Texte intégral
L’HUMANITÉ : Vous avez qualifié la loi de réduction du temps de travail comme un « test pour la gauche ». À quel titre ?
ROBERT HUE : L'enjeu est en effet considérable. Pour les salariés. Pour la société tout entière. Pour la gauche, qui a pris des engagements devant les Français attentifs aux résultats qui seront obtenus, notamment dans le domaine de l’emploi.
Il s'agit en effet tout à la fois de réaliser une avancée sociale marquante, d'accomplir un véritable progrès de civilisation - réduire la durée du travail pour que les salariés puissent vivre mieux - et de contribuer à faire reculer de façon significative le chômage, en faisant en sorte que la diminution du temps de travail se traduise par des centaines de milliers de créations d'emplois. Il faut réussir. La loi actuellement en discussion doit donner un cadre légal incitatif permettant d'atteindre ces objectifs.
Réussir, cela va nécessiter beaucoup d'efforts. À l'Assemblée nationale, pour que la loi soit la meilleure possible. Et, au-delà, dans tout le pays, face aux pressions, aux obstacles dressés par le grand patronat et la droite. Évidemment, les communistes y prendront toute leur part : dans le débat d'idées pour réfuter les thèses de l'ultralibéralisme et montrer la nécessité et la possibilité de réussir la réforme, comme dans l'action pour que, partout, celle-ci se traduise bien par le passage aux 35 heures sans diminution des salaires, et avec les formations et créations d'emplois qu'il doit permettre.
L’HUMANITÉ : Le CNPF affirme qu’il est entré en résistance contre les 35 heures. Ne peut-il tout faire échouer ?
ROBERT HUE : Incontestablement, le CNPF s’est donné les moyens d’engager une véritable guerre contre les 35 heures. Sans craindre, d'ailleurs, de se placer sur le terrain politique en affirmant l'objectif de faire échouer la gauche.
Il n’est cependant pas en son pouvoir d'empêcher que la loi soit votée. D'autant que la majorité peut s'appuyer sur le vote des Français en juin. Mais il inspire visiblement la campagne contre certaines dispositions prévues dans la loi. Par exemple celle - proposée par les députés communistes - prévoyant un dispositif de contrôle de l'utilisation des fonds publics donnés au patronat comme incitation à la création d'emplois. C'est évidemment insupportable pour le CNPF et son président de combat !
Au-delà, le grand patronat, les milieux dirigeants du capitalisme financier ont engagé la bataille d’idées que je viens d’évoquer. Et, je le répète, les communistes prendront toute leur part dans l’affrontement avec leurs thèses visant à convaincre les Français de l’impossibilité de réussir la réforme, ou, à tout le moins, de la nécessité de la vider de son contenu transformateur.
On voit bien sur quels terrains s’engage l’affrontement d’idées. D’abord sur la question du pouvoir d’achat. Personne ne doit s’y tromper : ce qui est en cause, ce n’est pas la possibilité pour les grandes entreprises de financer la réduction du temps de travail sans diminution des salaires. On connaît la hausse spectaculaire des profits de l’état des trésoreries de ces entreprises… Et les moyens existent - sans doute y reviendrons-nous au cours de cet entretien - pour permettre aux PME-PMI de trouver, elles aussi, les financements nécessaires. Ce qui est en cause, c’est en fait la théorie ultralibérale qui prétend qu’il faut « abaisser le coût du travail » - c’est-à-dire, en clair, peser à la baisse sur les salaries - pour relancer l’économie. Ce n’est pas seulement une théorie, c’est hélas la réalité des politiques salariales menées durant les deux dernières décennies. On en connaît le résultat : le pouvoir d’achat s’est affaibli, la consommation également, et avec elle la croissance, entraînant des licenciements massifs, le développement monstrueux du chômage. Contrairement à ce que prétend le CNPF, c’est la pression sur le pouvoir d’achat qui met en difficulté les entreprises ! Réduire le temps de travail en créant des emploies sans diminution des salaires - et cela ne concerne pas seulement le SMIC mais l’ensemble des salaires - c’est, au contraire, un moyen efficace de la relance de l’économie.
Deuxième terrain de l’affrontement d’idées : celui de la flexibilité et de l’« annualisation ». En réalité, à défaut de pouvoir faire échouer la réforme, le CNPF voudrait la dévoyer : grâce à la flexibilité, il échapperait à l'obligation de créer des emplois, et il reprendrait d'une main davantage même que ce qu'il serait obligé de lâcher de l'autre avec les 35 heures. Et là encore, on se heurte à l'une des thèses majeures de l’ultra capitalisme : la déréglementation du travail, l'abrogation de tous les acquis des salariés serait le nec plus ultra de la « modernité ». On sait au contraire d'expérience qu’il s'agit en fait de véritables reculs de civilisation qui, à la fois aggravent les conditions de travail et d'existence de millions de salariés et provoquent toujours davantage de chômage et de précarité.
