Texte intégral
RTL - jeudi 6 février 1997
J.-M. Lefebvre : Vous avez scellé récemment une alliance électorale avec le CNI, un pôle qui se veut de « rassemblement, de renouveau et d’espoir ». Quelle place y-a-t-il, selon vous, Philippe de Villiers, entre la majorité et le Front national ?
Philippe de Villiers : Il a un espace vide, qui est immense, puisque les Français sont de plus en plus nombreux à ne plus se sentir représenté dans la vie politique française par les partis traditionnels. C’est-à-dire qu’ils ne se retrouvent plus dans la politique actuelle qui n’a pas rompu avec le socialisme. C’est la raison pour laquelle, avec nos amis du Centre national des indépendants et paysans, le Mouvement pour la France, et un certain nombre de personnalités des partis politiques, nous avons décidé de créer cette mouvance, ce pôle de rassemblement., auquel nous invitons les Français à accrocher leurs espoirs, en présentant des candidats aux élections législatives et régionales dans toute la France.
J.-M. Lefebvre : Mais Philippe de Villiers aujourd’hui vous roulez pour qui ? Vous avez soutenu Jacques Chirac en 1995, vous êtes dans l’opposition ?
Philippe de Villiers : Je suis un opposant au socialisme et je fais partie des gens qui se sentent aujourd’hui trompés, trahis, floués, et en même temps qui ne veulent pas le retour du socialisme. Quand on voit ce qui se passe à Vitrolles, on voit bien que l’attitude de la majorité est navrante. Elle a échoué et elle a une attitude qui est tout à fait choquante.
J.-M. Lefebvre : Un deuxième tour donc entre un candidat socialiste et un candidat FN. Qu’est-ce que vous recommanderiez aux électeurs de Vitrolles, du Mouvement pour la France ?
Philippe de Villiers : Je n’appellerais certainement pas à voter pour le candidat officiel du PS et de la majorité, M. Anglade, et pour les raisons suivantes : d’abord, parce que je ne souhaite pas la victoire du socialiste, je ne fais pas la courte-échelle aux socialistes. Ensuite, parce qu’en soutenant un candidat mis en examen, la classe politique traditionnelle accrédite finalement l’idée du « tous pareils, tous pourris », parce qu’en confondant leur vote avec cette idée de front républicain, la majorité accrédite l’idée que la droite et la gauche, aujourd’hui, finalement c’est la même chose et qu’il n’y a pas d’autre politique possible. Et parce que la politique pour moi, c’est un débat d’idées, ce n’est pas un troc – un coup « je vote pour toi à Dreux, un coup je vote pour toi à Vitrolles ». Ce que je peux dire ce soir, c’est que ce que je souhaite, c’est que les Français aient un autre choix que le choix de Vitrolles qui ne peut que conduire naturellement à un vote blanc. C’est la raison pour laquelle, nous présenterons des candidats partout en 1998 pour qu’il y ait un autre choix, entre la protestation stérile du FN d’un côté et puis de l’autre côté, une majorité qui semble idéologiquement, moralement, politiquement, fusionner avec la gauche qui semble commander intellectuellement notre pays. Et moi je refuse ce commandement intellectuel et idéologique de la gauche.
J.-M. Lefebvre : Hier en conseil des ministres, Jacques Chirac s’est félicité des premiers résultats économiques plus satisfaisants et a affirmé qu’il fallait maintenir le cap. Vous ne trouvez pas quand même que ça va mieux pour la majorité ? Que la situation économique s’améliore, qu’il y a peut-être un déclic qui est en train de se produire ?
Philippe de Villiers : Peut-être qu’il y a une embellie conjoncturelle sur un mois, mais regardez les chiffres du chômage depuis quelques années et ça continue ! Et rien n’a changé depuis l’élection présidentielle. Ce que les Français attendent aujourd’hui de nos gouvernants, c’est qu’ils nous débarrassent du socialisme, du chômage, de la corruption. C’est la raison pour laquelle, nous, nous proposons une politique de l’emploi plutôt que la politique qui est menée et qui est une politique technocratique des critères de convergence de Maastricht, une politique d’immigration zéro et non plus la politique actuelle qui tend à transformer la société française en société multiculturelle, une politique d’encouragement à la famille, plutôt que d’encouragement à faire des rapports sur la famille. Les rapports, c’est bien mais c’est l’action qui compte. Et puis une politique de liberté de l’école plutôt que la politique de M. Bayrou qui est une politique de cogestion de l’enseignement avec les syndicats.
