Déclaration de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, sur les problèmes d'environnement posés par l'agriculture, Paris le 29 janvier 1997.

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Circonstance : Journée FNSEA - APCA "Agriculture - environnement - santé" à Paris le 29 janvier 1997

Texte intégral

Messieurs les présidents,
Messieurs les directeurs,

C'est avec plaisir que j'ai accepté de participer à cette journée consacrée à réfléchir sur des thèmes d'actualité et déterminants pour l'avenir de l'agriculture et sa place dans la société.

Je vous remercie de me donner ainsi l'occasion de vous faire part de mes préoccupations et de mes intentions à ce sujet.

C'est tout d'abord un souci du long terme. La stratégie du développement durable que je mène vise à concilier progrès social, développement économique et environnement. L'agriculture est en soi une des meilleures illustrations de ce qu'il faut faire et ne pas faire pour réussir à préserver l'avenir. Les dérapages actuels de l'agriculture moderne montre, s'il en était besoin, que certains vieux principes devraient rester d'actualité. La crise de la vache folle ne serait pas apparue si l'homme n'avait pas transformé ces ruminants en carnivores.

C'est également un souci du dialogue. Je crois que la concertation est une donnée fondamentale qui permet de progresser et de surmonter les difficultés. Celle-ci ne réussit pas toujours, mais je suis persuadée qu'elle reste un des moyens privilégiés pour mutuellement se comprendre. Vous savez que je suis toujours prête à recevoir les responsables de vos organisations professionnelles. Cela est très constructif car nos réflexions de fond se rejoignent souvent sur beaucoup de dossiers.

Enfin, il y a un problème d'équité. Équité entre agriculteurs, entre eux vis-à-vis des zones vulnérables ou du PMPOA, équité des aides à l'agriculture, équité du citoyen devant la réglementation. Je crois que c'est un principe fondamental, et je tiens à le faire respecter.

Garantir la sécurité alimentaire de la planète, de toute la planète, en établissant de véritables solidarités mondiales, préserver l'environnement et d'abord les ressources naturelles, fournir des emplois limitant de ce fait les fractures sociales, occuper l'espace et participer à l'aménagement du territoire, tels sont les enjeux majeurs de votre profession qu'ensemble nous pouvons relever.

La mise en œuvre de ces grands principes, dont la future loi d'orientation de l'agriculture devrait jeter les premières bases en reconnaissant la tri-fonctionnalité des espaces ruraux : production, environnement et rôle social, à l'instar des espaces forestiers, par une assise législative, doit s'inscrire dans le prolongement des conclusions de la conférence de Rio dont nous allons cette année célébrer le cinquième anniversaire en établissant un premier bilan des actions déjà engagées. Assurer les besoins du présent en préservant l'avenir doit être demain la ligne de conduite de l'agriculture.

Conduire une réforme efficace de l'agriculture impose de définir ce que doit être l'agriculture que souhaite la France. Ce véritable enjeu de société a déjà fait, et fera encore, l'objet de débats nationaux associant l'ensemble des partenaires potentiels à l'occasion des prises de décisions majeures telles que les consultations organisées à l'occasion de l'élaboration du plan national de développement durable ou du schéma national d'aménagement et de développement du territoire. Plusieurs pistes peuvent être explorées, ces pistes doivent correspondre à la prise en compte des préoccupations environnementales dans les pratiques agricoles.

D'abord, il importe de mettre un terme à une certaine forme d'intensification dont nous mesurons maintenant pleinement les effets pervers tant en termes économiques, en termes sociaux, en termes d'occupation du territoire, qu'en termes de pollutions.

Les consommateurs s'interrogent sur la qualité des produits qui leur sont proposés et le drame de la vache folle a mis en lumière les dangers d'une fuite en avant vers la productivité et l'industrialisation de la production agricole.

De ce fait, les pratiques agricoles intensives sont montrées du doigt et c'est l'image de notre agriculture modernisée qui est ternie. Beaucoup d'entre vous ressentent cela comme une injustice car ils aiment leur métier et font de réels efforts pour améliorer leurs pratiques.

Les consommateurs réclament à présent une information sur les techniques de production et le président de la République vient récemment de rappeler son attachement à l'étiquetage des produits fabriqués à partir d'organismes génétiquement modifiés.