Décidément, tout invite les communistes à déployer leurs efforts pour combattre ces thèses du CNPF et de la droite. On voit bien comment, si elles l'emportaient, la réforme pourrait être détournée contre les salariés, au profit du capitalisme financier et de sa politique aux effets déjà si dévastateurs pour le pays et la société.
J'en reviens d'un mot à la loi en cours de discussion. Elle doit offrir un cadre de négociation ouvert, et, en même temps, fixer des garde-fous pour les salariés et les garanties sociales. C'est la condition pour qu'elle enclenche une dynamique de créations d’emplois.
L’HUMANITÉ : Lionel Jospin affirme que la société doit reposer sur le travail. Dans le même temps, la Bourse de Paris atteint des sommets, les grands groupes affichent des profits records tout en annonçant des licenciements. N’y-a-t-il pas un fonctionnement social à remettre sur ses pieds ?
ROBERT HUE : Il faut appeler les choses par leur nom : c'est le capitalisme qui est en cause. Le capitalisme tel qu'il est aujourd'hui, sacrifiant tout à la finance - tout, même les entreprises ! - et fondant précisément ses « progrès » en matière de profits financiers sur les reculs sociaux, les reculs sociaux, les reculs de civilisation qu’il impose à la société, et sur la pression contre les salaires, contre l’emploi, contre les dépenses sociales.
Alors, effectivement, le changement - le changement pour répondre aux attentes de notre peuple, aux espoirs qu'il a placé dans la gauche - implique de s'orienter vers une politique de plein-emploi et de progrès social, à l'opposé des politiques de chômage, de précarité et de baisse de pouvoir d'achat voulues par les puissances d’argent.
Il ne faut pas se le cacher : réussir le changement implique de s'en prendre au cœur même de ce capitalisme financier, à tous les mécanismes mis en place ces vingt dernières années pour que l'argent aille d'abord et de plus en plus massivement à la finance, pour y faire encore davantage d'argent sans créer d'emplois mais au contraire en les détruisant.
On le voit, le parti communiste a fait depuis plusieurs années de cette question de l'orientation de l'argent vers l'emploi et le progrès social plutôt que vers la finance un axe majeur de ses propositions. C'est naturel parce que nous sommes communistes, avec une visée, un projet pour le développement de notre société. Une visée qui fait de la personne humaine la priorité des priorités et implique pour cela que l'on s'attache à « remettre sur ses pieds », comme vous le dites, le fonctionnement social aujourd'hui détourné vers l'argent pour l'argent, « confisqué » au seul profit d'un capitalisme de plus en plus prédateur.
Nous ne sommes pas surpris de voir aujourd'hui ce problème venir au premier plan pour trouver des solutions permettant de répondre aux attentes des Français. Cela contribue sans doute à souligner l'utilité de l'apport des propositions communistes à la réflexion, à l'élaboration et à l'action de la majorité plurielle.
L’HUMANITÉ : Vous avez évoqué sur TF1 la mise en place d'un Pacte unitaire pour l'emploi. De quoi s'agit-il ?
ROBERT HUE : Rappelons-le encore une fois : la gauche est attendue sur les résultats qui seront obtenus notamment en matière d’emploi.
J'ai dit précédemment toute l'importance à mes yeux de la nécessaire réussite de la réduction du temps de travail. Je pense que les hommes et les femmes de gauche, les formations de gauche et écologistes doivent se mobiliser et intervenir ensemble partout, à tous les niveaux, pour que la réforme entre réellement dans la vie, en créant le maximum d'emplois possible. Et, dans le respect de la personnalité, des idées et des positions de chacun, contribuer à ce que toutes celles et tous ceux qui le souhaitent - qu'il s'agisse de citoyens agissant à titre individuel ou d'organisations, d’associations - puissent participer à cette mobilisation pour changer les conditions de travail et de vie et faire reculer le chômage.
Mais au-delà des 35 heures, je pense qu'il faut aussi se mobiliser ensemble partout dans le pays pour construire dans la vie une politique dynamique de créations d’emplois.
