Texte intégral
Philippe Lapousterle : Pensez-vous qu’on soit à la veille de franchir une étape importante dans la parité avec l’adoption de la loi ? Ce n’est pas la première fois qu’il y a des lois en France et puis que rien se ne passe derrière…
Nicole Pery : J’ai dit et je vais redire que pour moi, c’est une loi qui est essentielle après le droit de vote des femmes.
Philippe Lapousterle : 1945.
Nicole Pery : 1945. Il faut quand même regardez ce qu’il se passe aujourd’hui, dans une perspective historique. Je pense vraiment que, après ce droit de vote c’est un acte majeur pour arriver à ce que…
Philippe Lapousterle : Non, c’est une loi majeure. Mais est-ce qu’il y aura un acte majeur derrière ?
Nicole Pery : Il y a une loi majeure pour un acte majeur. Et c’est bien parce que c’est un acte majeur que ce sujet provoque dans tous les milieux politiques de très vives effervescences et cette effervescence va se poursuivre car dès 2001, comme vous le savez, il y aura une application directe.
Philippe Lapousterle : C’est certain que si elle est votée elle s’appliquera dès les élections municipales de 2001 ?
Nicole Pery : Je peux témoigner de la volonté du Gouvernement, de celle du Premier ministre, pour lui reconnaître ce (...) la mienne bien évidemment. Cette volonté qui vient de (...) propre histoire, de mon propre engagement, et aujourd’hui de la compétence qui est la mienne, celle des Droits des femmes. Il y aura une application concrète aux municipales de 2001 : égalité de candidatures, parité « 50-50 » pour reprendre la jolie formule de Lionel Jospin, qui provoque un débat. Certains disant que c’est un niveau tellement ambitieux qu’il est inapplicable, voire hypocrite. D’autres qui disent que c’est une coquille vide parce qu’il n’y a pas une clé contraignante de la place des femmes. Je vais rentrer dans ce débat qui sera fort intéressant. Mais il y aura une loi, une application de cette loi dès 2001.
Philippe Lapousterle : Cela veut dire qu’on pourrait avoir parité – puisque si la loi l’y oblige 50% de femmes et 50% d’hommes sur des listes -, et à l’arrivée, parmi les élus, 70% voire 75% d’hommes et 25% de femmes. C’est possible ça ?
Nicole Pery : Dans le cadre actuel des scrutins – prenons les élections municipales, c’est celles de demain – dans le cadre de scrutins avec une représentation majoritaire et une représentation minoritaire, ce qui est le cas des conseils municipaux, si chaque parti politique met vraiment une très mauvaise volonté pour appliquer la parité de candidatures, nous arriverons quand même, par l’effet mécanique de la loi, entre 35 et 40% d’élues. Ce qui fera un bond considérable avec la réalité. Aujourd’hui, on peut penser qu’à peu près 20-21% de femmes sont présentes dans les conseils des municipaux. Donc de toute façon, ce sera un bon en avant très significatif.
Philippe Lapousterle : Est-ce que les sanctions financières contre les partis qui n’appliqueront pas la parité sont une bonne méthode ? Car après tout, il y a une loi et tout le monde applique la loi, et puis c’est tout. Pourquoi imaginer des sanctions financières ?
Nicole Pery : J’ajoute un dernier mot sur les scrutins de liste à la proportionnelle – municipales, régionales, européennes, sénatoriales pour certains départements -, je ne pense pas aujourd’hui, compte tenu de ce qu’est la maturité de l’opinion publique, qu’il y ait un parti politique qui s’amuse à mettre 20%, 20 femmes en fin de liste ! Je ne crois pas. Mais pourquoi des sanctions financières ? Ceci concerne d’autres élections, des élections essentielles – comme les législatives – parce que la parité ne peut pas avoir un effet arithmétique, étant donné, et vous le savez bien, que ce n’est pas un scrutin de liste mais un scrutin uninominal. Et là, la parité ne peut pas être appliquée à la proportionnelle. C’est pourquoi nous avons cherché une arme pour obliger les partis politiques, dans les circonscriptions, en France, à présenter autant de femmes que d’hommes. Comment faire ? Le nerf de la guerre c’est l’argent. Je ne suis pas la seule à penser que c’est vraiment une arme qui pèsera. A quel niveau faut-il sanctionner les partis politiques ? Là aussi il y a place pour le débat. J’avoue que le projet de loi que je présente, au nom du Gouvernement, avec J.-P. Chevènement, nous avons pris nos responsabilités. Dans ce projet de loi la sanction est réellement dissuasive. Certains me disent – certains, si j’étais vraiment franche, je vous dirais la grande majorité des partis politiques, pas tous, la grande majorité – ils me disent : pourquoi ne pas réfléchir plutôt sur des primes, sur une bonification.
