non plus que la suppression du P.A.P. et l'avènement du prêt à taux zéro aient porté préjudice au Crédit Foncier de France.

M. MOSCOVICI : C'est une vérité.

M. ARTHUIS : Puisqu'il a développé, dans le prêt à taux zéro, l'équivalent de ce qu'il faisait dans les prêts PAP. Il n'y a aucune trace, dans les comptes du Crédit Foncier de France, en 1995, de cette réforme fondamentale. S'il n'y avait pas eu cette gestion aventureuse, s'il n'y avait pas eu ces 10 milliards de pertes en 1995 qui n'ont rien à voir avec les activités de prêts du Crédit Foncier, mais qui sont liés à cette aventure 88-93, il n'y aurait pas aujourd'hui un problème Crédit Foncier de France.

Mme SINCLAIR : On a compris que votre analyse à tous les deux, sur les causes, n'était pas semblable. Aujourd'hui, Pierre Moscovici dit : « Pas de démantèlement » et, vous, vous dites : « un repreneur ». S'il y en a un autre...

M. ARTHUIS : ...Je suis ouvert à toutes les formules. Je veux qu'elles soient respectueuses de l'identité, des contraintes de chacun, y compris celles du Crédit Foncier de France.

Enfin, il y a une chose que je veux dire : c'est que la différence entre les banques privées qui, certes, pour certaines, ont perdu beaucoup d'argent, et les banques publiques, c'est que les banques publiques portent atteinte à leurs actionnaires publics, c'est-à-dire aux contribuables français, et ce que je ne souhaite pas voir se renouveler, c'est de prendre dans la poche des contribuables pour refinancer des entreprises publiques.

M. MOSCOVICI : Je crois que le Gouvernement, franchement, n'a pas de leçons à donner en matière de gestion des entreprises publiques. Quand on a vu ses projets de privatisation concernant THOMSON avec MATRA, concernant le CIC et le GAN, les projets qui concernent aussi FRANCE TELECOM, franchement on devrait se retenir de ce genre de leçons.

M. ARTHUIS : Peut-on avoir un bref échange sur les privatisations ?

M. MOSCOVICI : Sur les privatisations, je crois que vous menez une politique idéologique qui échoue et, en plus, qui prouve que ce Gouvernement ne sait pas décider. Et dans cette affaire du Crédit Foncier, je vous assure qu'il y a urgence. Il y a une mobilisation des salariés, il faut leur offrir une solution, une solution qui permette l'intégrité du Crédit Foncier. C'est cela la réponse qu'on attend et non pas des procès sur le passé par rapport à une gestion prétendument aventureuse que les Français ont d'ailleurs jugée en 1993. C'est vous qui êtes aujourd'hui au Pouvoir, vous dites : « Nous agissons », eh bien, agissez !

Mme SINCLAIR : Jean Arthuis, je voudrais vous poser une question qui, peut-être, vous permettra de répondre à Pierre Moscovici, pour élargir un peu le débat : Les Français ont eu le sentiment d'un face-à-face entre une entreprise et ses salariés face à une technocratie qui oublie un peu lés hommes et qui peut, d'un trait de plume, rayer la vie d'une entreprise. N'est-ce pas emblématique d'un constat qu'avait fait d'ailleurs Jacques Chirac, d'une technostructure qui impose parfois ses décisions aux politiques ?

M. ARTHUIS : La vie économique est rude, mais je voudrais vous dire que, pour moi, toute entreprise est d'abord une communauté d'hommes et femmes. Et ce qui doit nous préoccuper, c'est le devenir de ces hommes et de ces femmes.

Mme SINCLAIR. – Est-ce la préoccupation de ce qu'on appelle la technocratie des finances ? Je m'adresse au ministre, là, au politique.

M. ARTHUIS : Je ne ferai pas le procès des fonctionnaires. Les politiques doivent prendre leurs responsabilités à bras le corps. Nous sommes là pour prendre des décisions, nous sommes là pour sortir de gestions aventureuses et cesser de nous raconter des histoires.

Sur ces privatisations, je voudrais qu'on comprenne bien que l'économie mixte, c'est terminé. On a cru devoir, à une époque, nationaliser, et on a vu que certaines entreprises gérées par l'Etat, qui n'est pas le bon gestionnaire, l'Etat s'égare lorsqu'il essaie d'être l'actionnaire d'une entreprise. On a vu dans quel désastre on pouvait plonger ! Et qui a la charge du renflouement, c'est le contribuable. C'est ce qui se passe pour le Crédit Lyonnais, c'est ce qui va se passer pour le Comptoir des Entrepreneurs, pour d'autres entreprises encore, pour le GIAT, par exemple.

Donc, nous sommes dans l'obligation de rendre au secteur privé ces entreprises qui sont en concurrence avec les entreprises du secteur marchand. Or, une entreprise qui est en difficulté...

Mme SINCLAIR : …Cela ne se passe pas si bien que cela les privatisations, tout de même. Vous êtes obligé d'en abandonner certaines.