Certes, nous n'avons pas tous les mêmes idées sur les mesures à mettre en œuvre pour créer des emplois. Et il faut continuer à en débattre. Mais il est possible de contribuer ensemble, dans les entreprises et les bassins d'emplois, dans les localités, les départements, les régions, à faire se confronter les acteurs de la vie économique et sociale afin d' évaluer les besoins à satisfaire répondre aux demandes des populations avec les emplois et les formations que cela nécessite, et d'examiner concrètement, avec les administrations, les banques et institutions financières les possibilités de financement. Notamment les possibilités d’aide aux PME-PMI - par exemple en faisant baisser sensiblement leurs charges financières par le moyen de crédits à faible taux.
C'est avec la conviction qu'une telle mobilisation pour une véritable « croisade de l’emploi » est à la fois nécessaire et possible que j'ai parlé à la télévision d’un pacte unitaire pour l'emploi et la formation.
Beaucoup de citoyens nous demandent : « Que peut-on faire pour l'emploi ? » Je propose que les forces de la gauche plurielle créent ensemble les conditions pour que ces hommes et ces femmes puissent intervenir efficacement.
Et au moment où beaucoup d'entre eux s'interrogent sur l'utilité du vote qu'ils pourraient émettre le 15 mars pour les élections cantonales et régionales, je crois nécessaire de leur montrer que si nous voulons le succès de la gauche plurielle dans le plus grand nombre possible de régions et de départements, c'est pour disposer des moyens indispensables afin d' organiser avec eux la bataille pour la création d'emplois. C'est d'ailleurs dans l'esprit même des grandes orientations définies dans l’accord national du 22 janvier entre les formations de la majorité plurielle pour les élections régionales. Le pacte pour agir ensemble afin de gagner sur le terrain ces créations d'emplois, les candidates et candidats de la gauche plurielle peuvent aussi le conclure avec les électrices et les électeurs. Leur vote pour des élus qui travailleront avec eux pour réaliser les 35 heures et créer et financer les formations et les emplois correspondant à leurs besoins prendra alors tout son sens. Il aura toute la force de l'utilité pour eux et pour la société.
L’HUMANITÉ : Vous avez évoqué à plusieurs reprises le besoin de « réformes structurelles ». À quelles fins, quels en seraient les effets, et surtout comment pourraient-elles être réalisées ?
ROBERT HUE : Les réformes structurelles que j'évoque en effet souvent sont de deux ordres : celles qui permettraient d'orienter l'argent autrement, et celles qui donneraient aux citoyens les moyens réels d'intervenir pour que les décisions prises à tous les niveaux aillent bien dans le sens de la réponse positive aux attentes qu'ils expriment.
Je veux en évoquer quatre parmi celles qui me paraissent les plus essentielles.
Il me semble d'abord indispensable de modifier en profondeur la structure des revenus dans notre société. Il n'est pas supportable que les profits et les grandes fortunes progressent grâce à la pression sur les revenus du travail.
Il y a là une question de solidarité nationale. Chaque citoyen, actif, retraité ou privé d'emploi, doit se voir reconnu dans les faits le droit de vivre dignement. Il faut donc relever les salaires, retraites et minima sociaux. L'argent existe pour cela, on ne doit plus permettre qu'il soit détourné et accaparé par quelques uns. C'est aussi affaire de bonne gestion économique : le faible niveau de vie de la majorité de la population asphyxie la croissance et pèse contre l’emploi.
Je viens d'affirmer que l'argent existe pour cela. C'est ce qui fonde la nécessité de la seconde réforme structurelle que je veux évoquer : celle de la fiscalité et du crédit. Il est révoltant de constater que la fiscalité s'est alourdie ces dernières années pour les salariés et les ménages alors que les profits financiers ont été épargnés. On sait que le PCF a proposé le doublement de l'impôt sur les grandes fortunes, ainsi que la taxation des mouvements de capitaux, qui permettront à la fois des recettes nouvelles et de mieux maîtriser les flux financiers. On en comprend l'utilité quand on mesure la masse énorme des capitaux partis en fumée dans la crise boursière asiatique.
Par ailleurs, nous sommes favorables à une fiscalité modulée des entreprises : favorisant celles qui créent des emplois et paient de bons salaires et pénalisant celles qui licencient, délocalisent et refusent de payer correctement les salariés. Et nous pensons qu'une réforme du crédit allant dans le même sens, c'est-à-dire favorisant les entreprises créatrices d’emplois, est devenue urgente.
