Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA et du COPA, dans "La Revue politique et parlementaire" de janvier 1998, sur les propositions de la FNSEA dans le cadre de la loi d'orientation agricole notamment sur la sécurité sanitaire et alimentaire, la qualité des produits et sur la réforme de la PAC.

Prononcé le 1er janvier 1998

Intervenant(s) : 

Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral

RPP : Pouvez-vous définir les grandes lignes de votre politique d’action et les objectifs majeurs de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles ?

Luc Guyau : La FNSEA a plusieurs missions :
- défendre les intérêts collectifs et individuels des agriculteurs et de l’ensemble de la profession ;
- améliorer la compétitivité des entreprises agricoles ;
- affirmer l’agriculture comme pilier du développement rural et comme le socle de l’aménagement du territoire ;
- informer les agriculteurs,les adhérents, les responsables, les élus, et l’opinion publique ;
- revendiquer, proposer, agir pour que les agriculteurs soient les principaux acteurs de leur devenir et ne se fassent pas entièrement arbitrer par d’autres plus puissants, qu’il s’agisse des pouvoirs publics ou de partenaires économiques telle la grande distribution.

Organisme de réflexion et d’action, la FNSEA est une force de proposition et à ce titre, elle travaille à l‘installation des jeunes agriculteurs, à la réduction des charges fiscales, sociales et financières qui pèsent sur les exploitations, à la préservation des écosystèmes, l’aménagement de l’espace rural et à l’affirmation de la place de la France dans l’Europe agricole et sur les marchés agro-alimentaires internationaux.

RPP : Lors du cinquantième anniversaire de la FNSEA, en mars 1996, le Président de la République a souhaité la mise en chantier d’une loi d’orientation agricole. Philippe Vasseur, puis Louis le Pensec après le changement de majorité, se sont attelés à la tâche. Ce projet représente un engagement politique qui manifeste la volonté de préparer le cadre nécessaire à l’expansion des exploitations, des filières et des entreprises agro-alimentaires pour les vingt années venir. Pouvez-vous nous dire ce que vous attendez de cette future loi ?

Luc Guyau : La loi de 1960, en lien avec la PAC, répondait à l’attente de l’époque : sortir de la pénurie et assurer la sécurité alimentaire de l’Europe. Le contrat est rempli, au-delà des objectifs d’alors. Et, comme dans bien des secteurs, cela ne s’est pas fait sans effet pervers. Le rendement moyen à l’hectare de blé a été multiplié par 3 et dans le même temps la population agricole a perdu 3 millions d’actifs. Les prix agricoles ont chuté de 40 % à francs constants pendant que la France devenait le deuxième exportateur mondial de produits agro-alimentaires. L’espace agricole a été aménagé et mis en valeur, mais certains paysages se sont industrialisés et banalisés ; nos ressources en eau se sont dégradées et certains de nos sols sont profondément perturbés.

Alors, il n’est pas question de refaire la loi de 1960, il est essentiel de construire une loi nouvelle, forte et adaptée aux transformations et aux attentes contemporaines. Depuis 1960, le monde a changé, et à l’image de nos concitoyens, nous en prenons conscience peu à peu. Nous réalisons en particulier combien les ressources naturelles sont limitées. Nous prenons aussi conscience de notre part de responsabilité dans ces changements.

En particulier parce que notre société est devenue très majoritairement urbaine, le rapport de nos concitoyens au vivant a changé. La société contemporaine est en train de réaliser qu’elle a délégué la responsabilité de son alimentation aux agriculteurs et aux industries agro-alimentaires, aux professionnels de la santé publique. Elle exprime avec force des exigences de qualité et de sécurité. Assurer la production des biens alimentaires reste un rôle fondamental de l’agriculture, mais les citoyens demandent dans le même temps que nous préservions les ressources et le patrimoine naturel. Ils s’interrogent sur nos méthodes culturales et nos méthodes d’élevage et s’inquiètent d’une dérive possible des biotechnologies. Tout en nous reconnaissant le droit à l’efficacité, la société attend que les professionnels du vivant que nous sommes, développent une nouvelle éthique.

Notre rapport à l’espace subit une profonde mutation : 80 % de nos concitoyens vivent dans des villes grandes ou petites. Les ruraux, dans leur mode de vie, s’intègrent eux-mêmes dans cette société urbaine. La terre, d’abord patrimoine privé devenu un outil de travail, s’impose inexorablement comme un patrimoine commun de la nation dont il faut ménager les ressources et la diversité. L’agriculteur devra apprendre à gérer ces trois niveaux à la fois. Cela imposera une gestion concertée de l’espace entre les agriculteurs et les autres codétenteurs ou co-utilisateurs de l’espace.

Mais c’est aussi notre rapport au temps et au travail qui se modifiera. Dans l’ensemble de la société, 70 % des emplois sont concentrés sur des activités de service. L’agriculture n’échappera pas à une certaine « tertiairisation». Les gains de productivité imposent une redéfinition des rapports au travail et au temps, et de la répartition des moyens de vivre et de travailler. Les débats que nous connaissons sur le partage des droits à produire, de la valeur ajoutée, et sur la multifonctionnalité des entreprises agricoles montrent la contribution que l’agriculture peut apporter en ce domaine à la société tout entière.

