Interviews de M. Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, à RMC le 17 janvier 1997, dans "le Figaro" du 6 février, à France-Inter et France 2 le 10, sur la politique gouvernementale, les zones franches urbaines, la victoire du FN à Vitrolles et l'emploi des jeunes.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Victoire de la liste du Front national conduite par Catherine Mégret à l'élection municipale partielle de Vitrolles le 9 février 1997

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Texte intégral

RMC - vendredi 17 janvier 1997

P. Lapousterle : Qu'est-ce qui se passe M. Raoult ? Bonnes paroles, sourires, compliments, le Premier ministre A. Juppé à l'air tout sucre et tout miel, est-ce qu'il y a une ambiance nouvelle au sein du Gouvernement ?

Eric Raoult : Ecoutez, tout le monde ne le connaissait pas. Il y avait des millions de Français qui n'avaient pas, peut-être, l'habitude de le voir tous les jours mais ses trente-deux ministres qui le côtoient, qui travaillent avec lui savaient que, derrière le masque de l'homme qui avait peut-être été un peu blessé par toutes les attaques portées contre lui, il y avait surtout la fermeté, la générosité et puis aussi une remarquable aptitude à diriger. En deux mots, un leader. Je crois qu'après le Premier ministre qui a été critiqué, il y a le futur leader de la majorité qui vient d’apparaître.

P. Lapousterle : Pour les bonnes paroles, il n'y a pas de problème mais quand est-ce qu'il y aura des résultats ? Pour que la morosité disparaisse, comme le demandait le Premier ministre encore hier, il faudrait des résultats quand même. Le chômage est au plus haut mais le pouvoir d'achat au plus bas, il faut le reconnaître.

Eric Raoult : Quand il y a à reprendre une situation dégradée, il faut redresser. Il faut aller fort. Il faut la remise en marche, la remise en conformité. Et puis après, on peut espérer que les premiers résultats arrivent. Je dirais qu'après l'orage, après la pluie, il y a maintenant l'embellie et je crois que l'arc-en-ciel sera pour le premier semestre. A la fin de ce  premier semestre, je crois que nos compatriotes se rendront compte que, grâce à Juppé et Chirac, les choses vont mieux, que nous sommes dans une meilleure direction et que la France, petit à petit, s'en sort.

P. Lapousterle : Reconnaissez que, depuis dix-huit mois, vous dites que cela ira mieux dans trois mois, quand même !

Eric Raoult : Je ne crois pas que l'on ait dit, depuis dix-huit mois, qu'on allait raser gratis, comme L. Jospin et ses amis l'ont dit pendant deux septennats. Je ne crois pas que nous ayons dit que ça allait mieux et qu'on allait tout réussir mais les Français se rendaient bien compte que l'on ne sort pas si simplement d'un peu de laxisme, de beaucoup de laisser-faire et que quand on demande l'effort, eh bien après, il y a les résultats. Quand on demande de semer, de mieux travailler, quand on demande de réaliser, eh bien les résultats sont au rendez-vous, même si le rendez-vous n'est pas immédiat.

P. Lapousterle : Le patron du Parti socialiste a haussé le ton, hier, puisqu’il a parlé du « Gouvernement le plus réactionnaire depuis dix ans » pour qualifier le Gouvernement auquel vous appartenez.

Eric Raoult : Je crois que M. Jospin se dit qu'il y a quelque chose qui est en train de se passer dans l'opinion. On ne voit plus où sont les socialistes. On avait su, pendant deux septennats, qu'ils étaient à la tête de l'Etat mais là, maintenant, L. Jospin serait un peu le petit malentendu de l'échiquier.

P. Lapousterle : Il a fait quand même 48 % aux dernières élections présidentielles, je vous le rappelle.

Eric Raoult : C'est vrai mais il avait des difficultés à s'assumer comme leader. C'est un peu l'homme d'appareil qui se prendrait pour un leader. Je crois qu'aujourd’hui, il a essayé de hausser le ton pour se ré-agripper sur l'échiquier politique. Il a encore beaucoup de progrès à faire. Les Français savent bien les différences entre les socialistes d'hier, entre ceux qui créaient des milliers d'emplois dans les charbonnages ct ceux qui promettent aujourd'hui de créer 700 000 emplois pour les jeunes... Ce serait le retour en arrière ! Jospin, c'est le grand bond en arrière, ce n'est pas aller de l'avant.