M. ARTHUIS : Oui, mais les entreprises ont plus de dettes que de biens. Cela veut dire que si on vendait les biens, il ne resterait que des dettes. On a du mal à trouver des actionnaires. Et, là, on nous dit : « Mais n'utilisez pas les fonds publics pour ces entreprises-là parce qu'elles pourraient porter préjudice à d'autres entreprises qui, elles, paient leurs impôts ». Et nous ne pouvons pas non plus imaginer la liquidation pure et simple de ces entreprises parce que nous sacrifierions des milliers et des milliers d'emplois.

C'est un chemin difficile. Nous assumons nos responsabilités, mais de grâce sortons de cette économie mixte.

Mme SINCLAIR : Peut-être un mot de réponse sur les privatisations et un mot aussi de la question que je posais à Jean Arthuis, à l'instant, sur l'impression que les gens ont d'une technostructure qui n'est pas toujours soucieuse de l'intérêt des salariés dans une entreprise et qui peut décider, hors des lieux, du temps et des salariés, de rayer une entreprise.

Vous venez de faire paraître, Pierre Moscovici, un livre qui s'appelle « L'urgence, plaidoyer pour une autre politique » chez Plon, et vous semblez, vous aussi, qui êtes pourtant quelqu'un de formé à la technocratie de dire que « Bercy défend des lois d'airain, les lois d'airain de la technocratie. Le déficit, tu ne toléreras ; la dépense publique, tu haïras ; l'impôt, tu combattras ». Je sens là comme une critique. Mais si vous étiez aux affaires demain, que feriez-vous de différent ?

M. MOSCOVICI : Je crois que Monsieur Arthuis vient de montrer à l'évidence qu'il y a bien une idéologie -on peut appeler cela comme ça qui inspire ce Gouvernement. Et quand je parle de Bercy, je pense d'abord aux politiques, pas aux fonctionnaires. Vous savez, les fonctionnaires, finalement, n'ont que la latitude que les politiques leur laissent, et je ne suis pas pour qu'on fasse le procès d'une technocratie abstraite, mais peut-être d'une politique technocratique dont vous venez, à mon avis, de donner un peu l'exemple. Parce que, tout de même, les Français sont attachés à leurs services publics, ils sont attachés à leur entreprise publique. On a vu des images tout à l'heure...

M. ARTHUIS : Nous aussi.

M. MOSCOVICI : ...sur la SNCF, sur FRANCE TELECOM, sur EDF, voilà des entreprises qu'il ne saurait être question de privatiser, pas davantage, je crois, que d'autres.

Ce qui s'est passé au cours des années 80, c'est qu'au début des années 80, les socialistes ont nationalisé des entreprises que l'Etat n'avait pas capitalisées. Que ces entreprises ont plutôt réussi dans le secteur industriel, d'ailleurs cela a été une bonne affaire pour l'Etat qui les a vendues, privatisées, de façon avantageuse. Et puis il y a eu le secteur bancaire qui n'a pas été suffisamment capitalisé, avec ce problème immobilier qui s'est posé à toute la profession.

Mme SINCLAIR : Et le désastre que rappelait Jean Arthuis du Crédit Lyonnais où les contribuables sont appelés à renflouer.

M. MOSCOVICI : Je crois que, honnêtement, ce procès, de quelque chose qui s'est passé, est absolument anachronique et en partie injuste. Vous savez, les électeurs ont voté en 1993, ils ont donné une majorité...

M. ARTHUIS : Enfin, nous, nous avons cet héritage.

M. MOSCOVICI : ...à la Droite et, aujourd'hui, vous gérez la France, et vous la gérez fort mal. Je crois qu'il n'y a pas de leçons à donner et que cette politique du tout privatisation ne mènera nulle part.

M. ARTHUIS : Les Français jugeront ! Ce qu'il faut, c'est remettre de l'ordre dans nos finances publiques. Ce qu'il faut, c'est réformer cette Société. Cela n'est pas commode, il faut du dialogue, il faut expliquer, il faut une démarche très participative.

Mme SINCLAIR : Je voudrais qu'on aborde un peu vite l'ensemble des dossiers qu'on a vu tout à l'heure feuilleter sous nos yeux.

La retraite à 55 ans chez les traminos, visiblement l'idée fait tâche d'huile, et tous les politiques et les experts nous expliquent que ce n'est pas possible. Ce que je voudrais savoir d'abord, Jean Arthuis, c'est : quand le Gouvernement a cédé aux routiers, finalement, n'a-t-il pas ouvert la boîte de Pandore ? et que vous ne vous trouvez pas aujourd'hui avec une série de revendications auxquelles vous allez dire quoi, dire « non » ?

M. ARTHUIS : D'abord, principe général : il serait totalement irréaliste de généraliser la retraite à 55 ans. C'est bien de pouvoir offrir la retraite à ceux qui le souhaitent, mais ce qu'il faut, c'est savoir comment on assurera durablement une retraite à tous nos retraités ? Or, c'est une question de rapport démographique. Si on passait subitement à 55 ans, on ferait exploser notre régime de retraite par répartition qui est le socle de la solidarité en France.