Philippe Lapousterle : Pour ceux qui se conduiraient bien…
Nicole Pery : Voilà, pour les partis politiques qui appliqueraient la loi, qui appliqueraient la parité de candidatures. J’ai dit : attendez, quand on brûle un feu rouge, on est sanctionné et quand on ne le brûle pas on n’a pas une récompense. Alors je trouve qu’il faut rester dans une certaine dignité et c’est la sanction.
Philippe Lapousterle : Pouvez-vous nous dire ce qui, à votre avis, changera si les femmes venaient en nombre massif en politique ?
Nicole Pery : C’est une question de forme qui m’intéresse beaucoup. C’est l’après. Pourquoi une entrée massive de femmes ?
Philippe Lapousterle : Vous croyez que cela va changer les choses ?
Nicole Pery : Oui, je le crois. Je ne vais pas rentrer dans ce débat en disant : l’intelligence des femmes fait qu’elles sont plus aptes à s’occuper du quotidien, elles sont plus pragmatiques – ce qui est vraie, elles sont plus pragmatiques – mais tout simplement parce qu’aujourd’hui elles ont encore la charge du quotidien.
Philippe Lapousterle : Parce qu’elles ne sont pas encore en politiques…
Nicole Pery : Oui, voilà, bon.
Philippe Lapousterle : Mais quand elles sont en politique ?
Nicole Pery : Il y a le partage des tâches et des rôles qu’il faut bien regarder avec objectivité. Par nature, elles ne sont pas forcément faites pour assumer pendant toute l’humanité ce partage des tâches. Je pense qu’une entrée massive des femmes en politique, changera peut-être, ce que j’espère, la nature-même du pouvoir. Vous savez, le pouvoir aujourd’hui il est rude. Il le sera toujours, il ne faut pas rêver, il ne faut pas être angélique. Je crois que les femmes, quand même, ont un autre rapport au pouvoir, je le crois pertinemment. D’autre part, il y a des sujets aujourd’hui invisibles, non traités, parce qu’ils n’intéressent pas directement des assemblées massives d’hommes.
Philippe Lapousterle : Par exemple ?
Nicole Pery : Je pense à l’égalité professionnelle.
Philippe Lapousterle : Egalité de salaires ?
Nicole Pery : Prenons les salaires – parce qu’on peut décliner cette non-égalité professionnelle sur beaucoup de plans, la construction des carrières, les postes de responsabilité, les postes de direction, les salaires. Prenons les salaires : il y a encore aujourd’hui un écart moyen de 25% entre les salaires des hommes et des femmes.
Philippe Lapousterle : Pour les mêmes postes ?
Nicole Pery : Voilà. Pourtant, il y a des lois, il y a le droit, et ça ne bouge pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas un vrai regard sur ce sujet. Un exemple : la garde des enfants. Aujourd’hui la France est un pays qui a accepté depuis longtemps que les femmes soient très présentes sur le marché du travail. Donc c’est un pays où la garde des enfants est bien assurée par rapport à d’autres pays de l’Union européenne. Mais nous le savons, d’une façon insuffisante. A Paris, dans l’Ile-de-France, les places pour les enfants sont nettement insuffisantes.
Philippe Lapousterle : Donc ça va changer ?
Nicole Pery : Voilà, je souhaitais prendre des exemples bien concrets pour dire comment ça peut changer et sur quels sujets.