Texte intégral
L’Express - 14 novembre 1996
L’Express : À l’heure du numérique et du satellite, l’instauration de cette signalétique apparaît dérisoire…
Philippe Douste-Blazy : C’est une croisade. La multiplication des chaînes ne doit pas conduire à une dérégulation forcenée. Or l’initiative prise par le CSA est un bon premier pas. Je crois à la possibilité de trouver à l’échelle internationale, sur des sujets essentiels qui intéressent tous les pays – on le voit bien aux États-Unis, où ce fut un thème de la campagne de Bill Clinton – des règles communes.
L’Express : Qu’est-ce qui choque le père que vous êtes devant son téléviseur ?
Philippe Douste-Blazy : Je suis frappé par le mimétisme des enfants. On s’imagine qu’ils regardent leur petit écran d’un œil distrait et l’on est surpris de les voir répéter, quelques jours plus tard, des gestes inspirés de ce qu’ils ont vu. Mais je m’interroge : il est étonnant que l’on n’ait pas été capable de mesurer sérieusement, à ce jour, les conséquences de la télévision sur les plus petits. Et c’est la raison pour laquelle je viens de demander aux équipes de l’Inserm de se pencher sur ce problème. Pour le reste, c’est aux parents et aux diffuseurs, avant tout, de prendre leurs responsabilités.
L’Express : Mais n’est-ce pas plus de l’affaiblissement de l’autorité parentale qu’il s’agit ?
Philippe Douste-Blazy : Effectivement, la télévision ne doit être ni le bouc émissaire ni le « sésame » que l’on attend pour régler les problèmes de notre société. La violence est, hélas ! présente partout, et il est trop facile d’accuser à tout bout de champ la seule télévision. Prenons-y garde : il ne faudrait pas faire de cette juste cause un prétexte pour instaurer une forme de censure. Ou un nouvel ordre moral.
RTL – TF1 - vendredi 15 novembre 1996
Q. : La liberté d’expression est-elle menacée ?
R : D’abord vous comprendrez en effet qu’un ministre de la République n’ait pas à commenter une décision de justice, je la respecte. Simplement, bien sûr, à titre personnel, je n’approuve pas, comme vous, les appels à la violence, je n’approuve pas ceux qui appellent à la violence contre la police, mais aussi comme vient de le dire Jacques Toubon, je crois qu’il faut se battre pour la liberté d’expression. Je continuerai à défendre la liberté d’expression, la liberté des programmes et des programmateurs culturels, je crois que le politique n’a pas à contrôler la vie culturelle. Dès que le politique veut contrôler la vie culturelle, c’est le début de la dictature, et on sait très bien que les dictatures commencent toujours par vouloir diriger la culture. Alors il ne faut pas qu’il y ait non plus deux poids deux mesures : quand on parle de groupe de rock violent, il y a ceux aussi – et j’entends le FN aujourd’hui se réjouir de cela, mais il y a aussi les groupes rock qui existent à Orange, comme plusieurs groupes récemment ayant été invités et qui ont chanté une chanson qui s’appelle « Une balle », et dans cette chanson, je voudrais vous citer simplement une phrase : « Une balle pour les sionistes, une balle pour les cosmopolites, une balle pour les élus, et une balle pour la p… ». « P… » comme « Police » ? C’est la question que je me pose. Donc, il faut se battre à tout prix pour la liberté d’expression, mais il ne faut pas non plus qu’il y ait des tentations, en particulier vis-à-vis de l’extrême droite, de vouloir diriger la culture.
Q. : Jack Lang disait en citant Malraux : « Il faut toujours choisir la liberté ».
R. : Oui, André Malraux en 1962 a dit une phrase majeure : « l’État n’est pas fait pour diriger l’art, mais pour le servir ». Ni les États, ni les hommes politiques. Le jour où les partis politiques ou les opinions politiques tenteront de diriger quoi que ce soit en culture, ce sera le début de la fin.
Q. : Venons-en à la lutte contre la violence à la télévision : carré rouge, triangle orange et cercle vert… Lundi c’est une grande première ?
R. : Moi je voudrais dire que je pars en guerre contre la violence à la télévision. Je le dis très simplement parce qu’il y a beaucoup trop de violence à la télévision. Une étude récente montre qu’il y a plus de 10 crimes par heure dans les fictions. C’est vrai essentiellement dans les fictions américaines. Il ne faut pas quand même, je crois, accepter cela. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que les enfants… On transmet des valeurs ou on transmet des comportements, non pas uniquement par la famille, par les parents, ou même les autorités morales, ou par la société ; on les transmet par l’image, comme si le monde virtuel remplaçait le monde réel. Eh bien, je crois qu’il faut réagir. Le CSA l’a fait – et je voudrais l’en féliciter – avec les chaînes de télévision. C’est un système qui est basé sur la responsabilisation.
Q. : De chaque chaîne ?
R. : De chaque chaîne. Il y aura devant chaque programme, soit un triangle vert, soit un rond orange, soit un carré rouge, comme, en définitive, les deux couleurs de la circulation. Je crois que cela appelle à la responsabilisation des chaînes, mais aussi appelle à la responsabilisation des parents. Moi, je vais prendre trois initiatives, parce qu’il faut que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités. D’abord faire une étude : une étude pour savoir, au bout d’un an, si un tel système a une efficacité. Je suis persuadé que si les enfants regardent beaucoup de crimes à la télévision, ils auront tendance ensuite à jouer avec des armes. Deuxièmement, si jamais cela n’est pas concluant, il faudra se poser la question qu’a posée le président de la République américain pensant sa campagne : sur ce qu’on appelle la « puce antiviolence », c’est-à-dire un système qui permet aux parents d’interdire la possibilité aux enfants de regarder tel ou tel programme. On dit qu’elle n’est pas encore au point, c’est vrai, mais je crois qu’elle le sera d’ici un ou deux ans et il faudra y aller. Enfin, troisièmement, vous savez que les enfants regardent de moins en moins la télévision, mais ils regardent de plus en plus de vidéocassettes ou des jeux électroniques. Eh bien ! les vidéocassettes les plus violentes dans ce pays sont en vente libre. Je voudrais qu’on fasse une loi, comme pour la presse écrite, pour essayer de limiter la violence dans les vidéocassettes.
