Texte intégral
France 2 - mercredi 3 novembre 1999
G. Morin : Le Gouvernement sans D. Strauss-Kahn, c’est comment ?
D. Vaillant : C’est moins bien parce que D. Strauss Kahn, vous le savez, était un excellent ministre de l’Économie et des Finances. C’est avec regret que nous le voyons partir, provisoirement je l’espère. Mais sachez qu’avec C. Sautter, on a un homme de qualité et on aura la continuité dans la politique de redressement du pays telle que le Gouvernement dans son ensemble et particulièrement D. Strauss-Kahn l’avaient fait depuis deux ans et demi.
G. Morin : Dans les indications politiques données par Matignon, mais dans l’image qu’il donne de la France à l’étranger, dans les relations avec les milieux industriels, c’est différent quand même ?
D. Vaillant : C. Sautter était secrétaire d’État au Budget, il devient ministre de l’Économie et des Finances, il va prendre toute la mesure de cette charge et j’ai tout à fait confiance en lui. C’est un homme de talent, de conviction, de grande rigueur. Je crois qu’il n’y a aucun soucis à se faire pour l’économie française avec C. Sautter.
G. Morin : Sur D. Strauss-Kahn vous disiez « provisoirement sans lui ». Vous pensez que son absence peut être de quelle durée ?
D. Vaillant : Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que D. Strauss-Kahn a fait preuve d’un grand esprit de responsabilité, lui dont on connaît la compétence, l’image aussi. Il a préféré prendre cette décision personnelle, concertée mais personnelle, pour éviter toute nuisance à la politique économique du pays, à l’intérêt général et à celui du Gouvernement, alors qu’il n’est en rien présumé coupable. Il a préféré prendre cette décision. C’est peut-être une première qu’un homme politique de tout premier plan prenne cette décision politique et personnelle courageuse. C’est peut-être le signal aussi d’un exemple donné en termes de démocratie et de moralisation de la vie publique. Ce geste courageux de mon ami D. Strauss-Kahn est très important et je tiens à le saluer.
G. Morin : Exemple donné à qui ?
D. Vaillant : A beaucoup de gens qui manifestement, n’ont ni la même élégance ni le même courage. Mais je les laisse à leurs responsabilités.
G. Morin : Enfonçons plus le clou : vous êtes élu parisien et vous faites allusion à ce qui se passe à l’hôtel de ville de Paris ?
D. Vaillant : Je fais allusion à tout ce qui alimente la vie politique dans ce pays, tous les jours, et aussi à Paris, c’est vrai.
G. Morin : Vous dites que Tibéri pourrait avoir le même panache que Strauss-Kahn ?
D. Vaillant : Je ne fais pas de commentaire sur l’attitude du maire de Paris en général.
G. Morin : Néanmoins, pour parler de Paris, on présentait D. Strauss-Kahn comme un possible candidat tête de liste socialiste aux municipales. S’il est en difficulté, s’il est absent de la scène politique, que se passe-t-il pour vous ? Cela vous met en difficulté ?
D. Vaillant : D. Strauss-Kahn a démissionné volontairement de sa responsabilité ministérielle, il n’a pas démissionné d’un poste qu’il n’avait pas ou d’une candidature qui n’était avérée. Les socialistes et la gauche à Paris, le moment venu, désigneront leur tête de liste dans les arrondissements. C’est une élection municipale qui n’est pas au premier degré. Et puis pour celui qui portera les couleurs de la gauche à Paris, on verra le moment venu. Ce moment n’est pas venu,, personne n’est qualifié et personne n’est disqualifié. Il y a une opposition à Paris, avec notamment B. Delanoë. Nous nous battons sur des valeurs, sur des engagements, sur des convictions, sur une éthique. Je pense que là aussi, certains pourraient en prendre de la graine.
G. Morin : Ça peut-être D. Vaillant aussi le chef de file ?
D. Vaillant : Je suis ministre des Relations avec le Parlement, mon souci est d’agir aux côtés de L. Jospin et en même temps, ma responsabilité de maire d’arrondissement - Je ne suis pas maire d’une commune, je suis maire d’un arrondissement, celui du 18ème - est de m’occuper d’abord de cet arrondissement.
G. Morin : Sur le PS et la Mnef, on n’a quand même pas épuisé complètement le sujet. Il y a des personnes qui sont mises en cause, en tout cas citées comme J.-M. le Guen et J.-C. Cambadélis. Comment allez-vous voir évoluer ce difficile rapport PS-Mnef ?