La troisième réforme que je veux évoquer concerne les structures de l'activité économique de la France. Il faut inverser les priorités : au lieu du « tout à la finance », il convient d'investir dans le développement des industries, des services, des recherches et des formations nécessaires pour répondre aux besoins de la population et du pays. Les entreprises et services publics peuvent jouer un rôle moteur pour cette politique de développement du potentiel national aujourd'hui sacrifié au nom de la « rentabilité financière » des capitaux.
La quatrième réforme, à mes yeux urgente, est la mise en place de droits nouveaux pour les salariés dans les entreprises, et pour les citoyens :. droit à l'information, à la transparence sur l'utilisation de l'argent, notamment des fonds publics. Et droit d'intervention dans toutes les décisions qui concernent l'emploi et la formation.
J'ajoute que c'est avec le même esprit que nous préconisons un effort de la France pour réorienter la construction européenne vers le progrès social et l’emploi.
Comment réaliser ces réformes ? Je crois que ce que nous avons évoqué à propos des 35 heures et de l'emploi est valable dans les autres domaines : il faut à la fois des initiatives, des décisions de la majorité et du gouvernement, et une mobilisation des citoyens pour les faire entrer dans la vie.
Là encore, permettez-moi d'évoquer le vote de mars prochain. Il sera, je pense, vraiment utile et efficace que les électrices et les électeurs qui ont dit « non » à la droite en juin dernier et élu une majorité de gauche pour faire une autre politique confirment leurs choix le 15 mars et réaffirment leur volonté que cette politique nouvelle soit menée à bien.
L’HUMANITÉ : Vous êtes depuis quatre ans à la tête du PCF et son image s'est améliorée. Mais pour l'instant, il n'a pas capitalisé cette sympathie en termes d'audience. Alors, quel est son bulletin de santé ?
ROBERT HUE : Je pense que s’il y a toujours « sympathie » - et nous ne nous en plaignons pas, il ne faut pas bouder son plaisir en la matière ! - il y a aujourd'hui un élément nouveau et que je pense important : davantage que la sympathie, s’affirme une reconnaissance grandissante de la place originale du parti communiste dans la société, et donc de son utilité. Il est présent, et bien présent dans les débats actuels. Et je pense que son rôle de trait d'union entre le mouvement social et l'action gouvernementale est apprécié bien au-delà de son électorat.
Cela étant, il y a encore beaucoup à travailler pour faire percevoir la nécessité que son audience se renforce. Être constructifs dans la vie, au quotidien et pour ce qui touche à l'avenir du pays, être unitaires pour que le changement avance et réussisse. Être un parti bien ancré dans la société, porteur des aspirations au changement et de l'exigence de respect et d'intervention. Répondre aux urgences et les inscrire dans la visée de la transformation sociale. C'est ainsi, me semble-t-il, que le parti communiste peut faire la preuve de son utilité et reconquérir la confiance des électeurs à la mesure de son capital de sympathie, notamment dans la jeunesse.
L’HUMANITÉ : Dans la presse, le PCF a été souvent voué à une réunification avec le PS, soit au statut de poil à gratter social. Comment concevez-vous son rôle et son utilité ?
ROBERT HUE : Dans la majorité, nous voulons être le « pôle de la réussite sociale ». Avec le mouvement qui s'est développé autour des chômeurs, on a, je pense, mieux mesuré l’apport propre du PCF, sa spécificité.
L'expérience que nous sommes en train de vivre montre qu'il est possible d'être à la fois porteur des révoltes, des angoisses, des attentes fortes de l'opinion, et partie prenante de l'action gouvernementale, avec des propositions constructives et efficaces.
Je pense même que ce rôle de trait d’union, de relais citoyen, est une chance pour la gauche.
C'est sans doute une de nos grandes responsabilités, comme parti communiste en France, aujourd'hui, de contribuer à combler l'écart entre le pouvoir et les citoyens, entre ceux qui gouvernent et le peuple. Ce fossé est une des raisons de la crise de la politique. Le PCF a une fonction à assumer pour réduire cette crise. Parce que communiste, il a mis au cœur de son projet le rôle des êtres humains, des citoyens pour impulser la politique qu'ils souhaitent voir mettre en œuvre. Et aussi parce que communiste, ses propositions visent non pas à aménager le capitalisme mais à faire triompher d'autres logiques pour transformer la société afin de permettre l’épanouissement - le droit au bonheur, tout simplement - des hommes et des femmes, des jeunes de France.
Un communisme qui ne peut que rimer avec humanisme.
Or, c'est précisément la mise en cause des logiques ultralibérales et l'engagement sur une autre voie donnant la priorité aux êtres humains qui est à l'ordre du jour pour que la gauche puisse répondre aux attentes de notre peuple.