L'organisation d'une telle journée, et la qualité des débats prouvent, s'il en était besoin, que la profession agricole a compris le message et s'engage fermement dans la satisfaction de ces nouvelles exigences exprimées par les consommateurs.

Je voudrais à présent vous préciser mes intentions à propos de certains dossiers d'actualité.

Vous connaissez mes préoccupations devant la dégradation de la qualité de l'eau notamment en Bretagne et les mesures que j'ai été amenée à prendre. Nitrates et produits phytosanitaires défrayent régulièrement la chronique.

La maîtrise de la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole s'inscrit dans le cadre de la directive nitrates et de la réglementation des installations classées. Depuis plusieurs années, la profession s'est préoccupé du problème et mène des actions locales telles que Ferti-Mieux. Le CORPEN a permis, à travers tous les partenaires, de faire passer les messages techniques. Il faut maintenant accentuer l'effort et mettre en œuvre des programmes d'action dans toutes les zones vulnérables.

Le débat sur la réglementation en matière de nitrates ne doit pas aboutir à une démobilisation. Au contraire les mesures préventives nous éviteront le recours au traitement généralisé. La démarche agronomique qui est adoptée doit montrer son efficacité et il appartient à la profession de prouver qu'elle est capable de maîtriser ce type de pollution.

Dans le chapitre des nitrates, je veux évoquer le problème spécifique des élevages et le programme d'accompagnement le PMPOA. En effet, la maîtrise des pollutions est aujourd'hui une nécessité pour plusieurs milliers d'entre eux.

Le succès de ce programme conduira à consommer en 1997 trois fois les enveloppes initialement prévues. En effet, cette année la participation de l'État, qui se situait dans les toutes premières estimations autour de 110 MF, a été portée à 315 MF.

La contrepartie de ce succès, conjuguée avec la nécessaire maîtrise du budget de l'État nous conduira vraisemblablement à adapter les termes de ce programme. Cette adaptation sera discutée avec vos organisations professionnelles et se traduira par la tenue de la conférence de suivi. Celle-ci, qui regroupe les présidents des organisations professionnelles agricoles et les présidents de comité de bassin, se réunira à la mi-mars.

Je tiens à un triple objectif pour le PMPOA :

– en premier lieu, la réduction des pollutions, l'objectif de protection de l'environnement, et notamment des ressources en eau, étant primordial ;
– ensuite, une meilleure application de la réglementation sur les installations classées pour la protection de l'environnement et une restauration de son esprit partout où cela est nécessaire. Mon sentiment est que l'on ne rend pas service aux éleveurs si on les maintient dans une situation inconfortable vis-à-vis de la réglementation ;
– enfin et ce n'est pas le moindre, que ce programme puisse contribuer à protéger les consommateurs. Les éleveurs français doivent volontairement y contribuer, ils ont tout à gagner d'une bonne image de marque.

Je demanderai, avec mon collègue Philippe Vasseur, de veiller au maintien des enveloppes prévues pour les années suivantes afin de ne pas démobiliser tous ceux qui sont de bonne volonté. Je tiens également au fait que les petits éleveurs ne soient pas pénalisés par rapport aux premiers exploitants qui ont pu bénéficier des aides, c'est une question d'équité.

L'effort consenti par le public à travers les financements de l'État, des collectivités, des agences de l'eau et des éleveurs eux-mêmes est considérable, il doit permettre aux éleveurs d'exercer leur activité dans un cadre durable.

Je veux maintenant aborder le problème des produits phytosanitaires. Leur présence dans les eaux superficielles mais également dans les nappes et l'eau de pluie, à des doses parfois supérieures à la norme adoptée par l'Union européenne, mais également par l'Organisation mondiale de la santé, ne peut nous laisser indifférent.

Sur ce sujet, je suis déterminée à agir rapidement. Il y aura bientôt un an que nous avons présenté M. Vasseur et moi-même en Conseil des ministres une communication sur le sujet. Depuis nos services respectifs travaillent pour améliorer la situation. Qu'il s'agisse de l'homologation des produits, de la surveillance de la qualité des eaux, de la formation des hommes, de l'amélioration des pratiques d'application, des progrès doivent être réalisés.

