Texte intégral
LE JOURNAL DU DIMANCHE le 19 avril 1998
JDD : Comment réagissez-vous aux critiques de Jacques Chirac, qui a estimé que la France ne pouvait faire cavalier seul en Europe en matière de politique économique ?
DSK : D’abord je me réjouis de l’engagement européen réaffirmé avec conviction par le Président de la République en plein accord avec le Premier ministre. Sur les questions économiques, les critiques présidentielles sont cohérentes avec celles souvent formulées par l'opposition de droite. C’est vrai, la politique économique suivie par l’actuel gouvernement marque une profonde rupture avec la précédente. Nous mettons en œuvre depuis un an une stratégie plus moderne, plus sociale, plus solidaire et compatible avec les règles du jeu de la construction européenne.
JDD : Le Président estime qu’il y a aujourd’hui en France « trop d’impôts, trop de bureaucratie, trop de dépenses publiques »…
DSK : Sur des questions budgétaires et fiscales, j'ai cru comprendre que le Président souhaitait un retour à une stricte orthodoxie. Je rappelle d'abord que les gouvernements de droite entre 1993 et 1997 n’ont jamais mis en œuvre l'effort demandé aujourd'hui par le Président, mais au contraire ont relevé les prélèvements et bridé la croissance. Les premières orientations budgétaires 1999, que nous avons présentées récemment, tracent une voie différente qui n'est ni laxiste ni orthodoxe, mais tout à la fois ambitieuse et raisonnable. Des orientations résolument tournées vers nos priorités : la création d'emplois, la lutte contre l'exclusion, la qualité des services publics, bref l’amélioration en profondeur des conditions de vie de nos concitoyens, et cela grâce à une croissance durable et à l'engagement de ne pas augmenter les impôts. Quant à la dette, nous la stabiliserons pour la première fois depuis vingt ans.
JDD : La France va se qualifier pour l'euro puisqu'elle satisfait aux cinq critères de Maastricht. Mais les entreprises françaises sont-elles vraiment prêtes à la monnaie unique et à ses conséquences : une concurrence plus forte ?
DSK : J'ai pu constater que la plupart des grandes entreprises publiques et privées anticipent et se préparent depuis déjà un certain temps avec le plus grand soin pour le passage à l'euro dès le 1er janvier 1999. Pour les PME, PMI, artisans et commerçants, j’ai conscience de l'effort important, quelquefois contraignant, qu'ils doivent fournir pour intégrer l'euro dans leur environnement. Pour les aider, mon ministère a conclu une charte à leur intention, dans laquelle une vingtaine de partenaires s'engagent concrètement à aider ces chefs d'entreprise à se préparer à l'euro. Plus généralement, la monnaie unique sera un atout majeur pour la compétitivité de nos entreprises. En effet, elle diminuera les coûts pour celles qui font des échanges avec les autres pays européens. Par ailleurs, en stabilisant la monnaie, l'euro permettra aussi de maintenir de bas taux d'intérêt favorisant l'investissement et la croissance.
JDD : En quoi l’économie française a plus à gagner qu’à perdre au passage de la monnaie unique ?
DSK : France a choisi la stabilité des changes. Elle a consenti des efforts pour atteindre ce but, d’abord dans les années quatre-vingt, puis plus récemment, lorsque le franc a été attaqué. Elle l'a fait parce qu'elle voulait en finir avec une instabilité monétaire qui perturbait les décisions des entreprises et érodait le pouvoir d'achat des salariés. Avec l'euro, nous allons retrouver une part de souveraineté monétaire. Les taux d'intérêt seront fixés par un collège, où les Français pèseront autant que les Allemands ou les Italiens. C'est infiniment préférable à une souveraineté monétaire un peu illusoire qui se réduit en fait à une soumission aux marchés. Les pays participant à la monnaie unique retrouveront donc une autonomie collective, qui sera un puissant atout dans la concurrence mondiale. Leurs producteurs pourront faire valoir leurs vrais atouts. Quand on joue au football sur un terrain en pente, l'une des deux équipes est avantagée, c'est pourquoi je préfère que le terrain soit plat. Avec l'euro, il le sera. Mais ce ne sera pas une potion magique. Il faudra encore des joueurs pour marquer des buts.