Enfin, parmi les transformations déterminantes dont nous prenons acte, s’impose à l’évidence une complexité croissante des situations : mondialisation des échanges et renforcement des accords multilatéraux ; réforme des institutions de l’Union européenne, adaptation de la PAC et adhésion programmée des PECO ; complexité des systèmes économiques mais aussi des écosystèmes et des systèmes sociaux. Ainsi, les pays de l’Union européenne, avec qui nous faisons, et de loin, l’essentiel de nos échanges agricoles et agro-alimentaires, sont aussi ceux dans lesquels les nouvelles demandes sociales en matière de santé, de sécurité alimentaire, de gestion de l’espace et d’environnement sont les plus fortes.

L’enjeu du début du 3e millénaire sera d’inclure, le défi des années 60 dans le projet général de manager, de sauvegarder et de partager les ressources de la planète. La loi d’orientation doit être à la hauteur de cet enjeu. Cela exige de promouvoir une nouvelle forme de développement, en donnant un sens différent à ce que nous appelons l’efficacité ou la performance ; en construisant une nouvelle modernité qui combinerait quatre préoccupations complémentaires :
- des préoccupations économiques, pour satisfaire les besoins en produits et en services, marchands et non marchands, en quantité et en qualité ;
- des préoccupations sociales, pour satisfaire les besoins d’emplois, mais aussi de santé, d’éducation, de liberté, de reconnaissance, d’identité ;
- des préoccupations de qualité des milieux, pour assurer la pérennité des ressources naturelles considérées comme un patrimoine commun aux générations contemporaines et à venir ;
- des préoccupations d’éthique et d’équité, pour que le développement bénéficie au plus grand nombre d’hommes et de territoires, dans le respect de leur diversité.

Les marchés à venir seront certes des marchés alimentaires (avant tout le marché européen, mais aussi les marchés mondiaux). Ces marchés ne cesseront de se diversifier avec une exigence de qualité. Mais prendront une place croissante les marchés (français et européens) non alimentaires et de services liés aux terroirs, ainsi qu’à l’entretien et à la préservation des espaces et des paysages. La capacité de l’agriculture à prendre en compte l’ensemble de ces attentes posera les bases d’une reconnaissance nouvelle des métiers agricoles et des agriculteurs.

Une logique strictement agro-industrielle de l’agriculture, basée sur une recherche exclusive de productivité et de compétitivité, n’est pas adaptée à ces nouveaux enjeux. Elle conduirait à la disparition de la majorité des agriculteurs, à la marginalisation d’une grande partie des territoires et à la dégradation inexorable de nos ressources naturelles. Nous ne voulons pas davantage envisager une agriculture fonctionnarisée pour gérer l’espace rural.

Nous avons au contraire la volonté d’élaborer un projet global qui prenne en compte l’ensemble des préoccupations contemporaines dans un nouveau contrat avec la société. Nous proposons pour cela de tendre vers une agriculture innovante, citoyenne et durable.

Une agriculture innovante parce que nous ne relèverons pas demain ces nouveaux défis avec les solutions d’hier. Nous devons inventer de nouvelles technologies à la fois performantes et respectueuses de l’environnement et de la santé publique. Nous devons prendre notre place sur de nouveaux marchés, proches et lointains, toujours plus exigeants en termes de prix, de qualité et de sécurité. Nous devons rénover nos organisations et construire de nouvelles organisations entre agriculteurs, mais aussi, selon les enjeux, avec nos clients, les consommateurs ou nos concitoyens. Nous devons développer de nouvelles compétences adaptées aux évolutions de nos métiers.

Une agriculture citoyenne, parce que les agriculteurs et les agricultrices souhaitent partager leurs valeurs de responsabilité et de solidarité. Responsabilité individuelle et collective dans la conduite d’exploitations répondant toujours mieux aux attentes de la société et aux exigences des marchés. Solidarité entre les agriculteurs et solidarité avec les autres acteurs de la société dans la recherche d’une société plus prospère et plus équitable.

Une agriculture durable parce qu’elle s’inscrira dans un projet à long terme soucieux à la fois d’améliorer notre qualité de vie, de favoriser la diversité des usages et des pratiques agricoles et de sauvegarder le patrimoine que nous transmettrons à nos enfants.

Aboutir à une transformation aussi profonde de notre agriculture demandera du temps et un engagement intense. Elle ne se fera pas sans modifier des habitudes, sans inventer de nouvelles façons de faire, sans acquérir de nouvelles habilités. Elle exigera de remettre demain sur le métier de grands chantiers pour faire évoluer les outils existants de la politique agricole et en créer de nouveaux, notamment dans les domaines de la formation et de la recherche. Mais les agriculteurs sauront, comme la génération qui a effectué la mutation des années soixante, relever ce nouveau défi.

À travers ce projet audacieux, que la loi d’orientation devra favoriser pour avoir notre appui, nous souhaitons donner un nouveau souffle et un nouveau sens aux métiers de l’agriculture. Nous espérons une agriculture portée par des agriculteurs nombreux, solidaires quelles que soient leurs productions et leurs régions, hommes et femmes à parité, heureux et heureuses de gagner correctement leur vie dans l’exercice d’un métier valorisant. Des agriculteurs et agricultrices partenaires de leurs concitoyens pour contribuer à l’intérêt général au-delà de leur intérêt particulier. Des agriculteurs et des agricultrices fiers de pouvoir transmettre des entreprises, des métiers et un patrimoine commun préserve aux générations de l’avenir.

