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Le Figaro économie : Qu’est-ce qui vous a conduit à recommander, pour l’un – Jean-Michel Fourgous – une baisse massive des charges, pour l’autre – Gilles de Robien – une baisse des charges en échange d’embauches et de réduction du temps de travail ?
Jean-Michel Fourgous : La situation des entreprises françaises est plus grave qu’on ne le dit. Il faut donc utiliser des remèdes beaucoup plus puissants que ceux utilisés aujourd’hui, et le faire immédiatement. Malheureusement, la culture publique est omniprésente dans toutes les sphères de décisions.
Le Figaro économie : Mais la baisse des charges que vous préconisez coûte environ 150 milliards de francs…
Jean-Michel Fourgous : Jacques Barrot propose 40 milliards de baisse de charges, Valéry Giscard d’Estaing 80 milliards, Raymond Barre 120 milliards et moi 148 milliards. Pour frapper fort sur le chômage, il faut un traitement puissant. J’ai interrogé 300 chefs d’entreprise, la très grande majorité pense que seule une forte réduction des charges aura un impact réel sur le chômage. Le coût du travail est un élément fondamental pour créer des emplois. Arrêtons de créer des commissions et des groupes de travail pour se rassurer. Il est grand temps d’agir. Comme le dit Paul Valéry : « Que de choses il faut ignorer pour agir. »
Lorsque je suis devenu parlementaire, j’ai croisé Pierre Bérégovoy à la commission des finances quelques jours avant son accident et lui ai demandé : « Quelle mesure regrettez-vous de ne pas avoir osé prendre dans la lutte contre le chômage ? » Il m’a répondu : « Une baisse massive des charges patronales. »
Il faut bien voir que le coût du travail est la première chose que les investisseurs et les entrepreneurs regardent. C’est un élément décisif.
Le Figaro économie : Comment financez-vous cette baisse ?
Jean-Michel Fourgous : Aux 40 milliards budgétés par Jacques Barrot s’ajoute la transformation de 40 autres milliards d’aides à l’emploi. Parallèlement, une baisse des charges entraîne automatiquement une hausse du PIB. Or un point de PIB représente 80 milliards de francs. En permettant à la quatrième puissance marchande d’être plus compétitive, on agit directement sur l’emploi. C’est un phénomène indiscutable. Lorsqu’en 1986 le gouvernement de Jacques Chirac a baissé les impôts, l’effet sur l’activité et l’emploi a été immédiat. Ma recommandation doit permettre la création de 400 000 emplois nets dans le secteur marchand. Il s’agit de vrais emplois, non subventionnés par l’impôt, eux-mêmes démultiplicateurs de richesse de valeurs ajoutées d’exportation, donc à leur tour créateur d’emplois. Mais seul un homme ayant une expérience d’entreprise peut comprendre ces mécanismes.
Le Figaro économie : Une incertitude demeure toutefois encore dans vos calculs concernant environ 80 milliards.
Jean-Michel Fourgous : Nous estimons à environ 80 milliards les économies possibles sur les mesures actuelles, à 50 milliards la hausse induite des recettes, et à 70 milliards le retour financier résultant de la création d’emplois. Au bout du compte, baisser les charges massivement rapporterait plus que cela ne coûterait.
Gilles de Robien : Tout cela n’est qu’espérance ! Le fait que cela rapporte un point de PIB reste à démontrer. La baisse des charges sociales doit donc être un élément parmi d’autres : il est très important mais pas déterminant. L’Allemagne, dont le coût salarial est supérieur de 30 % au nôtre, est un peu plus handicapée, mais son taux de croissance est supérieur à celui de la France. Il n’y a donc pas de relation directe entre le coût salarial et la croissance. Inversement, c’est vrai, l’Angleterre, dont le coût salarial est inférieur, bénéficie de délocalisations. Il n’existe pas, en tout cas, de règles intangibles ou de preuves formelles démontrant que la baisse des charges entraîne une augmentation du PIB. Si cette règle existait, j’y souscrirai immédiatement. Néanmoins, en tant que chef d’entreprise et en tant qu’élu, je suis tout à fait favorable à la baisse des charges.
