Interview de M. de Charette, ministre des affaires étrangères, à TV1 le 27 janvier 1997 et déclarations les 27 et 28 à Stockholm, sur la mise en place de l'Union économique et monétaire, la sécurité européenne, la réforme des institutions et les relations franco-suédoises.

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Circonstance : Voyage de M. de Charette au Danemark et en Suède les 27 et 28 janvier 1997-à Stockholm (Suède) les 27 et 28

Média : LTV1 - Presse étrangère - Télévision - TV1

Texte intégral

Entretien avec la télévision suédoise « TV1 » (Stockholm, 27 janvier 1997)

Q. : Est-ce que l'UEM est si importante pour l'avenir de la coopération ?

R. : Elle est absolument essentielle, dès lors que nous avons un marché unique, c'est-à-dire que tous les produits français peuvent venir se présenter sur le marché suédois et tous les produits suédois sur le marché français, sans aucune restriction, sans aucune protection, avec les mêmes règles pour tout le monde. Si nous avons des monnaies qui n'ont pas la même valeur, nous faussons les conditions du marché. Nous l'avons d'ailleurs expérimenté, non pas avec votre pays dont la monnaie a une réputation de solidité, mais avec les Espagnols, les Italiens et avec les Anglais en 1993. Nous avons vu ces trois monnaies se mettre à flotter et par conséquent à se dévaluer. La lire italienne a été dévaluée de 40 % par rapport au franc français, cela signifie que les produits italiens sont arrivés chez nous, par exemple, les chaussures italiennes, avec un énorme avantage concurrentiel et nous-mêmes, nous avons subi un énorme différentiel en notre défaveur sur le marché italien. Ce n'est pas admissible. Et donc, il faut qu'il y ait entre les pays de l'Union européenne, une stabilité monétaire permanente, qu'on soit assuré que les monnaies s'échangent à un taux fixe. Il y a une autre raison : l'ensemble monétaire européen, aujourd'hui, n'existe pas. Il y a une monnaie dominante – le mark – des monnaies solides comme votre propre monnaie et la nôtre, puis des monnaies plus faibles et parfois fragiles. Le monde est aujourd'hui dominé par une monnaie, une seule, le dollar. C'est la seule monnaie mondiale, et donc, la question qui se pose à nous, c'est de savoir si nous sommes capables d'avoir, en Europe, non seulement le plus grand ensemble, le plus grand marché du monde, très loin devant le marché américain, le premier marché du monde, mais aussi la première monnaie du monde. Si nous l'avons – et nous espérons bien l'avoir – c'est l'euro : à ce moment-là, le rapport de force entre le dollar et notre euro jouera à notre avantage. Regardez la situation que nous avons connue depuis deux ans : le dollar est, enfin était, jusqu'à il y a quelques jours, gravement sous-évalué sur les marchés du monde et notamment, vis-à-vis de nos monnaies européennes. Cela voulait dire que, par exemple, pour des raisons pratiques, Boeing pouvait vendre ses avions avec un avantage financier injuste par rapport à Airbus. Il est donc tout à fait nécessaire que nous ayons une monnaie européenne capable de peser son vrai poids sur les marchés financiers.

Q. : C'est un projet économique et aussi politique. Est-ce que vous êtes sûr, aujourd'hui, que cela sera réalisé en conformité dans le temps ?

R. : Nous avons pris cette décision dans le traité de Maastricht de 1992. Depuis lors, qu'a-t-on vu ? On a vu que des pays du monde n'y croyaient pas. On avait vu en Europe d'ailleurs que beaucoup de pays européens qui hésitaient pensaient qu'ils seraient dispensés de prendre des décisions parce que cette monnaie ne se réaliserait pas.

