Texte intégral
La IVe Conférence mondiale sur les femmes à Pékin l’a démontré. Si les mentalités changent les batailles contre les discriminations et pour l’égalité demeurent toujours d’actualité.
En France, tout le monde reconnaît que dans de nombreux domaines nous devons passer d’une égalité de droit à une égalité de fait et que ceci ne peut se faire que sur la base d’un vrai partenariat homme-femme.
Seul compte le résultat sur le terrain de la vie quotidienne des français. Ce partenariat pour l’égalité dans la reconnaissance de la différence de chacun me paraît primordial.
Comme la France l’a rappelé à Pékin, « d’un côté on exprime la crainte que l’égalité des sexes ne conduise à une société asexuée où les femmes aligneraient leur comportement et leur mode de vie sur celui des hommes. De l’autre, on combat l’idée d’une spécificité sexuelle car on l’associe à la reproduction de schémas inégalitaires. Il s’agit, là encore, d’un faux débat : le fait que les femmes et les hommes disposent de droits identiques ne les rend pas par eux-mêmes identiques ».
L’égalité est un principe qui parvient à s’énoncer sans trop de difficulté aujourd’hui mais on ne peut ignorer que même en droit il s’accommode de beaucoup de restrictions mentales.
Ceci rend d’autant plus nécessaire la présence, équilibrée, des femmes et des hommes dans la prise de décision dans la vie publique et dans la vie politique. Ce n’est qu’un but pour les femmes, c’est aussi un moyen de l’égalité, une composante d’une nouvelle organisation de la société où tous, hommes et femmes, pourront mettre en œuvre toutes leurs capacités.
Diverse pistes d’explication de la sous-représentation des femmes sont avancées, dont aucune ne fait à elle seule l’unanimité.
1.1. Des facteurs revêtent un caractère transversal
Le conservatisme du pouvoir
Plutôt qu’une volonté délibérée de discrimination sexiste, c’est sans doute le conservatisme qui explique, pour une large part, la prééminence des hommes sur les secteurs de pouvoir.
Notre organisation politique conduit à presser les évolutions, à travers notamment la pratique du cumul des mandats, même si celui-ci a été récemment limité à trois, et la tradition de la « prime au sortant ». Ménager un accès plus large aux femmes signifierait, compte tenu de la situation actuelle, un renouvellement important de la classe politique.
Le même phénomène peut d’ailleurs être observé, bien qu’avec une moindre ampleur, vis-à-vis des jeunes générations qui ont du mal à investir le pouvoir public au plus haut niveau.
Les contraintes liées au pouvoir
Les modes actuels d’accès et d’exercice au pouvoir s’avèrent, dans la pratique, particulièrement discriminants pour les femmes, en particulier pour celles qui supportent parallèlement le poids de charges familiales.
Les contraintes du pouvoir, la disponibilité et la mobilité qu’il implique sont souvent contraires aux impératifs domestiques et familiaux. A cet égard, l’organisation française du « facteur temps » - réunions tardives, repas prolongés – est particulièrement préjudiciables aux femmes.
La conception du pouvoir
De leur côté, les femmes évitent parfois l’exercice du pouvoir, soit par auto-exclusion, soit par une conception différente de leurs priorités.
Il semble qu’elles aient une autre relation au pouvoir, au monde du travail et à la vie quotidienne.
Leur méfiance à l’égard des idéologies, des pratiques politiques très largement fondées sur la parole et le discours, entre sans doute pour une part importante dans la distance qu’elles entretiennent par rapport à la vie publique et au pouvoir. Les contraintes d’emploi du temps ne peuvent que renforcer cette réticence.
Les femmes sont moins présentes au stade du militantisme que les hommes : elles représentent moins de 25 % des effectifs de militants dans les partis politiques et moins de 30 % des adhérents syndicaux (le taux de syndicalisation des femmes en France est inférieur de près de moitié à celui des hommes : 7 % contre 13%).
1.2. Certains facteurs sont propres à la sphère politiques
L’accession tardive des femmes à l’égalité civique et civile explique au moins en partie la lenteur de leur progression dans les instances de décision politique. Les comparaisons internationales montrent en effet une certaine corrélation entre la proportion de femmes élues et la date à laquelle elles ont obtenu le droit de vote dans les différents pays, à titre d’exemple, en Finlande le droit de vote des femmes date de 1906 et à ce jour 38 % de femmes sont parlementaires.
Les modalités pour parvenir à l’équilibre homme-femmes dans la vie publique et politique reposent sur la prise en compte dans toutes les politiques générales et sectorielles, nationale et locales, de l’intérêt des femmes, de leurs préoccupations et des retombées les concernant.
Il nous faut faire évoluer les mentalités, résistances et conservatismes par une action politique volontariste en faveur des femmes.
