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7 jours Europe : Quel rôle l’Union européenne pourrait-elle être amenée à jouer pour stopper la spirale de la violence en Algérie ?
Pierre Moscovici : Je voudrais d’abord rappeler une évidence : la sécurité publique d’un État est la responsabilité première et exclusive des autorités de cet État. Cela ne signifie pas que nous soyons cantonnés à un rôle de spectateurs passifs face au drame algérien. Il y a des gestes qui peuvent aider.
Je pense à l’expression concrète de notre solidarité. C’est une façon de dire à l’Algérie, au peuple algérien, « vous n’êtes pas seuls, nous sommes à vos côtés dans ces moments douloureux ». C’est la raison pour laquelle l’Union, lors du déplacement de la troïka en Algérie, les 19 et 20 janvier derniers, a proposé une assistance humanitaire pour l’aide aux victimes. Cette démarche solidaire peut se traduire dans de nombreux domaines. Les journalistes algériens souhaitent et ont besoin du contact avec leurs confrères européens. Nous devons favoriser leur accueil pour des séminaires et des rencontres et leur apporter une assistance dans le cadre d’actions de coopération.
Je pense également, et c’était l’un des objectifs de la mission de la troïka, au dialogue avec le gouvernement algérien. Entre la mise en quarantaine et le dialogue, nous choisissons résolument le dialogue. Rien ne serait pire pour l’Algérie que l’isolement.
7 jours Europe : Comment rompre cette menace d’isolement de l’Algérie ?
Pierre Moscovici : Nous souhaitons, justement, que les contacts se multiplient pour favoriser l’ouverture de l’Algérie vers l’extérieur. L’invitation faite par la présidence de l’Union à Monsieur Attaf, ministre algérien des affaires étrangères, de se rendre à Londres, ainsi que le projet de mission en Algérie des parlementaires européens sont à cet égard positifs. Dans cet esprit, nous souhaitons également la reprise des négociations de l’accord d’association Union européenne – Algérie.
Certes les résultats de cette approche peuvent paraître modestes. Mais nous devons poursuivre dans cette voie, sans céder au découragement ni à la déception. L’instauration d’un dialogue entre l’Europe et l’Algérie, la mise en place d’une solidarité concrète avec le peuple algérien sont des actions progressives qui s’inscrivent dans la durée.
7 jours Europe : Quelles solutions préconisez-vous face au problème posé par l’arrivée massive de réfugiés kurdes dans l’Union ?
Pierre Moscovici : Il y a un drame humain que nous n’oublions pas et qu’il faut traiter et prévenir. Il importe de tirer les enseignements de ce qui s’est produit dans les derniers mois de l’année 1997. Cette affaire appelle plusieurs remarques.
Premier point : l’arrivée massive et incontrôlée de migrants, pour la plupart en provenance d’Irak, montre la nécessité du renforcement des contrôles aux frontières extérieures. La libre circulation au sein de l’Union exige que soit renforcé le contrôle aux frontières extérieures.
Deuxième point : le transport illégal de près d’un millier de personnes par bateau, des côtes turques aux côtes italiennes, est une activité criminelle dont les responsables sont d’abord des organisations mafieuses, qui font, aujourd’hui le trafic d’hommes et de femmes – chaque voyage représente un gain de 2 à 4 millions de dollars –, comme elles le font de la drogue.
Troisième point : nous ne devons pas oublier que les racines politiques, sociales et économiques de cet afflux est la situation qui prévaut en Irak du nord, ainsi que celle du sud-est de la Turquie. Cette approche n’exclut pas le droit d’asile, mais je rappelle que l’obtention du statut de réfugié passe par un examen individualisé des dossiers : cette procédure est une garantie pour les États d’accueil, mais aussi pour les demandeurs d’asile.
Le Conseil européen de Luxembourg avait demandé qu’on décide d’un plan d’action pour trouver une solution. Les grandes lignes de ce plan, approuvé par le conseil affaires générales du 26 janvier, répondent à chacun de ces points sur le volet politique comme sur le volet policier et judiciaire. Le travail est mené également dans le cadre des instances Schengen, il passe, là aussi, par le développement la coopération entre pays membres ainsi qu’avec la Turquie.
