Interview de M. René Monory, président du Sénat et président du Conseil général de la Vienne, dans "Le journal du dimanche" le 3 novembre 1996, sur la mobilisation des acteurs locaux pour la lutte contre le chômage et son action personnelle pour l'emploi dans la Vienne.

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Média : Le Journal du Dimanche

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Le Journal du Dimanche : La lutte contre le chômage ne passe pas, ou plus, par des mesures nationales qui souvent en s'additionnant deviennent perverses, se retournent contre l'objectif. Elle passe par la décentralisation, l'action cas par cas, et le respect de trois principes dans le dialogue, l'humanisation et le coup de pouce.

René Monory : Tout commence par le dialogue avec les syndicats, qui eux pourtant croient encore aux vertus des mesures nationales. Si on les consulte, s'ils voient des résultats, ils ne s'opposent pas, ce qui est déjà bien.

Ensuite, il faut s'occuper de chacun en particulier faire du sur mesure. La formation par exemple, c'est bien mais les chômeurs n'ont pas toujours de vélo ou de voiture pour rejoindre un centre de formation. Il faut donc que les formateurs se déplacent eux-mêmes et que les collectivités locales sachent les accueillir. Et puis c'est un peu comme pour les RMistes, j'ai créé dans la Vienne ce que j'appelle des commis voyageurs, des agents municipaux ou départementaux qui ne les lâchent pas, parlent avec eux, les convoquent sans arrêt, ne font que cela.

Le Journal du Dimanche : Et l'État ne sait pas faire ça ?

René Monory : Non, regardez les aides au premier emploi des jeunes, les APEJ : elles ont été supprimées car elles ne marchaient pas. Pourquoi elles ne marchaient pas ? Parce que personne ne s'en occupait. Moi, j'ai réuni tous les syndicats, les organismes patronaux, chambres consulaires, préfet et sous-préfet et posé 20 millions sur la table. Ils ont joué le jeu, sont devenus chacun acteur de la dynamique et ça marche bien. Je cherche maintenant à affiner le dispositif mais souvent la loi nous gêne. Par exemple, un contrat à durée déterminée (CDD) ne peut dépasser un an, or pour un jeune envoyé à l'étranger, c'est trop court. Il faudrait très vite un décret permettant d'allonger des CDD. Le gouvernement a dit qu'il était d'accord.

Enfin, il faut organiser les « coups de pouce » pour la création d'entreprise. 20 % des jeunes voudraient créer leur entreprise. Il faut encourager leur goût du risque, ce que les banques détestent bien sûr. J'ai créé, en liaison avec des organismes financiers, des prêts d'honneur de 30 333 à 100 000 F. Il y a sept ans, par exemple j'ai fait un prêt à deux cadres pour monter une société, aujourd'hui, ils sont 92 dans l'entreprise. Je fais par exemple de l'élevage d'entreprises : à partir d'un bâtiment vide et d'un grand hangar aménagé. J'ai 20 espaces pour accueillir des « entrepreneurs ».

Une trentaine d'entreprises se sont créées là et durent encore. Mais, si l'on voulait me chercher des noises, on pourrait relever que l'argent public ne doit pas être transformé en argent à risque. Pour éviter de nous mettre ainsi aux marges de la loi, le gouvernement pourrait très vite autoriser les « expériences ».

Le Journal du Dimanche : Et cela vous coûte combien ?

René Monory : Il ne faut jamais raisonner comme ça. Si l'on mettait 400 000 chômeurs au travail, il n'y aurait plus de déficit de la Sécu. Depuis 1986, le solde des créations et pertes d'emplois dans la Vienne est de + 6 000 à 7 000 emplois. Rapporté à l'ensemble, cela ferait 850 000 emplois en plus !