La place des femmes dans la vie publique dépend, enfin de compte, de leur place dans la vie sociale. Plus il y aura de femmes dans les lieux de décisions (administrations, entreprises, syndicats…) plus il y aura de femmes impliquées dans la vie de la cité (militantes associatives…) plus le monde politique s’ouvrira aux femmes.
Des mesures doivent être prises en ce sens.
Je souhaite vous en dire brièvement un mot car ceci me semble essentiel dans le cadre d’une approche structurelle des problèmes de parité politique.
2.1. J’ai réuni le conseil supérieur de l’égalité professionnelle, composé des administrations, des partenaires sociaux et d’experts.
Plusieurs propositions ont été retenues autour de trois thèmes :
La « situation comparée des hommes et des femmes en matière de rémunération ».
La « diversification du temps de travail ».
Les « actions pour l’égalité professionnelle dans les branches, les entreprises et les établissements ».
2.2. Il me semble aussi nécessaire d’être particulièrement attentif à la place des femmes lors des nominations aux emplois à la discrétion du gouvernement et lors de la création de conseils, commissions ou groupes de travail. (Le président y est particulièrement attentif).
En effet, dans les emplois laissés à la décision du gouvernement, la part des femmes s’est très légèrement améliorée de 4,2 % à 5,1 % en 95, mais reste faible.
Il semble néanmoins que la tendance s’améliore, je citerai la nomination d’une femme « préfet de région » (Bernadette MALGORNE), ainsi que la nomination d’une femme « secrétaire générale à la défense nationale » (Madame RENOUAR) ainsi que de plusieurs ambassadrices.
En mai dernier, j’ai adressé à l’ensemble de mes collègues ministres, un courrier appelant leur attention sur la faible représentation des femmes aux postes de la haute fonction publique, je compte en faire un bilan après un an et relancer cette démarche.
Cet effort doit être poursuivi car, comme le démontre certains pays européen, il existe une forte corrélation entre l’accession de femmes aux fonctions publiques et le nombre de femmes élues.
En matière de représentation des femmes dans notre vie politique, nous connaissons tous les chiffres de la situation des femmes dans les instances élues. Il me semble inutile d’y revenir.
Quelle méthode utiliser pour accélérer les choses et avancer vers l’objectif d’équilibre de la représentation ?
3.1. Un rapide rappel historique éclaire le débat et montre les limites aujourd’hui posées à l’action publique en la matière.
Au début de l’année 1979, Mme Monique Pelletier, ministre délégué à la famille et à la condition féminine, propose d’instituer un quota de 20 % des femmes dans les élections municipales pour les villes de plus de 2 500 habitants. Près de deux ans plus tard, le Gouvernement de Raymond Barre s’engage en proposant un projet de loi instaurant la mixité des listes – avec un minimum d’une représentation de 20 % de chaque sexe.
Ce texte cherchait à éviter le risque d’inconstitutionnalité en proposant une sorte de symétrie homme-femme.
En première lecture, l’Assemblée nationale votera le texte par 439 voix contre 3. La campagne présidentielle de 1981 arrêtera la procédure parlementaire.
C’est finalement, Gisèle Halimi – responsable actuellement du groupe de travail « parité dans la vie politique » de l’Observatoire de la parité – qui, profitant de ce texte, déposera un amendement instaurant un minimum de 30 % de sièges aux femmes et aux hommes. Ce seul sera abaissé à 25 % par le groupe socialiste.
L’Assemblée nationale votera ce texte passant outre les réticences du Gouvernement (476 voix pour et 4 voix contre…!)
Le conseil constitutionnel est alors saisi et déclare le texte inconstitutionnel, le 18 novembre 1982. Celui-ci était en effet en contradiction avec plusieurs principes constitutionnels tels que notamment la liberté de l’électeur, l’égalité entre les candidats et la liberté de candidature.
Il apparaît clairement que le sujet ne peut être traité sans un débat approfondi au regard de ses incidences juridiques et politiques.
3.2. C’est pourquoi le gouvernement a, sous l’impulsion du Président de la République, retenu une méthode de travail qui garantisse la pertinence des choix qui seront faits.
En avril 1995, Jacques Chirac, lors de la campagne présidentielle, avait proposé que l’on créé un Observatoire de la parité. Le 19 octobre 1995, l’Observatoire était officiellement installé par le Premier ministre.
Le premier groupe de travail créé par Roselyne Bachelot, rapporteur général de l’Observatoire, fut celui sur « la parité entre les femmes et les hommes dans la vie politique » sous la responsabilité de Gisèle Halimi… De janvier à septembre 1996, ce groupe a auditionné des constitutionnalistes, des sociologues, des personnalités politiques, des chefs de partis, des associations et des experts. Son rapport, remis le 15 janvier dernier au Premier ministre, préconise un éventail de proposition et il fait actuellement l’objet d’expertises au niveau interministériel. C’est le premier rapport officiel saisissant le Gouvernement sur ce thème.