D. Vaillant : D’abord, il n’y a pas de rapport Parti socialiste-Mnef. Très franchement, j’ai vu, y compris sur des médias, faire l’assimilation entre Mutuelles des étudiants de France et Parti Socialiste. C’est totalement erroné, c’est totalement abusif. Si telle ou telle personnalité, par ailleurs engagée politiquement, est concernée, eh bien ces personnes auront elles-mêmes à prendre des décisions éventuellement, mais ce n’est pas le cas, il n’y a pas de mise en cause. Je ne comprends pas que l’on fasse cette assimilation.
G. Morin : Des citations ?
D. Vaillant : Oui. Mais moi je ne connais pas le dossier. Ce que je sais c’est que la justice suit son cours, ça n’était pas toujours le cas avant. Elle est indépendante, comme l’a dit le Premier ministre hier. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Il n’y a pas d’assimilation à faire avec le Parti socialiste qui est parfaitement respectueux du financement des partis politiques depuis que les lois de financement, à son initiative, ont été prises. Manifestement, ce n’est pas le cas de tout le monde.
G. Morin : Un petit mot sur le Parlement : le projet de loi des finances sur la Sécurité sociale a été voté, avec l’abstention des communistes qui ont menacé de voter contre. Vous avez évité de justesse une crise dans la majorité plurielle ?
D. Vaillant : Le ministre des Relations avec le Parlement est content de sa majorité parce que, depuis le début de la session des votes, les débats s’exercent à l’Assemblée et la majorité reste bien majoritaire. Les communistes ont fait comme l’année dernière et l’année précédente, ils se sont abstenus sur la loi de financement de la Sécurité sociale. Ce qui était parfaitement prévisible et convenu. Ils ont voté le loi de Finances initiale, en partie recettes. Donc, la majorité va continuer à soutenir le Gouvernement qui gouverne.
G. Morin : Ils ont failli faire une bêtise…
D. Vaillant : Ils ne l’ont pas faite.
G. Morin : Bruxelles : vous vous réjouissez de ce qui s’est passé entre les Français et les Britanniques à propos du Bœuf ?
D. Vaillant : Le dialogue se poursuit. L’hypothèse qu’un compromis soit envisageable est une bonne chose. Je crois qu’il est trop tôt encore pour se réjouir.
Europe 1 - mercredi 3 novembre 1999
J.P. Elkabbach : La réforme de la justice, qui renforce l’indépendance totale des magistrats, sera-t-elle présentée à Versailles ? Vous avez entendu J.-P. Delevoye (premier invité de J.P. Elkabbach, ndlr).
D. Vaillant : Je suis un peu surpris. Il y a une écrasante majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat pour voter cette réforme du CSM. Le Président de la République convoque le Parlement le 24 janvier à Versailles. Je n’imagine pas que les parlementaires conséquents émettent un vote différent à quelques mois de distance.
J.P. Elkabbach : Donc vous la présentez ?
D. Vaillant : Cette réforme a été votée par le Parlement. Maintenant c’est au Congrès de décider s’il l’acte ou s’il ne l’acte pas. Pour rebondir sur la question que vous posiez à M. Delevoye, il y a un vrai souci d’indépendance justement du Parquet pour que les instructions se passent à la fois dans le secret mais en même temps avec le respect de la présomption d’innocence. La responsabilité des juges et des magistrats doit être engagée davantage. A la suite de cette réforme constitutionnelle, il y aura une loi d’organisation du Conseil supérieur de la magistrature et la question de la responsabilité des magistrats, notamment en matière de communication, doit être traitée. Il faut alourdir la responsabilité des magistrats.
J.P. Elkabbach : La bourse n’a pas bougé hier sinon à la hausse. Comment vous l’expliquez ?
D. Vaillant : Je pense que le Gouvernement, depuis deux ans et demi avec D. Strauss-Kahn, a redressé le pays. On le voit bien à la croissance et à l’emploi. C’est une œuvre collective. D. Strauss-Kahn y a joué un rôle majeur. Chacun le reconnaît. D’ailleurs je constate, et je m’en réjouis, que la droite y compris reconnaît que c’est un bon ministre qui nous quitte, mais je l’espère, provisoirement. Il y a donc continuité et avec C. Sautter, ce sera la continuité. Donc il n’y a pas de risque.
J.P. Elkabbach : Cela veut dire que la politique économique du Gouvernement de gauche plurielle ne penchera pas plus à gauche ?
D. Vaillant : Non. Il n’y aura pas déséquilibre. Nous resterons sur la même voie du redressement, de l’efficacité économique mais aussi du progrès social parce que les deux bouts de la chaîne doivent être absolument tenus.
J.P. Elkabbach : Deux questions au porte-parole du Gouvernement, je vais vite : sur France 2, la Garde des Sceaux a déclaré hier, textuellement : « Je vous dis ce qu’il y a dans les investigations des magistrats, D. Strauss-Kahn est innocent.» Elle connaît si bien les dossiers ?