Nous avons demandé aux préfets de région de mettre en place des groupes de travail chargés d'établir le diagnostic de la situation et de proposer les mesures qui s'imposent.

Le retrait du dinoterbe est une toute première étape. Le retrait d'autres molécules doit être envisagé. Les substances les plus anciennes, les plus rémanentes et les plus toxiques ne doivent plus être commercialisées.

Je sais que cela nécessite une réflexion nationale, et je souhaite que des mesures concrètes soient prises rapidement.

Étant vous-mêmes les premiers exposés, comme applicateurs, je sais que vous êtes sensibilisés au danger que représentent ces produits.

Un problème nouveau, mais dont l'ampleur peut avoir de très graves conséquences, est le domaine des organismes génétiquement modifiés. Le principe de précaution doit nous amener à être très prudents vis-à-vis de ces produits et de leur diffusion. L'impact sur les semences devient réellement problématique. En effet, pour ne prendre que deux exemples, il faut d'une part prendre conscience que la sécurité, entraînée par la barrière des espèces, est battue en brèche et d'autre part que les phénomènes de pollinisation peuvent devenir très vite incontrôlables. Ces manipulations du patrimoine génétique peuvent créer des situations totalement inconnues devant lesquelles toute notre technologie risque de rester impuissante. Il faut donc rester très vigilant, c'est une question d'éthique.

D'ores et déjà, il est indispensable pour rassurer les consommateurs de veiller à l'étiquetage des denrées. La traçabilité des produits doit apporter toutes les garanties vis-à-vis de ces « organismes vivants » dont le matériel génétique a été modifié.

Un autre sujet vous préoccupe, c'est celui de l'épandage des boues d'épuration. Sollicités par les collectivités, les agriculteurs épandent une part importante des boues produites assurant ainsi un service à leurs concitoyens.

Aujourd'hui, vous vous interrogez et souhaitez des garanties, soucieux de ne pas compromettre la vocation des sols à fournir des produits de qualité.

Je partage tout à fait cette exigence. C'est pourquoi, j'ai engagé la préparation d'un décret, d'une charte nationale et d'un audit environnemental afin de répondre à la nécessité d'améliorer les conditions de l'épandage des boues en agriculture. Vous êtes associés à ces travaux, et je ne doute pas que nous disposions très prochainement des éléments répondant à vos préoccupations.

La gestion de l'eau est aussi un domaine qui est essentiel pour l'agriculture irriguée. Parce que l'irrigation devient, pendant quelques mois de l'année, l'activité principale qui prélève des ressources en eau sur les rivières et les nappes souterraines, il est fondamental de concevoir une gestion collective et équilibrée de la ressource à laquelle chaque agriculteur adhère.

Je confirme que le comptage de l'eau est obligatoire depuis le 4 janvier 1997 en application de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992 qui avait prévu cinq années de délai pour l'installation des compteurs. Je note avec satisfaction que malgré le retard pris une dynamique se met en place dans les régions où ce problème est préoccupant.

Enfin, et c'est très positif, j'approuve l'initiative de la profession agricole à laquelle je me suis associée avec Philippe Vasseur, de lancer une opération de conseil en irrigation IRRI-Mieux qui prendra en compte la nécessité de cette gestion collective, l'application des SDAGE et la mise en place des SAGE, et celle d'une tarification équitable susceptible de contribuer à une gestion équilibrée de la ressource. Ces opérations permettront également de favoriser les techniques qui limitent au maximum les pollutions diffuses.

Les irriguants auront ainsi une meilleure garantie quant à l'utilisation des ressources en eau et bénéficieront, grâce à la connaissance des prélèvements, d'une meilleure gestion des crises.

Les préoccupations naturalistes dans le domaine de l'agriculture sont orientées vers les deux objectifs majeurs que représentent, d'une part, le maintien ou la restauration des conditions les plus favorables pour la biodiversité et, d'autre part, la lutte contre la déprise agricole en raison de ces incidences en termes de fermeture paysagère et d'exposition aux risques naturels. En ce sens, je le dis et je le répète, l'occupation de l'espace rural par l'agriculture et l'élevage dans leur forme extensive est clairement positive en termes d'environnement car elle contribue à accroître la richesse écologique des milieux concernés.