Q. : Dans deux ans, aurons-nous vraiment l'union monétaire ?

R. : Oui. Comme vous le savez, la France et l'Allemagne, qui sont un peu les pivots de ce projet, ont manifesté clairement leur désir d'être prêts le 1er janvier 1999 : prêts, c'est-à-dire que leurs économies seraient mises aux normes fixées par le traité de Maastricht, pour être en état de créer cette monnaie. Cela vaut pour la France et pour l'Allemagne, et aussitôt cela a entraîné tout un mouvement d'un certain nombre de pays qui étaient d'abord hésitants, et que je crois aujourd'hui de plus en plus convaincus de la nécessité de participer à cette monnaie unique.

Q. : Mais dans deux ans, est-ce qu'il y aura une grande union avec la participation de pays, comme l'Espagne, le Portugal, l'Italie, ou est-ce qu'il y aura une union plus petite avec seulement la France… ?

R. : Vous parlez de la monnaie ?

Q. : Oui.

R. : Eh bien, je vais vous dire ma conviction. Une grande majorité des quinze pays de l'Union européenne participera à la création de la monnaie unique le 1er janvier 1999.

Q. : Une grande majorité, lesquels ?

R. : Ah ça, je ne peux pas vous le dire aujourd'hui, parce que cela dépend de deux choses : d'abord de la décision de ces pays, mais aussi qu'ils respectent les critères : les critères concernant, comme vous le connaissez, le budget, le déficit et l'inflation ; ces critères ont été fixés par le Traité de Maastricht. Mais observez avec moi que certains pays, qui paraissaient éloignés, font depuis quelques mois des efforts considérables pour être prêts le 1er janvier 1999. Parce qu'ils ont vu la détermination franco-allemande, ils se sont dit que leur intérêt c'était d'être dans le premier train de la monnaie unique. C'est sûrement aussi l'idée que les Suédois se font.

Q. : Mais avec la participation des économies plus faibles comme l'Espagne, le Portugal, l'Italie, n'est-ce pas un risque que la monnaie soit plus faible ?

R. : C'est une préoccupation que les Allemands ont exprimée. À juste titre, les Allemands ont une monnaie très solide. Comme vous le savez, cette solidité monétaire est considérée comme une grande priorité par les Allemands, par les dirigeants, mais aussi par le peuple allemand et donc ils nous demandent de donner des assurances que la discipline et la sagesse des gouvernements des pays qui entrent dans cette monnaie unique ne soient pas simplement la discipline et la sagesse, avant le 1er janvier 1999, mais aussi après, et nous sommes d'accord. C'est pour cette raison qu'à Dublin, nous sommes tombés d'accord sur un pacte de stabilité et de croissance qui signifie que tous les États de l'Union européenne qui participeront à la monnaie unique, à la troisième phase de l'union monétaire, prennent l'engagement de respecter un certain nombre de disciplines économiques et budgétaires.

Q. : Vous êtes convaincu que ce pacte de stabilité vous donne une stabilité assez… ?

R. : Je vous sens sceptique.

Q. : Oui ?

R. : Vous avez tort et vous le verrez.

Q. : Mais de quelle manière vous êtes sceptique ?

R. : Non, c'est vous qui êtes sceptique, pas moi.

Q. : Nous ? Les Suédois ?

R. : Ah, je ne sais pas, vos questions me laissent penser que vous êtes sceptiques.

Q. : Est-ce que tous les règlements du pacte de stabilité suffisent pour garder une monnaie forte ?

R. : Je crois vraiment que le choix que nous avons fait, le choix d'une monnaie européenne et d'une monnaie stable, est le meilleur garant de notre présence économique dans le monde, le meilleur garant de notre taux de croissance et par conséquent un des moyens de lutter contre le chômage et de créer des emplois chez nous.

Q. : Mais est-ce qu'il existe entre la France et l'Allemagne une divergence dans l'avis sur la force du pacte de stabilité ?