D. Vaillant : Je n’en sais rien. En tout cas moi, je ne les connais pas.
J.P. Elkabbach : Est-ce que cela vous semble normal ?
D. Vaillant : Ce que je sais, c’est que la décision de D. Strauss-Kahn est politique, elle est personnelle même si elle a été concertée. Il préserve l’intérêt général économique du pays et du Gouvernement.
J.P. Elkabbach : Ce n’est pas le sens de ma question.
D. Vaillant : J’ai bien compris.
J.P. Elkabbach : Est-ce que cela vous semble normal que le ministre de la Justice dise, au moment où elle parle de l’indépendance des magistrats : « D. Strauss-Kahn est innocent », ce qu’il est peut-être, je n’en sais rien.
D. Vaillant : Je le souhaite vivement. Il y a un doute, comme le disait M. Delevoye tout à l’heure. C’est ce climat de suspicion qui a conduit D. Strauss-Kahn à prendre sa décision courageuse. Mais évidemment, la Garde des Sceaux est peut-être plus au courant que moi de ce qu’il y a dans un dossier. Je n’en sais rien.
J.P. Elkabbach : Ah ?
D. Vaillant : Il y a des rapports. Il y a le rapport de la Cour des comptes qui existe et qui est public, d’une certaine manière. Donc, j’imagine que c’est sur ces bases-là.
J.P. Elkabbach : D. Strauss-Kahn a souhaité s’expliquer rapidement devant la justice sur tout son travail, ses honoraires, etc. Il a ajouté : « sur les irrégularités de forme qui ont pu être commises. » Commises par qui ?
D. Vaillant : La justice va faire son travail. Elle est indépendante, elle n’est en rien entravée, vous le savez, avec ce Gouvernement, et cela est très positif. Je veux simplement faire remarquer que les faits qui pourraient être reprochés à D. Strauss-Kahn - parce que ce n’est pas le cas, il n’y a pas de mise en cause, il n’y a pas de mise en examen -, remontent à 1984. Il n’était ni ministre ni parlementaire, je vous le signale, ni d’ailleurs maire de Sarcelles.
J.P. Elkabbach : En écoutant la droite depuis hier, pensez-vous - et pensiez-vous-même avant - que la Mnef serait une bombe à retardement à effets multiples ?
D. Vaillant : Je n’en sais rien du tout. Ce que je sais, c’est qu’il n’y a pas de lien entre le PS et la Mnef tel que je le vois ici ou là. C’est faux.
J.P. Elkabbach : Il faut faire attention.
D. Vaillant : Il n’y a pas d’assimilation.
J.P. Elkabbach : Cela veut dire que si ce n’est pas le financement du PS, quelques-uns en ont profité à titre personnel ?
D. Vaillant : Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que le PS n’a pas bénéficié de quoi que ce soit du côté de la Mnef.
J.P. Elkabbach : Est-ce que les autres élus du PS qui sont à titre personnel concernés se comporteront comme D. Strauss-Kahn ?
D. Vaillant : Qui seraient concernés. Je ne sais pas s’ils le seront ou s’ils ne le seront pas. Ce que je sais, c’est que le comportement de D. Strauss-Kahn est exemplaire en matière de démocratie et en matière de responsabilité.
J.P. Elkabbach : Dans Libération, il y a un papier de S. July qui reprend une idée que l’on retrouve dans beaucoup de journaux : « pour le Gouvernement moral, ce départ marque la fin d’une époque : celle de l’innocence. »
D. Vaillant : M. July est bien libre d’écrire ce qu’il veut. C’est cela la liberté de la presse. Je ne suis pas sûr de partager ce sentiment. Je crois qu’il y a dans la décision de D. Strauss-Kahn justement de la morale et donc il ne faut quand même pas inverser la problématique.
J.P. Elkabbach : Ce matin, il ne siégera pas au Conseil des ministres, à l’Élysée. Qu’est-ce que vous allez ressentir les uns et les autres ?
D. Vaillant : Évidemment de la tristesse. Il va nous manquer bien évidemment, même si C. Sautter, je le redis devant vous, est un homme de grande qualité et qui va, dans la continuité de ce qu’avait fait D. Strauss-Kahn, assurer et avec talent.
J.P. Elkabbach : Même si je vous l’arrache, c’est quand même un coup, non ?
D. Vaillant : Bien évidemment, je ne vais pas le nier. C’est un coup dur et je le souhaite encore une fois que l’innocence de D. Strauss-Kahn puisse être prouvée et qu’il revienne très vite.