Texte intégral
La Croix - 30 janvier 1997
La Croix : Comment expliquez-vous l’engouement dont semble bénéficier votre loi sur le terrain ?
Gille de Robien : Cette loi marche parce qu’elle est incitative, qu’elle n’imposer rien aux partenaires sociaux, et qu’ils se sont rendu compte que tout le monde était gagnant. Les entreprises sont en train de comprendre que la réduction du temps de travail qui traditionnellement les effrayait, est en fait l’occasion de réétudier l’organisation du travail et de gagner en productivité. Les salariés, eux, savent qu’ils vont améliorer leurs conditions de travail et gagner en qualité de vie grâce au temps libéré.
La Croix : Mais votre loi ne fait-elle pas un perdant, l’État en ruinant les finances publiques ?
Gilles de Robien : J’explose quand j’entends parler du coût de la loi ! Celui qui parle du coût comme d’un obstacle à l’emploi avoue qu’il n'a pas comme priorité la lutte contre le chômage. Or, tous les hommes politiques disent que leur priorité, c’est l’emploi. Qu’ils le prouvent !
La Croix : Mais les finances publiques sont limitées. La question du coût est légitime.
Gilles de Robien : Jacques Barrot a reconnu le mois dernier – et il me l’a encore déclaré mardi dans mon bureau – que le coût d’un emploi créé par la loi Robien était de 50 000 à 60 000 F, c’est-à-dire deux fois moins que les 120 000 F que coûte aujourd’hui un chômeur à la collectivité. Si c’était seulement le même prix, il faudrait le faire car mieux vaut un emploi qu’un chômeur. Or, c’est moins cher.
La Croix : Le CNPF s’est longtemps opposé à votre loi. Le climat a-t-il changé depuis l’arrivée de Didier Pineau-Valencienne à la tête de la commission sociale ?
Gilles de Robien : Le climat a beaucoup changé. M. Pineau-Valencienne, que j’ai rencontré il y a quinze jours, m’a autorisé à dire qu’il était très favorable à la loi.
La Croix : Pense-t-il l’appliquer dans son entreprise ?
Gilles de Robien : Vous lui demanderez…
La Croix : Et jean Gandois ?
Gilles de Robien : Avec lui aussi, le climat a beaucoup changé. Je l’ai rencontré lundi. Nous sommes convenus qu’il serait intéressant de laisser vivre ce texte et de faire un rapport d’étape dans un délai d’un ou deux ans. Donc, cela va mieux de ce côté-là.
La Croix : Ne craignez-vous pas une remise en cause de la loi par la majorité et le gouvernement, qui ont multiplié les critiques ces derniers jours ?
Gilles de Robien : Je viens de rencontrer Jacques Barrot. Nous sommes arrivés à un accord complet pour poursuivre la loi qui, a-t-il dit, a incontestablement montré ses effets positifs. Et nous avons décidé d’établir un rapport d’étape à l’automne. Si, à ce moment-là, il faut prendre des mesures pour consolider le dispositif – consolider, c’est le mot du ministre – on le fera. Je ne suis donc pas inquiet. Nous sommes convenus que les modalités d’application de la loi ne changeront pas.
La Croix : Et si les 800 millions prévus par le gouvernement dans le budget 1997 ne suffisent pas, on augmentera les crédits ?
Gilles de Robien : Oui.
La Croix : Le secteur public est pour le moment interdit de loi Robien. Souhaitez-vous une extension du champ d’application de la loi, notamment aux transports urbains ?
Gilles de Robien : Pas pour l’instant. Je crois que la priorité est de la faire vivre dans le secteur privé. Appliquer la loi Robien au secteur public pourrait être interprété comme un nouvel apport d’argent public dans des entreprises déjà subventionnées par la collectivité. On risquerait de déboucher sur une incompréhension qui serait nocive à la loi elle-même.
La Croix : Votre loi permet de réduire la durée du travail en maintenant quasiment les salaires. N’est-ce pas une étrange conception de la solidarité dans la mesure où aucun effort salarial n’est demandé à ceux qui bénéficient de la réduction du temps de travail, où l’on se contente de faire appel à la collectivité ?