R. : Je ne crois pas. Vous le savez, il y a eu un débat, il y a eu beaucoup de débats pendant toute cette période, et il y a eu notamment un débat qui portait sur la stabilité de la monnaie. Et nous l'avons toujours dit, nous, Français : nous sommes pour une monnaie stable ; nous sommes en même temps pour une monnaie qui soutienne notre développement économique et le pacte de stabilité et de croissance que nous avons convenu d'adopter à Dublin, à Quinze – votre gouvernement était présent – répond à cette préoccupation.

Q. : Vous parlez aussi d'une solution flexible, mais qu'est ce qui se passe avec les pays qui, peut- être, veulent rester en dehors ?

R. : Là aussi, nous avons évoqué cette question, elle est très importante. Et je vais vous expliquer pourquoi elle est très importante pour nous. Nous nous souvenons de la dévaluation de la lire, de la peseta et de la livre anglaise, il y a très peu d'années. Nous en avons gardé un très mauvais souvenir et c'est la raison pour laquelle nous disons que les pays qui n'entrent pas dans l'union monétaire, dans la monnaie unique, devraient être associés à cette monnaie, c'est-à-dire définir avec elle un système monétaire associé à la monnaie unique, à la fois pour permettre, le moment venu, s'ils le souhaitent, d'adhérer à la monnaie unique, mais aussi pour nous apporter à nous les garanties que nous demandons. Il n'y aura pas de pays indiscipliné qui jouera avec sa monnaie pour gagner injustement des parts de marché en Europe. Je le répète, un marché unique, cela signifie des monnaies stables, sinon le marché n'est pas viable.

Q. : Les pays qui ne participent pas, qu'est-ce qu'ils perdent au niveau de l'influence politique en Europe ? Si la Suède reste en dehors, perd-elle de l'influence ?

R. : D'abord nous le regretterons beaucoup. Je sais bien que votre pays est plutôt dans cette attitude, mais nous ne désespérons pas de vous convaincre, parce que nous pensons que c'est le bien général. Ce n'est pas parce que c'est le bien de la France ou le bien de l'Allemagne, mais parce que c'est le bien commun de tous les Européens et, me semble-t-il, l'intérêt de vos entreprises, de vos banques, l'intérêt de vos salariés, bref l'intérêt suédois, comme nous pensons que c'est l'intérêt français. Mais naturellement c'est à vous d'en décider.

Q. : Oui, et si on prend la décision de rester en dehors, auprès de la France, quel est le prix qu'il nous faudra payer pour cela ?

R. : Je ne suis pas là pour dire des choses de ce genre, moi je n'ai que de l'amitié pour la Suède. J'ai le souci de respecter ses décisions. Ceci dit, il est certain que dans l'Union européenne, les pays qui se seront engagés dans cette monnaie unique vont former un groupe au sein de l'Union européenne qui aura une influence particulière. Ça me paraît inévitable, ça n'est pas que nous le souhaitions, ça n'est pas que nous le faisions pour cela, nous faisons tout pour y être. Mais il est probable que ce sera l'une des conséquences. Tout à l'heure vous avez dit que la monnaie c'est aussi un choix politique. Et vous avez eu raison de dire ça. Parce que la conséquence sera en effet que quelques pays, à mon avis beaucoup plus qu'on ne le croit encore aujourd'hui qui seront associés ensemble, vont apprendre à travailler ensemble, et d'ailleurs c'est pour cela que des pays comme l'Espagne et l'Italie ne peuvent pas rester dehors. Ils doivent non pas être dans le train, mais dans la locomotive avec nous. Ils ont raison. Venez !

Q. : Quelle est votre analyse de la position de la Suède vis-à-vis de l'UEM ? Formellement, selon le traité de Maastricht, est-ce qu'on a le droit de rester en dehors ?

R. : Personne ne peut forcer un pays qui ne le voudrait pas à abandonner sa monnaie. Politiquement ce n'est pas imaginable.