JDD : L'euro ne va-t-il pas accélérer l'évolution de l’économie européenne vers de plus en plus de libéralisme, de déréglementation ?
DSK : Ne confondons pas la mondialisation et l'Europe. La déréglementation n'est pas partie de l'Europe, mais des Etats-Unis, et elle gagne tous les pays du monde. L'Europe, c'est tout le contraire de la concurrence sauvage. C'est un espace organisé avec des règles qui s'imposent à tous les acteurs. Y compris jusqu'à l'excès. Et ceux qui voient dans l'Europe le cheval de Troie du libéralisme sont parfois les mêmes qui s'alarment de sa furie réglementaire. Quant à l’euro, il est vrai qu’il rendra la concurrence plus transparente, parce que les prix de tous les produits seront fixés dans la même monnaie. Mais ce sera une concurrence plus loyale, car plus personne ne pourra changer les règles du jeu au milieu de la partie.
JDD : Ne sous-estime-t-on pas les difficultés que les Français auront à changer de monnaie ? Que peut faire le Gouvernement pour accompagner celle révolution ?
DSK : Cette question est très importante : vous avez raison de parler de révolution dans la vie quotidienne des Français et particulièrement à partir du 1er janvier 2002, date à laquelle le franc s’effacera pour laisser la place à l'euro. J’ai la certitude que le succès de l'euro se jouera autant dans les esprits que dans les mécanismes financiers. C'est pourquoi, en tant que maître d'œuvre de l'euro, j'ai la responsabilité d'amplifier la politique d'information déjà commencée en direction des différents publics pour que chaque citoyen vive l'avènement de l'euro en toute quiétude. Je le ferai dès le début du mois de mai, avant de lancer la frappe des premières pièces en euro le 11 mai, à l'usine de Pessac près de Bordeaux.
Je veillerai notamment à ce que les populations les plus fragiles soient particulièrement bien informées. J'ajoute que de nombreux acteurs, collectivités locales, chefs d'entreprise, organisations syndicales, associations, enseignants, journalistes ont aussi la responsabilité collective de répondre rapidement et clairement aux questions concrètes que ne manqueront pas de se poser nos concitoyens.
JDD : Les commerçants devront-ils recourir dès 1999 au double affichage des prix et souhaitez-vous que les entreprises françaises paient leurs salariés en euro dès l'an prochain ?
DSK : Pendant la période transitoire du passage à l'euro, du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2001, il n'y aura pas d'obligation légale pour les commerçants et prestataires de services d'afficher leurs prix à la fois en francs et en euros. Mais, comme vous pouvez le constater, déjà certaines grandes surfaces, certains magasins, certaines banques libellent leurs prix en euros et, conformément à la recommandation du Conseil national de la consommation, pratiquent un double affichage. Je suis certain que ce mouvement va s'amplifier et c'est une bonne chose pour l'appropriation de la nouvelle monnaie par le plus grand nombre. En ce qui concerne les salaires, les entreprises qui choisiront le « tout euro » établiront leurs bulletin de salaire en euros. Il va de soi que l'établissement des bulletins de salaire en euros ne devra intervenir qu'après une sensibilisation et une information préalable des salariés concernés.
JDD : Que répondez-vous au Fonds monétaire international, qui estimait la semaine dernière qu’avec l'euro, les 35 heures risquaient d'aggraver le chômage en France ?