P. Lapousterle : Quand il parle de vous, L. Jospin dit que votre parti va passer « de la digestion de la victoire à la crainte de la défaite », alors ?

Eric Raoult : Si on n'avait voulu penser qu'à 1998, nous n'aurions pas pris parfois des décisions impopulaires mais nécessaires. Si nous n'avions pensé qu'à cette échéance de 1998, nous aurions fait de la social-démocratie sans les socialistes. Ce n'est pas ce que nous avons fait. Dans le domaine de la ville, dans le domaine de l'armée, de la protection sociale, nous ne nous sommes pas contentés de parler mais nous avons agi, La différence qu'il y a entre les socialistes et nous, c'est qu'eux sont bons en discours mais nous sommes meilleurs en dossiers et en solutions.

P. Lapousterle : On a entendu les priorités du Gouvernement. On a surtout entendu l'emploi, l'équilibre des finances publiques, la monnaie européenne et on a moins entendu parler de la ville et des banlieues. Est-ce que toujours la priorité du Gouvernement ?

Eric Raoult : C'est un dossier qui n'est pas réglé. Le chef de l'Etat a l'habitude dire que ce sera le grand défi de la civilisation de demain : la ville, l'équilibre, l’aménagement du territoire. Je dirais qu'avec J.-C. Gaudin, nous avons en partie rempli notre mission, c'est-à-dire qu'en un an – à un jour près, nous étions avec A. Juppé à Marseille pour annoncer ce pacte de relance pour la Ville eh bien, le texte est voté, les décrets sont publiés et l'élan est lancé. Alors, je ne dis pas qu'aujourd'hui, les choses vont beaucoup mieux mais je dis que nous avons agi, comme nous avons l'habitude de le dire avec A. Juppé, plutôt en architectes qu'en pompiers, Hier, le Premier ministre était à Saint-Quentin et il a pu voir, en visitant des entreprises, que les entreprises sont intéressées par les zones franches. En discutant avec le maire et le président du Conseil régional, il s'est aperçu que les emplois de ville, ça démarrait. En deux mots, nous avons un peu moins parlé sur la ville que nos prédécesseurs mais nous avons essayé d'agir. Et, remarquez-le, nous avons agi sans étiquette ni drapeau et cela se passe plutôt bien.

P. Lapousterle : Sur les dossiers pour les zones franches, il faut reconnaître que les demandes sont nombreuses. Est-ce qu'elles sont sérieuses à votre avis, toutes ces demandes ? Et est-ce que, puisque ce sont des zones où il y a entre 22 et 44 % de chômeurs, les emplois seront à la clé ?

Eric Raoult : Ecoutez, très franchement, il y a de tout parmi ceux qui sont candidats à l'implantation en zone franche. Nous allons bien séparer, avec l'appui des maires, par les représentants de l'Etat, ceux qui veulent faire de l'argent et ceux qui veulent tenter l'aventure. C'est vrai qu'on n'attire pas les mouches avec du vinaigre, et nous n'avons pas attiré les investisseurs avec de bonnes paroles mais avec des exonérations fiscales. Nous ne voulons pas leur donner de subventions ; nous voulons leur dire : on donne un peu de vitamines au terreau d'implantation. Alors aujourd'hui, je crois qu'il y a de l'intérêt, il y avait hier de la curiosité. Et je crois qu'il pourrait y avoir des premiers succès dès les premiers mois. On fera le bilan, avec J.-C. Gaudin, au bout de six mois. Et je crois que les zones franches, oui c'est vrai, ça démarre.