Q. : Mais on a signé le Traité de Maastricht.

R. : C'est vrai, vous l'avez signé et ce traité prévoit qu'au plus tard, au 1er janvier 1999, les signataires adhèrent à la monnaie unique, mais je ne veux pas exprimer cela en termes d'obligation, c'est un débat interne à la Suède. Je veux plutôt exprimer une attitude d'accueil, d'ouverture.

Q. : Mais quand la Suède aura rempli les critères de convergence, elle aura l'obligation selon le traité de Maastricht de participer ?

R. : Nous en discuterons à ce moment-là.

Q. : Oui et quelle est votre analyse ?

R. : Je vous répète, je crois que c'est un choix politique, par conséquent, il est très difficile d'imposer à un pays une telle décision. Mais, finalement, nous le souhaitons vivement.

Q. : Mais si la Suède a signé un traité comme Maastricht, n'a-t-elle pas une obligation de participer ?

R. : En tout cas c'est certainement, de mon point de vue, l'intérêt de la Suède. Je comprends, qu'en Suède, le débat est différent. Je respecte ce débat.

Q. : Nos dirigeants politiques en Suède, le présent gouvernement et l'ancien gouvernement, disaient que c'est le Parlement suédois qui prendra la décision. Est-ce qu'ils ont le droit ?

R. : Je n'ai pas d'objection à cela. C'est une affaire interne à la Suède.

Q. : Mais pensez-vous qu'il existe un droit pour la Suède de rester en dehors de l'UEM ?

R. : Il est normal que dans cette période il y ait des débats très ardents parce que c'est vrai que c'est un choix très important. C'est évident.

Renoncer à sa monnaie est un acte de souveraineté, plutôt qu'un renoncement à sa souveraineté et donc le partage en commun de chacune de nos souverainetés. Donc, je ne vois pas comment on pourrait vous dire : c'est interdit ou c'est une obligation. La question n'est pas celle-là. Il est, je le répète, normal qu'il y ait un vrai débat en Suède comme il y en a chez nous, ou vous pouvez trouver un certain nombre de dirigeants politiques qui ont dit qu'ils étaient hostiles à cette idée de la monnaie unique. Vous en trouvez à droite, vous en trouvez à gauche. Mais je crois qu'il y a une large majorité de Français et une très large majorité des forces politiques au gouvernement qui soutiendront ce projet.

Q. : Dans la situation actuelle, si le gouvernement suédois, le Parlement suédois disent que nous restons en dehors de l'UEM, qu'est-ce que vous dites, vous, nos partenaires européens ?

R. : Eh bien, nous en prendrons acte avec regret.

Q. : C'est ça, c'est tout ?

R. : Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse de plus ?

Q. : Pas de guerre pour nous forcer à entrer ?

R. : Nous ne ferons pas la guerre à la Suède.

Q. : Si c'est impossible pour les dirigeants politiques en Suède de convaincre une majorité, au moins les autres dirigeants politiques dans d'autres pays d'Europe peuvent-ils convaincre une majorité des avantages de l'UEM ? Est-ce que c'est vraiment sage de continuer contre une opinion défavorable, comme dans beaucoup d'autres pays en Europe ?

R. : Ce n'est pas le cas. Aujourd'hui, le mouvement populaire en France est majoritairement en faveur de la monnaie. Nous avons pris des engagements. Nous, nous avons l'intention de tenir nos engagements, nous nous sommes engagés : nous l'avons choisi. Nous n'avons jamais fait depuis lors que confirmer ce choix. Je constate que dans d'autres pays, il y a des débats, ça c'est certain. Il y a des débats en Allemagne, et je constate aussi que le chancelier Kohl a toujours marqué une très grande détermination.

Q. : C'est une détermination au niveau politique. Mais j'ai lu beaucoup de sondages qui donnent l'impression que dans beaucoup de pays en Europe, en Allemagne, en France, c'est un sentiment populaire sceptique ou même hostile ?