DSK : Malgré tout le respect que je porte au FMI, cette affirmation est une vieille rengaine de tous les adversaires de la réduction du temps de travail. D'abord, chaque pays reste le maître de sa politique sociale, et cela n'a rien d'incompatible avec l'euro. Cela dit, pour que la réduction du temps de travail soit une arme efficace contre le chômage, qu'elle soit source d'emplois, de progrès social, sa mise en œuvre doit se faire conformément à l'esprit de la future loi avec souplesse et au plus près des réalités professionnelles et économiques des entreprises. Pour cela une seule méthode, la négociation doit absolument se développer avec la volonté des partenaires de conclure des accords conjuguant création d'emplois et compétitivité accrue des entreprises.
France 3 le lundi 20 avril 1998
E. LUCET : Le Premier ministre affirme qu'il n’y aura pas de drame au sein de la majorité plurielle en ce qui concerne l'euro. C'est tout de même un point de divergence fondamental entre vous ?
D. STRAUSS-KAHN : C'est un point de divergence, mais il était connu depuis le début. Il fait partie du contrat de gouvernement, il n'y a pas de surprise.
E. LUCET : Contrat de gouvernement, cela veut dire quoi ? Qu'il y a eu quoi, par exemple les 35 heures contre l'euro ?
D. STRAUSS-KAHN : Non, il n'y a pas eu les 35 heures contre l'euro, mais ceux qui s'étaient déclarés contre la monnaie unique lors du référendum de 1992 - je rappelle qu'il y a eu un référendum sur la monnaie ; il a eu lieu et les Français ont dit « oui » -, eh bien ceux qui étaient contre ont quand même décidé, notamment nos amis communistes ou ceux du Mouvement des citoyens, de participer au Gouvernement. Ils savaient qu'on ferait l'euro. Donc, il est normal aujourd'hui - ou plutôt demain, parce qu'il y aura le débat - qu'ils manifestent le fait qu'ils n'ont pas changé d'avis, qu'ils sont toujours contre. C'est tout à fait leur droit Mais il n'y a rien de très neuf dans le paysage.
E. LUCET : S'ils manifestent parfois leur opposition par rapport à l'euro c'est qu'on parle beaucoup des conséquences sociales de l'euro. L'euro pourrait avoir un coût social. La France avait demandé un volet social en plus du volet économique, mais on a le sentiment que ce volet spécifique-là, pour l'instant, ce n'est que des bonnes intentions ?
D. STRAUSS-KAHN : Je crois le contraire. Je crois que depuis dix mois, onze mois, depuis que le Gouvernement est en place il a obtenu un rééquilibrage de l'Europe. Il a obtenu sur le Sommet qui a eu lieu sur l'emploi - le prochain va avoir lieu à Cardiff dans quelques semaines, de nouveau sur l'emploi - le fait que l'emploi soit devenu une priorité européenne. Beaucoup de choses ont changé depuis dix mois. On ne s'en rend pas toujours compte. Si bien que l'euro qui comportait des avantages et des risques - je ne dirais pas qu'il y a que des avantages aujourd'hui. Dans un grand changement comme cela il y a toujours des choses qui bougent - cela va apporter de la croissance. Aujourd'hui déjà les taux d'intérêts sont faibles, l'investissement repart parce que l'euro est là, et je crois qu'il faut que nos concitoyens comprennent que le passage à l'euro est évidemment un changement positif.
E. LUCET : Cela apporte de la croissance, mais cela apporte aussi de la rigueur ?
D. STRAUSS-KAHN : Non, la rigueur est là de toute façon. On ne va pas laisser filer les déficits. De toute façon il faut gérer cela correctement, l'économie française. Ce n'est pas l'euro qui nous conduit à cela. L'euro cela apporte de la stabilité. Regardez il y a de la crise en Asie - vous avez vu ce qui se passe en Corée, en Indonésie ou ailleurs ! - eh bien rien n'a bougé en Europe. La croissance en Europe sera la plus forte : évidemment par rapport à l'Asie, puisqu'elle a des ennuis, mais même par rapport aux États-Unis. Pourquoi ? Parce que l'euro apporte de la stabilité, et pour les entreprises, une prévision possible dans un monde qui est plus stable. Rappelez-vous, quand les Italiens avaient dévalué cela avait créé tout un tas de problèmes aux agriculteurs dans le Sud-Ouest notamment. Tout ceci disparaît avec l'euro.
