Texte intégral
O. Mazerolle : Avant-hier, après l’élection de Vitrolles, vous avez déclaré : « nous devons combattre le FN sur ses thèses, pied à pied. » Concrètement, comment cela doit-il se traduire ?
J. Toubon : Ce que me paraît important dans cette élection, ce n’est pas d’en faire un test national. Interrogés hier par l’institut CSA, seulement 18 % des Français disent qu’ils sont satisfaits de la progression du FN. Donc ce n’est pas une valeur nationale. Ce qui est intéressant, c’est de réfléchir sur les raisons pour lesquelles un grand nombre de nos concitoyens, au-delà même de cette élection, de manière générale – nous les rencontrons tous les jours – pensent qu’il existe des solutions plus expéditives, je dirais, aux problèmes qui existent aujourd’hui, et qui sont les problèmes d’insécurité.
O. Mazerolle : Et qu’est-ce que vous leur répondez ?
J. Toubon : La réponse est à mon avis la suivante : il faut traiter les causes et non pas les effets. Je veux dire par là qu’il faut changer profondément beaucoup de structures, beaucoup de choses qui existent dans notre pays depuis longtemps et qui ont produit la situation que nous avons aujourd’hui : du chômage, par exemple un défaut de formation des jeunes qui leur interdit de trouver un emploi. Qu’est-ce qu’on a fait lundi ? On a dit, pour la première fois, « on va essayer de marier entreprise et université ». Donc, la réponse, c’est une réponse de fond. Je prends un exemple : ce n’est pas en refusant de prendre un certain nombre d’étrangers dans nos hôpitaux qu’on va régler le problème des hôpitaux, de la Sécurité sociale, c’est en faisant en sorte, par exemple, que plein de lits, qui sont excédentaires et qui pèsent sur les finances des hôpitaux et de la Sécurité sociale, soient supprimés, que l’hôpital soit rendu plus productif et plus efficace.
O. Mazerolle : Un autre domaine ?
J. Toubon : Je prends un autre exemple : la délinquance des mineurs. Est-ce que la solution à la délinquance des mineurs. Est-ce que la solution à la délinquance des mineurs c’est – comme le disent certains : tous les mineurs qui font quelque chose, mettez-les en prison ». Certainement pas. La vraie solution, elle est qu’il faut que les parents – un, deux – dans beaucoup de familles, ne soient plus au chômage. Il faut que nous essayions de trouver des solutions qui soient par exemple des solutions à l’école. Quand des gosses sont mal dans leur peau à 8 ou 9 ans, si on ne les prend pas en charge par le service de santé scolaire, à 12 ou 13 ans, ils deviendront des délinquants. Donc, ce que je pense, c’est que la vraie réponse, « combattre les thèses », cela veut dire adopter des solutions qui soient des solutions réelles et non pas des solutions d’apparence.
O. Mazerolle : Si vous relanciez le projet de loi contre le racisme, vous pendez que vous seriez mieux compris maintenant ?
J. Toubon : Je crois que c’est une question différente. C’est une question de nature philosophique et de nature politique. On ne peut pas être une société républicaine en France si on n’est pas capable de dire ou de se comporter comme si tous les hommes n’avaient pas une égale dignité. Moi, j’ai dit : il faut que, par la loi, on puisse poursuivre ceux qui prétendent que les hommes n’ont pas une égale dignité. C’est depuis 1789, c’est-à-dire depuis plus de 200 ans, que cela a été proclamé.
O. Mazerolle : Vous le réaffirmez ?
J. Toubon : Je le réaffirme.
O. Mazerolle : Une soixante de réalisateurs de cinéma – et non des moindres – appellent à désobéir aux lois Debré sur l’immigration – dont la discussion s’achèvera à la fin du mois – en disant que ce sont des lois « inhumaines ». Qu’en pensez-vous ?
J. Toubon : C’est un assez bon exemple de ce que je viens de dire il y a un instant et qui est qu’il ne faut pas traiter les effets, il faut traiter les causes. Moi, je comprends la position d’un certain nombre d’artistes et d’intellectuels. Je les connais suffisamment pour savoir quel est le fond de leur pensée : ce sont d’abord des gens qui ont des sentiments humains et qui compatissent à la misère humaine et je peux comprendre ce type de position. Naturellement, elle est tout à fait inadmissible car, pas plus les réalisateurs que qui que ce soit n’a le droit de contrevenir à la loi ni, surtout, d’appeler à violer la loi. Mais c’est exactement vouloir prendre l’effet pour la cause. En réalité, le problème n’est pas de traiter aujourd’hui cette situation, d’empêcher tel ou tel d’être expulsé ou de permettre l’entrée de tel ou tel étranger dans notre pays ! Cela c’est la surface des choses ! La réalité, c’est : comment, dans un pays comme le nôtre qui, chaque année – et ce sera toujours comme ça ! – fera entrer dans notre pays plusieurs dizaines de milliers d’étrangers, et notamment d’étrangers venus de pays du Sud – c’est-à-dire ayant des civilisations assez différentes de la nôtre – comment est-ce que nous pouvons assurer, un, l’intégration dans de bonnes conditions de ceux qui sont chez nous régulièrement, et d’autre part assurer dans des conditions légales, constitutionnelles – ce qui est absolument indispensable et qui a toujours été la caractéristique de la République – la police des étrangers. Voilà quelle est la vraie question.