P. Lapousterle : Qui va trancher entre les dossiers qui aboutiront et ceux qui n'aboutiront pas ?

Eric Raoult : Des tables rondes, des conseils d'observation et de surveillance au niveau local, entre les représentants des chambres des métiers, les élus, les représentants de l'Etat. Et on va essayer aussi d'y impliquer la population. Car tout ça, on ne va pas le voir de Paris. On va essayer de faire en sorte que, à l'Ariane à Nice, comme dans les quartiers Nord de Marseille, eh bien on avance et qu'on fasse bouger les choses. Ce que l'on souhaite évidemment, c'est que ça profite aux habitants des quartiers.

P. Lapousterle : Est-ce que l'intégration, puisque vous êtes aussi ministre de l'Intégration, c'est autre chose qu'un slogan en ce moment en France ? On peut avoir un slogan sans résultat.

Eric Raoult : Non, pas sans résultat. Les choses avancent, l'intégration la plus réussie c'est l’intégration silencieuse. Elle se fait dans les mariages, elle se fait dans les créations d'entreprise, elle se fait dans les diplômes. Par le passé, là aussi, Monsieur Jospin portait une petite main, celle de SOS Racisme, pour dire : voilà, moi je suis pour l'intégration. On n'a jamais eu autant de difficultés quand on était issu de l'immigration que durant les années socialistes. Aujourd'hui, les jeunes issus de l'immigration savent que d'abord, J. Chirac est un homme qui les considère. Il a eu l'occasion de le dire lorsque nous avons été informés de discriminations à l'entrée des boites de nuit. Il y aura, grâce à un travail qui a été fait avec beaucoup d'attention par Messieurs H. Mekachera et J. Guéreminck, une relance de l'intégration dans ce pays. Il faut qu’il y ait une meilleure insertion, il faut qu'il y ait une médiation contre les discriminations. Et il faut qu'il Y ait aussi une promotion. Quand les Français applaudissent maintenant un nouveau champion du monde de boxe, eh bien ils savent qu'il n'a pas un nom breton. Quand ils applaudissent leurs médaillés olympiques, ils savent qu'ils ne sont pas tous Auvergnats. Et pourtant, ce sont de bons Français, et des  Français qui sont fiers d'avoir une larme quand il y a le drapeau national qui monte dans le paysage olympique.

 

Le Figaro - 6 février 1997

Le Figaro : Quand on veut, comme vous, combattre le Front national sur le terrain électoral, quels sont les exemples à ne pas suivre ?

Eric Raoult : L'alliance, d'abord, même si elle est fugitive, comme à Dreux en 1983. Ensuite, l'ambiguïté et la compromission, comme ce fut le cas malheureusement dans le passé pour certains d'entre nous, car ils avalent la trouille d'être battus : Il ne faut pas avoir un moral de perdant quand on mène une bataille de conviction. Enfin, dernier exemple à ne pas suivre, le manque de clarté, comme la droite parlementaire Jusqu'en 1990, avant qu'elle ne décide, sans détours, de combattre Jean-Marie Le Pen, quoi qu'il arrive. Le Front national ne doit pas être regardé au fond des urnes, mais au fond des yeux.

Le Figaro : Comme à Vitrolles, le Front national est-il l'unique adversaire, désormais ?

Eric Raoult : C'est tout à l'honneur de Jacques Chirac et d'Alain Juppé d'avoir pris le Front national bille en tête et sans équivoque. Nous avons, en face, un adversaire clair et déterminé : c'est le FN. Mais, nous avons aussi un autre adversaire, déclaré : c'est le Parti socialiste. Lui, on ne veut pas le voir revenir. L'autre, on sait que s'il arrivait, il refuserait de partir. Nous combattons l'utopie de l'un et l'aventurisme de l'autre.

Le Figaro : Considérez-vous que la majorité est aujourd'hui la seule à combattre le Front national ?