R. : Oui, bon, très bien, on ne détermine pas une politique à la lecture d'un sondage paru dans un journal ou à la télévision.

Q. : Mais qu'est-ce qu'il faut faire alors, en France, pour convaincre une majorité du peuple ?

R. : En France, la majorité de l'opinion s'exprime en faveur de la monnaie unique. En ce qui nous concerne, il n'y a pas de problème majeur. Il y a des débats, mais il n'y a pas de problème majeur. Le problème, pour nous, c'est de respecter toutes les règles de convergence prévues dans le traité de Maastricht et, comme vous le savez, nous nous y employons.

Q. : Ça ne pose pas un problème politique cette résistance populaire contre les mesures sociales qu'il faut renforcer dans les restrictions des critères de convergence ?

R. : Non. Vous le savez, toute grande décision donne lieu à de grands débats. C'est normal, et la démocratie, ce n'est pas l'unanimité : c'est la discussion, le débat, la décision à la majorité, c'est comme chez vous, ce débat existe et je le trouve tout à fait naturel. Et, d'ailleurs, ce débat est très intéressant parce qu'il est l'occasion d'expliquer. Il donne l'occasion de mieux faire comprendre à nos concitoyens quel est l'enjeu, quelles seront les conséquences de la monnaie unique. Nous n'avons pas fini de débattre en France parce qu'il y a beaucoup de problèmes concrets qui vont se poser et qu'il faudra résoudre.

Q. : N'est-il pas vrai qu'en France, les critères de convergence peuvent forcer le gouvernement à prendre une politique très restrictive sur le plan médical, avec les changements de la Sécurité sociale, par exemple ?

R. : Non, ce n'est pas la monnaie unique qui nous impose cela. La monnaie unique nous dit où il faut être arrivé le 1er janvier 1998.

Q. : Ça peut causer des problèmes sociaux ?

R. : Non, les problèmes que nous avons – le déficit budgétaire ou le déficit de la Sécurité sociale – ce sont des problèmes qui existent, même sans la monnaie unique. Ils existent, ils sont là. Ils pèsent sur le niveau d'activité de l'économie française. Ils pèsent sur notre performance, ils ont pour effet d'accroître le chômage, et donc comme nous voulons que l'économie française soit en bonne santé, soit encore plus performante, comme nous voulons devenir un pays à chômage plus réduit, nous avons l'obligation de traiter ces deux problèmes : le déficit budgétaire et le déficit de la Sécurité sociale qui nous a été laissé par le gouvernement précédent.

Q. : Ces problèmes de déficit budgétaire et de Sécurité sociale, ce n'est pas… ?

R. : Non, ce n'est pas lié à la monnaie unique.

Q. : Non ? Pas du tout ?

R. : Il y a un certain lien que je viens d'expliquer. Il faut être prêt à un certain niveau pour le 1er janvier 1998. Le déficit budgétaire ne doit pas être supérieur à 3 %, c'est ce que dit le traité de Maastricht et moi je trouve que ce déficit budgétaire à 3 % est encore trop élevé pour la bonne santé de l'économie française. C'est donc pourquoi nous continuons à mener cette politique de redressement économique et de redressement de nos comptes sociaux avec ou sans la monnaie, avant ou après le 1er janvier 1998.

Q. :  Je voudrais parler un peu de la Banque centrale. Selon le traité de Maastricht, la Banque centrale est indépendante des gouvernements nationaux. Je vous demande si cette condition peut constituer un risque politique, un manque de rapport entre les institutions politiques nationales démocratiquement élues et démocratiquement contrôlées. Une banque centrale indépendante, est-ce que cela pose un problème ?