Gilles de Robien : Les emplois créés le sont à travers des subventions. Ces subventions sont le produit de la solidarité nationale, qui s’exerce à travers les impôts et cotisations diverses. Je trouve sain que ceux qui travaillent cotisent pour remettre au travail des personnes qui retrouveront ainsi une dignité plutôt que de cotiser pour simplement indemniser ceux qui sont privés d’emploi.
Le Monde - 1er février 1997
La vie politique est souvent faite de va-et-vient, d’initiatives et de mises en cause, de propositions et de renoncements. Il faut parfois s’y faire. Ce mouvement permanent de l’adaptation des décisions est le reflet du jeu démocratique. Le libéralisme politique a précisément de vertueux cette croyance en l’autorégulation des actions publiques par un contrôle diffus, mais permanent, de la société civile.
Ancré dans cette conviction, je pense être assez bien placé pour juger des éventuelles adaptations que nécessite la loi sur l’aménagement du temps de travail. Je perçois parfaitement les qualités et les limites de ce texte discuté et approuvé par une large majorité parlementaire, en concertation étroite avec le gouvernement. Je ne suis donc pas le dernier, à partir des expériences concrètes souhaitées par les salariés et par les entrepreneurs, à envisager des améliorations au dispositif.
Sur l’emploi, sortons des discussions étriquées et des approches techniques
Mais sortons des discussions étriquées et des approches techniques. Et évitons de tracer une ligne de démarcation au sein de la majorité entre ceux qui vont à l’essentiel – résoudre la fracture sociale et sortir des difficultés économiques – et ceux qui s’arrêtent en cours de route. À l’heure où le Président de la République nous appelle opportunément à un nouvel élan, ne nous trompons pas de chemin, ne nous méprenons pas sur les objectifs, ne nous égarons pas sur les moyens. À chacun de se déterminer. À chacun de prendre ses responsabilités.
Le débat et les quelques remous provoqués par la loi sur l’aménagement du temps de travail ont le mérite de rappeler les perspectives essentielles qu’il nous faut tracer. Sans relâche. La philosophie de notre loi à la force de la simplicité : non seulement elle se met au service de l’emploi – c’est cela le véritable « effet d’aubaine » ! – mais elle permet de moderniser l’organisation du travail dans l’entreprise et, plus largement, le dialogue social dans notre pays.
Une petite révolution est en cours. Elle gêne ceux qui ont une conception dirigiste de l’entreprise. Une vision exclusivement financière de l’économie et qui relèguent dans les « pertes et profits » de la comptabilité les terribles problèmes humains liés au chômage, qui menacent notre cohésion sociale et nationale.
Nous sommes au début d’une année sans élection. Il faut en profiter pour relancer avec force, dans toutes les directions, la bataille de l’emploi. Il n’est pas d’enjeu plus important pour notre pays – et, accessoirement, pour notre majorité – que celui-là. Que les technocrates cessent de fixer jusqu’à l’obsession les cotisations boursières pour regarder davantage les réalités qui les entourent et la courbe – elle, réellement obsédante – du chômage. Comment ne pas s’inquiéter des risques d’explosion sociales et des menaces de révolte populiste quand, après quinze ans d’échec de toutes les « politiques pour l’emploi », on voit encore s’afficher l’arrogance de certaines élites ?
Le devoir national d’insertion par l’emploi en relève d’aucune idéologie, ni d’aucun parti. Personne n’en a le monopole et tout le monde doit le garder à l’esprit pour mieux répondre aux fractures, tant sociales que culturelles, qui se manifestent, avec tant d’acuité parfois, dans notre pays.
Le propos paraît s’éloigner de la loi sur l’aménagement du temps de travail. Pourtant, nous sommes au cœur de son sens. De hautes priorités sont à rappeler. L’emploi est la première de toutes. C’est le rôle et même la mission du politique de dépasser l’étroitesse des règles de l’économétrie. C’est l’idée, exigeante, qu’un élu se fait de son mandat. C’est aussi l’idée que je me fais de l’élan qu’attendent de nous nos concitoyens.
Les Échos - 3 février 1997
Les Échos : Pourquoi cette soudaine montée de critiques contre une loi votée il y a huit mois ?
Gilles de Robien : Je pense qu’une partie de ceux qui ont voté le texte n’ont pas perçu toute son utilité. Confrontés aujourd’hui au succès de la loi, ils ont un réflexe trop classique : « Cela va coûter cher. »
Les Échos : N’y a-t-il pas des arrières -pensées politiques ?