O. Mazerolle : Il faudra donc l’expliquer à ces réalisateurs ?
J. Toubon : Dans un cas comme dans l’autre, de chaque côté, on a des formules expéditives qui sont – cela je n’en doute pas ! – médiatiques, mais qui ne sont sûrement pas à la hauteur des problèmes. Et c’est toute l’action que nous avons engagée : réformer, changer, cela consiste à permettre de trouver des solutions de fond qui permettront effectivement d’avoir plus de sécurité.
O. Mazerolle : A propos de réforme plus politique : pour les élections régionales de l’an prochain, un nouveau mode de scrutin qui permettrait des majorités stables au sein des conseils régionaux, à vos yeux et aux yeux du RPR, cela permettrait-il de diminuer le poids du Front national ?
J. Toubon : Il y a un vrai problème qui se pose car les conseils régionaux ont des compétences de plus en plus grandes, comme par exemple pour l’apprentissage qui intéresse les jeunes, et en même temps, ils sont difficilement gérables compte tenu du mode de scrutin. Il y a un an qu’A. Juppé s’efforce de trouver un consensus sur cette question. Si le consensus n’est pas trouvé maintenant, mon sentiment est que dix, onze ou douze mois avant les élections, cela pourra effectivement ne pas paraître conforme à la règle du jeu de vouloir changer les choses. Donc, je crois qu’aujourd’hui, alors que le changement de mode de scrutin est justifié et que personnellement j’en ai toujours été partisan, faute de consensus ou d’accord dans la classe politique, il serait probablement plus raisonnable de surseoir et de ne pas charger le mode de scrutin pour les prochaines élections.
O. Mazerolle : Vous parliez tout à l’heure du sondage CSA pour Le Parisien d’aujourd’hui. L’impression que la corruption n’est pas autant combattue qu’il le faudrait est l’un des arguments qui joue en faveur du vote Front national. Quatre cents magistrats français ont signé l’Appel de Genève contre la corruption internationale. Quelle importance accordez-vous à ce geste ?
J. Toubon : C’est une réalité que ce sentiment que les Français ont que la justice n’est pas, en quelque sorte, égale pour tous. Par exemple, ils considèrent que les chefs d’entreprise ou les hommes politiques sont moins poursuivis ou moins condamnés par la justice que les autres citoyens. Ce sentiment est un sentiment qui existe. Je dis tout de suite que c’est un sentiment qui ne correspond pas à une réalité. Et vous le voyez tous les jours. Mais il y a un autre aspect des choses, à savoir que la délinquance, et notamment la délinquance économique et financière, est de plus en plus transfrontières et qu’il faut donc que nous trouvions des moyens pour que la coopération entre les justices et les polices des pays soit meilleure. Mais ce ne sont pas certainement pas les moyens qui sont proposés aujourd’hui par ces 400 magistrats ou par les signataires de l’Appel de Genève car ce qu’ils proposent en réalité, c’est de mettre la charrue avant les bœufs. Ils proposent de faire une justice européenne alors qu’il n’a pas de gouvernement et de démocratie européenne. Il est clair qu’aujourd’hui, il faut que les Etats et les gouvernements qui existent coopèrent. D’ailleurs, j’ai été encore jeudi dernier à Amsterdam et nous n’avons parlé que de cela !
O. Mazerolle : Cela signifie qu’il y a un certain état d’esprit, pour les magistrats en question ?
J. Toubon : Cela signifie surtout que c’est une vraie question et qu’aujourd’hui, nous y répondons. Depuis que je suis garde des Sceaux, depuis vingt mois, nous avons constamment améliorer les méthodes d’extradition, l’entraide judiciaire. Et nous nous attaquons à la lutte contre la criminalité organisée, y compris la délinquance économique et financière. Croyez-moi, il n’y a pas besoin de manifeste et d’appel. Nous sommes tout à fait conscients, je le suis en France comme nous le sommes à Quinze dans l’Union européenne, de cette nécessité. C’est pour nous une priorité.