Texte intégral
Messieurs les Président,
Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
C’est peu dire que la cathédrale de Reims occupe une place privilégiée dans la conscience nationale française. « Reims résume et incarne tout un cycle de légendes. C’est la plus française de nos cathédrales », notait il y a un siècle Paul Vidal de la Blache dans son Tableau de la géographie de la France. Lieu de sacre royal, des noces sans cesse renouvelées de la France et de l’Eglise catholique, elle constitua le reliquaire d’une liturgie royale qui se confondit pendant des siècles avec la nation. Elle renferme ainsi une parcelle de notre identité nationale.
Mais la cathédrale de Reims n’est pas qu’un lieu de mémoire. C’est aussi un joyau de l’art gothique, « le Parthénon des historiens de l’art ». Elle surpasse par ses proportions gigantesques les cathédrales anciennes, tout en conservant une harmonie sans pareille. Le lien intime entre les façades extérieures, la majesté intérieure et le décor sculpté présente de manière presque unique l’unité d'un programme architectural et spirituel et de sa réalisation. Reims est le chef-d’œuvre du gothique classique.
Pourtant l’histoire a détruit une partie importante de cette mémoire de pierre. Car l’histoire de la cathédrale de Reims est l’histoire d’une contradiction : l’écrin intemporel d’un cérémonial immuable, voué à l’altération du temps et sujet aux atteintes des hommes. Depuis l’incendie de 1481, la restauration du monument est un souci constant. L’œil vigilant de Victor Hugo soulignait déjà l’inquiétante dégradation de la statuaire ; un siècle plus tard, la cathédrale, victime des bombardements de 1914, n’était plus qu’un amas de ruine. Malgré l’immense travail de restauration mené sous la direction de Henri Deneux, la sauvegarde de l’édifice martyr ne fut que provisoire : le second conflit mondial, les intempéries, la pollution urbaine croissante ont porté de nouveaux coups au monument. En 1986 la chute d’un dais sur le parvis, après quinze ans d’incessants travaux de restauration, soulignait la gravité du mal : l’état de conservation de la sculpture de la cathédrale s’est davantage dégradé au cours de ce siècle qu’au cours de ses six siècles d’existence antérieure. L’univers sculpté de Reims a en parti péri.
Comme le dit justement Jacques Le Goff, « les atteintes portées au monument mémoire sont une blessure de la mémoire elle-même ». C’est pourquoi Jack Lang, ministre de la Culture, tirait en 1989 la sonnette d’alarme, et inaugurait la campagne « Mon Patrimoine » par cet immense chantier. L’opération avait pour objectif d’expliquer aux habitants de Reims et de leur région l’état de la restauration de leur cathédrale ; elle était également l’occasion de susciter la responsabilité de chacun face à l’immensité et à l’urgence de la tâche. Un soin particulier était accordé à la restauration des voussures du portail central de la façade principale, gravement endommagées.
Urgente, la tâche l’était — et difficile aussi. Quels remèdes privilégier : traiter sur place ? Substituer des répliques aux originaux ? Reconstituer par recréation analogique ? Comment réunir la documentation nécessaire à la restitution ? Comment éviter les dramatiques erreurs du siècle dernier ? Les choix scientifiques et techniques furent délicats, d’autant qu’il fallut intervenir sur des parties maladroitement restaurées aux XVIIe, XVIIIe ou XIXe siècles. Mais grâce à la compétence du comité scientifique international, du laboratoire de recherches des monuments historiques de Champs-sur-Marne et de tous les professionnels qui ont travaillé sur le chantier, celui-ci fut mené à bien. Nous tous, ici réunis, avions saigné dans notre identité de la blessure de la pierre. Pourtant, nous avons réagi ; après quatre ans d’efforts conjugués, mettant en commun nos compétences et nos ressources, nous sommes parvenus à ce magnifique résultat, à la portée symbolique si grande : la réouverture du portail central de la cathédrale.
Nous sommes tous comptables de la transmission fidèle de ces œuvres incomparables. « A Reims, l’architecture gothique est une dame dont on tombe amoureux », et vous, Monsieur le Président Laval, en êtes depuis de longues années le dévoué serviteur. Je ne me permettrai pas de vous remercier en son nom, mais je tiens à vous témoigner mon immense admiration pour l’activité dont vous avez et dont vous faites toujours preuve. Grâce à vous, et grâce à l’Association des amis de la cathédrale de Reims, le chantier de restauration est devenu une affaire internationale, collectant des fonds de tous horizons pour la sauvegarde de ce patrimoine mondial.
En l’occurrence, ce patrimoine est géographiquement associé à un autre symbole prestigieux de la France dans le monde : le vignoble champenois. Le patrimoine national, le patrimoine mondial demeure toujours un patrimoine de proximité. La relation des riverains à la cathédrale fut parfois complexe, mais les vins de Champagne ont depuis longtemps associé leur destin à celui de la cathédrale. Depuis 1954, la profession du Champagne veille à la santé de sa Dame protectrice, à l’ombre de laquelle s’épanouit depuis sept siècles la quintessence du raffinement français. On pourrait longuement s’attarder sur l’analogie entre la cathédrale gothique et le vin de Champagne ; je serai plus pragmatique : le comité interprofessionnel des vins de Champagne a financé à hauteur de 4 MF la restauration des voussures du portail central de la façade occidentale — cette façade dont Victor Hugo disait qu’elle « est une des plus magnifiques symphonies qu’ait chantées cette musique, l’architecture ». Cela représente la plus forte contribution à l’œuvre de restauration de la cathédrale.
Je voudrais que cette réussite serve de modèles à de futures réalisations. Le chantier de la cathédrale de Reims a permis la collaboration exemplaire de multiples acteurs, unis vers un objectif commun : sauver un élément essentiel du patrimoine national, et le transmettre aux générations futures sans en dénaturer l’esprit ni l'aspect. A une mission dévolue au ministère chargé de la Culture, soutenu par les professionnels du patrimoine et les services déconcentrés — je tiens ici à saluer la remarquable activité de la DRAC et des architectes en chef des monuments historique —, sont venus s’associer les collectivités territoriales — la région Champagne-Ardenne, le département de la Marne et la ville de Reims —, de grandes entreprises comme Gaz de France, des groupements professionnels, à l’image du CIVC que vous co-présidez Monsieur Bernard et Monsieur Feneuil, des associations, des personnalités — je pense tout particulièrement à votre action au service de la cathédrale, Monsieur Taittinger, qui, depuis maintenant de longues années, n’a jamais failli. Une association nationale pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Reims a, grâce à Monsieur Laval, permis de regrouper ces bonnes volontés, de manière à répartir équitablement et rationnellement les contributions de chacun. Les cathédrales de France bénéficient d’un effort budgétaire particulièrement important ; ce sont d’immenses édifices qui, de par leur taille et leur importance culturelle, constituent des chantiers permanents. L’aide financière, technique et morale des collectivités territoriales et des entreprises privées, est souvent importante pour aider l’Etat à en assumer la charge. Il faut encourager le mécénat sous toutes ses formes. Notre patrimoine, notre cadre de vie, notre identité sont concernés. Merci à vous de contribuer de façon décisive à leur sauvegarde.