Mme SINCLAIR : Donc, ceux qui, aujourd'hui, disent : « nos conditions de travail sont pénibles, nous réclamons cette retraite-là », vous dites : « non » ?

 M. ARTHUIS : Pour certains qui ont des conditions de travail particulièrement pénibles...

Mme SINCLAIR : ...C'est le cas des traminos ?

 M. ARTHUIS : Pour d'autres qui ont commencé très jeunes à travailler, dans des emplois très pénibles, on peut discuter, on peut examiner. Mais enfin ce qu'il faut, c'est maintenir cette solidarité. Et, moi, je ne crois pas que la grande orientation soit un abaissement progressif de l'âge de la retraite. Nous ne pourrions pas y faire face au plan financier.

Mme SINCLAIR : Est-ce que les plans sociaux qui, depuis des années, abusent et multiplient les pré-retraites n'ont pas, au fond, mis dans la tête des gens que c'était quelque chose qui était une habitude et devenait...

M. ARTHUIS : ...Je trouve que c'est un gâchis extraordinaire. Je rencontre fréquemment des hommes, des femmes, qui ont été mis en pré-retraite, qui sont des gens plein d'ardeur, qui ont un savoir-faire, qui ont un capital professionnel et que, subitement, on a mis en marge de l'activité économique. Je trouve que c'est un gâchis prodigieux. Et je vois des gens, des cadres en retraite qui viennent me voir en disant : « On aimerait bien mener des missions de coopération, de tutorat auprès des jeunes ». Je crois qu'il faut sortir de cette illusion que l'on pourrait ainsi susciter une société plus juste et plus heureuse, plus prospère, en abaissant l'âge de la retraite. Il y a aujourd'hui une espérance de vie qui ne cesse de progresser, ce qui est tout à fait remarquable et qui nous donne beaucoup d'espérance, mais ce n'est pas l'abaissement de l'âge de la retraite qui nous tirera d'affaire, bien au contraire !

Mme SINCLAIR : Pierre Moscovici, je voudrais avoir le point de vue des socialistes sur le sujet et peut-être une question subsidiaire, puisque je sais que vous êtes hostile au fonds de pension, le Parti socialiste l'a dit. Au nom de quoi, les Français qui le peuvent, ne pourraient-ils pas financer leur retraite ?

M. MOSCOVICI : Sur l'âge de la retraite, comme vous le savez, c'est la Gauche qui a fait la retraite à 60 ans, et je tiens à le rappeler. Ensuite, je veux dire que je comprends très bien pourquoi la revendication des 55 ans monte. Il y a tellement de travailleurs qui ont des situations compliquées et pénibles.

Mme SINCLAIR : Vous comprenez, mais vous dites : « Ce n'est pas possible » ?

M. MOSCOVICI : Il y a cette panne de l'avenir qu'on ressent et la situation des jeunes, on en reparlera puisque, paraît-il, c'est la croisade du Président de la République. Nous sommes, semble-t-il, dans une année qui est vouée à cela...

Mme SINCLAIR : On va en parler.

M. MOSCOVICI : ...et donc il y a ce problème, on se dit : « Pourquoi ne pas libérer des postes pour les plus jeunes ». Et ces deux facteurs font que cette revendication monte en même temps. Je crois qu'elle ne peut pas être satisfaite de façon générale pour des raisons, effectivement, démographiques. Nos retraites sont des retraites par répartition, c'est-à-dire que nous n'épargnons pas pour la retraite, mais que les actifs du moment paient pour les inactifs du moment.

Mme SINCLAIR : Si bien que...

M. MOSCOVICI : ...Si bien que, comme on sait qu'effectivement la durée de vie va s'accroître, dans 30 ans, il y aura 6 millions d'inactifs de plus et toujours autant d'actifs. Alors, la solution, si on généralisait la retraite à 55 ans, ce serait soit des prélèvements massifs, soit une diminution des retraites servis. Ce n'est pas acceptable.

Mme SINCLAIR : Vous êtes d'accord là-dessus ?

M. MOSCOVICI : Là-dessus, oui. Mais je crois qu'effectivement il faut procéder différemment de ce que fait le Gouvernement. Le Gouvernement agit au coup par coup, il semble subir des conflits sociaux, comme celui des routiers ou celui des traminos, il va céder petit à petit des choses...

M. ARTHUIS : Celui des routiers, ce sont les professionnels qui ont financé eux-mêmes.

M. MOSCOVICI : ...il va donc céder petit à petit là-dessus, et je crois qu'effectivement la boîte de Pandore est ouverte. Moi, ce que je crois, c'est qu'il faut ouvrir une discussion globale, qu'effectivement il faut examiner les choses métier par métier, situation par situation, notamment celle des chômeurs qui ont cotisé 40 ans. Je crois qu'une discussion globale serait beaucoup plus utile que cette approche au coup par coup, notamment dans une conférence sur les salaires, une sorte de Grenelle des revenus. Je crois que c'est cela la bonne méthode, qu'on ne peut ne pas écouter cette revendication, qu'il faut lui apporter une réponse.

