Texte intégral
Monsieur le Rapporteur général,
Mesdames, Messieurs,
Le plaisir que j’ai de me trouver parmi vous ce matin, pour ouvrir ces 7èmes Rencontres parlementaires sur l’épargne, se double d’une satisfaction relativement rare, le sentiment de remonter le temps. C’est en effet en 1989 que la Commission des Finances a organisé la première journée parlementaire consacrée à l’épargne et à l’investissement.
Répondant à l’invitation de son président d’alors, Dominique Strauss-Kahn, je m’étais réjoui d’une initiative contribuant à « rénover les méthodes de travail » du Parlement et à « faire à nouveau de l’Assemblée le lieu du débat politique ». Le climat qui s’empare de l’hémicycle certains jours me donne à penser que mon vœu de débat a été exaucé, parfois même au-delà du souhaitable…
Comment se présente, en 1998, le problème de l’épargne ? L’intitulé retenu par mon ami Didier Migaud « L’épargne à l’heure des changements » résume bien la situation. Le monde de l’épargne est en pleine évolution, entre la révolution de l’euro, dont on commence seulement à mesurer les conséquences tous azimuts ; les adaptations fiscales, qui peuvent modifier profondément l’affectation, voire le niveau de l’épargne ; des restructurations d’envergure, qui bouleversent les réseaux de collecte ; sans même parler des bourrasques financières, venues d’Asie ou d’ailleurs, qui incitent à la prudence dans nos prévisions et nos actions.
Sur ces sujets, vous allez bénéficier, au long de cette journée, de l’éclairage des spécialistes que vous êtes. Aussi, me contenterai-je d’évoquer quelques thèmes et propositions, compte tenu d’un exposé que je veux assez bref.
Première opposition, la France et l’Europe doivent absolument dégager une épargne suffisante et stable.
Si l’on tient aux indicateurs habituels, les pays européens disposent aujourd’hui d’une épargne abondante. Avec 21% du PIB, l’épargne globale de la zone euro dépasse de cinq points le niveau américain. S’agissant des transactions courantes, l’Europe affiche un excédent important et croissant, 120 Mrds $, alors que le déficit de la balance américaine se creuse depuis 15 ans, pour atteindre l’an dernier le chiffre massif de 180 Mrds $.
Pourtant, jusqu’à présent les Européens n’ont pas tiré suffisamment avantage de cette épargne abondante pour financer leur économie au moindre coût. C’est que les États-Unis disposent, grâce au dollar, d’un privilège, donner le « la » sur les marchés des changes et des taux. L’arrivé de l’euro devrait, je l’espère, progressivement rééquilibrer la donne.
D’où l’enjeu que va représenter, dans les années à venir, la constitution d’une épargne à la hauteur de nos besoins. Enjeu d’autant plus décisif que l’abondance européenne est relative. Car par rapport aux années 60, le taux d’épargne globale a chuté de 5 points et, en comparaison des Japonais par exemple, les Européens apparaissent comme de modestes épargnants. L’épargne n’est suffisante que parce que l’investissement, malheureusement, est encore languissant. En France, la F.B.C.F. n’avait toujours pas retrouvé, en 1996, son niveau de 1990, même en francs courant ! Le taux d’investissement des sociétés a chuté à moins de 16% de leur valeur ajoutée. Or, la reprise économique en Europe aura besoin de capitaux afin de financer une croissance saine et durable.
J’ajoute que cette épargne devra être suffisamment stable pour répondre aux besoins de long terme, des ménages comme des entreprises. A cet égard, je veux saluer l’initiative récente prise par le gouvernement en faveur des contrats d’assurance-vie qui s’investiront en actions. On évoque souvent la nécessité de renforcer les fonds propres des entreprises, d’améliorer le financement des PME, ou de soutenir le capital-risque, voilà une mesure qui doit s’avérer utile. Si une partie substantielle des 2.300 Mrds F placés en assurance-vie bascule sur ces nouveaux contrats, le financement de l’économie française s’en trouvera amélioré. A condition que cette manne serve à stimuler l’émission d’actions nouvelles, plus qu’à faire seulement grimper les cours. En tous cas, je le redis avec force : nous avons besoin d’une épargne suffisante et stable.