R. : La Banque centrale suédoise est indépendante, comme la Banque de France.

Q. : Comme la Banque centrale américaine… ?

R. : La Banque centrale française est indépendante, la Banque centrale allemande est indépendante. Si vous voulez avoir une monnaie digne de ce nom, une monnaie mondiale, l'euro sera une monnaie mondiale, comme le dollar, il faut, naturellement, que la Banque centrale ne soit pas aux ordres d'un gouvernement, mais qu'elle soit indépendante. C'est un principe désormais mondialement reconnu. Donc nous sommes, en effet, tout à fait décidés à faire en sorte que cette Banque centrale européenne soit indépendante. C'est l'esprit dans lequel nous travaillons. Alors vous me dites que cela pose un problème. Mais, lequel ?

Q. : C'est un problème démocratique. Si la Banque centrale est trop indépendante, c'est une entité insaisissable dans l'espace européen…

R. : Je répète que la Banque suédoise est indépendante et vous ne pensez pas que la Suède n'est pas un pays démocratique. Vous êtes même assez fiers de la démocratie suédoise, et vous avez raison. Donc, simplement, il faut, c'est évident, qu'il y ait, entre les gouvernements européens, des pays qui participeront à la monnaie, une concertation économique pour conduire en commun une politique économique commune, des politiques économiques étroitement concertées évidemment. Chacun son métier. La Banque s'occupe de son métier, la monnaie, et les gouvernements s'occupent du leur, la politique économique. Ce sont deux choses bien différentes. C'est comme cela que ça marchera.

Q. : N'y a-t-il pas des différences, des nuances entre des gouvernements et la France sur le point de vue de l'indépendance et l'influence politique de la Banque centrale ?

R. : Je vois bien que vous cherchez des failles possibles dans ce dispositif, mais je ne crois pas qu'il y ait de divergences. Qu'il y ait des nuances, probablement, c'est normal. Lorsque deux gouvernements discutent, ils n'ont pas forcément exactement les mêmes points de vue. Ils se rencontrent, ils négocient et ils tombent d'accord. Vous savez entre la France et l'Allemagne, c'est comme cela depuis 40 ans. Nous avons connu une longue période pendant laquelle la France et l'Allemagne étaient en conflit. Nous avons connu trois guerres, les uns contre les autres, et nous avons connu des moments épouvantables. Nous avons décidé une bonne fois pour toutes que c'était fini. Et donc, désormais, nous sommes engagés dans une coopération franco-allemande, dans une amitié franco-allemande, dans un projet franco-allemand qui nous tient beaucoup à cœur et vous pourrez constater que, dans beaucoup de domaines, il nous arrive d'avoir des points de vue différents, et toujours nous nous mettons autour de la table, nous parlons entre nous, comme des amis, et nous finissons par aboutir à une décision commune. La recette, on la connaît. Il y a quelques jours, avec mon collègue Klaus Kinkel, nous avons exprimé un point de vue commun pour la Conférence intergouvernementale, c'est-à-dire pour la réforme interne de l'Union européenne. C'est ainsi que nous faisons, c'est ainsi que nous avons toujours fait, et je crois que c'est bon pour nous, les Français et les Allemands. Cette entente entre nous est absolument essentielle. Nous avons, je dirais, l'angoisse de voir revenir les conflits entre nous et je crois que c'est bon aussi pour l'Europe, car ces trois guerres n'ont pas simplement opposé les Français et les Allemands, elles ont entraîné avec elles tous les peuples de l'Europe.

Q. : Est-il nécessaire ou même désirable de continuer vers une coopération européenne qui déborde dans une direction plus fédéraliste ?