Sur les fonds de pension. Je suis hostile aux fonds de pension. Je sais qu'il y a une épargne-retraite qui existe, elle est développée dans un certain nombre d'organismes, publics, privés, mais je suis tout à fait hostile à la façon dont le Gouvernement la mène. Parce qu'il le fait en donnant aux employeurs, à travers des exonérations de cotisations sociales, des avantages absolument faramineux, qui risquent de pénaliser les régimes de retraite par répartition qui vont leur coûter à peu près 20 milliards de francs. Donc, on voit bien qu'on passe insensiblement vers un système de capitalisation qui se substitue à la répartition...

Mme SINCLAIR : Je ne veux pas me substituer au Gouvernement, mais il a toujours dit qu'il était exclu de passer d'un système à un autre.

M. ARTHUIS : Merci de venir à mon secours.

M. MOSCOVICI : ...et qui provoque aussi des avantages sur l'impôt sur le revenu, notamment pour les plus riches. Je crois qu'il faut une épargne-retraite, effectivement, il n'est pas question de dire « non », mais pas cette logique qui est anglo-saxonne, qui une logique qui va, finalement, démanteler nos régimes de répartition. Si les socialistes reviennent au Pouvoir, nous supprimerons sans aucun doute cette loi.

Mme SINCLAIR : Un dernier mot, Jean Arthuis. Après nous allons parler de l'emploi des jeunes.

M. ARTHUIS : Quand on parle de retraite, ce qui compte c'est l'emploi dans 10 ans et dans 20 ans. Or, pour qu'il y ait des emplois dans 10 ans et dans 20 ans, il faut que l'on crée des entreprises. Il faut donc que l'épargne des Français aille à une autre fin que le financement des déficits publics. L'épargne-retraite, c'est à la fois un supplément de retraite pour ceux des salariés qui le souhaitent, mais c'est aussi une épargne que l'on va mobiliser et orienter vers les entreprises pour qu'elles se créent, pour qu'elles se développent, pour qu'elles créent des emplois. C'est cela la logique.

Donc, je m'étonne que l'on puisse opposer retraite par répartition, à laquelle nous sommes fondamentalement attachés, et l'épargne-retraite...

M. MOSCOVICI : ...mais que vous commencez à attaquer.

M. ARTHUIS : L'épargne-retraite, c'est l'emploi de demain. Et puis, enfin, puis-je vous dire que ce que nous avons prévu comme exonération de cotisations sociales sur la partie d'abondement qui sera versée par les employeurs, c'est ce qui est prévu dans les règles en vigueur. C'est d'ailleurs ce que demandait les partenaires sociaux, le 10 décembre, dans une lettre qu'ils adressaient au Premier ministre.

M. MOSCOVICI : Je rappelle que tous les syndicats y sont opposés vigoureusement, alors les partenaires sociaux aussi...

M. ARTHUIS : Nous préparons l'avenir.

M. MOSCOVICI : ...mais il est vrai que vous les ignorez !

M. ARTHUIS : Non, certainement pas.

Mme SINCLAIR : Je vous interromps sur ce sujet. On va faire une courte pause, et l'on va parler ensuite de l'emploi des jeunes, qui est au cœur du projet des Socialistes et au cœur du projet du Président de la République.

A tout de suite

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Mme SINCLAIR : Reprise d'un 7 SUR 7, un peu débat ce soir, entre Jean Arthuis, ministre de l'Economie et des Finances, et Pierre Moscovici, député européen, secrétaire national aux études du Parti Socialiste.

Je voudrais que, l’un et l’autre, - vous nous expliquiez ce que vous entendez par la priorité donnée à l'emploi des jeunes, puisqu'aujourd'hui c'est à la fois le projet du Président de la République, sa croisade, comme il le dit lui-même dans le journal du Dimanche aujourd'hui, et c'est aussi au cœur du programme de Lionel Jospin.

Pierre Moscovici, est-ce si original que cela de proposer l'emploi des jeunes, quand tout le monde le dit ?

M. MOSCOVICI : D'abord nous avons été les premiers à le proposer, et je crois que c'est effectivement une situation dramatique qui est aujourd'hui offerte aux jeunes.

Je parlais tout à l'heure de crise de l'avenir, et quand on sait qu'il y a aujourd'hui près de 25 % des jeunes de moins 25 ans qui sont au chômage, qui sont les premiers frappés, par la flexibilité, par la précarité, qu'ils passent de petits boulots en CDD, qu'ils ont finalement un rapport extrêmement difficile dans l'entrée à la vie active, on voit que c'est là une difficulté majeure pour la Société française.

Je parlais d'échec de la politique du gouvernement, je crois que c'est là où elle est la plus marquée à travers le taux de chômage, qui était de 11,7 % en 1995 et qui est aujourd'hui de près de 13 %, on va franchir, hélas, ce cap historique. Et c'est pour cela que le Parti Socialiste a une approche extrêmement volontariste.