Gilles de Robien : Je n’exclus pas que face à une mesure qui marche certains regrettent de ne pas y avoir pensé avant.
Les Échos : Mais votre loi n’ouvre-t-elle pas une voie royale à la réduction hebdomadaire à 35 heures, puis à 32, proposée par les socialistes ? Ce qui expliquerait les critiques actuelles.
Gilles de Robien : Ma loi est le contraire de la proposition des socialistes. Elle met en place un système incitatif et négocié face à un système uniforme et obligatoire Nous opposons le pragmatisme à une réponse idéologique, un système alliant libéralisme et souci social à une mesure socialiste.
Les Échos : Êtes-vous persuadé que les propos publics des membres du gouvernement à l’égard de votre loi recoupent exactement leurs propos privés ?
Gilles de Robien : je ne sais pas faire de procès d’intention. Le Premier ministre a passé un « deal » avec moi : le bilan de la loi sera dressé à la mi 97. Alain Juppé l’a répété à l’Assemblée nationale, je n’ai aucune raison de ne pas le croire. Et puis comment imaginer que la droite coupe les aides à l’un des outils qui marche le mieux, qui plaît et qui coûte moins cher que d’autres aides à l’emploi ?
Les Échos : La réduction du temps de travail ne reste-t-elle pas un tabou pour une grande partie de la majorité ?
Gilles de Robien : Probablement. Certains responsables à droite et à gauche ont une idée tellement conservatrice de l’emploi et du temps de travail qu’ils arriveront au XXIe siècle avec les idées des années 50. Mais, en démontrant que les entreprises peuvent gagner en compétitivité en réaménageant le temps de travail et en réduisant les horaires tout en embauchant, on les réconciliera avec la réduction du temps de travail.
Les Échos : N’avez-vous pas péché par angélisme en retenant une réduction des charges pendant sept ans, alors que l’obligation de maintenir les effectifs s’applique durant deux ans seulement ?
Gilles de Robien : Là encore, il faut être pragmatique. Une entreprise ne peut guère s’engager au-delà de deux ans sur ses effectifs. N’oubliez pas que la réduction du temps de travail court sur sept ans, comme l’exonération partielle des charges.
Les Échos : La version offensive de la loi, celle qui permet de créer des emplois, concerne essentiellement les entreprises qui se développent, qui ont des marchés porteurs et ont besoin d’embaucher. N’est-ce pas voler au secours de la victoire que de leur accorder des aides payées par la collectivité ?
Gilles de Robien : C’est un très mauvais argument. En aidant les entreprises qui marchent, nous leur permettons d’augmenter encore davantage leurs performances par l’introduction de la flexibilité interne. Résultat : une entreprise de 100 personnes qui aurait embauché 10 salariés supplémentaires sur un marché porteur en embauchera une vingtaine en appliquant la loi du 11 juin.
De toute façon, cette loi n’est pas une réponse unique au problème de l’emploi. Les entreprises ont besoin de cinq baisses pour se développer et créer des emplois : baisse des taux, baisse des charges sur les salaires, baisse des prélèvements obligatoires, baisse des dépenses publiques quand elles ne sont pas utiles et baisse, enfin, du temps de travail. C’est à ces conditions que l’investissement repartira. J’insiste, cette loi s’inscrit dans une perspective libérale de développement économique et de dialogue social. La flexibilité ne peut résulter que d’un type de partenariat nouveau dans les entreprises.
Les Échos : Qu’est-ce qui vous fait courir ?
Gilles de Robien : Une certaine culpabilisation vis-à-vis du chômage et l’obsession de la combattre.
Europe 1 - lundi 3 février 1997
J.-P. Elkabbach : Le Front national peut gagner sa quatrième mairie. Il lui manque quelques centaines de voix. Le couple Mégret vient de proposer au candidat UDF-RPR une place, une alliance. Alors ?
G. de Robien : Ce serait une folie, bien entendu, et mes amis ne le feront sûrement pas ! Parce que c’est incompatible avec la notion que nous nous faisons de la politique. La politique pour nous, ce n’est pas un discours de haine visant à monter les uns contre les autres, c’est au contraire un discours de cohésion nationale pour faire des actions nationale. Et donc, je crois vraiment que toute idée de fusionner avec un parti extrémiste serait vraiment la perte de notre âme.