E. LUCET : Vous qui tenez beaucoup à la spécificité française en matière économique et sociale, est-ce que vous n'avez pas l'impression que le passage à l'euro va obliger la France à aligner sa politique sur ses partenaires ?
D. STRAUSS-KAHN : Ce que je crois c'est que la France a un poids plus grand dans l'Europe parce que l'euro sera là. Vous savez les Anglais ont un gouvernement de gauche, les Danois ont un gouvernement de gauche, les Finlandais ont un gouvernement de gauche, les Autrichiens ont un gouvernement de gauche, les Portugais, les Grecs, les Italiens ont un gouvernement de centre-gauche, peut-être demain les Allemands, je ne sais pas. Donc, la spécificité de l'Europe, ça va être peut-être dans quelques mois d'être une Europe plus unie grâce à l'euro, mais une Europe de gauche.
E. LUCET : Mais l'Europe ce n'est pas toujours très simple puisque aujourd'hui la Commission européenne n'exclut pas une interdiction des aides dans le dossier du Crédit Lyonnais. Ça ne doit pas vous arranger ?
D. STRAUSS-KAHN : Ça n'a rien à voir avec l'euro, mais c'est vrai que c'est compliqué. Il faut que tout le monde garde son calme dans le dossier du Crédit Lyonnais. Ce qui est sûr c'est qu'évidemment l’État garantit le Crédit Lyonnais, garantit les déposants. Mais il faut qu'à Bruxelles on garde son calme sur les plans juridiques, politiques et financiers. C'est une affaire compliquée. Il ne faut pas faire des déclarations comme celles qui ont eu lieu aujourd'hui. Mais ça n'a rien à voir avec l'euro.
E. LUCET : Ça a à voir avec l'Europe.
D. STRAUSS-KAHN : Vous avez raison. L'euro c'est la volonté des peuples de partager leur destin monétaire. Et je suis convaincu que la France retrouve de la souveraineté. Le franc est une petite monnaie. L'euro sera une grande monnaie. On va partager avec d'autres une souveraineté sur une grande monnaie. Je reviens des États-Unis où il y avait le G7 et la réunion du FMI, on voit bien comment les Américains maintenant se disent : mais l'euro va être compétiteur du dollar, ça va être aussi fort que le dollar.
Europe 1 le mercredi 22 avril 1998
J.-P. ELKABBACH : La bataille politique était prévue, elle a lieu, c'est normal, c'est bien. L'important, c'est l'euro qui devient une réalité. L'Europe est donc en train de progresser grâce à la monnaie unique. Elle va continuer à progresser par quoi ?
D. STRAUSS-KAHN : D'abord, par les bénéfices de l'euro. Nous avons travaillé tous, tous les gouvernements, les Présidents de la République successifs, pour que cet euro se mette en place. On en tire les bénéfices en termes de croissance. Il est quand même formidable de penser que cette année comme l'année prochaine, l'Europe et la France, seront l'endroit au monde où il y aura le plus de croissance. Cela veut dire plus de pouvoir d'achat, plus d'emplois. Mais votre question, c'est sur ce qui se passe après l'euro : est-ce qu'il y a une vie après l'euro? Oui! Il y a la construction européenne.
J.-P. ELKABBACH : Fallait-il commencer par la monnaie unique, par l'euro ?
D. STRAUSS-KAHN : Non. On n'a pas commencé par l'euro. En 1958, quand le traité de Rome a été signé, il y a eu la Politique agricole commune. Il y a eu le Marché unique. L'euro vient après. Mais ce n'est pas la fin : la construction européenne se poursuit C'est un avenir formidable que nous nous préparons ! Cela veut dire que pour nos enfants, il y aura tout un continent qui sera, sinon leur nation - la patrie reste la France - du moins l'endroit dont ils veulent assurer la promotion. Être européen aujourd'hui, c'est un peu abstrait ; être européen dans une génération, ce sera quelque chose d'extrêmement concret pour tous ceux qui aujourd'hui ont 10 ou 15 ans.