RPP : Dans le domaine de l’alimentation, la sécurité sanitaire est une priorité pour le Gouvernement et c’est également un sujet qui vous tient à cœur. Afin d’éclairer les choix des responsables et de garantir une meilleure sécurité, le ministre de l’agriculture a souhaité la création d’une agence sanitaire dont l’organisation de base comprendrait une séparation entre la gestion et l’évaluation des risques ? Qu’en est-il de cette agence aujourd’hui ?

Luc Guyau : Une proposition de loi est en cours d’examen parlementaire. Dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, avait annoncé la mise en place avant la fin de l’année de cette agence de sécurité sanitaire.

Cette agence doit permettre de mieux coordonner les services de l’État, mais il nous semble qu’il ne serait pas efficace de créer une seule structure à l’image de la « Food and Drug administration » (FDA) des États-Unis, comme certains en ont émis l’idée. Il est important de créer deux agences distinctes, l’une pour les produits de santé, l’autre pour les produits alimentaires. C’est ce que prévoit la proposition de loi sur laquelle le Parlement travaille actuellement.

L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments devra être particulièrement compétente pour évaluer les risques sanitaires des produits alimentaires et pour formuler des recommandations publiques aux pouvoirs publics. Selon la FNSEA, elle devrait s’appuyer sur les compétences et les services de contrôles du ministère de l’agriculture au lieu de disposer de son propre corps de contrôle. Une cotutelle du ministère de l’Agriculture avec d’autres ministères concernés également par les problèmes de sécurité alimentaire pourrait être envisagée pour cette agence.

La qualité sanitaire des denrées produites en France - comparée à celle d’autres pays - et le faible nombre d’accidents montrent que les services du ministère de l’Agriculture font un travail de grande qualité. L’amélioration des procédures - notamment par la mise en place d’assurance qualité - permettrait de conforter aux yeux des consommateurs l’indépendance dont font preuve ses agents dans leurs interventions.

Nous partageons avec les pouvoirs publics le souhait d’une véritable maîtrise de la qualité sanitaire des denrées et nous encourageons l’amélioration des pratiques, de l’étable à la table, de la fourche à la fourchette, pour assurer la sécurité sanitaire que les consommateurs ont raison d’exiger.

La discussion générale à l’Assemblée nationale, le jeudi 8 janvier 1998, sur la proposition de loi sénatoriale Huriet-Descours sur la sécurité sanitaire, permet, pour l’instant, d’envisager les résultats suivants :
- serait confirmée la création de deux agences distinctes, l’une pour les aliments, l’autre pour les produits de santé ;
- la tutelle ministérielle de l’agence « Aliments serait triple » : Agriculture, Santé, Environnement ;
- pour l’agence « Aliments » serait mieux définie la séparation de l’évaluation du risque de la gestion du risque (contrôles). Sur ce point, la profession agricole estime que l’État doit demeurer le garant de la sécurité sanitaire. Cela suppose que la réflexion soit conduite, non pas en terme de structures, mais plutôt, en terme de fonctions.

En effet, trois fonctions concourent à la sécurité sanitaire :
- l’évaluation des risques, pour mieux les connaître ;
- la définition des règles nécessaires à la maîtrise de ces risques (gestion des risques) ;
- le contrôle de l’application des règles.
L’évaluation des risques relève du domaine scientifique. Depuis longtemps, les pouvoirs publics, aux niveaux national et international, appuient leurs décisions sur les avis de comités scientifiques. L’Agence de sécurité sanitaire des aliments remplira cette fonction d’évaluation, en couvrant par la compétence de ses membres, l’ensemble des problématiques liées à l’aliment.

La création de cette agence suppose de rationaliser à terme le système national d’expertise dans son domaine de compétence. C’est ce que d’ailleurs prévoit la proposition de loi adoptée par le Sénat en première lecture.

La gestion du risque relève exclusivement du domaine politique. Il appartient à l’État, c’est-à-dire au Gouvernement, de définir selon les procédures constitutionnelles de la République, (voie législative ou réglementaire selon les domaines), les règles nécessaires à la maîtrise des risques. Il appartient aux mêmes ministres, dotés chacun en ce qui les concerne de services de contrôle, d’assurer l’application effective des règles édictées.

D’un point de vue global, je dirais que la discussion générale à l’Assemblée nationale apporte globalement satisfaction à la FNSEA. Muet lors du débat au Sénat, et d’une façon générale assez discret sur le sujet, Louis Le Pensec est - enfin - intervenu à l’Assemblée nationale pour défendre l’agence « Aliments » et la vision qu’il a de la séparation des contrôles de l’évaluation des risques et la place de son ministère en matière de santé publique.

Par ailleurs, nous avons observé que « la vache folle » n’est plus le seul point de fixation des discours des parlementaires. On commence à reconnaître que finalement la crise de l’ESB a été bien gérée par les pouvoirs publics et la profession agricole (même les écologistes le disent !). Enfin, autre point positif, un débat a été engagé sur la création d’une agence Environnement-Santé. Il a été l’occasion de parler abondamment des autres grands risques pour la santé : l’amiante, le radon, le nucléaire, etc. Les affaires de santé humaine (sang, greffes, etc.) ont été souvent évoquées. Comment ne pas être satisfaits que les citoyens et leurs représentants prennent enfin conscience que les questions de santé sont un enjeu complexe qui dépasse, de loin, la responsabilité, de telle ou telle profession ?

RPP : La crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine a amplifié les attentes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire. Pour répondre à la crise de confiance, quelles sont, selon vous, les actions qui doivent être engagées en priorité ? Cette crise a-t-elle remis en cause l’excellence du système agro-industriel français ?