Eric Raoult : Finalement, oui. Si le Parti socialiste redevenait une véritable opposition, il pourrait lui aussi combattre le Front national. A Vitrolles ou ailleurs, les électeurs ont l'impression que l'efficacité, la vivacité et l'opposition radicale, c'est le FN, ils votent pour l'opposition radicale. C'est parce que le PS ne fait pas son boulot d'opposant radical que le Front national augmente aujourd'hui beaucoup plus dans les quartiers populaire que dans les quartiers favorisés ou bourgeois. Je serais tenté de dire à Lionel Jospin et Laurent Fabius l'attentisme et les ambitions c'est bien, mais l'opposition c'est mieux !

Le Figaro : Vous appelez le PS à la rescousse ?

Eric Raoult : Je l'invite à la raison républicaine. Qu'il soit aussi plus responsable.

Le Figaro : Le PPDF, le mouvement que préside le ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charette, a refusé le « retrait républicain » prôné à Vitrolles par les responsables de ta majorité. Le PPDF affirme ne pas vouloir choisir entre « la peste et le choléra »…

Eric Raoult : Je n'aurais pas répondu comme Hervé de Charette. Parce que s'il existe une grippe socialiste, il y a bien un choléra Front national.

Le Figaro : Votre suppléant à l'Assemblée nationale, Pierre Bernard, le maire de Montfermeil, ne partage pas votre rejet du Front national.

Eric Raoult : Si ma sympathie va à l’homme, nous n’avons pas les mêmes valeurs. Les miennes sont celles de la République. J’en tirerai toutes les conséquences lors des prochaines élections législatives.

 

France Inter - lundi 10 février 1997

A. Ardisson : Vitrolles, c'est un peu la chronique d'une victoire annoncée pour le Front national, non ?

Eric Raoult : Ecoutez, comme beaucoup de républicains et de démocrates, j'ai la gueule de bois ce matin. J'ai un peu l'impression de me mordre les doigts. Je voudrais tirer une leçon, tout d'abord, pour le Parti socialiste. A trop jouer avec le Front national, on finit par se brûler les doigts. D'autre part, on lutte contre le Front national dans les cages d'escalier et pas dans les tribunes. Et ce que l'on a un peu vu à Vitrolles. C'est que face à une gauche usée et blasée, lorsque la droite n'est pas là pour faire rempart, le Front national passe. Je crois qu'il serait important, dans les semaines qui viennent que le Parti socialiste fasse un examen de conscience. Gêner la droite, c'est bien, mais au risque de faire porter sur démocratie un danger réel, c'est inquiétant !

A. Ardisson : C'est quand même un peu facile de dire que c'est la faute aux socialistes ?

Eric Raoult : Ce n'est pas la faute aux socialistes parisiens, c'est de la faute aux socialistes de Vitrolles. Tout le monde disait que M. Anglade était un mauvais candidat. Ils ne Vont pas changé. Et puis, on commence parfois par Saint-Bernard et on finit par Vitrolles. On ne joue pas avec des problèmes importants de société ! Lorsque le Parti socialiste présente H. Désir en Seine-Saint-Denis, lorsque les maires font des parrainages de sans-papiers, ce n'est pas sérieux et c'est dangereux ! Je crois que le Parti socialiste devrait aujourd'hui se rendre compte que la démocratie peut être en danger demain, parce que l'on sait bien que, quand le Front national ou les élus du Front national arrivent quelque part, ils ne repartent pas. Je crois qu’aujourd'hui, on l'a vu, lorsqu'il y a un front des Vrais républicains comme à Dreux, la droite bat le Front national et lorsqu'il y a un front des faux socialistes comme à Vitrolles, le Front national passe !

A. Ardisson : A Vitrolles, il n’y avait pas de triangulaire. C'est la première fois d'ailleurs qu'un maire Front national est élu sans triangulaire. Au-delà de Vitrolles, quel enseignement en tirez-vous pour les législatives ? C'est cela qui est peut-être important.