Deuxième orientation – liée à la première -, la fiscalité de l’épargne doit être raisonnable, c’est-à-dire supportable.
Diverses mesures prises dans le passé, tant en loi de finances qu’en loi de financement de la Sécurité sociale, ont alourdi les prélèvements sur l’épargne. Il n’était pas aisé, il est vrai, d’enrayer une dérive des comptes publics excessive et incompatible avec l’entrée dans l’euro, ni de réformer un financement de la protection sociale générateur de chômage. Malgré cela et après la rechute de 1996, où les ménages avaient dû puiser dans leur épargne pour soutenir leur consommation, on a assisté en 1997 à une remontée du taux d’épargne. Le choix légitime de ne pas ponctionner les revenus salariaux y a incontestablement contribué.
Je pense, néanmoins, que la fiscalité de l’épargne, sous réserve de certains aménagements, a aujourd’hui atteint et parfois même dépassé ses limites. Je n’ignore pas qu’au Conseil ECOFIN du 1er décembre dernier, les Européens se sont mis d’accord sur une harmonisation de la fiscalité de l’épargne, et je souhaite que l’on avance dans les deux directions suggérées par le rapport du commissaire Monti : une retenue à la source minimale, une coopération renforcée entre les administrations fiscales des membres. Mais je demeure méfiant, car je sais que l’accord des ministres des Finances est assorti de fortes réserves et qu’il y a loin entre un accord de principe sympathique et une directive européenne qui doit adoptée à l’unanimité.
C’est pourquoi, la prudence étant la mère des vertus, je souhaite et je demande que les réflexions qui s’engagent sur la fiscalité de l’épargne et du patrimoine soient empreintes de sagesse et de modération. Il y a des rééquilibrages à opérer, c’est incontestable, mais je ne voudrais ni que le régime favorable de l’épargne soit financé par un matraquage fiscal des actifs, ni qu’on assiste à des délocalisations intra-européennes massives d’épargne, ni que l’unification monétaire soit l’occasion de faire s’envoler l’épargne française, celle qui subsiste, vers des paradis fiscaux hors Europe. Ce qu’on dit souvent de la fuite des capitaux et des cerveaux hors de France n’est, je le crains, pas une intervention de polémiste irresponsable.
Dans le même esprit, il est souhaitable que la majoration de l’impôt sur les sociétés, imposée par les contraintes budgétaires, ne se prolonge pas au-delà du délai prévu. Même si elle s’est améliorée, la rentabilité de nos entreprises reste encore faible par rapport à celle de nos concurrents étrangers et la médiocre capitalisation qui en résulte expose nombre d’entre elles à tomber dans d’autres mains.
Ces principes étant réaffirmés, je voudrais avancer trois orientations, en soulignant toutefois qu’il est moins difficile de modifier l’affectation de l’épargne que son niveau.
* La première orientation concerne la nécessité de redresser l’épargne des administrations. Sa chute, au début des années 80, explique une grande part de la baisse de l’épargne globale. Le redressement impliquera de réduire nos déficits publics, et donc d’engager les réformes structurelles qui permettront de limiter la dépense publique sans réduire la qualité du service public. La modernisation de l’État est à cet égard une exigence centrale, elle suppose, en particulier, que nous avancions dans les domaines trop négligés de l’évaluation et de la meilleure coordination des politiques publiques, budgétaire et sociale.
* Une seconde orientation concerne l’épargne que les Français consacrent à l’acquisition de leur logement. Depuis les années 70, l’effort d’épargne dans ce domaine a été divisé par deux, alors que nos concitoyens maintenaient, avec des hauts et des bas, leur niveau d’épargne financière. La baisse actuelle des taux d’intérêt peut faire remonter l’investissement en logement. Mais, cette conjoncture ne suffira pas à lever les obstacles qui empêchent de nombreux acquéreurs potentiels de franchir le pas, en particulier une insuffisance d’apport personnel, qui empêche les ménages d’emprunter, et une certitude sur l’évolution de leurs revenus futurs, liée au chômage.
