Article de M. Alain Krivine, porte-parole de la LCR dans "Rouge" du 27 février 1997, sur le projet de loi sur l'immigration clandestine et "La vague pétitionnaire qui secoue le pays" à l'appel des cinéastes contre le certificat d'hébergement.

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Média : Emission Fil Rouge - Rouge

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La vague pétitionnaire qui secoue le pays et l’immense défilé parisien du 22 février sont une manifestation supplémentaire de la nouvelle situation et du nouveau climat politique et social apparu dans les grandes grèves de novembre et décembre 1995

Dans le mouvement contre la loi Debré, on retrouve les mêmes ressorts et comportements que dans la mobilisation contre le plan Juppé. À partir du rejet d’une loi qui touche à un problème de société et remet en cause des valeurs profondément ancrées dans la tradition révolutionnaire française, la contestation explose et très vite laisse apparaître ses motivations profondes : justice, égalité, solidarité.

Il ne fait aucun doute que le brusque réveil initié par l’appel des cinéastes contre une loi, adoptée en première lecture depuis des semaines dans la plus totale indifférence, a été rendue possible par la victoire du Front national à Vitrolles. Ainsi dans la mobilisation anti-Debré se conjuguent, à des niveaux différents pour les uns et les autres, une volonté de résistance antifasciste, un refus moral de toute idée de délation, un sentiment de solidarité avec les immigrés et d’une façon plus générale, comme en novembre et décembre 1995 et dans l’ensemble des conflits, un ras-le-bol généralisé contre la politique du gouvernement.

Sur le plan politique, les sondages le confirment, ce mouvement de société est à gauche mais pas avec la gauche. C’est un mouvement citoyen, et en ce sens politique au vrai sens du terme, qui ne se reconnaît pas pour autant dans les formations traditionnelles et reste très méfiant vis-à-vis de toute récupération. Lors de la manifestation du 22 février, nombreux sont ceux qui défilaient sans banderole ni slogan devant le carré de tête, se fichant éperdument de son existence.

On retrouve ici encore, comme en 1995, cette même radicalité. Le succès de la pétition des cinéastes c’est l’appel à la désobéissance. Et c’est cette « provocation » qui a rencontré le plus d’écho dans le pays. À la différence du plan Juppé, la loi Debré amendée est soutenue par une majorité absolue, ce qui n’est guère surprenant dans un pays ravagé par le racisme et la peur. Mais plus de 40 % des sondés se disent solidaires de l’appel à la désobéissance… Le gouvernement devrait réfléchir…

Enfin, la force initiale du mouvement est venue des cinéastes et non des organisations qui pour certaines luttent depuis longtemps sur ce terrain. Certes la lutte des sans-papiers et celles des organisations de solidarité avaient créé le terreau favorable, mais le sursaut n’a été possible que par un appel « exceptionnel » venu de ce qu’on appelle la société civile. Et c’est d’ailleurs là que résident la force et la faiblesse de cette mobilisation. Sans l’initiative des « 121 noms difficiles à prononcer », qui avait la spécificité de convoquer une manifestation de rue concrétisant le formidable appel d’air des cinéastes, il n’y aurait eu que des pétitions. Mais surtout la spécificité des « 121 » était de rassembler à la fois des artistes, des intellectuels, des syndicalistes, des politiques et des associatifs. Or cette unité est cruciale pour toute mobilisation.

Préserver l’originalité du mouvement, son autonomie, sa spontanéité en évitant toute récupération politique est une nécessité. Mais croire qu’en restant entre eux, sans lien avec le reste, les collectifs de pétitionnaires seront plus efficaces est une illusion.

Il faut maintenant envisager la suite. La loi Debré est adoptée mais ce vote n’est pas passé inaperçu et il y a eu un premier recul sur l’article I. L’opinion est ébranlée mais il faut être conscient que la mobilisation a été faible en province et que dans les couches populaires, taraudées par la crise et les effets du discours lepéniste, son écho est resté limité. Pour pouvoir s’étendre la mobilisation doit désormais s’attaquer à l’ensemble du phénomène de lepénisation en remettant en cause tout le dispositif répressif comme les lois Pasqua et maintenant Debré. En même temps doit s’affirmer plus que jamais la solidarité avec la lutte des sans-papiers. Enfin, la mobilisation de masse contre le Front national doit s’amplifier avec notamment, outre l’action quotidienne de terrain, la préparation de la montée sur Strasbourg le 29 mars.

Dans ce combat, les intellectuels ont un rôle important à jouer et leur exceptionnelle mobilisation a été une aide pour tout le mouvement. Elle témoigne de la nouvelle période de radicalisation dans laquelle nous entrons, mais les intellectuels savent qu’ils ne peuvent se substituer aux partis politiques défaillants pour tracer une alternative politique à un régime de plus en plus discrédité. Or, face à la montée du Front national, la seule contre-offensive victorieuse possible passe par la construction d’une alternative politique et sociale 100 % à gauche. Cette tâche pour nous est essentielle, l’ampleur des dernières mobilisations et le score de Vitrolles l’exigent.