J.-P. ELKABBACH : Dans un excellent article du Monde hier, A. Juppé prétend que l'euro est une chance d'emplois, de croissance, de stabilité et d'influence. Est-ce que vous partagez cette euphorie ?
D. STRAUSS-KAHN : Il ne faut pas avoir d'euro-phorie. Il y aura aussi des difficultés. Il ne faut pas être béat devant l'euro, mais c'est certainement une chance de plus - c'est la raison pour laquelle le Gouvernement, dès qu'il a été en place, s'est donné les moyens de faire en sorte que la France soit sélectionnée. Car n'oublions pas que ce n'était pas obligatoirement donné ! Aujourd'hui, on est tous heureux de s'apercevoir que la France est parmi les pays qui remplissent les conditions.
J.-P. ELKABBACH : Comment sera l'euro ? Stable, fort, la copie conforme du mark ?
D. STRAUSS-KAHN : Non. L'euro sera aussi fort qu'est le franc ou qu'est le mark - c'est la même chose aujourd'hui : ils sont aussi puissants l'un que l'autre. Ce sera une monnaie puissante, en ce sens qu'elle va permettre à la France et aux autres pays qui y participent d'échapper à la logique des marchés. Il faut bien comprendre cela. C'est un regain de souveraineté. Nous retrouvons des marges de manœuvre.
J.-P. ELKABBACH : Cela, c'est le goût du paradoxe, on ne le comprend pas : l'euro, avec plus de souveraineté déléguée aux Européens, c'est plus de souveraineté nationale.
D. STRAUSS-KAHN : C'est tout simple. Mes prédécesseurs passaient leurs journées l’œil rivé aux écrans de télévision et de téléscripteurs pour voir si le franc n'était pas attaqué. Ils étaient largement soumis à la loi des marchés, parce qu'on le savait bien, la monnaie française était trop faible pour résister toute seule. Aujourd'hui, ce n'est plus tellement la situation, parce que l'euro est devant nous ; demain, ce sera complètement terminé : l'euro sera là ; nous partagerons avec d'autres la gestion d'une monnaie qui sera suffisamment puissante pour ne plus être soumise à la loi des marchés.
J.-P. ELKABBACH : C'est la version optimiste !
D. STRAUSS-KAHN : Non : c'est la vraie version.
J.-P. ELKABBACH : On sera donc la Bundesbank.
D. STRAUSS-KAHN : Non, c'est une version erronée. On était beaucoup plus soumis à la politique monétaire allemande qu'on ne le sera demain : demain, le gouverneur de la Bundesbank sera un parmi les autres autour de la table, où il y aura le gouverneur de la Banque de France, le gouverneur de la Banque d'Italie, le gouverneur de la Banque d'Espagne.
J.-P. ELKABBACH : La retombée du dollar sous les 6 francs ?
D. STRAUSS-KAHN : Le dollar fluctue un peu à la hausse ou à la baisse. Je crois que son cours est relativement stable, autour de 6 francs. D'ailleurs, c'est satisfaisant parce que cela conduit à un euro qui ne sera pas surévalué et qui, en termes commerciaux, est bon pour l'Europe.
J.-P. ELKABBACH : La polémique avec la Commission de Bruxelles qui reproche à la France d'aider trop le Crédit Lyonnais ; vous dites que l'évocation d'une faillite est hors de propos. L’État banque jusqu'à quand ?
D. STRAUSS-KAHN : L'évocation d'une faillite n'a pas de sens ; d'ailleurs, la Commission européenne est en train de dire que ceci était un dérapage verbal. L’État, évidemment, soutient le plan du Crédit Lyonnais. Ce qu'il faut savoir, c'est que depuis 1995, le Crédit Lyonnais est une banque qui se redresse, qui fait des bénéfices. Évidemment, les clients du Crédit Lyonnais n'ont absolument rien à craindre. Alors, l’État est actionnaire du Crédit Lyonnais. Dans le plan que j'ai présenté à Bruxelles pour mettre fin au conflit qui oppose la France et Bruxelles depuis maintenant des années, il y a l'idée qu'au bout du compte, le Crédit Lyonnais pourrait sortir du secteur public, c'est-à-dire avant la fin de 1999. Mais nous entendons le faire à notre rythme.