J.-M. Lefebvre : Le projet de loi Debré adopté par l’Assemblée, discuté – et durci du reste par les députés – et accepté par le Sénat, ne vous convient pas ?
Philippe de Villiers : Je dirais que c’est un toilettage utile des lois Pasqua mais, en aucun cas, une politique de l’immigration qui ne peut reposer que sur les principes suivants : premièrement, il faut couper les droits sociaux des étrangers en situation irrégulière sinon il y a la pompe aspirante qui fonctionne en permanence ; deuxièmement, il faut changer, revenir à la carte de séjour d’avant F. Mitterrand ; troisièmement, le code de la nationalité, il faut le changer aussi ; et quatrièmement, il faut rétablir les contrôles aux frontières qui ont été démantelées par le traité de Schengen. Et je dirais, en même temps, lancer une grande politique digne de la France, une politique de coopération décentralisée, notamment avec l’Afrique, car la France est un grand pays qui doit résoudre son problème d’immigration – c’est-à-dire l’immigration zéro –, mais qui doit aussi rester un grand pays rayonnant.
J.-M. Lefebvre : M. Noir annonce qu’il met fin à sa carrière politique, alors ?
Philippe de Villiers : Il faut commenter cela ?
J.-M. Lefebvre : Je voulais vous demander si vous avez un commentaire à faire.
Philippe de Villiers : Mon commentaire est plus général. Je crois qu’il y a toute une génération, je dirais même tout un milieu politique qui s’est grillé, qui s’est brûlé. Ils se sont grillés aux sunlights, sous les projecteurs des médias. Je crois qu’aujourd’hui, quand on demande autant d’efforts aux Français, autant d’efforts dans leur vie personnelle, dans leur vie quotidienne, il faut que les hommes politiques donnent l’exemple en termes de moralité publique el qu’ils soient irréprochables. Si on veut retrouver du crédit à la politique et aux hommes politiques, il faut une vraie politique de l’emploi. Il faut une vraie politique de lutte contre la corruption. Et peut-être, si vous me permettez qu’on reparle de la liberté de ceux qui créent, la liberté d’entreprendre et que l’on reparle de la liberté de la France de conduire sa propre politique en Europe plutôt que celle de l’Allemagne.
J.-M. Lefebvre : Un mot sur la politique monétaire. L’euro, est-ce qu’être contre l’euro n’est pas un combat d’arrière-garde ?
Philippe de Villiers : Je crois que l’avenir est à l’Europe des nations et non pas à la toute puissance et au concert harmonieux des technocrates et des banquiers. L’euro, c’est pour moi l’euromark et l’euro-chômage. Prenons date, dans quelques années, on verra bien qui aura eu raison ! Hélas, depuis Maastricht, on voit bien que toutes les promesses, qui nous avaient été faites, sont des mensonges. L’euro, pour moi, c’est une machine à casser l’Europe. Je suis profondément européen mais attaché à la grande Europe, l’Europe à faire et non pas l’Europe d’hier, celle de Yalta. Or l’Europe du Sud ne fera pas partie du futur noyau dur. Il n’y aura que l’Allemagne, le Benelux.
J.-M. Lefebvre : On verra.
Philippe de Villiers : Vous savez comment H. Kohl appelle la Méditerranée ? II ne veut pas de « l’euro-Club-Med » a-t-il récemment dit sur la place publique en Allemagne. L’euro est aussi une machine à fabriquer des chômeurs. On le voit bien en ce moment. Et l’euro est une machine à détruire nos libertés et à faire de la France une province de l’Allemagne.
RMC - mercredi 26 février 1997
P. Lapousterle : Approuvez-vous la loi Debré qui est actuellement discutée à l’Assemblée nationale avec les derniers changements qui y ont été apportés ?
Philippe de Villiers : Cette loi a quelques modifications de toilettage cosmétique qui vont plutôt dans le bon sens et puis d’autres qui vont dans le mauvais sens comme, par exemple, la régularisation des étrangers en situation illégale qui sont là depuis plus de quinze ans. L’amendement Mazeaud, pour moi, c’est une reculade non seulement dans la forme mais dans le fond puisqu’il consiste, premièrement, à dessaisir les maires de leur pouvoir de contrôler les certificats d’hébergement et, deuxièmement...
