Interview de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, à Europe 1 le 10 février 1998, sur la situation en Corse, notamment la violence et la dérive mafieuse, sur la négociation salariale et le renouveau de la politique contractuelle dans la Fonction publique.

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Circonstance : Assassinat de M. Claude Erignac, préfet de la Corse du sud à Ajaccio le 6 février 1998

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach : Les policiers du Raid lancent en ce moment une nouvelle opération en Corse. Quand on est Corse comme vous ne sait-on pas déjà qui il faut arrêter et punir ?

E. Zuccarelli : Non, on connaît certainement la plupart des personnages qui sont mêlés à des actions ou à des organisations criminelles, mais – encore une fois – nous sommes dans un pays de liberté, dans un État de droit, et il faut les confondre.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que quelqu’un qui a des armes doit être arrêté désormais ?

E. Zuccarelli : Tout à fait. Il le faut. Le port d’armes est réprimé par la loi.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que, pour vous, il ne faut pas négocier avec les nationalistes, qu’ils soient ou non cagoulés ?

E. Zuccarelli : Je pense qu’à partir du moment où on a affaire à des organisations qui se considèrent elles-mêmes comme violentes, des gens qui n’ont pas encore renoncé définitivement à la violence, il ne peut pas y avoir de négociations. La violence est un chantage inacceptable dans une démocratie.

J.-P. Elkabbach : Les dirigeants de l’État ont su hier – et vous y étiez – par leur présence impressionner, rassurer les Corses. Le Président de la République a trouvé les mots, la presse le dit. Mais maintenant quels actes vont suivre ?

E. Zuccarelli : De manière très précise, le Président de la République hier, le Premier ministre samedi ont tenu un langage clair, qui n’est pas nouveau dans la bouche du Premier ministre – parce qu’il l’avait tenu dès le mois de juin dernier : fermeté. La Corse n’est pas un territoire à part, elle fait partie intégrante de la République. La population a droit à la protection que lui confère la loi et on doit appliquer la loi républicaine en Corse, tranquillement, sereinement, mais fermement.

J.-P. Elkabbach : La même loi pour tous les Français ?

E. Zuccarelli : La même loi pour tous les Français.

J.-P. Elkabbach : Le même droit pénal ?

E. Zuccarelli : Bien entendu.

J.-P. Elkabbach : Le même droit fiscal ?

E. Zuccarelli : Le même droit fiscal. Il peut y avoir des mesures fiscales spécifiques, c’est sûr.

J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire des avantages et des privilèges, encore ?

E. Zuccarelli : Pourquoi des privilèges ? Des dispositions fiscales. Je ne suis pas un fanatique des dispositions fiscales. Je n’étais pas pour la zone franche. Je l’ai dit en son temps mais une fois qu’il y a une règle fiscale à un endroit, elle s’applique.

J.-P. Elkabbach : Constatez-vous que le continent a envie de dire « Basta ! », en a assez de bosser et de casquer pour la Corse ?

E. Zuccarelli : Non, c’est un peu facile. La Corse a surtout un droit : c’est que la collectivité nationale, au-delà des avantages fiscaux ou de quelques mesures financières, lui assure la solidarité, c’est-à-dire l’application de la loi et la protection dont la population a besoin. Il est inutile, il est vain d’aller chercher des poux dans la tête des Corses et de les accuser de toute sorte de turpitudes si on ne prend pas en compte qu’une population qui n’est pas protégée en effet est exposée à des dérives, à la perte des repères et du civisme.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que, aujourd’hui, l’honneur, pour un Corse, ce n’est pas de parler, d’aider la police et la justice de la République ?

E. Zuccarelli : Ne parlons pas d’honneur, je crois que c’est le civisme élémentaire. Il faut que la population aide en effet l’État dans son action au service de l’application de la loi.

J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire que vous, ministre, vous demanderiez à chaque Corse de dire ce qu’il sait ?

E. Zuccarelli : Tout à fait et, en plus de manifester physiquement, comme ils l’ont fait hier à Ajaccio, comme ils vont sans doute le faire...

J.-P. Elkabbach : … Demain à Bastia, jeudi avec les femmes, avec les églises.

E. Zuccarelli : Oui, il faut montrer qu’on veut très fermement le retour à l’État de droit et l’application de la loi en Corse. J. Chirac a dit très bien, hier, qu’on ne diviserait pas la République.

J.-P. Elkabbach : En cinq ans, la plupart des crimes n’ont ni été châtiés ni élucidés. Croyez-vous que l’assassinat du préfet Érignac restera sans auteur et impuni ?

E. Zuccarelli : On n’a jamais retrouvé les assassins du Président Kennedy, pourtant c’était le président des États-Unis.

J.-P. Elkabbach : Vous voulez annoncer qu’on ne les trouvera pas ?

E. Zuccarelli : J’annonce qu’on n’est jamais sûr au départ qu’une enquête va aboutir mais j’ai la conviction que, dans cette affaire-là – tragique –comme dans d’autres, l’application obstinée, cette détermination, par les moyens ordinaires de la police et de la justice mais appliquée de manière constante va aboutir et ramènera en Corse l’ordre républicain.

J.-P. Elkabbach : La loi devient une idée neuve en Corse.