R. : Ça, c'est une question de point de vue. Il y a des Européens enthousiastes, il y a des Européens sceptiques, et puis, il y a des anti-Européens. Moi, je suis un Européen convaincu. Je suis persuadé que ce que nous avons de plus important à faire aujourd'hui, c'est de faire en sorte que l'Europe pèse dans le monde et, séparément, nous ne pesons rien. Ni vous les Suédois, ni nous les Français, ni eux les Allemands, ne pesons grand-chose. Dans un monde dominé par la puissance américaine, par la puissance japonaise, demain par la puissance chinoise, hier par la puissance soviétique, seuls comptent les grands ensembles. Or, séparément, nous sommes des petits pays : ensemble, nous formons le premier marché du monde. Nous formons la zone la plus riche du monde et il ne dépend que de nous de faire en sorte que nous mettions suffisamment d'organisation entre nous, suffisamment de volonté aussi, pour que dans toutes les grandes décisions politiques, économiques, culturelles, nous prenions toute la place qui doit être la nôtre, qui doit être la première, qui devrait être la première. Si nous comptons la population, il y a, aujourd'hui, 350 millions d'habitants en Europe, il y en aura 450 millions quand nous aurons ouvert nos portes aux pays d'Europe centrale et orientale et nous formerons l'ensemble le plus puissant. À nous de prendre notre place. C'est le bien de nos pays, c'est le bien des peuples.

Q. : Je vous donne un autre exemple : pour continuer, est-il nécessaire de mener une politique commune fiscale ?

R. : Il n'est pas nécessaire de tout mettre en commun. Il faut mettre tout ce qui est utile à notre progrès commun. Mais il faut, en même temps, être très attaché à notre diversité, je le dis au passage parce que c'est un point très important. Vous, les Suédois, vous êtes très attachés à votre façon de vivre, à votre autonomie et sans parler d'indépendance, en tout cas à votre identité nationale. Vous avez une certaine fierté de votre pays, à juste titre d'ailleurs, et nous aussi. Les Français ne passent pas pour des gens qui n'ont pas de fierté. Quelquefois, on nous reproche d'en avoir trop. Nous sommes, comme vous, attachés à notre identité et je crois qu'il faut faire l'Union européenne, l'union des pays de l'Europe, avec l'idée de respecter le plus possible ces identités nationales, ces particularités, ces cultures, ces modes d'agir. Alors, est-ce qu'il faut absolument avoir la même fiscalité ? Pas nécessairement. Il faut faire ce qui est nécessaire. Je vais prendre un exemple très simple en matière de TVA. Nous avons fixé, en 1961, une règle : nous ne devons pas avoir une TVA inférieure à un certain niveau, ni supérieure à un certain niveau. Donc, nous pouvons avoir un taux de TVA compris entre les deux grandes fourchettes. C'est très bien, ça paraît une bonne décision. Nous ne sommes pas obligés d'avoir tous le même taux. Nous avons considéré que ce n'était pas nécessaire. Donc, il n'est pas nécessaire d'avoir le même dispositif économique, fiscal, budgétaire, social. Non, il faut qu'on nous laisse faire le plus possible ce que nous voulons faire.

Q. : Et vous pensez que la Suède sera parmi les premiers à rentrer dans l'UEM ?

R. : Ça, monsieur, c'est aux dirigeants suédois et au peuple suédois d'en décider. Mais, du point de vue français, nous souhaitons vivement que votre pays soit avec nous, parce que nous avons beaucoup de considération et beaucoup d'admiration pour votre pays, dont nous admirons le savoir-faire, l'intelligence, la détermination et nous aimerions bien qu'un pays comme celui-là soit avec nous dans le même projet.


Point de presse avec la presse française (Stockholm, 27 janvier 1997)

Q. : Est-ce que vous pouvez nous dire, monsieur le ministre, ce que vous pensez de l'initiative suédo-finlandaise concernant un accroissement des opérations de l'Union (question en partie inaudible) en termes d'opérations humanitaires ?

R. : Je n'ai pas compris ce que vous disiez.

Q. : Cela avait été l'objet d'un article commun des deux ministres, il y a environ un an. Qu'est-ce que vous en pensez en tant que membre de l'Union européenne ?