Luc Guyau : L’observation des évolutions en cours dans l’industrie et les filières agro-alimentaires, du producteur au distributeur permet de constater en particulier le triomphe du « modèle fordiste » (automatisation, standardisation, production de masse) dans le secteur agro-alimentaire au cours des années 60 et 70, puis la crise de cette dynamique dans les années 80-90 et le passage d’une logique d’offre à une logique de demande, caractérisée principalement par l’internationalisation de l’économie, la stagnation globale de la demande et le ralentissement des gains de productivité.

Comme dans les autres secteurs, le développement du « fordisme » dans l’agroalimentaire s’est manifesté par deux grandes transformations : la croissance des gains de productivité par la production de masse de produits alimentaires banalisés, et la croissance du marché intérieur.

Mais ce développement fordiste s’est accompagné d’une authentique révolution industrielle dans l’industrie alimentaire, Les produits alimentaires ont connu un double processus : une transformation industrielle plus poussée et une standardisation extrême. Cette modification des produits alimentaires repose sur un changement radical des méthodes de fabrication. De plus, un véritable processus d’autonomisation des industries agro-alimentaires (IAA) par rapport à l’agriculture apparaît au début des années 60. Ces phénomènes se manifestent par l’évolution de la valeur ajoutée de l’agriculture et des IAA d’une part, et par la très forte croissance du taux de valeur ajoutée des industries agro-alimentaires.

À partir du début des années 80, on assiste à une rupture radicale. Très soutenu, sur la période 1964-1978, le taux de croissance de la consommation de produits alimentaires élaborés se tasse : il n’augmente plus que de 0,5 % par an. De même, la structure de la consommation alimentaire se modifie. La corrélation que l’on observait entre la baisse de prix relatif d’un produit et la croissance de sa consommation ne se vérifie plus. Dans le cadre de marchés de plus en plus segmentés, le prix n’est plus le principal déterminant des choix des consommateurs, l‘appréciation du rapport qualité/prix devient essentiel.

En effet, si en matière de produits alimentaires, la baisse des prix et la commodité d’emploi formaient l’essentiel des attentes du consommateur des années 60, ses désirs se sont considérablement complexifiés dans les années 90.

Dans la période actuelle, les attentes du consommateur s’articulent autour de six grands axes en dehors des prix : le goût, la fraîcheur, le culturel, la sécurité, la santé, la préservation de l’environnement.

Ces six préoccupations se traduisent par une nouvelle « qualité de service » du produit alimentaire qui nécessite une « solidarité de filière ». En effet, la baisse des prix et la commodité d’emploi pouvaient être générées par l’action de deux acteurs : la transformation industrielle et la distribution. Aujourd’hui, la caractéristique majeure de la nouvelle qualité de service du produit alimentaire est l’impossibilité pour un acteur de l’apporter seul.

Le changement de nature des attentes du consommateur a une conséquence essentielle sur le pilotage des filières agro-alimentaires :
- dans les années 60 et 70, les industries alimentaires de 2e transformation et la distribution sont à l’initiative du bouleversement fordiste que nous allons observer ;
- dans les années 90, les « consommateurs » et les médias orientent la restructuration des filières agro-alimentaires par des procédures qui impliquent les pouvoirs publics.

En outre, chacune des composantes de la qualité de service attendue requiert une articulation entre des dispositifs sectoriels communs et des relations bilatérales entre les entreprises. Ainsi, on peut montrer que les externalités positives de réseau deviennent un atout concurrentiel décisif sur les différentes dimensions des attentes du consommateur et des services associés.

Ainsi la différenciation de la production agricole et la préservation de cette différenciation deviennent un facteur de compétitivité. Cela suppose à la fois une étroite coopération entre le fournisseur agricole et l’industriel pour élaborer les cahiers des charges, mais aussi des méthodes d’analyses communes. L’allotement, la logistique différenciée et la traçabilité des lots sont aussi les outils de cette opération.

Le « plus » culturel que recherchent les consommateurs dans l’origine géographique des produits alimentaires ou dans des savoir-faire spécifiques (labels, AOP,...) associent étroitement plusieurs maillons de la filière. Ces coopérations sont contractualisées dans le cadre des cahiers des charges qui soutiennent les signes de qualité. À nouveau l’identification et le suivi de la production (la traçabilité) sont des instruments de cette coopération inter-firmes.

La sécurité alimentaire, de même que le facteur « bonne santé » ou « longévité » qui sont attendus par les consommateurs ne peuvent être conçus sans associer toutes les entreprises qui concourent à un produit final. L’instrumentation de ces multiples coopérations réside dans les méthodologies mises en œuvre dans le cadre des démarches d’assurance qualité ou de qualité totale et d’activités de recherche menées en commun.

Contrairement à la prise en compte des problèmes d’emballages, la préservation de l’environnement n’est pas encore très présente dans les aspirations des consommateurs. Cependant ces attentes sont intégrées ou commencent à apparaître dans certains cahiers des charges. Avec l’environnement, le champ des coopérations s’élargit notablement : il va de l’amont agricole aux activités de recyclage.

Ainsi la réponse aux attentes du consommateur des années 90 suppose que les opérateurs de la filière apportent une nouvelle qualité de service aux produits alimentaires. Il faut noter ici que cette qualité des services se traduit par une production d’informations. En effet, dans tous les cas, le service supplémentaire n’est pas immédiatement perceptible par le consommateur. Seule une information garantissant une caractéristique permet de différencier le produit à service ajouté du produit banalisé. Or aucun opérateur n’est en mesure d’apporter seul cette garantie, et donc cette qualité de service. Elle suppose une solidarité de filière qui se concrétise par des réseaux d’entreprises.

