Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur le Médiateur de la République, à l'Assemblée nationale le 6 février 1998.

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Circonstance : Colloque sur le Médiateur de la République à l'occasion du 25ème anniversaire de l'institution, le 6 février 1998

Texte intégral

Monsieur le Médiateur de la République, cher Jacques Pelletier,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Mesdames et Messieurs,

Depuis 25 ans, le médiateur de la République fait vivre deux systèmes antagonistes, celui de l'initiative personnelle et celui de la règle commune, avec pour souci de lutter contre les risques d'arbitraire et de développer les libertés. À en juger par l'augmentation du nombre de saisines une centaine la première année, 45 000 l'an dernier votre création, pardonnez-moi ce mot d'allure biblique, répondait à une véritable attente. Elle était une réponse à la complexité croissante des rapports sociaux, de la vie administrative et des procédures démocratiques.

Assister dans leurs démarches, dans leurs problèmes, dans leur vie en somme, nos concitoyens, a une forte signification. Toute société a besoin de soupapes, en particulier lorsqu'elle est confrontée à des bouleversements économiques et sociaux, lorsqu'un nombre de plus en plus important de ses membres est affaibli, « déboussolé » notamment par les conséquences du chômage et de la précarité. Comment engager des démarches parfois compliquées lorsqu'on est soi-même en situation difficile, vis-à-vis d'administrations qui, par définition, connaissent surtout des cas généraux ? Comment oublier que malgré l'adage, beaucoup ignorent la loi ? Comment ne pas s'apercevoir que, si je puis dire, la consommation de justice et de droit, comme celle de santé et d'éducation est un comportement culturel et qu'il y faut des adjuvants et des correctifs ? De ce point de vue, le médiateur, c'est un peu d'équité dans un monde souvent déshumanisé. Soyez en félicités et remerciés.

Remettre du contact dans la sécheresse des normes ou des textes, retisser du lien social dans des relations personnelles, adoucir la confrontation et la brutalité dans notre organisation collective, pour faire en sorte qu'un individu ne subisse pas ce que même l'intérêt général ne viendrait pas justifier. La cohésion sociale, le respect des lois en dépendent. Dans cette optique, l'institution déjà ancienne des délégués départementaux, qui permettent de répondre au plus près de la demande sociale a été une heureuse initiative. Proximité et efficacité, c'est votre démarche. Chacun devrait s'en inspirer.

Le développement considérable des systèmes de médiation soulève cependant un paradoxe. N'est-ce pas, dans une certaine mesure, une façon de prendre acte, de s'habituer à la maladministration ? N'est-ce pas, d'une certaine façon, marquer une forme d'échec dans la relation entre le citoyen et l'État ? Un échec de la loi ? Je ne le crois pas. L'intervention du médiateur est utile et légitime, elle suppose que le mode habituel de règlement des différends n'a pas permis de parvenir à une solution, que le fonctionnement d'un service ou d'une institution a généré blocages et incompréhensions. Cela devrait amener chacun à s'interroger. Le législateur fait-il des lois assez efficaces et adaptées ? L'administration est-elle tout à fait comprise des usagers ? L'entreprise publique offre-t-elle aisément à ses clients la réponse à leurs attentes ?

En réalité, si la médiation constitue une des voies de règlement des litiges, probablement l'une des plus intelligent., elle est un moyen de les régler, mais pas systématiquement de les prévenir. L'ignorance du droit en est souvent la cause. Qui peut prétendre, en 1998, connaître dans toutes les situations de sa vie personnelle et professionnelle, les normes qui s'imposent à lui, lorsque plusieurs milliers de lois, plusieurs centaines de milliers d'actes réglementaires de toutes sortes sont en vigueur ? En réaction, nos concitoyens pourraient finir par exprimer un refus non des conséquences de la loi, mais de la loi elle-même. J'attire l'attention sur cette forme d'inflation que nous n'avons pas vaincue, alors qu'elle ne dépend que de nous : l'inflation législative et réglementaire. Je l'ai dit au Gouvernement qui en est conscient mieux vaut au Parlement voter une bonne loi chaque mois qu’« expédier » un texte de plus chaque semaine. Oui aux priorités de fond, non à toute logorrhée législative : trop de lois tue la loi. Il finit donc y remédier.