L'expression de ces deux préoccupations majeures doit se décliner en propositions concourant à une meilleure prise en compte de l'environnement dans les politiques agricole et d'aménagement du territoire, notamment en prenant davantage en compte l'occupation du territoire et la qualité des produits.

Les réflexions conduites sur les aides à la surface doivent avoir pour objectif de maintenir le revenu des agriculteurs même s'ils évoluent vers une agriculture plus extensive. Une telle approche permettrait aussi de privilégier davantage une alimentation de qualité revalorisant les surfaces en herbe.

Le déséquilibre est manifeste au détriment notamment des éleveurs extensifs d'ovins et de bovins. Il faudrait donc réviser les systèmes de soutien et relever le montant des aides destinées aux éleveurs tournés vers l'extensification.

Les désordres évoqués précédemment, intensification et regroupement géographique ne pouvaient qu'accroître le phénomène de désertification des zones les plus difficiles. Ainsi, en plus des conséquences sociales de la déprise au regard de l'emploi et de l'aménagement du territoire, et des paysages, sont apparues de nouvelles menaces aussi diverses que érosions ou incendies de forêts.

Il s'inscrirait dans la continuité de l'intégration des préoccupations environnementales actuellement au cœur des discussions communautaires, notamment dans le cadre du cinquième programme d'action pour l'environnement mais également dans le cadre du livre blanc de la commission sur l'évolution de la PAC dans la perspective de l'adhésion des PECO.

Parmi les objectifs de ce nouveau dispositif d'aides, la régulation de l'offre apparaît primordiale, eu égard aux excédents structurels actuels. En second lieu, mais néanmoins important, vient la nécessité d'améliorer la compétitivité de la filière. Cette contrainte, dépendante du GATT, impose à chaque pays de tirer le meilleur parti de ses avantages, tel est notamment le cas pour la France en termes de surfaces disponibles pour un élevage extensif de qualité. Car c'est bien l'amélioration de la qualité qui doit permettre également une amélioration de la compétitivité de la filière. La qualité attendue est liée à une meilleure alimentation animale, laquelle, sans ignorer un ajustement de l'alimentation aux besoins réels des animaux en fonction des différentes phases de leur croissance, doit désormais associer un recours privilégié à une alimentation traditionnelle à base d'herbe.

Les productions animales permettant généralement une occupation de l'espace dans les zones en difficulté, la prise en compte de la surface dans les aides permettrait de mieux intégrer les objectifs d'aménagement du territoire par une réelle incitation à l'occupation de l'espace, notamment en posant la question de la différenciation des aides en fonction des régions de manière à favoriser le maintien de l'agriculture dans certaines zones, aidant de ce fait au maintien d'un certain tissu rural dans les zones en voie de désertification.

Concernant le maintien de la biodiversité, il semble intéressant d'étudier les conditions permettant de rendre attractif le régime de fiscalité pour les zones faisant l'objet d'une protection forte ou de mesures agri-environnementales. Plusieurs types de mesures pourraient intervenir selon le degré de classement de ces zones et l'impact attendu.

Le deuxième aspect concerne l'occupation optimum du territoire pour lequel il serait souhaitable d'adopter des dispositions permettant de favoriser l'implantation de jeunes agriculteurs dans les secteurs en déprise agricole reconnue. À cet effet, nous suggérons d'étudier les conditions dans lesquelles pourraient être prévus des aménagements fiscaux en faveur de la reprise d'exploitations agricoles pour autant que les pratiques mises en œuvre soient compatibles avec la protection des ressources naturelles, dans une perspective de développement durable.

Je crois que l'agriculture est une des activités qui s'inscrit le mieux dans une stratégie de développement durable. Les problèmes auxquels elle est confrontée aujourd'hui, « vache folle », « OGM » ont montré qu'il ne faut pas perdre à certains la conciliation entre économie, respect de la nature et progrès. C'est pourquoi je suis particulièrement heureuse de constater que dans vos instances, les responsables sont de plus en plus nombreux à prôner une agriculture plus humaine qui s'insère mieux dans son environnement.