Pour répondre aux attentes du consommateur des années 90, les entreprises agro-alimentaires doivent de plus en plus intégrer l’organisation et l’instrumentation des coordinations externes (avec les autres entreprises de leur filière) dans une logique de coopération au sein de réseaux d’entreprises.

Dans cette perspective, le développement des politiques contractuelles et des outils de traçabilité vont jouer un rôle prédominant dans la relation commerciale entre les industries agro-alimentaires et la distribution, mais aussi en amont : au sein des IAA et entre les IAA et l’agriculture. Les secteurs situés à l’amont de l’agriculture sont aussi concernés par cette évolution.

Faire dépendre la compétitivité des entreprises de la qualité des coopérations externes implique un changement des mentalités. Il faut :
- passer d’une simple culture d’affrontements au sein des filières à une culture qui articule confrontation et coopération ;
- élaborer des langages communs pour communiquer de manière efficace dans la filière, et plus précisément dans un réseau d’entreprises ;
- investir dans le changement inter-organisationnel et l’apprentissage des nouveaux outils de communication.

Enfin, l’action de l’administration doit évoluer pour faire de la définition des règles et de l’animation du dialogue au sein des filières l’essentiel de la politique agro-alimentaire.

L’un des grands enjeux actuels pour la production agricole n’est donc plus de pouvoir approvisionner en quantité suffisante les consommateurs français et européens, ce qui est aujourd’hui largement réalisé, mais bien de fournir les produits et les services adaptés à leurs besoins.

Les réponses qui seront apportées par les agriculteurs et les filières alimentaires conditionnent très largement le revenu des agriculteurs même si un environnement stable, garanti par une politique agricole commune efficace, reste plus que jamais indispensable.

C’est pourquoi, la FNSEA a développé depuis plusieurs années des actions visant à « conquérir la valeur ajoutée », ce qui a été exprimé notamment lors de son congrès d’Epinal en mars 1995.

Deux axes principaux ont été privilégiés. D’une part, la FNSEA considère qu’il est nécessaire que les agriculteurs et leurs partenaires d’aval, transformateurs et distributeurs, coopèrent de façon étroite afin d’approvisionner régulièrement le consommateur en produits de qualité et de valoriser les efforts de qualité, de service et d’identification des produits de chaque partenaire.

Pour cela, outre les relations régulières tant au niveau national que dans les régions et les filières, deux accords-cadres ont été signés avec la distribution alimentaire et la coopération agricole pour fixer des règles du jeu professionnelles en matière de promotions et de démarches de qualité, et donc à terme de construction et de répartition de la valeur ajoutée.

D’autre part, la FNSEA est intervenue pour permettre la mise en place de règles du jeu publiques équilibrées en matière de concurrence et de relations commerciales, indispensables à des relations professionnelles loyales et constructives.

C’est ainsi que l’Ordonnance de 1986 sur la concurrence et la liberté des prix a été réformée en 1996 et est entrée pleinement en vigueur le 1er janvier 1997 et devrait permettre de lutter contre diverses pratiques abusives jusqu’à présent assez généralisées.

Dans ce cadre, comment concilier la responsabilité des professionnels des filières agro-alimentaires et les exigences du client ?

Le développement de la qualité doit être une priorité pour tous les acteurs économiques, chaque échelon de la chaîne de production, afin de répondre aux attentes précises d’un marché ou d’un créneau de marché en France et en Europe, mais aussi dans les pays tiers pour exporter sans restitution. Cette priorité donnée à la qualité suppose une « dynamique de la qualité » qui implique l’ensemble des acteurs d’une filière.

Les instruments de la qualité tels que les cahiers des charges et l’échange de données informatiques (EDI) permettent de bien établir la responsabilité et l’implication de chacun dans le processus de production. Il est important de définir les tâches incombant aux opérateurs; c’est un facteur de progrès de la qualité, puisque chacun joue un rôle accepté reconnu et valorisé.

Chaque opérateur doit se sentir responsable dans l’exercice de son métier. Mais pour être effective et réelle, cette responsabilité doit pouvoir être « actionnée » : il faut être dans la capacité de remonter la chaîne de production jusqu’à l’opérateur dont la responsabilité est mise en cause. Cela suppose qu’il existe une traçabilité, pour que la responsabilité soit une réalité. On peut ici citer l’exemple de la viande bovine, où pour informer le consommateur et structurer le marché, la filière a mis en place sous l’impulsion de la FNSEA et de la FNB, l’étiquetage des viandes et la traçabilité nécessaire à sa crédibilité.

Pour réussir, les démarches de qualité doivent impliquer la distribution qui doit jouer le jeu loyalement, et s’appuyer sur des règles de concurrence équilibrées dont les pouvoirs publics doivent veiller à la bonne application.

Pour nous y aider, nous avons en France un système d’identification officielle de la qualité et de l’origine qui a largement fait ses preuves, même s’il doit encore être amélioré. Depuis plusieurs décennies, une politique active de promotion de la qualité des produits agricoles et alimentaires est conduite. Cette politique s’appuie essentiellement sur les signes d’identification de la qualité et de l’origine, qui permettent la reconnaissance de la diversité et de l’authenticité des produits et qui, par effet de levier, tirent vers le haut la qualité de l’ensemble des produits.