E. Zuccarelli : La première fois que j’ai été élu député – c’était il y a 12 ans – mon maître-mot, ma première déclaration a été : "La Corse a besoin de faire une cure de légalité", nous y sommes.

J.-P. Elkabbach : Vous parliez aussi de dérives mafieuses ?

E. Zuccarelli : J’ai été le premier à employer ce terme-là.

J.-P. Elkabbach : Vous voyez que ça continue, ça a même amplifié On espère que cette fois-ci ça s’arrêtera.

E. Zuccarelli : Parce qu’on a tout mélangé par le passé. On a voulu perdre de vue que la chose la plus simple à faire c’était d’appliquer la loi ; maintenant on y vient.

J.-P. Elkabbach : Vous êtes le protecteur des fonctionnaires. Tous les syndicats de la fonction publique – FO aussi, ce qui ne s’était pas produit depuis une dizaine d’années – à l’exception de la CGT et de FSU signent ce matin un accord sur les salaires. C’est le premier depuis 95 ?

E. Zuccarelli : Depuis 93. Il y a cinq organisations représentant la majorité des fonctionnaires qui signent cet accord.

J.-P. Elkabbach : C’est un événement pour vous ?

E. Zuccarelli : C’est une situation très heureuse parce que le Gouvernement avait proposé de renouer, dans la fonction publique, un dialogue social, une politique contractuelle qui étaient en jachère depuis cinq ans.

J.-P. Elkabbach : Il faut dire que ça touche un actif sur cinq et 40 % du budget de l’État – 670 milliards !

E. Zuccarelli : Il ne faut pas feindre de s’en étonner ou de le découvrir. Nous sommes un pays dans lequel le budget est fait, pour une bonne partie, de salaires. On se réjouit que l’Éducation nationale soit le premier budget. Qu’est-ce que le budget de l’Éducation nationale sinon, avant tout, des salaires de professeurs ? Idem dans la police ou dans la justice, les salaires des magistrats. Moi je trouve ça normal. C’est l’organisation de notre pays.

J.-P. Elkabbach : N’est-ce pas un poids considérable 40 % de fonctionnaires ?

E. Zuccarelli : Mais si nous étions dans un pays comme il en existe au monde où l’éducation était privée, eh bien vous n’auriez pas autant de salaires de fonctionnaires.

J.-P. Elkabbach : Ce n’est pas ce qu’on vous demande.

E. Zuccarelli : J’en prends acte.

J.-P. Elkabbach : Pour cette année c’est donc une augmentation de 2,6 % en 99 – 1, 3 % par an – la première revalorisation dès avril – 0,8 % – et au total 15 milliards pour ces deux années, en cumule. Savez-vous où les trouver ?

E. Zuccarelli : Oui, dans le budget pour 98 ; le budget pour 99 n’est pas encore fait. Le budget 98 permettra, dans les marges d’exécution d’un budget de servir les rémunérations des fonctionnaires.

J.-P. Elkabbach : Mais c’est extraordinaire, on trouve tout dans le budget !

E. Zuccarelli : Non, mais il y avait des provisions qui étaient parfaitement apparentes et puis le reste, l’ajustement – parce qu’on ne met pas dans la provision le résultat final d’une négociation – c’est ce qu’un budget peut dégager dans les marges d’exécution.

J.-P. Elkabbach : Beaucoup, comme M. Barre, sont inquiets par ces nouvelles dépenses. Il disait au Club de la Presse que ça peut accroître les déficits ; l’an prochain cela peut rendre difficile notre place en Europe.

E. Zuccarelli : Je vous dis que ça s’inscrit dans un budget qui respecte absolument tous les critères.

J.-P. Elkabbach : La loi sur les 35 heures va être votée aujourd’hui vous, vous avez ouvert la porte aux 35 heures pour les fonctionnaires. Vous avez dit : d’abord un état des lieux jusqu’à la fin de l’année. Est-ce que ça veut dire qu’en 99 on commencera à parler des 35 heures pour la fonction publique ?

E. Zuccarelli : Nous avons dit qu’il n’y avait pas de raison de principe que la perspective des 35 heures soit étrangère à la fonction publique, mais nous sommes dans une situation extrêmement complexe – il y a 5 millions de fonctionnaires – avec des régimes d’horaire très différents. On fera un état des lieux en 98 et après on discutera sur les objectifs.

J.-P. Elkabbach : C’est du baratin ça. Qu’est-ce que c’est que les objectifs ?

E. Zuccarelli : Les syndicats n’ont pas trouvé que c’était du baratin. On discutera à partir d’un état des lieux sur les objectifs qui seront fixés à la fonction publique.

J.-P. Elkabbach : Pensez-vous qu’en 99 on pourra appliquer les 35 heures à certains secteurs des fonctionnaires ?

E. Zuccarelli : Je pense qu’en 99 on va discuter des modalités d’organisation de travail dans la diversité de la fonction publique pour voir ce qu’il est possible de faire. Il y a 70 % des fonctionnaires qui ne travaillent pas 35 ou 39 heures par semaine.

J.-P. Elkabbach : Par dérogation.

E. Zuccarelli : Non, ce ne sont pas des dérogations. Il y a des professeurs qui enseignent 18 heures par semaine, donc il faut tenir compte de cette diversité de situation.