Interview de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, dans "Le Figaro Magazine" du 15 février 1997, sur l'autorisation de commercialisation du maïs transgénique et la législation communautaire notamment l'étiquetage des produits.

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Média : Le Figaro Magazine

Texte intégral

Le Figaro Magazine : L’Union européenne vient d’autoriser la commercialisation du maïs génétiquement modifié de Ciba-Geigy. Pensez-vous que ces végétaux, sur lesquels on a greffé des gènes d’une autre espèce, sont indispensables pour l’agriculture de demain ?

Philippe Vasseur : Dire qu’ils sont indispensables, c’est aller un peu vite en besogne. Mais certains agriculteurs, et je dis bien certains seulement, y voient des avantages : avantages économiques en raison de l’accroissement des rendements. Je pense d’ailleurs que ce gain est plus faible qu’on veut bien le dire. Avantages alimentaires où certains mettent en avant la meilleure résistance à la conservation ou l’accroissement des qualités nutritionnelles. Avantages pour l’environnement puisque certaines variétés se passent d’herbicides. Mais, dans tous ces domaines, les OGM (organismes génétiquement modifiés) ne sont pas l’unique réponse : un plan pour produire plus propre, un accroissement de la qualité, ou des rendements, sont tout à fait possibles avec des méthodes plus traditionnelles. Ceci n’est pas une prise de position de ma part. C’est un simple constat. D’ailleurs, il y a un débat au sein même des agriculteurs. Certains veulent préserver leur manière « naturelle » de produire. D’autres se croient en danger face aux Américains.

Le Figaro Magazine : Ont-ils raison ?

Philippe Vasseur : D’abord, ces derniers sont loin de faire l’unanimité. Les rendements ont une importance considérable dans la compétition mondiale. Et, il est exact que les États-Unis ont une longueur d’avance. La France n’est pas absente, mais nous avons, nous, un préalable absolu, c’est de privilégier la santé publique, de privilégier l’information du consommateur. Alors, nous sommes prudents, quitte à être cinq à dix fois plus lents que les États-Unis à commercialiser ces produits. Aujourd’hui, certains producteurs raisonnent comme si le consommateur moyen était prêt à accepter n’importe quoi. Et si ce dernier devenait méfiant, à l’échelle de la planète, à l’égard des OGM ? Leurs avantages annoncés risquent tout simplement d’être réduits à néant. Peut-être même, le consommateur boycottera-t-il les produits en provenance de certaines zones – comme la Chine, par exemple – où il existe un recours incontrôlé à ces OGM. La compétitivité par le prix n’est certainement pas le seul élément qui permet de faire une performance.

Le Figaro Magazine : Justement, vous venez de mentionner la Chine qui développe la culture des OGM, sans se préoccuper des conséquences, car elle doit absolument nourrir son milliard d’hommes. Est-ce à dire que ces produits sont une solution à la faim dans le monde ?

Philippe Vasseur : Avant de faire appel à ces cultures modifiées génétiquement, il faut regarder quelles sont les autres solutions : foire évoluer le mode de cultures traditionnelles dans les pays où la faim existe encore, améliorer les exportations de l’Europe vers ces pays, et la PAC (la politique agricole commune) est très restrictive en la matière. Peut-être à très long terme, vers 2050, les OGM pourront-ils être utiles pour aider à diminuer les famines, s’il en subsiste.

Le Figaro Magazine : Les écologistes, une partie des scientifiques, estiment qu’il n’y a pas eu suffisamment de recherche sur les conséquences des produits transgéniques, sur l’homme et sur l’environnement…

Philippe Vasseur : Cela dépend de quel végétal on parle. Sur le maïs qui vient d’être autorisé, les études ont été très poussées. Je ne dirais pas la même chose de tous les OGM. Et, je rappelle que leur mise sur le marché fait appel à une procédure très lourde équivalente à celle d’un médicament. Dans ce cas précis, les chercheurs se sont prononcés pour. Mais il faut s’entourer d’un maximum d’avis et surtout jouer son rôle d’homme politique. Les scientifiques n’avaient même pas songé à l’information du consommateur et au problème de l’étiquetage. Au moindre doute, il faut pouvoir faire marche arrière. La santé publique est une priorité absolue. Vous savez bien que le risque zéro n’existe pas. Il est impossible de bloquer tout progrès car nous serions écrasés par les autres. Mais on ne peut pas faire aveuglément confiance à la science. N’oubliez pas que je suis le premier ministre de l’agriculture à être également ministre de l’alimentation. Mon premier devoir, c’est d’assurer une alimentation saine à tous les Français. J’ai donc le droit d’être prudent et d’informer le consommateur.

Le Figaro Magazine : Mais la législation européenne (voir encadré page 39) est un peu floue en la matière…

Philippe Vasseur : Pour montrer notre volonté de défendre le consommateur français, nous avons devancé l’appel et nous sommes le premier pays européen à avoir publié un décret très précis – le 2 février dernier – sur l’étiquetage des produits. Et, je veux aller plus loin. La loi sur la qualité sanitaire des denrées alimentaires va être discutée les 18 et 19 février prochains, à l’Assemblé nationale. Je vais déposer un amendement pour introduire cette obligation d’étiquetage dans la loi. Par ailleurs, l’INRA vient de mettre au point un test qui permet de détecter, en quarante-huit heures, les OGM présents dans les produits en vrac. Sur ceux-là, il est clairement inscrit « contient des OGM ». Les fraudeurs prendront de gros risques. Le cas de certains aliments transformés est plus complexe. Sur des corn-flakes importés, par exemple, on ne retrouve plus les OGM. À chaque fois qu’il y a impossibilité de vérification, il nous est difficile d’imposer un étiquetage. Mais il faut aussi envisager des étiquetages positifs « garantis sans OGM ». Nous devons vraiment donner au consommateur tous les éléments pour qu’il puisse faire son choix en connaissance de cause. Actuellement, le Conseil national de l’alimentation, qui compte dix représentants des principales associations de consommateurs, réfléchit sur les meilleurs modes d’information possibles. Il rendra ses conclusions à la fin du trimestre.

Le Figaro Magazine : Vous voulez privilégier l’information, mais les consommateurs se plaignent de ne pas être suffisamment associés aux décisions.

Philippe Vasseur : C’est vrai, il n’y a qu’un seul de leur représentant à la commission de génie biomoléculaire (CGB) qui est surtout une instance scientifique. Mais nous songeons soit à l’élargir, soit à donner, en la matière, un rôle plus important au Conseil national de l’alimentation.

Le Figaro Magazine : Dans les laboratoires, se concoctent des animaux transgéniques, certains pour la recherche, mais d’autres devraient finir dans nos assiettes…

Philippe Vasseur : Il y a des barrières à ne pas franchir. Je suis pour les biotechnologies, mais si on doit créer des moutons à six pattes pour obtenir plus de gigots ou des truites aveugles pesant dix fois le poids normal, je dis « danger ». Nous ne devons pas jouer les apprentis sorciers et, dans ce cas, un cap philosophique et éthique est franchi. Il est bon de remettre l’éthique dans la pratique politique.