Dans le même temps, le Premier ministre a souhaité que les propositions de l’Observatoire puissent être examinées par les assemblées.
Le président de l’Assemblée nationale a été saisi au vu de l’organisation d’un débat.
Votre commission s’est saisie du sujet.
Je rencontre le Président Monory, le 11 février prochain pour connaître ses intentions.
Même s’il serait aujourd’hui prématuré de se prononcer sur le fond des propositions du rapport HALIMI, je souhaite faire quelques observations.
a) Le rapport de l’observatoire montre clairement une insuffisance dans la vie politiques
Le Premier ministre y a été particulièrement sensible.
Il me semble évident que nous partageons tous le constat, l’accord est unanime pour dénoncer le retard français dans l’admission des femmes au sein de la sphère politique.
b) Les propositions du rapport de l’observatoire peuvent être regroupées en deux catégories :
Les mesures d’accompagnement :
- incitation financière pour les partis ;
- non-cumul des mandats et des fonctions/limitation de la durée de leur exercice ;
- scrutin proportionnel intégral ou dose de proportionnelle ;
- statut de l’élu(e) ;
- binôme député/suppléante ou députés/suppléant.
Les mesures volontaristes, législatives et/ou constitutionnelles :
- le quota ;
- la parité.
Pour les constitutionnalistes entendus par la commission, l’instauration de la parité ou de quotas passerait par une révision constitutionnelle. Sil les professeurs CARCASSONNE et DEMICHEL y sont très favorables, les Doyens VEDL et FAVOREU sont conte, ainsi que le Professeur DUHAMEL qui suggère cependant une période transitoire pour assurer l’égalité (décennie paritaire) pour un retour au droit commun.
La procédure envisagée pour amender la Constitution est celle de l’article 11 qui paraît la meilleure pour la majorité des constitutionnalistes car il s’agit de l’organisation des pouvoirs publics.
c) Quelque soient les mesures qui seront retenues, je souhaite attirer votre attention sur un certain nombre de points :
Il faudra être d’une particulière vigilance au regard du respect d’un certain nombre de principes qui sont de valeur pourrait se dire « supra-constitutionnelle ».
Il ne serait pas raisonnable d’imposer des obligations de faire aux parties ou de sanctionner ou restreindre le choix des électeurs.
Ensuite, il ne faut pas oublier qu’il relève bien de la responsabilité de chaque parti politique de manifester la volonté qui est la sienne de faire une part plus importante aux femmes dans ses structures et à l’occasion des élections même s’il faudra peut-être prendre des mesures pour les y inciter, au moins à titre transitoire.
Le gouvernement veillera à ce qu’il n’y ait pas de dérapage risquant de remettre en cause ses valeurs républicaines.
Liberté du suffrage
Libre organisation des partis
Unité et indivisibilité de la République
Égalité des citoyens.
Enfin, des mesures tout à fait efficaces peuvent être envisagées dans le cadre de la modernisation de la vie publique, Mme HALIMI en évoque certaines (cumul des mandats, congés électifs…)
N’oublions pas surtout que tout ceci doit s’accompagner sur le terrain par l’information et la formation de nos concitoyens. En effet, l’équilibre de la participation homme-femme dans la vie politique ne peut entrer plus largement dans les faits que si chaque homme, chaque femme se sent concerné par « la vie de la cité » et retrouve ainsi confiance dans « la politique ».
Les débats en cours confirment que l’opinion publique semble évoluer. C’est cette pression de tous les instants, doublée des engagements des partis, qui fera sauter les verrous de notre archaïsme. Ainsi s’imposeront durablement des quotas de fait. Les pays du Nord de l’Europe n’ont pas fait autrement, rappelons-le.
Je crois plus à une évolution qu’à une révolution dans ce domaine. Sur un sujet aussi complexe la moindre erreur est toujours le meilleur moyen d’enterrer le débat. Ce qui serait un désastre.
Allons donc fermement vers l’équilibre entre hommes et femmes, mais restons les pieds sur terre.
Je crois en l’investissement des femmes dans le vie locale, socle de compétence, d’ancrage où le pragmatisme le sens du terrain et de l’humain permettent aux femmes de s’exprimer pleinement et sans doute mieux que d’autres.
Je crois en l’investissement des femmes dans les partis politiques car ils sont le passage obligatoire vers les investitures car tel est notre système français.
J’ai conscience d’avoir plus formulé des questions exposé une méthode et précisé des limites, que proposé des solutions.
Mais il est clair que le débat doit être le plus ouvert possible, et que l’on peut commettre de graves erreurs en voulant brûler les étapes sur ce sujet : l’histoire nous l’a montré.