D’ailleurs la loi du 11 juin 1996 le prouve bien. Il ne s’agit pas en effet d’une loi sur la seule réduction du temps de travail mais d’une loi qui allie baisse de charges, réduction du temps de travail et création d’emplois. C’est la reconnaissance de la capacité des entreprises à se moderniser.
En outre, la loi du 11 juin coûte infiniment moins cher que ce qui vient d’être présenté. Enfin, en se basant sur un rapport du ministère du Travail, une baisse de 10 milliards de francs créerait 14 000 à 50 000 emplois sur 5 ans. Soit, hélas ! 5 fois moins que ce qu’espère Jean-Michel Fourgous.
En donnant une aide financière aux entreprises, sans contrepartie, on prend le risque qu’elles l’utilisent pour se désendetter, pour se reconstituer de la trésorerie ou améliorer leur compte d’exploitation – le but de l’entreprise est effectivement d’améliorer son compte d’exploitation –, mais rien n’assure quelles utiliseraient cette aide pour créer des emplois. Or nous ne pouvons plus nous permettre de créer des mécanismes onéreux dont on espère seulement d’éventuels résultats en matière d’emploi.
Les entreprises ne s’y trompent pas. Le succès immédiat de la loi du 11 juin auprès des chefs d’entreprise, balayant d’un revers de main les arguments de certaines institutions patronales, montre bien qu’ils ont trouvé là une réponse pragmatique, leur permettant de gagner des points de productivité en réorganisant leurs entreprises. Ils acceptent la contrepartie : la création d’emplois.
C’est un triplé gagnant pour le chef d’entreprise, le salarié et enfin la collectivité, puisque cela coûte moins cher qu’un chômeur.
Le Figaro économie : N’est-il pas dangereux d’affirmer que l’économie peut continuer à se développer en diminuant le temps de travail, alors que le contraire se produit dans le monde entier ?
Gilles de Robien : Je ne propose pas que l’on travaille moins mais que l’on soit beaucoup plus nombreux à travailler… Sinon il est toujours possible de travailler 15 heures par jour et de mettre trois millions de salariés supplémentaires au chômage. Ce sont les 5 millions de personnes exclues du monde du travail et les 15 ou 20 millions d’autres qui se sentent menacés qui plombent l’esprit d’entreprise en France. En outre, il est faux de dire que les autres pays travaillent de plus en plus. Que fait le Japon si ce n’est du partage du travail en laissant les femmes à la maison ? Les Américains, même sans parler de petits boulots, ne créent pas des emplois à 40 heures par semaine, mais à 20 ou 25 heures. Les Pays-Bas – autre pays à faible taux de chômage – ont trois fois plus de travailleurs à temps partiel que nous. Enfin, la Grande-Bretagne ne voit son taux de chômage diminuer qu’en raison de la forte baisse de sa natalité il y a 20 ans. Les pays qui gagnent sont les pays dont la nation se sent encore mobilisée et qui est collectivement au travail.
Le Figaro économie : Mais la baisse du temps de travail n’incite-t-elle pas à développer le travail au noir ?
Gilles de Robien : Le développement du travail au noir est lié à la hausse du chômage, sauf à penser que le temps libre développe le travail au noir. Si c’était le cas, faisons travailler les gens 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, c’est absurde ! Plus les salariés seront nombreux, et moins il y aura de travail au noir.
Jean-Michel Fourgous : Pour un chef d’entreprise, produire au Mexique représente une économie de 90 % sur le coût du travail, de 30 % aux États-Unis, de 45 % en Grande-Bretagne, de 70 % au Portugal et de 40 % en Espagne. Ces chiffres sont peut-être contestables, mais c’est à partir de ces données qu’un chef d’entreprise décide ou non d’investir. L’époque des spécialistes de l’économie administrée est révolue. Seule la compétence et l’expérience en économie marchande peuvent apporter un vrai plan d’action pour l’emploi.
Gilles de Robien : La première entreprise qui a signé une convention de réduction du temps de travail est en pleine croissance et fait 70 % de son chiffre à l’étranger. Elle a créé 60 emplois. Et pourtant elle appartient à la branche métallurgique, la plus hostile à ma loi. La deuxième entreprise, une PMI-PME de 30 employés en pleine croissance également, a créé 6 emplois. Voilà des réponses concrètes de PMI-PME, exportatrices et en pleine croissance.