J.-P. ELKABBACH : Et la meilleure privatisation, comment se fera-t-elle ?
D. STRAUSS-KAHN : Ce sera de faire en sorte que le Crédit Lyonnais reste viable, reste une banque et ne soit pas, comme le voudraient certains, notamment à l'étranger, vendu par appartements, en morceaux. Cela, nous nous y opposons.
J.-P. ELKABBACH : Vous ferez tout pour que ce soit vendu le moment venu à un Français ?
D. STRAUSS-KAHN : A un Français ou pas un Français, ce n'est pas le choix, mais à une entreprise qui reste une entreprise ... Le Crédit Lyonnais est une très belle banque dont je viens de dire qu'elle s'était redressée. Il faut faire bénéficier l'ensemble de ses salariés, de ses clients et de son actionnaire qui est l’État, c'est-à-dire finalement le contribuable, du fait que cela s'est redressé. Le Crédit Lyonnais a fait des pertes, mais depuis, il s'est redressé. Le contribuable a toutes les raisons de retrouver la valeur du Crédit Lyonnais.
J.-P. ELKABBACH : Vous dites que cela se fera autour de la fin 99 au plus tard.
D. STRAUSS-KAHN : Il faut sortir de toute cette affaire qui empoisonne les relations avant la fin de 1999.
J.-P. ELKABBACH : L'euro et ses conséquences : que vont devenir les réserves de la Banque de France, nos réserves en or ? Seront-elles expédiées, tout ou partie, en Allemagne ?
D. STRAUSS-KAHN : Non, l'or de la Banque de France reste dans les caves de la Banque de France. Une partie des réserves serviront à défendre l'euro, comme les réserves de toutes les autres banques centrales, mais tout reste la propriété de la Banque de France, et pour ce qui est de l'or...
J.-P. ELKABBACH : Oui, mais à la disposition de la Banque Centrale ?
D. STRAUSS-KAHN : Oui, puisqu'il faut que nous défendions notre devise. On participera, pour la part du capital qui est la nôtre dans celle de la Banque Centrale, à la défense. Mais la propriété reste celle de la Banque de France et l'or reste dans les caves de la Banque de France.
J.-P. ELKABBACH : L'or reste à la Banque de France.
D. STRAUSS-KAHN : Voilà puisque c'est un aspect un peu mythique, disons-le.
J.-P. ELKABBACH : Avec l'euro et une croissance forte durable, quelle sera la clef du budget 99 ?
D. STRAUSS-KAHN : Le budget 99 c'est, pas d'augmentation d'impôts, une baisse très sensible du déficit parce qu'il faut qu'on arrive à faire reculer la dette dans ce pays et des dépenses qui ne vont pas augmenter trop vite, mais un peu quand même.
J.-P. ELKABBACH : 1 %, c'est cela ?
D. STRAUSS-KAHN : Oui, nous avons des priorités à satisfaire : la réduction du temps de travail, les emplois-jeunes, la lutte contre l'exclusion.
J.-P. ELKABBACH : Vous dites qu’il n’y aura pas d’augmentation d’impôts. Baisserez-vous les impôts ?
D. STRAUSS-KAHN : Il y a des impôts qui vont baisser.
J.-P. ELKABBACH : Lesquels ?
