Interviews de MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, et Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement, dans "Libération" du 20 décembre 1999, sur la préparation d'une loi urbaine basée sur la décentralisation, le pouvoir des maires, le transfert des transports régionaux et des propositions pour juguler l'habitat insalubre.

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

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Q - Une loi sur l'urbanisme, les déplacements, l'habitat : le chantier est monumental…

Jean-Claude Gayssot. L'objectif de cette loi est de donner une plus grande cohérence aux politiques urbaines, de déplacements et d'habitat, de simplifier et de solidariser. Au-delà, nous souhaitons qu'il y ait un tournant dans la réflexion sur la ville. Quand 85% des gens vivent en ville, dans dix ou quinze ans, on nous dira : qu'avez-vous fait ? Vous n'avez pas été capables d'enrayer les phénomènes de ghettoïsation, d'asphyxie…

Louis Besson. On peut dire, sans être prétentieux, qu'il y a des dimensions de refondation dans ce texte. Une refondation des enjeux de l'urbanisme : ce ne sont plus seulement des objectifs d'expansion, d'absorption de la croissance démographique qui était la logique dominante des textes d'il y a trente-cinq ans. Aujourd'hui, nous visons la maîtrise de l'éclatement, de l'obsolescence de certains quartiers.

Q - Cette loi représente-t-elle un tournant dans la décentralisation ?

L. B. Les communes gardent toutes leurs compétences pour ce qui peut se faire seul car ce sont les attentes de la proximité. Mais on leur permet, quand elles s'unissent, d'avoir des réponses qui leurs garantissent une cohérence entre ce qui se fait chez elles et ailleurs.

Q - Vous enlevez du pouvoir aux élus en retirant aux maires la gestion du stationnement payant pour la remettre à l'autorisé organisatrice des transports en commun…

J.-C. G. Au contraire, les élus auront la possibilité de mieux traiter ces questions de stationnement au sein de l'autorité organisatrice. Notre but n'est pas de faire perdre des prérogatives, il est de contribuer à ce que leur efficacité soit renforcée parce que, justement, la dimension de l'agglomération, nous irons plus loin dans l'expérimentation d'une gestion des transports en commun, du stationnement, des voies express. Mais nous ne le ferons que s'il y a une demande, dans quelques agglomérations candidates à l'expérimentation. A terme, je pense que cette gestion d'une même main des transports en commun, du stationnement et de la voirie d'agglomération s'imposera.

Q - Dans toutes ces mesures, vous considérez que l'agglomération est désormais l'échelle pertinente. C'est la fin de la commune ?

J.-C. G. Non, pas du tout. L'existence des 36 000 communes est une chance pour la réalisation de la démocratie dans notre pays. Mais cela ne s'oppose pas à une intercommunalité démocratique. Il y a des communes qui disent : si on fait n'importe quoi à tel endroit, moi, dans ma commune, je suis concerné… Les concurrences communales exacerbées aboutissent à se faire réguler par l'extérieur : un promoteur arrive, propose un équipement et l'octroie au plus offrant.

L. B. Les maires qui ont des centralités à défendre, qui quelquefois engagent d'énormes efforts de leurs contribuables peuvent les voir ruinés par l'attractivité d'une taxe professionnelle en périphérie.

Q - La loi prévoit aussi le transfert des transports régionaux de voyageurs, les trains régionaux, aux régions. Or la mesure les inquiète…

J.-C. G. Les régions veulent un transfert de compétences et pas un transfert de charges.

Je suis d'accord avec elles. Nous avons prolongé l'expérimentation sur les sept régions jusqu'au 1er janvier 2001. Des régions volontaires pourront rejoindre cette expérimentation en cours. Mais le système sera généralisé au 1er janvier 2002.

Q - Vous voulez simplifier le code de l'urbanisme pour enlever ce que vous appelez des « nids à contentieux ». Ce faisant, est-ce que vous n'allez pas enlever aux associations un certain nombre de leviers pour se faire entendre ?

L. B. Je crois qu'il y a deux catégories d'associations. Celles qui posent des problèmes de fond, de choix de politique de développement durable. Mais aussi celles qui défendent des querelles de riverains ou des manifestations d'égoïsme local que nous ne cautionnons pas du tout.

J.-C. G. Certes, la procédure peut être un élément qui permette la contestation du fond. Mais l'opacité gêne aussi la possibilité d'intervention. Nous dotons tous les intervenants de moyens plus efficaces parce qu'ils seront plus simples, plus clairs, plus logiques que des enchevêtrements qui faussent la règle du jeu. De plus, nous étendons la concertation. Les schémas directeurs n'étaient soumis à aucune enquête publique.

Q - Pourquoi avoir ajouté dans le texte le volet sur l'habitat insalubre ?

J.-C. G. Il faut que le renouvellement se fasse sur la ville elle-même, sur une base de reconstruction, qui touche forcément à la qualité de l'habitat.

L. B. L'insuffisance de confort concerne 900 000 logements sur un parc de 23 millions. C'est considérable. Nous nous sommes aperçus du vieillissement de nos deux législations sur le péril de l'insalubrité. De plus, on a pu lire quelques articles de presse sur ces situations qui se concluaient sur l'idée que, finalement, l'allocation logement finançait le marché des taudis. Certes, on pourrait supprimer cette allocation et pénaliser le locataire… mais nous préférons pénaliser le propriétaire, avec une capacité d'obligation de travaux et, une fois ces travaux prescrits, de suppression éventuelle du loyer.

Q - Des logements sociaux vont-ils être construits désormais dans les communes qui en ont peu, puisqu'elles y seront obligées ?

L. B. Ce serait souhaitable. La recherche de la mixité fait consensus mais ce sont les moyens qui divisent. Si des communes ne veulent pas s'y soumettre, nous aurons à nouveau des concentrations de logements sociaux dans les seules communes volontaires. Il faut être solidaire avec ces communes-là. La maîtrise de la préemption et le permis de construire délivré par le préfet sont des dispositions dont on peut souhaiter ne pas avoir à se servir. Mais leur existence peut amener des maires à réfléchir.