J.-P. Elkabbach : Est-ce qu’avec A. Juppé, J.-C. Gaudin, F. Léotard, vous demandez le retrait de l’UDF, R. Guichard ?
G. de Robien : Je crois vraiment, de toute façon, que nous le demandons tous et je crois que M. Guichard nous écoutera, nous entendra. Il faut qu’il se retire pour ne pas donner une chance au Front national. Il faut faire barrage au Front national et donc, maintenant, place au deuxième tour. Retirons-nous dans la dignité. On a fait un beau combat, on a gagné des points mais il faut reconnaître que le cas de Vitrolles est un cas particulier avec un candidat prête-nom à l’extrême-droite et à gauche, un maire qui n’a pu su contenir le Front national. C’est bien dommage mais c’est ainsi !
J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous ferez jouer ce qu’A. Duhamel appelait tout à l’heure, « le réflexe républicain » pour aller au-delà du retrait pur et simple ? Autrement dit ferez-vous tout pour faire battre le Front national ?
G. de Robien : Je ne suis pas partisan du front républicain mais du réflexe républicain. Le front républicain, c’est la confusion. C’est la fusion encore avec des gens qui ont défendu d’autres projets, d’autres programmes. Le réflexe républicain, je crois que c’est utile et je suis sûr que M. Guichard saura trouver les mots justes pour que les valeurs démocratiques soient affirmées, soient mises en valeur et qu’ainsi, les électeurs sachent vraiment trouver la voix démocratique.
J.-P. Elkabbach : Quelles leçons retirez-vous pour l’ensemble de ce qui arrive ?
G. de Robien : Je crois que tout simplement, les élus, qui font leur travail dans leur circonscription ou dans leur ville, arrivent à faire baisser le Front national parce qu’ils ont des résultats et ils ont toujours la possibilité de démontrer ces résultats. Là où on ne fait pas son boulot, la porte est ouverte à des partis extrémistes. Je crois que la nature a horreur du vide et je crois que les élus locaux et les députés ont besoin de s’affirmer, d’affirmer leurs convictions et, en même temps, d’affirmer des résultats.
J.-P. Elkabbach : Il y a un problème qui va monter, c’est la baisse éventuelle des impôts. A. Juppé vient de dire qu’il envisageait une baisse supplémentaire des impôts si la croissance est supérieure aux 2,3 % prévus. Entre cette baisse des impôts et celle de la TVA, que préférez-vous à l’UDF ?
G. de Robien : Je voudrais faire remarquer que si l’on envisage une baisse des impôts, c’est que la politique du Gouvernement commence à réussir. Et donc, si une marge nouvelle des impôts se confirme, nous serons à l’UDF, très probablement pour une baisse de la TVA. Je pense que c’est d’abord à tenir. Je vous rappelle qu’en 1995 lorsque l’on a augmenté la TVA dans des proportions considérables, on a dit que ce serait exceptionnel et de durée limitée. Donc, il faut tenir un engagement. C’est une notion politique de tenir son engagement. Je ne voudrais pas qu’avec la non baisse de la TVA, on nous reproche ce que d’autres on fait avec la vignette à savoir du provisoire qui dure. Je voudrais dire aussi que la TVA est une mesure équitable et qui relance la consommation.
J.-P. Elkabbach : Vos oreilles ont dû siffler ce week-end : la polémique s’aggrave autour de la loi qui porte votre nom. C’est vrai qu’elle engage l’avenir – au moins 7 ans –, que le gouvernement soit de gauche, ou qu’il soit de cette majorité-ci. Vous imposez une sorte de poids ou de handicap. Vous avez entendu A. Madelin, hier : c’est une erreur économique, une erreur psychologique, une erreur de méthode.
G. de Robien : En ce qui concerne A. Madelin, il est rare que je sois d’accord avec lui. On en peut pas être d’accord avec lui ni quand il était au pouvoir – il augmentait les impôts de 80 milliards de francs, c’est-à-dire un milliard par jour de présence d’A. Madelin à Bercy, et qu’il alourdissait donc les prélèvements obligatoires –, ni quand il est maintenant hors du pouvoir et qu’il refuse l’allégement des charges sociales dans le cadre de la loi Robien, car l’allégement des charges sociales, c’est, au contraire, favorable à l’emploi, à la croissance et c’est favorable bien sûr aux salariés.
J.-P. Elkabbach : Cela s’appelle « un costume ».