En rendant le droit plus lisible et compréhensible. En collaboration avec le Gouvernement et la Commission supérieure de codification, nous avons décidé qu'un groupe de travail allait se réunir régulièrement, sous la direction de la Présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, des membres de la Commission supérieure de codification, des parlementaires et des fonctionnaires de l'Assemblée nationale, pour accélérer le travail de codification. Nous essaierons ainsi de revenir à l'esprit de Portalis : qu'en un code, en un livre, toutes les règles rassemblées tiennent le citoyen informé.

Second chantier : la simplification administrative. Deux axes de travail me semblent devoir être privilégiés. Voici quelques semaines, le Gouvernement a décidé la déconcentration de plusieurs centaines de procédures administratives, en application du principe de subsidiarité ; c'est un pas en avant. Mais la route est encore longue que doit parcourir notre vieille Nation jacobine. D'autre part, on devra s'attacher à réduire le nombre des autorisations et déclarations diverses, en vigueur dans notre pays. Si elles paraissent nécessaires pour un esprit cartésien, si elles étaient justifiées dans un État qui devait mieux s'ancrer, sont-elles toujours concrètement pertinentes et pratiquement applicables ? Non ! Elles conduisent en réalité, ce luxe de procédures censées permettre un meilleur contrôle par la puissance publique de certaines activités, par leur lourdeur même, à manquer leur objectif.

En troisième lieu, communiquer, décrire, expliquer, expérimenter, évaluer est devenu aussi important que de concevoir, décider et appliquer. Si les nouvelles technologies de la communication vont aider, dans un avenir proche, à faire circuler plus facilement l'information, un important effort de formation reste nécessaire.

Simplification, déconcentration, formation des hommes, donc. Grâce à toutes ces pistes, je crois qu'il doit être possible de réduire la distance des citoyens face à des mécanismes qu'ils ne maîtrisent pas, qu'ils comprennent parfois difficilement. Progresser en cette matière, ce sera réduire les tensions et les conflits, faire disparaître le sentiment de vivre une injustice. La construction européenne rend plus impérieuse encore cette évolution. Plus d'Europe ne doit pas signifier pour nos concitoyens davantage de complexité.

Enfin, soyons francs, la demande de médiation ne dépend pas uniquement des litiges mais de la quantité et de la qualité de l'offre de médiation. Les trois ombudsmen suédois sont aidés, entourés, démultipliés par une véritable administration et un budget conséquent. Vous, vous êtes seuls ou presque. Par ailleurs, vos décisions, vos avis, vos recommandations sont parfois objet de contentieux devant les juridictions, singulièrement le Conseil d'État. Ainsi la boucle est bouclée, l'équité est rattrapée par le droit. Je sais la logique de ce schéma. Sans doute est-il différent de l'esprit dans lequel l'institution voici 25 ans fut créée. L'essentiel est le citoyen, le respect du droit et de la démocratie. Il est encore des avancées à accomplir.

Certains disent : dans un monde parfait, la médiation ne serait probablement plus nécessaire. Peut-être, pour un peuple d'anges comme le disait Jean-Jacques Rousseau, sans toutefois espérer un jour le rencontrer. Parce que les difficultés de vie d'un nombre toujours croissant de nos concitoyens rendent nécessaire un effort constant d'écoute et de dialogue, le Médiateur - les médiateurs - seront plus que jamais les raccommodeurs du tissu social, ceux qui en retissent jour après jour les déchirures. Aristote, déjà, souhaitait que règne dans la Cité en vertu de médiation. Elle consistait en un juste milieu, un équilibre de la sagesse entre les parties. C'est un grand défi, une forte responsabilité. Monsieur le médiateur, Mesdames et Messieurs, soyez remerciés par le législateur d'œuvrer, ici et maintenant, à l'établissement de cet équilibre et de cet humanisme indispensable dans notre République !