Texte intégral
Le Monde : Lionel Jospin a proposé aux élus corses de les recevoir à Matignon. C’est une bonne idée ?
José Rossi : C’est surtout une réponde nécessaire à une attente légitime. Le Premier ministre a répondu à l’appel que j’avais lancé, avec d’autres, après les attentats d’Ajaccio.
Le Monde : La rencontre n’a pas d’ordre du jour. Le Premier ministre attend des propositions. Quelles sont les vôtres ?
José Rossi : Je voudrais d’abord rappeler le contexte. La fracture entre Corses et continentaux s’est créée au cours des deux dernières décennies. Elle a été aggravée par la politique sans nuance conduite par le gouvernement après l’assassinat du préfet Erignac et illustrée par les dérives du préfet Bonnet. Pourtant, quarante mille Corses avaient défilé dans les rues d’Ajaccio pour crier leur indignation et la honte qu’ils ressentaient. Le gouvernement a laissé passer cette occasion inespérée de donner un véritable élan à une nouvelle politique corse. Il a fait le choix d’apparaître, aux yeux de l’opinion publique nationale, comme le gouvernement qui allait « régler une fois pour toutes » le problème corse. Il s’est appuyé sur le rapport Glavany pour montrer les Corses du doigt sur le thème du retour à l’Etat de droit. Il a permis que s’installe l’image du « mauvais Corse », mouton noir de la République. C’est cet ostracisme à l’égard des insulaires qui a conduit à une montée brutale du vote nationaliste aux élections territoriales de février.
Dans l’immédiat, ma proposition est de permettre de rétablir le contact entre représentation nationale et représentation insulaire. Il faut sortir par le dialogue de l’état de suspicion actuel. Cela ne dispense pas le gouvernement de garantir aux Corses la sécurité, première des libertés.
Le Monde : Si l’on excepte les errements du préfet Bonnet, n’est-ce pas ce que l’Etat a entrepris de faire ?
José Rossi : Je ne doute pas de la volonté du Gouvernement, mais les résultats ne sont pas là. Aussi faut-il éviter les déclarations péremptoires et agir avec humilité. Les Corses ne sont quand même pas responsables des défaillances de l’Etat dans l’accomplissement de sa mission régalienne de sécurité ! Ils n’ont pas vocation de constituer des milices pour se substituer à la police et à la gendarmerie. Ils ont, en revanche, le devoir de condamner avec la plus grande fermeté la violence. C’est ce qu’ils font depuis longtemps et avec constance.
Le Monde : Soit, mais vous êtes vous-même engagé, à l’Assemblée de Corse, dans une alliance avec des gens qui refusent de la condamner…
José Rossi : C’est totalement faux. J’entends trop souvent ces critiques infondées et inspirées par des raisonnements politiciens. Il faut éviter de polémiquer de manière artificielle. Une nouvelle politique corse passe par une démarche partagée, sincère et loyale. La vérité, c’est que j’ai été élu président de l’assemblée territoriale sans les voix nationalistes. Le budget de l’Assemblée de Corse n’a pas été voté par les nationalistes, qui ne sont en rien associés à la majorité territoriale et qui constituent, au contraire, le premier groupe de l’opposition parce que la gauche « plurielle », après avoir fait liste commune aux élections, a éclaté en trois groupes.
Le Monde : Qu’allez-vous plaider devant monsieur Jospin ?
José Rossi : Lorsqu’il est venu en Corse, le 6 septembre, le Premier ministre n’a pas exclu l’idée de réforme. Tout le monde est conscient, aujourd’hui, des limites de l’intervention publique et de la politique d’assistance. Il faut s’engager résolument sur la voie du développement des activités productives, mais, pour cela, il faut libérer l’initiative, mettre en place les incitations nécessaires, réaliser les adaptations législatives ou réglementaires imposées par la spécificité insulaire. La Corse ne demande pas, aujourd’hui, de moyens financiers. L’Etat doit, surtout, laisser les mains libres aux Corses pour faire leur propre choix de développement. Aux élus de l’île, par ailleurs, de fédérer les énergies.
Pour atteindre ces objectifs, il faut aussi la paix. Si nous ne sommes pas capables de garantir dix ans de tranquillité publique, nous n’arriverons pas à remettre la machine en route.
Le Monde : Vous proposez un calendrier à la calédonienne ?
José Rossi : Sur le fond, il n’est pas possible de raisonner en Corse comme en Nouvelle-Calédonie, mais l’idée de bâtir le redressement sur une période de dix ans pourrait être un vrai défi à relever. Pour moi, la rencontre prévue avec Lionel Jospin doit être suivie d’autres rendez-vous, avec fixation d’un calendrier et d’un ordre du jour. L’enjeu de ce travail collectif, ce n’est pas, dans l’immédiat, un nouveau statut. La réflexion des insulaires n’est pas suffisamment avancée sur ce point ; c’est un sujet qui divise. Pour beaucoup, un statut d’autonomie est encore synonyme d’antichambre de l’indépendance. Mais il n’est interdit à personne d’en parler.
Le Monde : Estimez-vous que les élus de Corsica Nazione sont des gens avec lesquels vous pouvez – et Matignon pourra – travailler ?
José Rossi : D’autres nationalistes condamnent aujourd’hui, très fermement, la violence. Il faut regarder avec intérêt leur évolution vers le choix de la démocratie, même s’ils n’ont pas de représentation à l’Assemblée de Corse. Pour ce qui concerne les élus de Corsica Nazione, ils ne sont pas allés assez loin dans la condamnation générale de la violence, même s’ils ont condamné les derniers attentats d’Ajaccio. Ils devront aller encore plus loin pour apparaître comme des interlocuteurs responsables. En revanche, les élus nationalistes font preuve, dans le débat de l’Assemblée de Corse, d’un activisme certain en termes de propositions. Ce la prouve que, lorsque le maçon est au pied du mur, il est porté naturellement à construire. Et je ne vois pas pourquoi Jean Guy Talamoni ne prolongerait pas à Paris le dialogue qu’il a entamé avec le Premier ministre au sein de l’hémicycle de l’Assemblée de Corse.
Le Monde : Y a-t-il eu un malentendu sur le voyage de monsieur Jospin en Corse, comme on l’explique à Matignon ?
José Rossi : Quand le Premier ministre est venu à l’Assemblée de Corse, en septembre, il a demandé aux élus de condamner la violence. Comme tous les élus l’avaient déjà fait, à l’exception des nationalistes, il ne pouvait s’adresser qu’à ces derniers. C’est la contradiction fondamentale du discours de monsieur Jospin : c’est lui qui, paradoxalement, a interpellé les nationalistes de manière privilégiée et a fait passer au second plan les positions des autres élus territoriaux, qu’ils soient de droite ou de gauche.