G. de Robien : Attendez, moi je dis simplement qu’A Madelin qui a un discours qui est agréable à entendre, notamment sur l’ascenseur social, eh bien, son ascenseur social est en panne mais son ascenseur fiscal a été le plus rapide du monde.
J.-P. Elkabbach : M. Aubry, au Club de la presse, hier, reconnaissait certains points positifs de la loi Robien – elle vous aime bien – elle a fait toutes sortes d’activités sur les quartiers avec vous, mais elle dit que si la gauche arrive au pouvoir, elle supprimera la loi Robien.
G. de Robien : Écoutez, moi aussi j’aime bien M. Aubry. Comme personne, elle a d’énormes qualités mais c’est une femme socialiste de conviction et moi, je ne suis pas socialiste. Si elle est contre la loi Robien, moi je dis : "tant mieux", elle apporte tout simplement une réponse à ceux qui à droite accuseraient éventuellement la loi Robien d’avoir une interprétation ou une aspiration socialiste.
J.-P. Elkabbach : Dans le secteur public, beaucoup réclament l’extension de la loi Robien. Est-ce que vous êtes d’accord pour qu’elle soit étendue aux transports urbains ?
G. de Robien : Pour les transports urbains, moi, je mettrais deux nuances. Ou bien ils sont déjà largement subventionnés – et je ne crois pas qu’il faille ajouter une subvention à une autre subvention – ou bien ils sont équilibrés par les recettes normales des transports urbains et l’on pourrait effectivement l’envisager.
J.-P. Elkabbach : Les hôpitaux ?
G. de Robien : Pour les hôpitaux, c’est la même chose, ils sont entièrement subventionnés donc je crois qu’il faut être, dans un premier temps, au moins réaliste et consacrer la loi Robien au secteur marchand au moment où les Français commencent à percevoir là encore les résultats de la politique de M. Juppé et du Gouvernement. Il ne faut pas changer une loi qui est une "loi vitamine" pour l’emploi et pour la croissance.
J.-P. Elkabbach : On voit bien qu’elle limite la casse du chômage, qu’elle aide à partage le travail dans une économie de pénurie, mais elle n’en crée pas ?
G. de Robien : C’est une loi de croissance. On n’a jamais vu une loi avoir une application aussi rapide, elle a été votée au mois de juin 1996 et le décret d’application en août 1996, la circulaire d’application en octobre et les premiers mois d’application, ce sont novembre et décembre. Chaque mois, il y a à peu près le double d’accords d’entreprise qui sont pris. Alors je crois qu’au cours de l’année 1997, on va la voir monter en puissance, on voit déjà que les estimations premières des bureaux d’études montrent que, et je cite l’enquête de l’OFCE qui va paraître cette semaine : "les résultats présentés ici, placent la loi Robien parmi les politique de l’emploi les moins coûteuses." Alors, laissons-la vivre, la laissons la prospérer et comme l’a bien dit le Premier ministre, on fera un rapport d’étape dans le courant de l’année 1997.
J.-P. Elkabbach : 800 millions sont prévus dans le budget 1997 pour la loi Robien. On voit bien que c’est déjà insuffisant mais sur sept ans, cela va coûter une fortune ?
G. de Robien : J’espère que ce sera insuffisant car cela voudra dire tout simplement que par rapport à 140 milliards d’aide à l’emploi, il faut retirer quelque part des aides à l’emploi sui ne marchent pas ou qui marchent peu pour les mettre sur des aides à l’emploi comme la loi du 11 juin qui marche bien.
J.-P. Elkabbach : Mais les entreprises s’engagent pour deux ans et l’État pour sept ans ! C’est une sacrée durée ! C’est une bombe sociale à retardement !
G. de Robien : C’est une bombe sociale qui permet d’éviter des catastrophes sociales puisque, quand on sauve des emplois et quand on crée des emplois, on évite d’élargir la fracture sociale. Sur le coût, arrêtons un peu de discuter du coût parce que la question est celle du chômage ! Même si on discute du coût, l’étude de la CEE vous démontre que cela coûte entre 30 000 à 35 000 pour un emploi sauvé ou crée alors que le chômage coûte 100 000 à 140 000 francs au chômage.
J.-P. Elkabbach : Vous accepteriez qu’on l’aménage et sur quels points ?