Le Gouvernement, lui, finalement, est un peu à la remorque du patronat là-dessus. Il propose des stages diplômant qui, pourtant, semblent échouer et qui sont à la fois insuffisants dans leur ampleur, qui sont trop longs puisque ce sont des stages d'une durée de 9 mois, qui ne s'intègrent pas bien dans les études, et qui sont très mal rémunérés. Attention, d'ailleurs, au souvenir du C.I.P. On ne peut pas offrir à ces jeunes 1 700 F par mois.

Nous, nous avons une approche beaucoup plus volontariste ...

Mme SINCLAIR : Un peu baguette magique, non ?

M. MOSCOVICI : Non, pas du tout. Cela consiste à proposer 700 000 emplois à créer en deux ans, pour répondre à ces 700 000 jeunes qui sont au chômage : 350.000 emplois dans le public, notamment dans les collectivités locales, dans les hôpitaux ; 350 000 emplois dans le privé par contrat avec le patronat. Et, moi, je crois que c'est tout à fait réaliste.

Les maires - vous en êtes un -, les Présidents de Conseils Généraux savent qu'il y a des besoins d'emplois de services près du terrain, et je crois que, s'ils ont les financements correspondants, ils peuvent le faire. Quant aux entreprises qui peuvent, elles aussi, mettre en place des tutorats, des formations, je crois qu'elles peuvent recruter des jeunes.

Vous savez, en 1971, Jacques Delors qui était à l'époque conseiller social de Jacques Chaban-Delmas, avait fait voter une loi sur la formation professionnelle, cela représente à peu près 1 % de la masse salariale, est-ce un effort absolument considérable ?

Je souhaite que la Société tout entière se mobilise là-dessus : qu'il y ait une vraie volonté pour offrir à ces jeunes des vrais emplois, des vrais contrats et, j'insiste, des contrats à durée indéterminée.

Je crois que c'est possible, on sait que c'est coûteux mais nous savons comment le financer.

Mme SINCLAIR : Jean Arthuis, cela, c'est le plan du Parti Socialiste, que proposez-vous ?

M. ARTHUIS : J'écoute bien le Parti Socialiste, mais c'est vraiment « demain, on rase gratis ». Les deux septennats socialistes, 81-93-95, c'est une France qui perd des emplois...

Mme SINCLAIR : ...il y a eu la cohabitation quand même au milieu, 86-88 ?

M. ARTHUIS : C'est un exercice particulièrement difficile. C'est une France qui perd des emplois dans le secteur marchand et qui crée quelques emplois dans le secteur public. L'avenir n'est pas là, et on le sait bien. L'avenir, c'est de multiplier les emplois dans le secteur marchand, dans les entreprises. Il faut développer l'esprit d'entreprise, accompagner ceux qui investissent, ceux qui vont de l'avant, encourager tous ceux qui prennent des risques. Ce n'est pas en taxant les collectivités territoriales, ce n'est pas non plus en taxant les entreprises. Mais qu'il soit bien clair que le Gouvernement, et à l'invite pressante du Président de la République, entend bien se mobiliser et mobiliser la France entière.

Mme SINCLAIR : En faisant quoi ? Vous avez face à vous un plan concret, vous dites : il est irréaliste. Mais, alors, vous, que proposez-vous au-delà de dire : « Il faut que tout le monde se mobilise ? »

M. ARTHUIS : J'entends une critique des stages diplômant, mais ce qui s'est accompli, c'est une démarche dans le dialogue avec les étudiants, avec les jeunes…

Mme SINCLAIR.- ...mais qui les refusent, vous avez bien vu ?

M. ARTHUIS : Aujourd'hui, les entreprises doivent également assumer cette responsabilité. On sait bien qu'un Etat qui veut faire trop de choses, est un Etat qui finit par étouffer l'économie et donc tuer les chances de créer des emplois. Mais dès lors que précisément, et c'est ce que nous faisons puisque nous faisons baisser l'impôt et que nous faisons baisser la dépense publique, il faut alors que les entreprises assument cette responsabilité. L'apprentissage s'est considérablement développé depuis 18 mois. Les stages en alternance se sont considérablement développés, voilà où se forge l'avenir.

Dans une économie qui est confrontée à la concurrence internationale, nous voyons bien que le potentiel de réussite de la France s'opère aussi sur les marchés extérieurs. Or, les Français ne sont pas suffisamment présents à l'étranger.

Il y a 1 700 000 Français expatriés. Il y a 3 millions d'Allemands. Il y a plus de 4 millions d'Italiens. Donc, nous devons encourager nos jeunes, dès lors qu'ils le souhaitent, dès lors qu'ils en ont le désir, l'ambition, nous devons faciliter des stages qualifiants à l'étranger. Pour ma part, je compte m'y employer. Nous allons prolonger les formules de CSNE, puisque maintenant, dans lé cadre de la réforme du Service National, nous allons pouvoir démultiplier ces stages. Nous allons pouvoir ouvrir des stages auprès d'entreprises françaises qui sont à l'étranger, mais il est également envisageable...

