Interview de M. Franck Borotra, ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications, à France-Inter le 17 février 1997, sur le projet de loi Debré sur l'immigration et l'accord signé entre 68 pays sur l'ouverture à la concurrence du marché des télécommunications.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Accord signé entre 68 pays sur l'ouverture totale à la concurrence des marchés des services de télécommunications dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève le 15 février 1997

Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : La politique de l'immigration ne ressort pas de votre département ministériel mais tout de même, en tant que ministre du Gouvernement, vous avez bien une idée sur la façon dont va se terminer cette affaire de loi Debré, surtout cette déclaration de fin d'hébergement ? On a l'impression que même la majorité est troublée aujourd'hui ?

F. Borotra : Je crois que le Premier ministre s'est exprimé sur cette affaire. La loi est présentée en deuxième lecture devant l'Assemblée nationale. C'est à l'Assemblée nationale de voter la loi dans la forme qu'elle souhaite. Je suis quand même un peu perplexe en face de cette affaire. D'abord, d'un côté, je respecte beaucoup l'avis et l'expression de tous ceux qui représentent le monde culturel, de l'autre côté, je constate que cette loi est venue en première lecture à l'Assemblée et au Sénat sans provoquer réellement beaucoup de mouvement.

A. Ardisson : En tout cas, pas là-dessus !

F. Borotra : En tout cas, pas là-dessus. Et puis, tout d'un coup, on assiste à une sorte d'amalgame entre d'un côté, le problème posé par cette loi et, de l'autre côté, Châteauvallon et Vitrolles. Je crois que cet amalgame est dangereux. Il ne s'agit pas du tout de la même affaire !

A. Ardisson : C'est un amalgame ou un réveil ? Autrement dit, y aurait-il eu cette mobilisation s'il n'y avait pas eu la victoire du Front national ?

F. Borotra : Je crois que cela n'a rien à voir ! D'un côté, le Front national à une philosophie que tout le monde connaît, en face des étrangers ! La philosophie du Front national, c'est la xénophobie et c'est le racisme. Le responsable de la crise, pour le Front national, c'est l'étranger. La politique du Gouvernement est une logique totalement contraire. II s'agit au contraire de créer les conditions de l’intégration des étrangers qui sont en France, d'accueillir, dans le cadre de la tradition française de l'accueil, les étrangers qui viennent chez nous, en particulier pour s'y intégrer, tout en respectant l'équilibre des flux migratoires parce que, malheureusement, la France ne peut pas accueillir toute l'immigration du monde. Donc, il s'agit de deux logiques fondamentalement différentes. On comprend bien que, dans la politique qui est menée par le Gouvernement et qui est une politique d'intégration et de respect des étrangers – ce qui est le contraire du Front national –, il y a la nécessité de maîtriser les conditions d'immigration clandestine. Sans quoi, c'est effectivement l'immigration clandestine qui risque de porter atteinte à la politique d'ouverture de la France vis-à-vis de l'extérieur et à une politique d'intégration à l'intérieur vis-à-vis des étrangers qui souhaitent devenir français.

A. Ardisson : C'est l'intention affichée mais, dans les manifestes qui sont publics, tous mettent en avant que c'est une question de principe

 F. Borotra : Ce n'est pas une question de principe parce que le principe a été tranché par le Gouvernement ! La France veut respecter sa tradition, qui est une tradition d'accueil et qui est une tradition de respect, en particulier de la différence et des étrangers qui viennent à l'intérieur de notre pays. Mais en même temps, il faut respecter naturellement ce qui constitue le fond dans le domaine des flux migratoires, c'est-à-dire la réalité économique de l'intégration des étrangers qui viennent à l'intérieur de notre pays et, du même coup, il faut mettre en œuvre les moyens pour maîtriser cette immigration clandestine. Le danger majeur pour les étrangers qui sont régulièrement en France et qui souhaitent s'intégrer, c'est effectivement le risque de l'immigration clandestine.
         
A. Ardisson : Résumons-nous : cette loi sera-t-elle votée telle quelle ?

F. Borotra : La loi est présentée telle quelle à l'Assemblée nationale. Et il appartient à l'Assemblée nationale, conformément à la Constitution de la République, de déterminer la loi qui, finalement, sortira de cette affaire

A. Ardisson : Eventuellement, la loi peut être amendée ?

F. Borotra : C'est un droit permanent pour l'Assemblée nationale !

A. Ardisson : Vous avez vu ou entendu parler de ce sondage Ipsos-Opinions – France 2 - Le Figaro, selon lequel 51 % des Français estiment que le Front national n'est pas un parti comme les autres alors que 45 % sont favorables à sa présence à l'Assemblée nationale. Qu'en pensez-vous ?