G. de Robien : Je crois qu’il ne faut pas changer un système qui marche. On a le droit de faire un rapport d’étape et on verra au courant de l’année 1997 comment la consolider mais je ne crois pas qu’il faille changer un système qui marche. On nous reproche suffisamment dans notre pays de faire des lois compliquées, de changer sans arrêt les textes, or cette loi est simple et il faut qu’elle dure !
J.-P. Elkabbach : on voit que vous êtes accroché, que vous avez du tempérament mais pour un libéral n’est-ce pas surprenant de voir qu’on s’en remet autant à l’État ?
G. de Robien : On se remet de moins en moins à l’État parce que c’est le chômage qui coûte cher à l’État. Et si on remet des gens au travail, cela fera d’abord des gens heureux et ensuite, cela fera moins de dépenses publiques.
La Dépêche du Midi - lundi 24 février 1997
La Dépêche du Midi : Vous considérez que l’aménagement du temps de travail – dont vous êtes l’un des experts les plus informés – est la meilleure façon de s’adapter à une situation de crise. Faut-il en conclure que vous ne croyez définitivement plus au mythe du plein emploi ?
Gilles de Robien : Vous faites bien d’utiliser ce terme car le plein emploi est effectivement un mythe. Il n’a jamais constitué une donnée permanente : l’histoire du capitalisme, au XIXe et au XXe siècle, a vue l’alternance de phases de chômage importantes et de phases de plein emploi.
Il semble qu’aujourd’hui, la notion de plein emploi ait évolué : avec 5 % de chômeurs on pourra sans doute parler de plein emploi alors qu’en 1968, avec 2 % on entrait dans l’ère du chômage.
Toujours est-il qu’aujourd’hui, notre pays compte près de 5 millions de personnes en état de grande précarité et qu’à l’heure où ne se profile aucune perspective de croissance suffisante pour résorber nos millions de chômeurs, aucune piste ne peut être négligée.
Nous disposons déjà d’une panoplie d’aides destinées à favoriser l’esprit d’initiative et l’emploi. Aujourd’hui chefs d’entreprise et partenaires sociaux détiennent un outil supplémentaire, la loi du 11 juin 1996 relative à l’aménagement et à la réduction du temps de travail. Sans jamais prétendre naturellement détenir la solution miracle, je crois que cette nouvelle disposition, qui a permis la création ou le maintien de sept mille emplois en trois mois constitue un encouragement et même un espoir pour beaucoup.
La Dépêche du Midi : La manifestation contre la loi Debré s’ajoute à la liste déjà longue des protestations de toute nature qui, périodiquement, propulsent les Français dans la rue. Quel jugement portez-vous sur cette hypersensibilité du corps social et sur sa nature de plus en plus impulsive ?
Gilles de Robien : Je porte un jugement contrasté sur ces pulsions de notre société. À certains égards, ces pulsions de notre société. À certains égards, ces manifestations sont positives. Elles font partie intégrante d’une société démocratique. Elles montrent que les gens s’intéressent à la politique et aux problèmes collectifs. En même temps, la fréquence de ce type d’actions en France trahit également la faiblesse des autres modes de participation qu’ils soient associatifs ou syndicaux. L’individu se sent trop souvent seul face aux pouvoirs centraux. Il faut s’inventer une démocratie de proximité dans notre pays.
La Dépêche du Midi : L’UDF ne parvient pas à accorder ses violons à propos du FN. Il n’existe, d’une leader à l’autre, des nuances qui vont du rejet jusqu’à l’indulgence passive. Ressentez-vous le besoin d’un effort de lisibilité et de synthèse ?
Gilles de Robien : Ce n’est pas propre à l’UDF. Toutes les formations politique hésitent sur ce sujet. La certitude c’est que tous ces débats aboutissent au final à faire de la publicité gratuite aux mouvements extrémistes. Alors que les Français ont besoin de se mobiliser, de penser positivement, de retrouver confiance en eux, la focalisation du débat politique sur l’extrémisme et ses thèses amènent au contraire une pensée négative.
L’UDF doit s’extraire de ce débat et se concentrer sur son projet politique, son programme libéral, social et européen. Il faut faire cesser ce terrorisme politique ambiant qui concentre le débat autour d’u parti extrémiste et du thème de l’immigration clandestine qui n’est vraiment pas le problème principal des Français aujourd’hui.