Eric Raoult : Je crois que tout d’abord, il faut relativiser les choses. Un électeur pour une municipale, c'est un contribuable. Un électeur pour les législatives, c'est un citoyen. M. Anglade était usé jusqu'à la lie. Il était usé et même ses amis le disaient- Le Parti socialiste n'a pas pu maintenir une cohérence, à savoir que quand un candidat est usé, on le change. En l'occurrence, aujourd'hui, ils ne peuvent pas nous renvoyer le mistigri de l'échec. Je crois que dans les semaines qui viennent, l’examen de conscience pour la majorité sera de redevenir plus militante qu'elle n'est. Vous savez, je crois qu'une poignée de mains cela évite une main levée, c'est-à-dire que bien souvent, il faut aller au contact des gens en notant leurs difficultés sur des bouts de papier, et ensuite en en tenant compte. Je crois qu’aujourd'hui, nous n'avons pas vu autre chose à Vitrolles qu'un décalage entre le discours et la réalité.

A. Ardisson : Votre analyse générale, c'est une France droite-gauche ou il y a trois France, à savoir droite, gauche et extrême-droite ?

Eric Raoult : Je crois que nous avons simplement deux France aujourd'hui. Une France qui souffre et puis une France qui parle. Si le Président de la République, à différentes occasions, a souligné qu'il était important de se mobiliser pour l'emploi des jeunes, de lutter contre la fracture sociale, c'est qu'il a bien vu durant la campagne présidentielle cette France qui souffrait. Et puis, il y a une France que l'on a reçue en héritage, c'est-à-dire une France des discours, une France des tribunes, une France qui fait de l'antiracisme dans des boudoirs et autour de coupes de champagne. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on s'aperçoit qu'à différentes occasions, on s'est servi du Front national par le biais de la proportionnelle, on s'est servi de l'immigration à différentes occasions ! J'ai été choqué par les discours de M. Badinter et de M. Rocard au Sénat !

A. Ardisson : Quand R. Badinter dit qu'il y a une "lepénisation" de la société, cela vous choque ?

Eric Raoult : Non, ce qui me choque c'est que R. Badinter fait un discours au Sénat et qu’il rentre chez lui après. Moi, lorsque je suis au Sénat, je rentre dans ma banlieue et je m'aperçois que, quand on régularise un sans-papiers, il faut lui trouver une place de crèche, une place d'école et un travail ! Je crois qu’aujourd’hui, ce qu'il faut pour notre pays c'est de se rendre compte que nous avons des grands enjeux politiques. Ces grands enjeux sont des enjeux de société comme la sécurité, le chômage, l'immigration et sur ces sujets-là, il faut que la gauche redevienne la gauche et que la droite n'ait pas honte de l'être. Et si nous pouvons présenter une alternance politique, à gauche par rapport au Gouvernement actuel, nous ne donnerons pas l'impression au Front national et nous ne donnerons pas non plus l'occasion au Front national de représenter cette alternative.

A. Ardisson : N’est-ce pas une façon d'épouser son discours plutôt que de lutter contre les verrous moraux qui ont sauté ?

Eric Raoult : Je crois que l'on utilise beaucoup le terme de "morale" ! Je crois qu'il y a deux façons de faire de l'anti-lepénisme. Il y a peut-être une façon de gauche, avec des discours, des parrainages de sans-papiers, des pétitions et puis, il y a une autre façon qui est de s'occuper des gens. Lorsqu’au niveau local, on a l'impression que son maire est mouillé, eh bien on ne se mouille plus pour lui ! Lorsqu'on donne l'impression. au niveau politique, que l'on est si loin des réalités vécues au quotidien, c'est-à-dire de l'odeur d'urine dans les escaliers des boites aux lettres qui sont fracturées, des cris d'enfant bien souvent à trois heures du matin, voilà ce qui arrive. C’est vrai que lorsque M. Rocard avait proposé que l'on puisse faire une politique des cages d'escalier et des boites aux lettres, il avait raison ! Malheureusement, les socialistes ne l'ont pas fait. En deux mots, pour faire en sorte que, demain, nous puissions véritablement lutter efficacement contre le Front national, il faut que le Parti socialiste se rende compte qu'à trop abandonner le terrain, on abandonne les urnes.