P. Lapousterle : Les maires n’en voulaient plus.
Philippe de Villiers : Non, au contraire. Les maires de gauche peut-être mais les maires de droite en veulent parce que c’est la seule manière de contrôler l’immigration illégale quand on est proche du terrain. Et, deuxièmement – et là c’est un peu une mascarade, si vous me passez l’expression –, finalement, on demande aux immigrés étrangers, dont beaucoup sont des clandestins virtuels, d’aller ensuite déclarer leur sortie, je cite le texte de mémoire : « à la sortie du territoire ». Mais comme on applique les accords de Schengen et qu’il n’y a plus de contrôle aux frontières, naturellement que cela ne se fera pas. Donc, c’est un coup d’épée dans l’eau et je crains que ce ne soit qu’une mesure symbolique.
P. Lapousterle : Et quand la gauche parle d’une « loi du soupçon » ? C’est-à-dire que chaque étranger maintenant en France est un délinquant virtuel.
Philippe de Villiers : La gauche porte une immense responsabilité puisque c’est depuis F. Mitterrand que le problème de l’immigration est devenu une véritable tragédie et c’est la gauche qui essaie de transformer la société française en société multiculturelle, c’est-à-dire en société multi-conflictuelle puisque la société multiculturelle porte par elle-même la violence.
P. Lapousterle : Est-ce que vous approuvez les quelques députés de la majorité qui disent que le sujet de l’immigration en France mérite un référendum ?
Philippe de Villiers : À condition que l’on arrête les faux-semblants de la loi Debré et que l’on pose les vraies questions qui sont les suivantes : il faut rétablir les contrôles aux frontières, il faut supprimer les avantages sociaux des étrangers en situation illégale, il faut que les reconduites à la frontière deviennent des actes de gouvernement qui ne soient plus susceptibles de recours juridictionnels puisque, aujourd’hui, 20 % seulement des reconduites à la frontière sont véritablement effectuées. Et il faut rétablir les contrôles d’identité sur les lieux publics, changer la carte de séjour et le code de la nationalité. Si l’on ne fait pas tout cela, on sera submergé par la vague. Quant aux statistiques qui ont été publiées hier par le journal Le Monde, c’est une véritable simulation puisque, depuis deux ans, il n’y a plus de contrôle aux frontières. C’est la même chose pour les marchandises quand on parle de l’excédent commercial, il y a forcément un mensonge statistique énorme. Alors, on dit qu’il y a moins d’entrées : évidemment, il y a moins d’entrées contrôlées.
P. Lapousterle : Un mot sur l’incident d’hier : Le Parlement européen a voté « l’ordre au Gouvernement Français de retirer le projet de loi Debré », je cite la motion votée par le Parlement. Le président Jacques Chirac et Philippe Séguin ont eu une colère hier devant le président du Parlement européen. Qu’en pense le parlementaire européen que vous êtes ?
Philippe de Villiers : Je suis tout à fait d’accord avec le président de la République et le président de l’Assemblée nationale mais…
P. Lapousterle : Vous êtes d’accord avec quelqu’un, ce matin ?
Philippe de Villiers : Je vais vous dire : je suis d’accord avec beaucoup de gens qui nous écoutent en ce moment et qui, aux prochaines élections législatives, et aux élections régionales, voteront pour des femmes et des hommes libres et qui, quand ils ne sont pas d’accord, le disent. Moi, je ne suis pas comme le député moyen qui se couche à la première consigne. Voilà, M. Lapousterle, vous le savez d’ailleurs !
P. Lapousterle : Alors, pour le Parlement ?
Philippe de Villiers : Quand j’ai vu que le président de la République prenait cette position, je me suis souvenu, hélas, que le 9 décembre dernier – vous voyez, il y a une petite restriction dans ma réponse – Jacques Chirac, président de la République, signait, cosignait avec le chancelier Kohl une lettre pour la conférence intergouvernementale qui prépare le nouveau traité de Maastricht – Maastricht II – dans laquelle Jacques Chirac demande, je cite, « d’ouvrir la procédure de codécision pour l’étendre à d’autres domaines ». Alors, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Cela veut dire que Jacques Chirac a demandé dans cette lettre l’extension des pouvoirs de Parlement européen. Donc, on ne peut pas d’un côté dénoncer les ingérences du Parlement européen et de l’autre côté, les prévoir et les institutionnaliser.
