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Le Figaro économie : Les dirigeants du théâtre public ne craignent que la nouvelle étape de « déconcentration » des crédits de la culture en région ne fragilise la politique du ministère et ne les soumette aux pressions des élus. Que leur répondez-vous ?
Catherine Trautmann : La première étape de la déconcentration remonte à 1985. Le processus s’est accéléré à partir de 1992. J’ai fait franchir un saut supplémentaire à cette politique au plan qualitatif, en transférant de nombreuses attributions aux directeurs régionaux des affaires culturelles (Drac), et au plan quantitatif : l’enveloppe de crédits déconcentrés, qui s’est élevée à 2,344 milliards de francs en 1997, passera à 3 milliards en 1998.
Cette évolution fait l’objet d’un consensus politique. La déconcentration permet de gérer les crédits au plus près des attentes et des besoins exprimés sur le terrain. Les préfets et les Drac appliquent les directives du ministre, notamment dans le cadre de circulaires. L’émotion de certains provient de ce qui s’est passé dans le Midi, à Châteauvallon, où un préfet est fortement intervenu dans la politique culturelle. Mais celui-ci a été remplacé et une inspection a été menée sur la gestion de ce théâtre.
La déconcentration crée aussi un effet de levier en suscitant de nouveaux partenariats financiers en région.
Le Figaro : Pourtant, cela ne change pas l’enveloppe globale du ministère…
Catherine Trautmann : Cela permet une meilleure lisibilité puisque les crédits sont affectés par région et non plus par direction au sein du ministère. Et cela rend les élus locaux très attentifs aux conventions État-ville, État-région proposées par les Drac. Je vois affluer les propositions des collectivités territoriales.
Le Figaro : Vous aviez annoncé le rééquilibrage des crédits entre Paris et la province avec l’idée d’impliquer davantage la capitale dans le financement des institutions nationales dont profitent les Parisiens. Finalement, ce n’est pas ce qui s’est passé. Le rééquilibrage est-il quasiment impossible ?
Catherine Trautmann : Je continue ce qui a été engagé. Les établissements publics nationaux doivent avoir les moyens de leur mission au service du public et du rayonnement de la France. Comme, par exemple, la Bibliothèque nationale de France dont je me réjouis aujourd’hui de l’intérêt qu’elle suscite.
L’objectif est d’utiliser les locaux vides et d’équilibrer les équipements culturels entre les différents quartiers de la capitale, en Île-de-France et entre Paris et la province.
Le Figaro : Un symbole, la salle Pleyel est mise en vente par le CDR. Le ministère de la Culture est-il prêt à la garder dans le privé en faisant confiance à un projet alliant qualité musicale et rentabilité ?
Catherine Trautmann : L’État et la ville de Paris élaborent ensemble une solution permettant de maintenir la vocation symphonique de la salle Pleyel, qui doit, en particulier, rester le lieu d’accueil de l’Orchestre de Paris.
Le Figaro : Vous avez surpris les éditeurs de disques en annonçant que vous envisagiez un deuxième dispositif (après la loi Galland) contre les prix bas…
Catherine Trautmann : Mon souci est d’encourager dans tous les domaines les producteurs indépendants. Dans le secteur du disque, le processus de concentration dans la production et la distribution est déjà très avancé. Cela ne m’empêche pas de demander aux professionnels de réfléchir à la façon d’aider la production indépendante et de permettre la diversification de l’offre et du système de distribution.
Il ne s’agit pas d’une attitude protectionniste, mais simplement de considérer que la saine concurrence dans le champ culturel suppose qu’il n’y ait pas de position dominante.
Le Figaro : Êtes-vous prête à ouvrir la culture à de nouvelles formes de financement ? En ponctionnant, par exemple, les bénéfices de La Française des Jeux pour racheter les « trésors nationaux » et les empêcher de filer à l’étranger ?
Catherine Trautmann : Dans le passé, un jeu a financé les travaux du château de Versailles. En l’espèce, aucune décision n’a été prise.
Nous ne raisonnons pas en termes de désengagement du financement public de la culture. Le droit de nos concitoyens à la culture relève de la responsabilité de l’État. L’une de nos premières préoccupations est de développer l’accès à la culture et les pratiques culturelles. Nous présenterons d’ailleurs un plan d’action culturelle qui accompagnera la loi sur l’exclusion.
Le Figaro : La générosité des mécènes est en baisse, doit-elle être soutenue par un dispositif fiscal ?
Catherine Trautmann : Il n’y a pas actuellement de projet en ce sens. Surtout, aucun mécène n’est en situation de prendre le pas sur la responsabilité des élus ou de l’État. Le mécénat doit s’exercer dans des conditions de fiabilité et de générosité bien comprises.
Le Figaro : Comment qualifiez-vous votre politique culturelle ?
Catherine Trautmann : Nous développons la plus importante politique culturelle d’État en Europe. La position adoptée par la France, entre autres sur le problème posé par l’Accord multilatéral sur l’investissement, accélère la prise de conscience d’un certain nombre de pays. Les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Nous refusons l’uniformisation par les lois du marché qui imposeraient une culture dominante, celle des pays où les intérêts commerciaux priment sur tout le reste.