F. Borotra : Je crois tout d'abord que l'opinion est sous le coup de ce qui vient se passer à Vitrolles. Premier point : Vitrolles n'est pas la France. C'était une élection partielle. Et il faut reconnaître aussi que le choix des candidats peut jouer naturellement un rôle dans le résultat des élections. Il n'en reste pas moins qu'au travers de cette élection, le Front national vient de confirmer son implantation dans les quartiers en difficulté et dans les villes déstructurées, et sa présence très forte sur le terrain. Ce que je voudrais que l'on comprenne bien, c'est que, pour faire face au danger que le Front national représente au travers de son idéologie, il y a nécessité pour la majorité d'être plus présente dans le combat sur le terrain. Sur le terrain, c'est là que tout se joue, au travers de l’écoute et de la prise en considération des problèmes que posent nos concitoyens, au travers de l’inquiétude ou de l'incertitude qui caractérisent très souvent leur attitude vis-à-vis de l'avenir. Par conséquent, le danger est cette pénétration croissante du Front national sur le terrain. Ce n'est pas un combat culturel mais un combat sur le terrain pour convaincre, justement, l'ensemble des personnes qui peuvent être attirées par l’idéologie du Front national que cette dernière est contraire aux valeurs de la République, qu'elle est, à terme, contraire aux intérêts de la démocratie et que le combat se mène sur les valeurs et les solutions concrètes que l'on est en état d'apporter aux problèmes des gens.

A. Ardisson : Samedi, 68 pays, dont la France, ont signé un accord ouvrant, dans une certaine proportion, leur marché à la concurrence dans les télécommunications. Le directeur général de l'Organisation Mondiale du Commerce a salué cet accord avec des mots d'enthousiasme, expliquant que cela va créer des millions d'emplois, réduire les tarifs existants, gonfler la production mondiale de milliards de dollars, bref des chiffres faramineux. Comment peut-on y croire, de votre point de vue ?

F. Borotra : Voilà un accord qui est négocié depuis plusieurs années maintenant – environ trois ans –, qui a été signé samedi, qui engage 68 pays qui représentent pratiquement 90 % de l’activité dans le domaine des télécoms. Je crois que c'est un accord qui est intéressant pour l'ensemble des pays, y compris pour l'Europe et pour la France, dans la mesure où il ouvre un marché exceptionnel ou la technologie française comme la technologie européenne doivent trouver moyen à développement. C'est vrai que le secteur des télécommunications est, sans aucun doute, l'un des secteurs qui connaîtra, dans les années qui viennent, la plus forte croissance et que la libéralisation, qui a été rendue nécessaire par révolution des technologies, fait qu'aujourd'hui, ce marché est plus largement accessible aux grandes entreprises qui se sont préparées à cette révolution. C'est le cas pour France Telecom.

A. Ardisson : Quel bénéfice les Français vont-ils en tirer ? Je prends l'exemple du statut de France Telecom. Quand il a été modifié, on a prévu que France Telecom devrait assurer un service universel, une sorte de service minimum pour tous les Français.

F. Borotra : C'est le service public.

A. Ardisson : Est-ce qu'un opérateur étranger, qui viendrait s'implanter sur notre territoire, aurait les mêmes obligations ?

F. Borotra : La loi a été votée et c'est vrai que les obligations du service public sont financées par le coin - la taxe de raccordement l'ensemble du réseau. Qu'est-ce que la France peut en tirer ? Si le Gouvernement s'est engagé dans la loi de libéralisation, puis ensuite, dans une loi qui modifiait le statut de France Telecom, c'est pour préparer notre marché, à partir du 1er janvier 1998, à l'ouverture totale à la concurrence d'une part et, d'autre part, préparer France Telecom pour lui permettre d'être l'un des premiers opérateurs mondiaux dans le domaine des télécoms. Et pour cela, il fallait faire évoluer son statut. Il fallait préparer France Telecom non seulement aux technologies nouvelles mais à l'effort commercial qu'il devra engager. Et, sous la direction de M. Bon, président de France Telecom, cet effort est engagé. Et je suis certain qu'au travers des alliances industrielles d'une part et, d'autre part, au travers de la politique commerciale qui s'est déjà traduite par une baisse des tarifs, France Telecom est en état d'être l’un des premiers opérateurs de télécommunications du monde.

A. Ardisson : Vous avez, dans la semaine, engagé les contrats d'objectifs avec EDF et GDF. Il y a eu des réactions assez mitigées des syndicats. Ils se sont réjouis qu'il y ait parallèlement un accord social mais, en même temps, ils sont un petit peu inquiets quant au statut à venir de ces deux organismes ?

F. Borotra : Ils n'ont pas à être inquiets ! Le Gouvernement a déjà annonce clairement et définitivement qu'EDF était une entreprise nationale à 100 % détenue par l'Etat mais c'est une entreprise qui doit s'adapter aux conditions de la concurrence ouverte par la directive européenne. D'autre part, il faut qu'elle soit le moteur dans le secteur de l'énergie, secteur qui, probablement, connaîtra la plus forte croissance avec les télécoms dans les dix ans qui viennent, pour tirer les entreprises françaises, PME et PMI, et pour garder la place qui est la sienne sur le marché mondial de l'électricité puisque c'est le premier électricien du monde.

A. Ardisson : Dernière question : quand connaîtra-t-on le résultat des courses pour Thomson ?

F. Borotra : Le Premier ministre s'est exprimé sur ce sujet et ce sera à la fin du mois de février.

A. Ardisson : On n'en saura pas plus avant ?

F. Borotra : Qui sait ?