Mme SINCLAIR : C'est un réservoir d'emplois gigantesque, cela ?

M. ARTHUIS : ...de permettre à des jeunes Français de travailler dans des entreprises étrangères qui sont en relation d'affaires avec des entreprises françaises.

Mme SINCLAIR : J'interromps votre fougue, à l'un et à l'autre. Je voudrais simplement que vous ramassiez un peu votre projet, à l'un et à l'autre, pour donner une vision de ce que chacun de vous porte pour réguler l'économie et aider justement à l'emploi.

Qu'est-ce que 1997 devrait être pour vous, Pierre Moscovici ? Qu'est-ce que vous avez envie que la Société devienne, Que voudriez-vous comme actions volontaristes sur la Société ?

M. MOSCOVICI : Je crois que c'est le mot « volontariste » qui est le bon mot. La France, aujourd'hui, est un peu en panne, que ce soit l'emploi, le chômage, les finances publiques... la situation est, hélas, trop mauvaise, et donc il faut, je crois, relancer la France et relancer l'Europe. Et c'est cela, au fond, le projet des Socialistes.

Mme SINCLAIR : Mais est-ce en répétant, comme vous dites dans votre livre, « la France est triste. La France est inquiète. La France doute », est-ce que c'est cela donner du cœur au ventre ?

M. MOSCOVICI : Non. C'est pour cela que j'en fais un plaidoyer pour une autre politique et que je crois qu'elle est nécessaire. Je crois qu'au fond le projet des Socialistes passe par trois grands axes : le premier est de rendre du pouvoir d'achat, parce qu'on ne rétablira pas les Finances Publiques, on ne relancera pas la consommation, on ne relancera pas l'investissement, s'il n'y a pas de pouvoir d'achat distribué aux Français, et cela passe notamment par un basculement des charges sociales sur la CSG et aussi par la distribution de salaires.

M. ARTHUIS : Ce que nous faisons précisément. Ce que nous faisons.

M. MOSCOVICI : le deuxième axe, c'est la réduction du temps de travail, non pas dans tel ou tel secteur ou telle ou telle entreprise, ou de façon défensive, mais de façon généralisée. - le troisième axe, ce sont de vraies priorités budgétaires, pour la recherche, pour l'éducation, pour la justice, pour la culture, pour le logement, bref, pour tout ce qui prépare l'avenir et la solidarité. Nous voulons RELANCER LA FRANCE parce que je crois qu'elle est aujourd'hui en panne de projets, en panne de demandes.

Mme SINCLAIR : Alors, même question, Jean Arthuis, 1997, c'est l'année de quoi ?

M. ARTHUIS : Je voudrais sortir Monsieur Moscovici de sa vision tristounette de la France. Il ne se rend pas compte de ce qui change ! Il fait des propositions sans se rendre compte que...

M. MOSCOVICI : ...vous vous rendez mal compte de la façon dont vivent les Français.

M.  ARTHUIS : ...une partie d'entre elles sont déjà réalisées.

Les taux d'intérêt, par exemple, il ne vous a pas échappé qu'ils n'ont jamais autant baissé. Ce sont les taux les plus faibles depuis 35 ans. Je crois que, dans votre ouvrage, vous vous trompez d'échéance parce que vous restez bloqué au 31 décembre 1995. Vous n'avez pas vu ce qui s'est passé en 1996...

Mme SINCLAIR : On ne part pas sur les taux d'intérêt. Mais globalement, c'est quoi l'année 1997 ?

M. ARTHUIS : Ils n'ont jamais été aussi faibles...

M. MOSCOVICI- ... Et pourtant l'investissement n'est pas très élevé.

M. ARTHUIS : Les parités, je pense au dollar par exemple, n'ont jamais été aussi bonnes pour la France. Donc, nous avons une heureuse conjonction pour notre économie. Et je pense que la croissance sera plus forte que ce que l'on avait imaginé, ce que l'on avait prévu et que, dans ces conditions, on va créer plus d'emplois.

Ce qui est scandaleux, c'est bien sûr la difficulté qu'éprouvent les jeunes pour entrer dans le monde du travail. C'est cette mobilisation générale que va accomplir le Gouvernement, avec une dimension « qualification ». Il n'est pas question de laisser sur le bord du chemin tous ces jeunes qui n'ont qu'une impatience, c'est d'entrer dans la vie active, aussi bien sur le territoire national qu'hors du territoire national.

Nous allons mettre en œuvre des mesures pour faciliter leur expatriation, pour qu'ils puissent avoir une vision de l'international et participer, à leur façon, au développement de la France.

Mme SINCLAIR : Je vous arrête, les autres sujets de la semaine :
    - Papon, 50 ans plus tard, sera enfin jugé ;
    - la Justice est le nouveau grand chantier du Septennat.