Jean-Michel Fourgous : J’admets que la loi Robien est une bonne mesure et qu’il faille l’expérimenter. Mais, en même temps, écoutons ce que disent les entrepreneurs. Sont-ils des partenaires ? À l’Assemblée nationale, le premier lobby est un lobby de 211 députés fonctionnaires. Même chose dans les cabinets ministériels, composés à 80 % de personnes venues exclusivement du public, sans aucune expérience de l’entreprise. Aujourd’hui, les entreprises – dont les ressources sont amputées de plus de 50 % par l’État qui opère des prélèvements sociaux et fiscaux – bataillent sur « le front » de la guerre économique alors que l’administration vit dans « les abris ». Au milieu, il y a des renforts et l’État les monopolise entièrement pour protéger sa propre famille (SNCF, Crédit lyonnais, Crédit foncier…). Ceux qui gèrent ces renforts appartiennent exclusivement à la famille administrative. Comme l’a dit Einstein, « on ne peut pas résoudre les problèmes avec les personnes qui les ont créés ».
Quand écoutera-t-on les entreprises plutôt que les technocrates, qui vont systématiquement choisir la mesure la moins chère pour l’État quelle que soit son efficacité sur l’emploi ? Les statisticiens du ministère du Travail sont incapables de projeter ce que va réellement rapporter une mesure fiscale ou sociale car ils ne comprennent rien aux mécanismes marchands étant eux-mêmes formés exclusivement à l’économie administrée.
Gilles de Robien : Nous avons décidé une mesure forte pour l’emploi dont le bilan pourra être dressé dans un an tant en termes d’expérimentation que de coût. Il s’agit d’une vraie mesure créatrice d’emplois. J’espère bien que ce coût sera également, comme vous le dites, comptabilisé de façon dynamique, c’est-à-dire en termes de coûts et de recettes.
Jean-Michel Fourgous : Alors que la loi du 11 juin répond à une logique de transfert, nous proposons pour notre part une logique de conquête et de valeur ajoutée.
Gilles de Robien : Nous sommes nous aussi dans une logique de conquête. À revenu égal, la consommation augmente de 30 % en remplaçant des chômeurs par des salariés. Je prêche la baisse des charges, avec contrepartie.
Jean-Michel Fourgous : Toute l’action de Bercy est fondée sur la défiance, le mépris des hommes et de l’économie marchande… L’entreprise incarne le « mal », même s’il s’agit d’un mal nécessaire. Le fait que les diagnostics soient établis pour l’essentiel par des hommes qui n’ont jamais vu une entreprise de leur vie est significatif. La première qualité d’un homme d’entreprise est sa capacité à mobiliser l’énergie des autres.
Le Figaro économie : La réduction du temps de travail peut-elle s’appliquer à l’ensemble du personnel, y compris les cadres ?
Gilles de Robien : Regardez Claude Bébéar, le patron d’Axa : il déclare travailler quatre jours par semaine, or nul ne lui conteste son esprit entrepreneurial. Vous pouvez appliquer cette réduction par année, par semaine, par jour… Ma loi offre une grande latitude pour permettre aux partenaires sociaux de négocier entre eux.
Le Figaro économie : À quelle échéance pensez-vous, l’un et l’autre, pouvoir obtenir des résultats en matière d’emploi, alors que les élections approchent ?
Gilles de Robien : Le problème du chômage est trop grave pour en faire un thème de propagande électorale. Il faut remettre les gens au travail. Cela dit, si le regain de croissance attendu se confirme, la loi du 11 juin doit permettre d’inverser la courbe du chômage vers la fin de 1997.
Jean-Michel Fourgous : Un pays comme la France peut, s’il le veut vraiment, trouver les 148 milliards nécessaires à la baisse des charges. La majorité des sommes économisées par la baisse des charges sera réinvestie. Dans une entreprise, 1 + 1 égale 4, alors que pour l’État 1 + 1 égale 2, voire 1 et même 0. Autrement dit, une entreprise qui investit 20 millions de francs obtient 80 millions de francs de chiffre d’affaires supplémentaires. Il faut faire confiance aux chefs d’entreprise. Encore faut-il les comprendre et les aimer.