Q. : Code de déontologie pour les télévisions d’un côté, jugement de Toulon… Certains au PS parlent de « retour à l’ordre moral ».
R. : Évidemment, c’est le grand risque. C’est d’un côté, il faut développer la responsabilisation, c’est un mot que l’on a complètement oublié dans notre vocabulaire. Responsabilisation des parents. Quand on a des enfants, je crois qu’il faut essayer d’être responsable. Responsabilité des citoyens. On peut parler aussi de l’assurance maladie, on peut parler de beaucoup de choses, il faut être des gens responsables. À côté de ça, il faut évidemment éviter toute censure. Je crois que dès l’instant où des hommes politiques seront des hommes politiques censeurs, ce sera aussi le début de la fin. Donc il faut éviter la censure, il faut éviter le retour à l’ordre moral, mais il faut employer ce mot qui est le mot de responsabilité et de responsabilisation. C’est un combat que je mène, comme d’autres.
France Inter - vendredi 15 novembre 1996
R. : Je respecte, par définition même, une décision de justice. Je voudrais d’abord dire que je n’approuve pas les appels à la violence. Mais je voudrais dire ici, avec force, que le politique n’a pas à contrôler la vie culturelle. Dès l’instant où un politique veut contrôler la vie culturelle, ce peut être le début d’une dictature. On sait très bien que les dictatures commencent par vouloir contrôler la politique culturelle. Je voudrais aussi dire que je suis intimement convaincu que nous devons nous battre pour la liberté d’expression et que je continuerai à défendre la liberté des programmateurs culturels. Ce n’est pas aux hommes politiques de dire si tel morceau de musique ou si telle pièce de théâtre est bonne ou mauvaise.
Europe 1 - vendredi 15 novembre 1996
R. : Un ministre de la République ne peut pas commenter une décision de la justice, il ne peut que la respecter. Mais après Jacques Toubon, j’ai envie de dire très fortement que les femmes et les hommes de culture doivent se battre pour la liberté d’expression. Ils doivent se battre pour la liberté des programmateurs culturels à programmer ce qu’ils souhaitent. Les hommes politiques n’ont pas à dicter leurs lois culturelles, ils n’ont pas à contrôler la culture. Car, dès l’instant où vous commencez à contrôler la culture, c’est le début de la dictature. La dictature commence toujours par vouloir contrôler la culture.
Quant au Front national qui vient de commenter cette décision de justice, je voudrais lui dire qu’il faut qu’il balaye devant sa porte. À Orange, il y a eu des groupes de rock qui ont été invités, des groupes de rock violents dont une chanson s’appelle « une balle », et je voudrais citer une phrase de cette chanson : « Une balle pour les sionistes, une balle pour les cosmopolites, une balle pour les élus, une balle pour la p… ». Tout le monde pense à la police. Eh bien, je crois qu’il faut que, dans une République comme la nôtre, la justice passe pour tout le monde. Moi, je suis contre la violence, je suis contre les appels à la violence et en particulier contre les appels à la violence contre la police. Donc, à titre personnel, je ne me range pas du côté de ceux qui se réjouissent d’entendre des propos violents. Que ce soit bien clair, il ne s’agit pas d’aller défendre des propos violents des chansons de NTM. Il s’agit tout simplement de dire que les hommes politiques, s’ils ne doivent pas commenter des décisions de justice d’un côté, ils doivent les respecter, ce que le fais – c’est la République –, d’un autre côté, je ne veux pas contrôler la culture. Le jour où le ministre de la Culture ou bien un maire, un conseiller régional, ou un député européen dit que telle pièce de théâtre est bonne, que telle pièce de théâtre est mauvaise, c’est le début de la fin même de la culture.
La définition de la culture c’est l’autre, de le recevoir, de l’écouter, de le respecter et de le tolérer. Donc je n’accepterai pas cela. J’irai respecter la liberté d’expression à Toulon, le 22 novembre, avec beaucoup d’éditeurs, beaucoup d’écrivains : ceux qui n’ont pas pu faire cette fête du livre à Toulon, le 22 novembre parce qu’ils ont été incités à ne pas la faire par le maire. Eh bien, je crois que là, nous serons le 22 novembre, je dirais les démocrates attachés au pluralisme, au pluralisme de l’écrit, au pluralisme des idées, des convictions, pour bien expliquer que le politique n’a pas à contrôler la culture. Encore une fois, c’est ça qui est important. C’est le message qui est important : le politique n’a pas à contrôler la culture.
France 3 - vendredi 15 novembre 1996
R. : Moi, je suis contre la violence, je suis contre les appels à la violence et en particulier contre les appels à la violence contre la police. Donc, à titre personnel, je ne me range pas du côté de ceux qui se réjouissent d’entendre des propos violents, que ce soit bien clair. Il ne s’agit pas d’aller défendre des propos violents des chansons de NTM. Il s’agit tout simplement de dire que les hommes politiques, s’ils ne doivent pas commenter les décisions de justice d’un côté, ils doivent les respecter – ce que je fais, c’est la République –, d’un autre côté ils ne doivent pas vouloir contrôler la culture.