D. STRAUSS-KAHN : Tout n'est pas fixé quand on est encore au mois d'avril, par rapport à un budget qui sera présenté en septembre, mais il y a sans doute des impôts qui baisseront Mais, cela ne sera pas énorme. Je veux le dire aux Français clairement. Plus tard peut-être, l'année suivante. Cette année, nous nous contentons de ne pas augmenter les impôts, de baisser le déficit et vous savez, il faut réduire cette dette. La dette, c'est l'ennemi de la gauche parce que la dette c'est servir des intérêts, toujours plus d'intérêts à ceux qui ont du capital, et c'est utiliser une bonne part du budget pour autre chose que de l'action publique efficace.
J.-P. ELKABBACH : C'est J. Chirac qui disait l'autre jour que le paiement de la dette coûte un milliard par jour ouvré, comme le précise aussi Le Canard enchaîné.
D. STRAUSS-KAHN : Donc, on a raison de baisser le déficit et ce sera un déficit de 2,3 % du PIB, seulement l’année prochaine. C'était 3 % cette année. C'est un bon progrès et il faut continuer dans ce sens.
J.-P. ELKABBACH : En 1999, vous faites comme en 1989, vous ne baissez pas les impôts ?
D. STRAUSS-KAHN : En 1989 ?
J.-P. ELKABBACH : En 1989, il n'a pas baissé les impôts, M. Rocard.
D. STRAUSS-KAHN : Il y a dix ans de cela ! Je connais les périodes où on n'augmente pas les impôts, c'est aujourd'hui. Je connais des périodes, comme il y en a eu en 1995, 1996, 1997 notamment, où on augmente les impôts par deux points de TV A. Donc, contentons-nous pour le moment de ne pas les augmenter, et puis on verra l'année prochaine si la croissance est toujours là, et elle le sera, comment on fera pour les baisser.
J.-P. ELKABBACH : Au Parlement, chacun approuve, critique. C'est le jeu. L 'UDF va voter oui, le RPR dit oui à l'euro, et non à la politique. Le RPR votera non. Est-ce que vous êtes déçu ?
D. STRAUSS-KAHN : Je n'aimerais pas être militant RPR aujourd'hui. Il n'y a plus rien à y comprendre. Le RPR vote non, alors que J. Chirac appelle à être pour l'euro, c'est très compliqué. Je pense que ce n'est pas le moment de faire une opération politicienne. Surtout que nous sommes à un moment de la vie de la France où il y a un vrai élan. La croissance repart, le chômage baisse. On crée l'Europe ensemble et on voit des petits jeux politiciens ! Tout cela ne sert pas la place de la France!
J.-P. ELKABBACH : Vous le dites aussi au Parti communiste et à J.P. Chevènement ?
D. STRAUSS-KAHN : Non. Le Parti communiste et J.-P. Chevènement ont toujours été contre. Ils continuent de dire qu'ils sont contre, c'est leur choix, et je pense qu'ils se trompent, mais c'est cohérent. Le RPR, qui a un chef qui est le Président de la République, qui dit qu'il est pour et qui va voter contre, honnêtement, ce n'est pas trop digne.
J.-P. ELKABBACH : Dernière question, L. Jospin a choqué les sénateurs en disant que le Sénat était une anomalie pour la démocratie. Est-ce que c'est une gaffe ?
D. STRAUSS-KAHN : Mais, non ! On parle des modes de scrutin.
J.-P. ELKABBACH : C'est une gaffe ou pas ?
D. STRAUSS-KAHN : Non. Pas du tout. Le mode de scrutin, qui permet au Sénat aujourd'hui d'être élu avec des cantons où il y a 2 000 personnes et d'autres où il y a 30 000 personnes, n'est pas une représentation fidèle de la population, et je pense que le Premier ministre, là-dessus, a exprimé ce que ressentent beaucoup de Français.
J.-P. ELKABBACH : Le Président du Sénat vient de noter que le Président de la République pense la même chose. Vous vous attendez à des réprimandes ou des remontrances du Président ? Est-ce que vous pensez que cela va se terminer par des excuses du Premier ministre ?
D. STRAUSS-KAHN : Il n'y a pas, dans la cohabitation, de réprimandes de la part du Président de la République à l'égard du Premier ministre.