Dans cette optique, l’épargne-logement mériterait peut-être d’être revue. Son succès en a fait un produit d’épargne pour beaucoup, et c’est positif, mais il ne faut pas perdre de vue que la vocation première de l’épargne-logement est de faciliter l’accès du plus grand nombre à la propriété. Aujourd’hui, on pourrait envisager d’accorder plus de facilités à ceux qui utilisent l’épargne-logement réellement dans l’optique d’acquérir un logement.
Pourquoi, par exemple, ne pas prévoir un taux de rémunération plus élevé ou une prime d’épargne-logement plus importante ou encore un taux bonifié encore réduit pour ceux qui utilisent l’épargne-logement pour se loger ? On pourrait également envisager que parmi ces accédants, ceux qui ne disposent que de ressources très modestes puissent bénéficier d’avantages supplémentaires, soit en termes de primes, soit en termes d’allongement de durée du prêt. D’une manière générale, il serait normal que les taux des prêts épargne-logement suivent la baisse des taux du marché.
* Une troisième proposition, sur un sujet controversé concerne la création d’un instrument nouveau, que j’appellerai les fonds partenariaux de retraite (F.P.R.). Cette formule ne menacera pas la répartition mais la complétera.
La nécessité d’une épargne salariale longue n’est pas nouvelle. Il y a aujourd’hui urgence à mettre en place de nouveaux outils, capables de faire face à un quadruple défi : préserver durablement le niveau de retraites, renforcer les fonds propres des entreprises, associer les salariés au partage de la richesse créée par l’entreprise, rénover les relations sociales. La pluralité de ces préoccupations conduit à écarter la conception purement financière qui a présidé aux initiatives législatives récentes et à proposer une démarche susceptible de recueillir un assentiment des partenaires économiques et sociaux.
L’épargne salariale connaît depuis quelques années une progression spectaculaire, en particulier depuis la loi de novembre 1990 qui lui a donné une nouvelle impulsion. Près de la moitié des salariés sont aujourd’hui couverts par un mécanisme d’intéressement, de participation, d’actionnariat ou par un plan d’épargne salariale constitue un cadre adapté à la préparation de la retraite et 80%, indique-t-on, seraient prêts à adhérer à un fonds créé par leur entreprise. Les chefs d’entreprise y sont favorables : plus des deux tiers seraient prêts à créer de tels fonds et près de la moitié à modifier les modalités actuelles de leur abondement.
L’épargne salariale apparaît donc comme un cadre particulièrement bien adapté pour créer ces F.P.R. Encore conviendra-t-il de poser, d’entrée de jeu, un certain nombre de principes :
1) La vocation des F.P.R. serait de maintenir un bon niveau de retraites, aujourd’hui menacé par le vieillissement de la population et l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom. Mais, les F.P.R. ne devront pas remettre en cause l’équilibre des régimes par répartition. E qui conduira à adapter en conséquence les avantages fiscaux ou sociaux qui pourront leur être accordés.
2) Les F.P.R. devront à mon sens résulter d’un accord collectif passé entre les partenaires sociaux, et couvrir l’ensemble des salariés de l’entreprise ou de la branche.
3) Les F.P.R. devront permettre de renforcer les fonds propres des entreprises, de manière à réduire les menaces extérieures. La constitution d’un actionnariat salarial stable peut contribuer, comme certaines entreprises en donnent déjà l’exemple, à faciliter le maintien, sur notre territoire, d’un tissu industriel, bancaire, assurantiel dense, mais aussi plus généralement de nos principaux centres de décision.
4) Enfin, les F.P.R. devront permettre de mieux associer les salariés à la gestion même des entreprises, car la qualité du dialogue social est aujourd’hui l’une des clés de la compétitivité économique ? Cela implique que les représentants des salariés soient associés, notamment à la gestion des F.P.R.
A ces conditions, sujettes bien sûr à la discussion et aménagement, les F.P.R. pourraient contribuer à préserver notre protection sociale ainsi qu’à la modernisation de notre économie et de nos relations sociales.
Je crois à « l’économie partenaire », c’est-à-dire a une vie économique et sociale où, au-delà des différences et parfois des divergences inévitables, toutes les parties prenantes soient réunies pour le bien être des habitants et la prospérité du pays. L’épargne est à cet égard une clé, qui peut être améliorée mais ne doit pas être brutalisée.
Bonnes rencontres parlementaires sur l’épargne ! Merci.