Ces signes d’identification, au nombre de quatre (AOC, labels, certification de conformité, agriculture biologique), progressivement instaurés, forment aujourd’hui, avec leurs spécificités propres, un ensemble cohérent, relayé récemment par les protections communautaires des dénominations (AOP, IGP, attestation de spécificité).

Les professionnels se sont très largement appropriés ces différents outils. Tous les secteurs agricoles et alimentaires les utilisent désormais, à des niveaux variables, pour valoriser leurs productions, avec en principe un partage de la valeur ajoutée entre les différents maillons de la filière, notamment dans les AOC et les labels. Les signes de qualité ou d’origine jouent en particulier un rôle déterminant dans la valorisation de nombreuses productions de zones agricoles défavorisées.

Le chiffre d’affaires des produits sous AOC s’élève à 90 milliards de francs (dont 80 milliards pour les vins et spiritueux) et les exportations progressent régulièrement pour dépasser les 30 milliards.

Les autres signes d’identification, plus récents sont en très forte croissance, passant de moins de 10 milliards de francs en 1994 à plus de 30 milliards en 1997.

Globalement, plus de 200 000 exploitations agricoles tirent une partie de leur revenu de productions sous signes de qualité.

L’année 1997, marquée par une augmentation sans précédent du nombre de demandes, tous signes confondus, aura été révélatrice de l’adéquation du système aux besoins des professionnels, ainsi qu’aux attentes des consommateurs.

Pour la FNSEA, la prochaine loi d’orientation agricole doit être l’occasion de définir clairement les objectifs assignés à la politique de qualité afin de la conforter :
- répondre aux attentes d’une consommation alimentaire en profonde mutation : craintes en matière de santé et de sécurité alimentaire, recherche de repères sociaux et culturels, recherche de diversité et d’authenticité, attentes en matière d’origine, de traçabilité et de crédibilité des systèmes de contrôle ;
- renforcer le développement des secteurs agricole et alimentaire : consolider et accroître le niveau qualitatif des produits, offrir des alternatives aux producteurs par une segmentation claire du marché, valoriser des savoir-faire et des bassins de production : maintenir le rang de premier pays exportateur mondial de produits agricoles transformés ;
- fixer sur le territoire la production agricole et alimentaire, maintenir l’activité économique en zones rurales défavorisées et développer dans les zones plus riches des spécialisations adaptées au marché.

Pour une réussite durable des démarches de qualité, il faut que chaque opérateur y trouve son compte, et que ses efforts soient reconnus. D’où un besoin de stabilité des relations partenariales et d’une rémunération juste des produits et de la valeur ajoutée de chaque opérateur. Bref une solidarité de filière. L’organisation économique des producteurs peut et doit y contribuer.

RPP : Vous présidez le COPA qui représente près de 9 millions d’agriculteurs européens à Bruxelles. Pouvez-vous nous dire quel est son rôle, nous définir son champ d’action ainsi que ses priorités ?

Luc Guyau : Sur proposition des quatre organisations agricoles membres du conseil de l’agriculture française, j’ai effectivement été élu président du Comité des organisations professionnelles de l’Union européenne en mars 1997.

Le COPA réunit toutes les plus grandes organisations syndicales agricoles de l’Europe des Quinze. Nous cherchons tous à unir nos forces car nous savons combien les années à venir seront riches de changements, à l’Est comme au Sud, sans oublier le retour de l’OMC au cœur de nos préoccupations.

Que ce soit la conclusion de la Conférence intergouvernementale, le passage à la monnaie unique, l’ouverture des négociations avec les PECO ou celles de l’Organisation mondiale du commerce, ou encore la mise en œuvre de la prochaine réforme de la politique agricole commune, sans oublier l’approfondissement des relations avec les pays du Sud de la Méditerranée, les agriculteurs européens doivent trouver des positions communes pour ne pas laisser les institutions bruxelloises décider seules de leur avenir.

Ce faisant, il nous revient, à nous professionnels du COPA, avant tout de définir le rôle et la place que nous voulons pour l’agriculture et les agriculteurs dans l’économie et la société européenne, quels que soient les pays, les régions et les productions. Et de faire partager aux autres nos convictions et nos propositions.

Nous savons tous que cela ne va pas de soi. Même si toute l’histoire de la construction de l’Europe agricole, même si la raison d’être du COPA, consistent justement à surmonter nos différences et à promouvoir, ensemble, un type d’agriculture qui contribue véritablement à l’équilibre, à l’identité, à l’âme de l’Europe.

Pour le COPA, comme pour tous les agriculteurs, le grand défi de cette fin du XXe siècle consistera à repenser l’agriculture à l’aune de la mondialisation des échanges.

L’Europe possède un modèle agricole unique au monde : celui d’une agriculture multifonctionnelle qui, sur un même espace, produit de la richesse, des emplois et des paysages...

C’est en s’appuyant sur ces spécificités de l’agriculture européenne que nous construirons la politique agricole équilibrée et durable dont l’Europe et les agriculteurs ont plus que jamais besoin : les agriculteurs pour exercer leur métier dans de bonnes conditions ; l’Europe pour préserver son identité, ses équilibres économiques, sociaux et territoriaux. Mais aussi pour assumer pleinement sa responsabilité sur le plan de la sécurité alimentaire mondiale, alors que notre planète est en pleine explosion démographique.