REFORME : Monsieur Chirac : Mes chers compatriotes, il nous faut aujourd'hui bâtir une bonne justice, une justice incontestée, une justice sereine et respectée.

Journaliste : Quelle ambition ! La justice sera l'une des cinq grandes réformes du Septennat de Jacques Chirac. Aussitôt une commission de réflexion se met au travail, dirigée par Pierre Truche, Premier Président de la Cour de Cassation, elle aura jusqu'au 15 juillet pour répondre à deux grandes questions : « Comment faire respecter la présomption d'innocence sans porter atteinte au droit d'informer ? Comment garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire sans que ce pouvoir échappe à tout contrôle ? »

Réforme bis : Consensuelle également, la réforme de la Cour d'Assise est adoptée par les députés à l'unanimité. Un fait suffisamment rare pour être souligné. D'autant que cette nouvelle législation modifie profondément le système actuel.

Mémoire : en trois mots la Cour de Cassation met un point final à 16 ans de procédure. Maurice Papon sera jugé en Cour d'Assise pour complicité de crimes contre l'humanité. C'est le premier Haut responsable de l'administration de Vichy à devoir répondre de ses actes. " aura fallu attendre 54 ans.

Mme SINCLAIR : Pierre Moscovici, 16 ans de procédure et 50 ans depuis que les faits ont été commis pour que le premier fonctionnaire du régime de Vichy soit jugé pour crime contre l'humanité ?

M. MOSCOVICI : Je suis de ceux qui considèrent, et depuis longtemps, que la République a à répondre des crimes de l'Etat français. Je me réjouis d'ailleurs à ce sujet que le Président de la République ait pris, en juillet 1995, une démarche qui va dans ce sens.

Et je crois que ce procès est un procès nécessaire. Vous savez, les attendus de l'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation sont impitoyables : Ils disent que Papon savait, dès 1940, que l'arrestation des Juifs les conduisait inéluctablement à la mort.

Ils disent aussi qu'il a apporté son concours actif à l'exécution d'actes criminels dans le cadre d'un plan concerté pour le compte de l'Allemagne nazie.

Il y a eu le procès de la Milice, c'était le procès Touvier. Il n'y avait pas eu le procès de la collaboration d'Etat. Je crois qu'il est bon qu'il vienne maintenant, même s'il vient tard. Je crois qu'il ne s'agit pas de s'acharner contre un vieillard qui a, d'ailleurs, un comportement assez indigne puisqu'il met en cause des instances étrangères, alors que les faits sont tout à fait établis, mais que c'est un procès qui rend justice à ce qui s'est produit pendant la guerre et qui met en cause cette collaboration d'Etat, et je m'en réjouis.

Mme SINCLAIR : Accord sur ce point, Jean Arthuis, hommage au Président de la République que vient de rendre Pierre Moscovici, et ce qu'a dit le Premier ministre d'ailleurs hier ?

M. ARTHUIS : Ce sont des questions douloureuses, graves. Il faut que la France, je ne dis pas se réconcilie avec elle-même, mais qu'elle ne laisse pas d'ombre sur son passé.

Mme SINCLAIR - ...Elle a du mal.

M. ARTHUIS : Ceux qui ignorent leur passé, raccourcissent leur avenir.

Mme SINCLAIR : Un mot, peut-être, sur la réforme de la Justice, l'un des grands chantiers du Septennat dit Jacques Chirac. Il pose une question qui est la vraie question, qui est de savoir quelle légitimité demain pour les juges ou pour une politique pénale ? Pierre Moscovici ?

M. MOSCOVICI : Je constate que cette réforme de la Justice entamée peut être un effet un peu inattendu mais heureux des affaires parisiennes, puisque le Président de la République n'avait pas cela dans son programme et que c'était Lionel Jospin qui proposait une réforme.

Ce que je souhaite tout simplement, c'est que la commission ne serve pas - comme disait Clémenceau - à enterrer le problème. Je crois que les solutions, on les connaît, elles existent : il faut effectivement assurer une politique pénale, il faut donner les moyens à la Justice, mais il faut en même temps que les Parquets soient autonomes et aussi qu'on arrête de donner des instructions en matière de...

Mme SINCLAIR : Mais quelle est l'utilité demain pour les juges ? La république des juges, cela vous fait peur ou pas ?

M. MOSCOVICI : Non. Je crois qu'il faut que les juges soient responsables, notamment devant un Conseil Supérieur de la Magistrature, dont on changerait la composition, qui pourra les nommer et qui pourra aussi les sanctionner. Bref, qu'il y ait une responsabilité et que la Chancellerie conserve un pouvoir.

Mais, j'ai envie de dire : « Chiche, Monsieur Chirac ! il s'agit de ne pas perdre de temps. On sait au fond ce qu'il faut faire, qu'on le fasse rapidement », et dans ce cas-là, je dirais : « Si, demain, mais demain, on appliquait les propositions actuelles du Conseil Supérieur de la Magistrature et si, en novembre, le budget de la Justice passait à 2 % du budget de l'Etat, alors pourquoi ne pas voter ces dispositions-là ? ».