A. Ardisson : Leçon de choses à l'intention du Parti socialiste ?

Eric Raoult : Tout à fait, parce que je crois que ce qui s'est passé à Vitrolles ne doit pas être renversé : ce n'est pas un maire RPR qui a été battu, c'est un maire socialiste qui nous a demandé de lui lancer une bouée de sauvetage mais qui malheureusement était déjà noyé !

A. Ardisson : Est-ce qu'il aura cette fois du concret après ce deuxième Sommet sur l'emploi ?

Eric Raoult : Il y aura du concret et je crois que cette idée de Conférence nationale, cette mobilisation pour l'emploi des jeunes que le chef de l'Etat a appelée de ses vœux montre qu'aujourd'hui, on a bien compris une chose, à savoir que distribuer des dépliants et faire des beaux discours, ce n’est pas suffisant pour créer des emplois pour les jeunes. Que faut-il dire aux Français ? Poussez-vous un peu et laissez-leur une place !

A. Ardisson : Aujourd'hui, l'emploi des jeunes est devenu préoccupant dans notre pays. Le Premier ministre aura l'occasion de le rappeler cet après-midi, mais pensez : 600 000 jeunes qui sont à la recherche d'un emploi ! Quand vous êtes maire ou que vous êtes parlementaire, votre permanence est assaillie de tous ces jeunes qui viennent vous voir. Alors, qu'est-ce qu'on leur demande : qu'est-ce que tu as déjà fait ? Quelle la première ligne de ton CV ? Eh bien, aujourd’hui avec A. Juppé, nous allons faire en sorte de rappeler la nécessité de la formation en alternance, de la première approche avec l'emploi et pour un très grand nombre de jeunes, de la nécessité de le faire au niveau local parce qu'un maire sait mieux qu'un ministre ce qu'il peut faire pour l'emploi des jeunes. Je crois que l'initiative d'A. Juppé de faire cette Conférence nationale va dans le bon sens et que ce soir, vous le verrez, avec les représentants des étudiants, avec les syndicats, avec les représentants des collectivités locales, nous ferons un certain nombre de propositions. Mais au-delà des propositions, nous obtiendrons une mobilisation.

A. Ardisson : Mais en même temps, le Premier ministre le dit ce matin dans Libération, il n'est pas question d'institutionnaliser des recettes miracles mais simplement de laisser-faire des initiatives.

Eric Raoult : On a maintenant beaucoup d'outils. Mais ce qu'il faut, c'est de l'huile de coude, c’est-à-dire qu'aujourd'hui, nous avons beaucoup d'emplois à aider, nous avons beaucoup de structures. Je suis le nouveau président d'une mission locale pour l'emploi pour Clichy-sous-Bois, Montfermeil, autrement dit les communes du cœur de la Seine-Saint-Denis. Beaucoup de jeunes viennent nous voir en disant : « à quoi j'ai droit ? » Et je crois qu'il faut renverser un peu les choses en : « qu'est-ce que tu peux faire ? » Et lorsque nous aurons mobilisé les élus, lorsque nous aurons mobilisé les PIME, les artisans et les commerçants, ce sera vraiment une croisade pour l'emploi des jeunes. Aujourd'hui, c'est un peu dans la tête de tous ces adolescents que toutes les contre-cultures sont en train de se former. On a beaucoup parlé de NTM, il n'y pas longtemps. Moi, je voudrais dire PTM : « Prends-Toi en main ! » Et lorsque nous aurons pu faire passer ce message auprès de beaucoup de jeunes, les choses auront évolué. Il faut tout à la fois mobiliser pour donner une place à ces jeunes et puis, à eux de se dire : « Prends toute ta place ».

 

France 2 - lundi 10 février 1997

B. Masure : Il y a un profond malaise au sein du PS sur la personnalité très contestée du maire socialiste sortant J.-J. Anglade.