7 jours Europe : Que peut-on faire, selon vous, pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent actuellement les relations entre la Turquie et l’Union ?
Pierre Moscovici : Je sais que la Turquie a été déçue et je peux le comprendre. La France a regretté que les hésitations au sein du Conseil n’aient pas conduit à davantage d’ouvertures en direction de ce pays. Pour autant, il ne faut pas méconnaître les éléments positifs qui ont été décidés à Luxembourg. Une « stratégie européenne pour la Turquie » a été adoptée, pour préparer ce pays à l’adhésion. La Turquie sera jugée selon « les mêmes critères que les autres États candidats », et elle est invitée à la Conférence européenne du 12 mars prochain. En renouvelant cette invitation, qui s’adresse à tous les pays candidats, la présidence britannique va prendre contact avec Ankara. La France l’a fait de son côté, avec le déplacement de Hubert Védrine en Turquie, dès le début de janvier, pour marquer notre volonté de dépasser ce moment et montrer que la porte reste ouverte. Ce qui est essentiel, c’est que nous ayons affirmé que la Turquie fait partie du processus d’élargissement. Sur cette base, je crois qu’il n’y a pas d’obstacle qui ne puisse être surmonté.
7 jours Europe : Vous avez estimé que 90 % des entreprises ne sont pas préparées au passage à l’euro. Quelles mesures concrètes le gouvernement compte-t-il adopter pour accélérer leur préparation ?
Pierre Moscovici : J’ai la conviction que la situation a évolué très vite au cours des derniers mois. On voit d’ailleurs, à côté des campagnes institutionnelles, de plus en plus d’initiatives, notamment privées qui témoignent que les entreprises se préparent au passage à l’euro. Naturellement, en termes statistiques, le niveau de préparation est très différent selon la taille et le secteur d’intervention des entreprises. Mais il y a désormais un fort degré de sensibilisation à cette question. Pour plusieurs raisons, me semble-t-il. D’abord l’opinion publique n’a plus de doute sur le passage à l’euro. C’est un acquis. Donc les chefs d’entreprises et l’ensemble des acteurs de la vie de l’entreprise savent que l’échéance est proche. De nombreux secteurs professionnels ont lancé des opérations d’information. L’État a également ouvert une grande campagne d’information. Cela ne suffit pas. Il n’est toujours pas possible de conclure que les entreprises sont d’ores-et-déjà prêtes. L’étape suivante sera destinée à une mobilisation plus ciblée et plus décentralisée, qui devra impliquer les collectivités locales à tous les niveaux. De ce point de vue, les municipalités ont un rôle décisif à jouer parce qu’elles peuvent toucher au plus fin du réseau social, c’est vrai en direction des citoyens, mais aussi en direction des entreprises, en particulier des plus petites d’entre elles. C’est dans ce sens que nous allons porter l’effort.
7 jours Europe : Pour quelles raisons pensez-vous que la ratification du traité d’Amsterdam ne nécessite pas le recours à un référendum, mais seulement sa ratification par le Parlement ?
Pierre Moscovici : Aujourd’hui, nous savons que la ratification du traité doit être précédée d’une révision constitutionnelle. Notre Constitution est claire. C’est au président de la République qu’il appartient de décider la voie. Je ne crois pas qu’il se soit exprimé sur ce point. Ce que je sais, c’est qu’il avait, dès le soir d’Amsterdam, écarté, a priori, l’idée d’un référendum pour ratifier le traité lui-même.
J’ai eu aussi l’occasion d’exprimer ce point de vue. Ce traité est une révision du traité de Maastricht, prévue par ce dernier. Il en constitue, pour ainsi dire, un toilettage et ne modifie pas l’édifice du traité de Maastricht. C’est donc une question que le peuple français a déjà tranchée. Il ne s’agit pas d’éluder le débat, mais la ratification parlementaire permet de le centrer sur les éléments nouveaux qu’introduit ce traité. Ce faisant, la représentation nationale est dans son rôle, qui procède à la ratification de dizaines de traités qui engagent la France tous les ans. J’ajoute qu’il me paraîtrait paradoxal de réclamer la forme la plus solennelle du débat s’agissant d’un texte dont tout le monde s’accorde à juger la portée limitée.