M. ARTHUIS : D'abord, je voudrais que l'on ne doute pas de la volonté de réforme du Président de la République et du Gouvernement.

Depuis que nous sommes à l'action, il me semble que les chantiers ont été ouverts et traités. C'est vrai pour les Armées, c'est vrai pour la protection sociale, c'est vrai dans de nombreux domaines, et ce sera vrai pour la Justice.

La Justice est au cœur du pacte républicain. La Justice est au cœur de l'Etat. Une Justice qui dysfonctionne, une Justice qui laisse apparaître des soupçons, trouble la communauté, la cohésion sociale...

Mme SINCLAIR : Et une justice livrée elle-même, cela vous inquiète ou pas ?

M. ARTHUIS : Je crois qu'il important, c'est l'objet de la réflexion, que le Gouvernement définisse la politique pénale. Il faut préserver l'indépendance de la Justice. Une commission est à l'œuvre. Les personnalités qui la composent, ont toute l'autorité pour éclairer ce débat et nous permettre d'agir en conséquence.

Quant aux moyens, nous les trouverons parce qu'une Justice qui fonctionne mal est une Justice qui coûte cher dans la vie quotidienne des Français. Nous devons en être conscients.

Mme SINCLAIR : Je vous interromps Jean Arthuis parce qu'il nous reste à passer quelques images de l'étranger, j'en ai retenu deux : la fête à Washington, et l'horreur jamais aussi grande à Alger.

Clinton 2 : sa femme, sa fille à ses côtés, la main gauche sur la Bible, Bill Clinton entame son second mandat.

Algérie : pas de pitié, pas de répit, en Algérie, à chaque jour son lot d'attentats sanglants dans les grandes villes et de massacres de familles entières dans les villages.

Mme SINCLAIR : Pierre Moscovici, pourquoi nous taisons-nous sur l'Algérie ? La question est sur toutes les lèvres. Elle est posée, notamment demain dans Libération, à Lionel Jospin qui dit en gros : Personne ne bouge en Europe parce que la France ne bouge pas.

Il dit qu'il faut une solution politique et une solution démocratique. Et il ajoute : nous devons aussi donner des signes en accueillant des hommes et des femmes lorsqu'ils sont menacés.

M. MOSCOVICI : C'est vrai, parce que ce que l'on ressent en premier lieu, en voyant ces images, c'est l'émotion. Je pense aux Algériens, aux Algériens d'Algérie et aussi aux Algériens qui vivent en France et qui sont très nombreux. Ce spectacle de tuerie, de boucherie, qui plus est pendant le Ramadam, est insupportable. Je crois qu'il faut analyser la situation, condamner les attentats. D'ailleurs, c'est un étrange islamisme que celui qui frappe des Musulmans au rt:l0ment où ils ont leur principale fête dans l'année. Il faut condamner cela et ne rien en attendre. Il n'a rien à attendre des poseurs de bombes et de ceux qui tuent leur propre peuple.

Et en même temps, je crois que l'on ne peut pas se rallier à la politique d'éradication pour prononcer ces paroles qui sont celles du Président Zeroual. Autant on ne peut rien attendre des Islamistes, autant il faut attendre quelque chose du Pouvoir. Il faut qu'il bouge, le Pouvoir algérien, qu'il ne se contente pas de durcir le ton mais qu'il provoque une véritable révolution démocratique.

Vous savez, dans une guerre civile, et j'en termine là, personne ne peut gagner contre l'autre. Un camp ne peut pas l'emporter contre l'autre. Il faudra bien que la démocratie permette la réconciliation des Algériens.

M. ARTHUIS : Vous nous avez proposé des images contrastées : sur l'Algérie, c'est l'horreur. Et la France, naturellement, condamne ces actes de terrorisme. Il faut que les Autorités algériennes, il faut que le Peuple algérien retrouve les conditions de la paix, de la paix civile et se réconcilie avec lui-même.

Je pense que les actions qui contribuent au développement économique, seront des facteurs de paix et de réconciliation.

Le contraste, c'est par rapport à l'investiture du Président américain. Puis-je rappeler qu'en 1992 le déficit américain était de 4,5 % du P.I.B., qu'il l'a ramené à 1,5 en 1996, et qu'entre-temps on a créé plus de 10 millions d'emplois.

Autrement dit, quand on fait disparaître le déficit public, on se donne les moyens de créer des emplois...

M. MOSCOVICI : Clinton n’a absolument pas la même politique que la vôtre, vous le savez très bien.

M.  ARTHUIS : ...et pas forcément dans le secteur public.

Mme SINCLAIR : On ne repart pas sur le débat économique, on nia plus le temps. Je vous remercie tous les deux. Merci, Pierre Moscovici. Merci, Jean Arthuis. Dans deux semaines, je recevrai le Chancelier allemand Helmut Kohl et dans une semaine, je recevrai Alain Delon. Dans un instant, Claire Chazal et le Journal de 20 heures.

Merci à tous.

Bonsoir.