F. Hollande : Oui, il y a toujours eu une à son sujet, même lors de l'élection de 1995. Il est contesté par certains, approuvé par d'autres. Je pense que cette division n'a pas été un atout dans la campagne pour l'élection. Elle n'explique sans doute pas le résultat – car je ne crois pas que les causes profondes de la défaite de la gauche dans cette affaire soient simplement liées à la personne du candidat mais elle a permis de comprendre la faible mobilisation en tout cas au premier tour, et la difficile mobilisation au second tour. Alors, pour essayer de prévenir ce type de situation, nous, nous avons décidés, pour les élections législatives, d'investir nos candidats un an avant. Comme ça chacun pourra peut-être mieux les connaitre et regarder s'ils sont exemplaires. A mon avis, ils le sont.

B. Masure : Il y a eu hier soir manifestement de mauvais reports dans la majorité. R. Guichard l'a dit : des électeurs du RPR votent depuis longtemps pour le FIV à Vitrolles.

E. Raoult : D'abord, Monsieur le maire PS de Vitrolles, ce n'est pas la majorité. Le PS a perdu une mairie il ne peut pas nous en imputer la responsabilité. Le maire était usé, il était mis en examen. Si Monsieur Guichard avait été en tète face au PS, comme à Dreux, on aurait gagné. Aujourd'hui, c'est Monsieur Jospin, Monsieur Fabius et sûrement Monsieur Hollande qui peuvent sécher leurs larmes, parce que concrètement, quand la droite est là, on bat le Front national, quand le PS est là, il se fait battre.

B. Masure : Que comptez-vous faire concrètement ?

E. Raoult : Je serais tenté de proposer à F. Hollande de venir faire les HLM avec moi. Les courants du PS, c'est bien ; mais aller serrer les poignées de mains, faire en sorte que le PS comme le RPR redeviennent des partis de militants, qu'on retrouve les colleurs d'affiches, qu'on retrouve les distributeurs de tracts. Porter la parole, c'est bien, mais porter l’espoir, c'est beaucoup mieux. Il faut que la droite et la gauche redeviennent des formations politiques qui soient des formations qui se combattent, mais qui se respectent, parce que si, demain, pour changer le Gouvernement, on n'avait que le Front national, il est vrai que ce serait un danger pour la démocratie. Il faut aussi que le PS fasse le ménage dans ses rangs. Il l’a fait, malheureusement trop tard peut-être pour les législatives, avec des parachutés parfois, avec des femmes-alibis aussi. Il faut maintenant que la droite redevienne la droite et que la gauche redevienne la gauche.

B. Masure : Seriez-vous prêt à aller faire les cages d'escalier avec des militants RPR ?

F. Hollande : D'abord, les leçons de morale de Monsieur Raoult me paraissent aujourd'hui totalement déplacées, de même que ses leçons de militantisme. Je ne crois pas qu'on ait au PS à prendre modèle sur Monsieur Raoult ou sur ses propres amis. Je ne suis pas sûr qu'en présentant des candidats comme Monsieur Tibéri, correspond parfaitement au message de moralité que Monsieur Raoult vient de prononcer. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas la polémique avec le RPR ou Monsieur Raoult ce qui m'intéresse, c'est de lutter contre les causes profondes de la victoire de Madame Mégret à l'élection de Vitrolles. Ces causes profondes, cela s'appelle le chômage, or aujourd'hui, il progresse. Cela s'appelle l'insécurité économique, aujourd'hui, il v a une grande angoisse. Cela s'appelle également la misère dans beaucoup de quartiers. La leçon que l'on doit tirer de cette élection de Vitrolles, c'est qu'il faut proposer ce que nous faisons à gauche : une politique économique différente de celle qui est menée aujourd'hui, car c'est la seule façon de lutter contre la source même de l'extrémisme qui trouve son miel dans les difficultés, dans l'inquiétude, dans la misère qui sont peut-être encore en train de se développer aujourd'hui à Vitrolles et dans beaucoup de quartiers. Que Monsieur Raoult fasse la politique de son Gouvernement. Nous, nous proposerons le moment venu une autre politique que celle-là, parce qu'elle ne marche pas. Nous ne laisserons pas le FN avec son langage de haine, d'exclusion, empocher le fruit des polémiques publiques de Monsieur Raoult qui n'intéressent que lui-même.