Texte intégral
Le changement de millénaire n’est en fait qu’affaire de convention au regard du calendrier retenu, en l’occurrence le calendrier grégorien. Cela permet en tout cas de relativiser l’évènement.
Lorsqu’un empire s’écroule, l’onde de choc perdure longtemps. L’écroulement de l’empire soviétique aura marqué la fin du XXe siècle. Autant on peut légitimement se féliciter de l’échec d’un régime liberticide, autant on doit s’interroger non seulement sur ses conséquences mais aussi sur la manière d’y répondre. Au « no future » du régime soviétique semble répondre aujourd’hui le « no limit » du capitalisme libéral. Il en ressort un accroissement important des inégalités entre pays et au sein des pays, les riches devenant plus riches, les pauvres plus pauvres en termes de revenus et de droits. La libéralisation accélérée des marchés financiers a conduit à suivre des politiques économiques et budgétaires restrictives, avec comme objectif une inflation zéro et la réduction des déficits publics, et à favoriser le dumping social. Les conditions de travail, de rémunération et de protection sociale collective tendant à devenir les éléments des ajustements. On a ainsi assisté à un détournement de la notion de valeur, celle-ci ayant de plus en plus tendance à être « actionnariale » et de court terme. Par ailleurs, le développement important des nouvelles techniques de l’information et de la communication favorise ce que l’on peut appeler une révolution du temps et de l’espace. Ces différentes tendances ont contribué ces dernières années à affaiblir ces dernières années le poids des pouvoirs publics par rapport à celui des intervenants sur les marchés financiers. Ainsi, au moment où les fusions/restructurations s’accélèrent, on plaide pour un Etat « facilitateur », de plus en plus en décentralisé. Cet effet de ciseau en termes de pouvoir percute de plein fouet la démocratie et ses conditions d’exercice. Dans les grands pays industrialisés, la conjonction entre une politique économique dite incontournable et un poids affaibli des pouvoirs publics explique notamment la tendance au zapping électoral.
Au plan social, ces différentes tendances ont conduit le patronat et les gouvernements à privilégier les niveaux les plus bas pour négocier. De manière complémentaire, on a eu tendance à monter en épingle l’individualisme en oubliant que toutes les périodes de crise se caractérisent par un repli identitaire. Or, ce repli est aussi synonyme d’un manque de confiance vis-à-vis des dirigeants politiques, manque d’autant plus significatif qu’il correspond à un niveau de culture générale en progression. Dans ces conditions, l’individualisme n’est pas un choix mais une réaction d’attente.
Le syndicalisme sait que toute société est faite par les hommes et pour les hommes et qu’aucune société ne peut vire durablement sans cohésion sociale, ce qui passe par une articulation effective entre les valeurs collectives et individuelles, par un ciment identitaire. Cela entre en contradiction avec les tendances lourdes mentionnées plus haut. Nous savons également, au-delà des incantations propagandistes sur le consensus ou la communauté d’intérêts, que toute société est faite d’intérêts divergents et qu’en démocratie, ces divergences se résolvent temporairement par l’accord ou le contrat. Enfin, nonobstant les métaphores guerrières de compétitivité ou de motivation, les valeurs de liberté, de démocratie, de paix et de sécurité (au sens large du terme) sont essentielles. Dans ces conditions, le syndicaliste rêve d’un XXIe siècle respectueux des valeurs fondamentales. Au plan international, il s’agit en particulier que les normes fondamentales du travail soient enfin universellement respectées (libertés d’association et de négociation, interdiction du travail forcé et du travail des enfants, non-discrimination). Cela concerne l’action des organismes internationaux (FMI, Banque mondiale, OMC notamment) et leur architecture au plan international. Au plan européen, il s’agit de pratiquer une rupture avec les modalités actuelles de la construction européenne qui laissent libre cours aux thèses du capitalisme libéral en faisant de l’Europe une zone de libre-échange, de dogmes économiques, de non-droits citoyens et sociaux.
A ces deux niveaux, il importe que les gouvernements sachent reprendre la main (et l’autorité) sur les intervenants sur les marchés afin que la démocratie et le souci du long terme ne soient pas régulièrement bafoués.
Cela doit se traduire enfin au plan national par une préservation-modernisation des relations entre le collectif et l’individuel, tant dans les domaines contractuels que dans celui de la protection sociale collective en général. De ce point de vue, l’un des débats les plus éclairants est celui de la retraite. Comment ce qui est un espoir et un objectif – vivre de plus en plus longtemps dans les meilleures conditions -, pourrait-il devenir une contrainte ou une charge ? Le cynisme serait-il devenu un lieu commun ?
A la veille du XXIe siècle, force est de constater que le besoin de liberté est en tête du hit-parade. Etre libre, c’est ne pas dépendre des autres, c’est avoir des droits pour ne pas quémander la charité ou l’assistance. Etre libre, c’est pouvoir s’exprimer individuellement et collectivement et pouvoir affirmer son indépendance.
Cette indépendance au plan syndical, cela fait un siècle que la CGT-Force Ouvrière la met en exergue et nous constatons chaque jour non seulement qu’elle est une nécessité, mais qu’elle est revendiquée là ou elle est interdite ou bafouée. Etre libre, c’est aussi pouvoir vivre de son travail en toute sécurité, c'est-à-dire sans en être esclave et sans en faire le seul objectif d’une vie. Etre libre, c’est encore pouvoir trouver un équilibre entre vie au travail et vie privée, ce qui donne à la notion de temps une coloration très différente de cette inhérente à la flexibilité, synonyme de disponibilité accrue du salarié vis-à-vis de son employeur.
Etre libre, c’est finalement pouvoir être rebelle sans être interdit. Cela s’appelle aussi la Démocratie. Pain, paix, liberté, justice sociale : de beaux idéaux, des objectifs pour le siècle à venir.