J’en conviens : nous devrons faire un puissant effort d’imagination, si nous voulons penser l’avenir de la PAC sans avoir recours aux modèles économiques clés en main que nous proposent déjà certains de nos grands partenaires internationaux. Le COPA possède cette volonté. Et c’est au prix de cet effort qu’il sera un partenaire incontournable des institutions européennes et des différents États membres.

L’année dernière, j’ai entendu l’ancien président de la Commission européenne, Jacques Delors, déclarer que « dans une société, la faiblesse du syndicalisme constitue un handicap économique et démocratique majeur ». Je lui donne raison car je sais quelle force représente le syndicalisme agricole. Mais pour qu’il soit un véritable gage de démocratie et de progrès économique et social, nous devons tout mettre en œuvre pour renforcer la concertation entre les agriculteurs, entre le COPA et les institutions européennes.

Comme mes prédécesseurs, je mets au service du COPA ma culture nationale et l’expérience syndicale que j’ai acquise ces 25 dernières années.

Comme mes partenaires du COPA, je suis passionné par l’aventure de la construction européenne, pour que les citoyens de l‘Union européenne du XXIe siècle connaissent la paix et la liberté, et pour que l’Europe puisse prendre part avec succès à la compétition économique mondiale. Comme eux, je suis convaincu de la nécessité de promouvoir l’identité de notre continent, sur le plan économique et social, mais aussi sur le plan culturel.

RPP : La FNSEA juge défaitiste le projet européen de réforme de la PAC. Entre autres, vous critiquez l’option unique d’une baisse généralisée des prix institutionnels et l’alignement systématique sur les marchés mondiaux. Pouvez-vous nous préciser votre prise de position ?

Luc Guyau : Les négociations multilatérales sur l’agriculture reprendront à partir du 1er janvier 2000, au sein de l’Organisation mondiale du commerce, conformément à l’accord signé à Marrakech.

Depuis la conclusion de l’Uruguay Round, la libéralisation des échanges agricoles est chose acquise. Nous ne pourrons plus mettre notre politique agricole à l’abri de ce mouvement général, comme nous espérions encore pouvoir le faire jusqu’en 1992.

Le but de notre combat, à nous agriculteurs, doit dorénavant être de tirer le meilleur parti des prochaines négociations, tout en faisant reconnaître par nos partenaires internationaux la marge de manœuvre qui est nécessaire à l’Europe pour affirmer son identité agricole.

Ce pari semble utopique à certains Européens.

Pour eux, l’avenir est déjà écrit et porte même un nom : le « Fair Act ». Il n’y aurait point de salut pour l’agriculture européenne en dehors des recettes miracles appliquées par les États-Unis.

Avec le « Fair Act », les États-Unis ont découplé leurs soutiens à l’agriculture de l’acte de production et décidé de les réduire d’ici à 2002. Vous noterez toutefois qu’ils gardent en réserve la possibilité de soutenir à nouveaux les prix agricoles après cette date si de nouvelles dispositions ne sont pas prises entre-temps. Les vrais libéraux ne sont pas toujours ceux que l’on croit...

Je laisse à nos négociateurs le soin de demander des explications à ce sujet à nos amis américains. Je ne suis pas certain que leurs soutiens soient si verts que cela ! Car c’est bien là leur stratégie : les États-Unis comptent faire « basculer » leurs anciens soutiens (« les deficiency payments ») dans la « boîte verte » du GATT.

Les États-Unis ne font pas mystère de leur volonté de conquête des marchés agricoles internationaux. Le « Fair Act », avec son apparente simplicité, leur confère pour l’instant un certain avantage tactique dans la perspective des futures négociations.

« Le rouleau compresseur américain est en marche », s’écrient les plus craintifs ou les moins imaginatifs en Europe. « Hâtons-nous de les imiter, ne serait-ce que pour les battre avec leurs propres armes ».

Je n’ai pas la prétention d’être extra-lucide. Mais je suis prêt à parier que si nous partons dans cet état d’esprit aux négociations, nous finirons par signer un nouvel accord qui ne servira qu’à tripler le commerce américain.

Pour que les prochaines négociations nous soient profitables, à nous Européens, il faut que l’Europe conçoive la prochaine réforme de la PAC et les négociations OMC à venir en fonction des intérêts à long terme de son agriculture et de ses liens avec l’ensemble de la société européenne.

Loin de nous, agriculteurs, de récuser la mondialisation des échanges. Nous n’imaginons pas un continent européen vivant dans un système d’autarcie agricole et alimentaire.

Dans le domaine agro-alimentaire, l’Europe est la première puissance exportatrice mondiale. Elle doit le demeurer et jouer pleinement son rôle dans l’équilibre alimentaire de la planète. Il y a là un enjeu économique et géostratégique majeur.

Exportatrice, l’Europe est également déjà le marché agricole et alimentaire le plus ouvert aux échanges internationaux. Nous ne lui en faisons pas le procès.

Nous attendons en revanche d’elle qu’elle contribue à une certaine « moralisation » de ces échanges, pour que « mondialisation » ne rime pas avec « laisser faire, laisser aller ».

En effet, si l’accord de Marrakech a pris date pour la poursuite de la libéralisation des échanges, en revanche, il a fait l’impasse sur des thèmes essentiels. Je pense tout particulièrement à :
- la monnaie ;
- l’environnement ;
- le social.

Sur les aspects monétaires, l’OMC répond inlassablement qu’il faut s’adresser au FMI et à la Banque mondiale. Pour le reste, selon elle, une clause d’inflation excessive permet de réviser les engagements commerciaux dans certains cas. Cela ne nous satisfait naturellement pas à la FNSEA !