P. Lapousterle : Alors, je voudrais que l’on parle de l’après-Vitrolles, ce matin. Pourquoi avez-vous si sévèrement condamné les partis de la majorité RPR-UDF qui avaient demandé à leurs électeurs de voter pour le candidat socialiste pour faire barrage au FN à Vitrolles ?
Philippe de Villiers : Parce que, pour moi, le front républicain est la mauvaise réponse. Moi, j’ai un adversaire, c’est le socialisme. Tous les grands stratèges ont toujours démontré que, quand on a plusieurs adversaires, on perd.
P. Lapousterle : Cela veut dire que le FN n’est pas votre adversaire ?
Philippe de Villiers : Cela veut dire que les électeurs du FN ne sont pas mes adversaires et que le FN a été engendré par cette idée de la collusion, de la connivence entre les partis dits « partis de gouvernement ». Quand un électeur français voit cette connivence entre les socialistes d’un côté et la majorité de l’autre, il est forcément poussé à l’extérieur, il est poussé à un vote de protestation. On voit bien que le front républicain qui a fonctionné à Dreux, à Gardanne, qui a fonctionné – si l’on peut parler de fonctionnement – à Vitrolles, on voit bien qu’il n’est pas efficace, qu’il est de moins en moins efficace. On voit bien que ce n’est pas le moyen de lutter contre les extrémismes de tous bords, on voit bien que c’est une capitulation de la majorité devant la minorité et l’on voit bien que c’est aussi un aveu d’impuissance et puis enfin, je dirais que l’on voit bien que c’est la traduction d’un accord profond, au sens politique du terme, entre les appareils de la majorité UDF-RPR et la gauche qui sont d’accord sur l’essentiel : c’est la même politique économique, c’est la même politique maastrichtienne, c’est la même politique de destruction progressive – plus soft à droite qu’à gauche – mais de nos libertés et de la nation française.
P. Lapousterle : Mais vous parlez exactement comme le FN, là ; c’est ce qu’ils disent sur ce point-là ?
Philippe de Villiers : En ce moment, il fait jour ; si M. Le Pen dit, à la sortie du studio, qu’il fait jour, ce n’est pas pour cela que je vais dire qu’il fait nuit. Moi, j’ai une différence stratégique avec le FN et une différence philosophique. Moi, je crois à l’égalité des races. Et une différence stratégique : quand j’ai entendu M. Le Pen, l’autre jour sur une antenne, dire qu’il préférait M. Jospin à M. Chirac, je pense qu’il se trompe.
P. Lapousterle : Est-ce que vous pensez, pour reprendre une question qui a été posée aux Français, que le FN est un parti comme les autres ?
Philippe de Villiers : Bien sûr puisque sinon, s’il était illégal, il serait interdit. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qui sont les gens qui votent pour le FN. Je répète une formule que j’avais faite il y a quelques années : un électeur du FN, c’est souvent un électeur de Force démocrate cambriolé trois fois. C’est-à-dire qu’à partir du moment où, sur les grandes questions du chômage, de l’immigration, de la sécurité, de la famille, de toutes les libertés des entreprises artisanales, commerciales, industrielles, etc., on s’enfonce et que rien n’est fait, eh bien les gens font un vote protestataire. Malheureusement, la protestation du FN est stérile, c’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut, à l’extérieur de la majorité, préparer une autre majorité pour 1998.
P. Lapousterle : Vous venez de signer un accord avec le Centre national des indépendants et paysans, un accord électoral pour les élections législatives, est-ce que vous présenterez des députés partout ? Est-ce que vous récupérerez M. Peyrat, le maire de Nice, dans votre parti, comme on le dit de plus en plus ?
Philippe de Villiers : Ce qui nous intéresse, c’est de récupérer les électeurs qui sont déçus par la majorité, qui ne veulent pas du retour des socialistes, qui ne veulent pas du front républicain et qui, en même temps, ne se reconnaissent pas dans le FN. C’est un espace immense, il y a de plus en plus de Français qui, aujourd’hui, ne se retrouvent pas, ne se sentent pas représentés dans les partis au pouvoir, qui ne se reconnaissent pas dans J. Toubon qui protège le groupe NTM, qui ne se reconnaissent pas dans M. Douste-Blazy, etc. Eh bien tous ces gens-là, je les incite à nous rejoindre, à rejoindre notre alliance, ce pôle de rassemblement auquel je les invite à accrocher leurs espoirs.