Réfléchissons un instant à la signification d’engagements sur la base de prix mondiaux en dollars, alors que le taux de change du dollar a énormément varié, et ce, dans les deux sens depuis 1986. Il ne s’agit pas d’inflation ! L’Europe devra aborder ce sujet fondamental lors des prochaines négociations. Il ne s’agit pas de reculer encore une fois !

La clause sociale est un concept plus difficile à faire accepter, l’OMC et le Bureau international du travail se rejetant mutuellement la responsabilité de ne pas traiter la question.

Or, il s’agit bien d’une condition essentielle de la concurrence, dont nous avons tout à gagner qu’elle soit loyale. En effet, on peut se demander, par exemple, si les prisons existent dans certains pays pour punir les criminels ou pour fournir de la main d’œuvre à bon marché ! La candidature de pays comme la Chine à l’OMC est une occasion idéale pour négocier une clause sociale et promouvoir le minimum de droits fondamentaux auxquels tous les travailleurs doivent prétendre dans le monde.

Quant à l’introduction d’une clause environnementale, il y a certes là matière à éveiller toutes les suspicions de nos partenaires devant le risque d’invention d’obstacles non tarifaires. Mais le respect des contraintes environnementales qui sont de plus en plus imposées aux agriculteurs européens ont un coût.

Comment, dans un contexte d’abaissement des tarifs douaniers, produire en respectant ces contraintes sans compromettre notre compétitivité par rapport aux agriculteurs des pays tiers qui n’ont pas à les respecter ?

La négociation de clauses environnementale, sociale et monétaire doit donc être un des objectifs essentiels de l’Union européenne dans le cadre des prochaines négociations à l’OMC.

L’Europe a de multiples atouts à jouer sur la scène internationale : économiques, technologiques, culturels... et bientôt, monétaires avec la mise en place de l’euro.

Pour peu qu’elle sache devenir un véritable acteur politique (je pense notamment ici à la nécessaire réforme des institutions) et qu’elle sache faire vivre sa dimension sociale, l’Europe n’aura pas besoin d’élever un barrage contre la mondialisation.

Mais pour exister, elle ne saurait cependant se passer de toute protection extérieure. L’Europe doit rénover la « préférence communautaire » pour ses produits agricoles. En conservant une protection tarifaire, bien-sûr.

En veillant également à la transparence et à la maîtrise des flux, notamment en provenance des pays auxquels l’Europe est liée par des accords préférentiels.

Mais plus encore, il importe aujourd’hui que l’Europe fasse respecter par ses partenaires internationaux ses normes sanitaires et de qualité. Nous ne pouvons accepter que l’on nous impose des viandes aux hormones ou que l’on refuse de respecter nos normes sanitaires lorsqu’on nous vend des volailles.

Si nous n’y prenons garde, l’exigence des consommateurs européens de pouvoir acheter en confiance des produits alimentaires sains et de qualité sera bafoué par les « moins-disants » du commerce international.

Les produits importés doivent respecter les mêmes normes sanitaires et d’identification que les produits européens. Le récent succès de l’Europe (qui reste à confirmer dans les quinze prochains mois) sur le dossier des hormones prouve que, lorsqu’elle fait preuve de détermination politique, l’Europe sait se faire entendre et respecter.

Pour être forte et faire entendre sa voix l’OMC, l’Europe doit refuser que l’on banalise totalement l’agriculture dans les règles commerciales internationales.

Elle doit faire admettre à ses partenaires internationaux que sa politique agricole n’est pas simplement conçue pour exporter quelques tonnes de blé, de viande ou de lait en plus. La PAC a pour objet que l’agriculture européenne remplisse toutes les missions que lui demandent les citoyens européens.

L’Europe doit, modestement (car nous ne prétendons pas l’imposer au monde entier), mais fermement, affirmer son identité agricole autour :
- d’une agriculture performante, capable d’innover et d’approvisionner tous les marchés, locaux, européens ou internationaux en produits agricoles et alimentaires sûrs et de qualité ;
- d’une agriculture occupant, aménageant le territoire et jouant un rôle central d’entraînement dans le reste de l’économie rurale et dans l’animation des campagnes ;
- d’une agriculture durable s’inscrivant dans un projet à long terme qui vise à améliorer la qualité de vie, à favoriser la diversité des usages et des pratiques agricoles, à préserver les ressources naturelles et l’environnement en Europe ;
et donc, autour :
- d’une agriculture favorisant l’initiative individuelle, la responsabilité personnelle et la solidarité ;
- d’exploitations à taille humaine, reparties sur l’ensemble du territoire et qui demeurent transmissibles ;
- de la volonté d’assurer le renouvellement de générations, afin que la population active agricole ouest-européenne puisse être stabilisée et jouer son rôle en matière de développement rural ;
- d’une organisation effective de ses marchés agricoles (contrairement aux pays qui ont choisi de déréglementer totalement les leurs) ;
- d’une préférence communautaire rénovée, notamment autour du respect de ses normes sanitaires et de qualité ;
- et, enfin, d’un équilibre durable entre les hommes, les produits et les territoires, équilibre qui doit être conforté par une répartition solidaire et équitable des soutiens publics européens.

Prenant acte des conclusions du Conseil agricole du 19 novembre 1997, c’est précisément ce modèle d’agriculture européenne que le sommet des chefs d’État et de Gouvernement qui s’est réuni à Luxembourg en décembre dernier, a exprimé la volonté de développer l’avenir.