R. : Ceci concerne les questions de sécurité en Europe, notamment dans le cadre de la CIG. La question est la suivante : nous voulons travailler au renforcement de ce qu'on appelle communément l'identité européenne de défense, c'est-à-dire faire progresser une défense commune des Européens. Cette question concerne l'Alliance atlantique, elle concerne aussi l'Union européenne. Quand il s'agit de l'Alliance atlantique, le débat porte autour de la rénovation de l'Alliance et, vous le savez, nous avons présenté la position de la France. C'est moi qui ai proposé cela au Conseil atlantique du 5 décembre 1995. Nous avons proposé l'idée neuve, qui était l'idée de créer, au sein de l'Alliance atlantique, un système dans lequel les Européens pourraient s'organiser de sorte qu'ils soient, le cas échéant, capables d'une intervention militaire, sans la participation américaine. C'était le concept de forces détachables, mais non détachées. C'est, si j'ose dire, appliqué à l'Alliance atlantique, le « système des poupées russes ». Et, pour l'instant, nous sommes en train de discuter les modalités pratiques. Le principe a été admis à Bruxelles le 5 décembre 1995. Enfin, l'idée a été admise, le concept a été retenu. Nous avons travaillé à Berlin, en juin et juillet 1996. Nous avons adopté les principes, les « guidelines » en quelque sorte, de ce dispositif. Et puis, depuis Bruxelles, nous discutons des modalités pratiques. Comment faire en sorte qu'il y ait un SACEUR adjoint, qui existe déjà, mais qui ait des responsabilités, car il serait le patron de cette intervention hypothétique européenne et avec des plans, des responsabilités propres et une chaîne de commandements qui rende possible – et réellement possible – des interventions européennes utilisant les moyens de l'Alliance. C'est le premier volet.

Le second volet, le second débat, a lieu au sein de l'Union européenne à l'occasion de la CIG. L'autre idée, et ce n'est pas la nôtre, mais qui est supportée par les Allemands, c'est celle selon laquelle il convient de modifier le traité, de telle sorte que, d'une part, on passe de l'idée de défense européenne à terme à l'idée d'une politique de défense européenne. Donc passer du projet à la réalisation.

Ensuite, on envisage de mettre, dans ce que nous proposons, et cette idée me semble recueillir des échos assez positifs, de faire figurer dans le traité, parmi les missions que l'Union européenne pourrait se donner, ce qu'on appelle les missions de Petersberg, c'est-à-dire les missions que l'Alliance atlantique s'est donnée en 1994, dans la situation nouvelle que vous connaissez.

Enfin, nous croyons utile et même nécessaire de faire figurer dans le traité de l'Union européenne ce que nous appelons une clause de solidarité politique. Ce n'est pas l'article 5 de l'Alliance atlantique, mais une clause de solidarité qui marquera la détermination commune des Européens à agir ensemble pour leur sécurité.

Alors, le débat en est là. J'aurais été complet si je vous avais parlé aussi de l'union de l'Europe occidentale.

Tel est le scénario. La situation de la Suède et de la Finlande est une situation particulière puisque, comme vous le savez, ce sont des pays à la fois membres de l'UE et non membres de l'Alliance atlantique. Le scénario que je vous développe correspond très bien aux pays qui sont à la fois membres de l'Union et de l'Alliance.

Q. : Qu'en est-il pour les pays membres de l'Union mais pas de l'Alliance ?

R. : J'observe que ce que vous m'indiquez – c'est-à-dire l'idée qui a été avancée mais qui reste à confirmer, selon laquelle les pays pourraient s'engager à participer à des missions de Petersberg, dans un cas comme dans l'autre – est une idée qui me semble aller dans le bon sens, mais dont il faut examiner les applications et les modalités.

Q. : La France vient d'avoir une période difficile avec la Suède. Êtes-vous venu « recoller les morceaux » ?

R. : Quelques mots d'abord, si vous le voulez bien, pour préciser le cadre dans lequel j'effectue mon voyage en Suède. Je viens en Suède afin d'établir avec ce pays un nouveau style de relations. Nous avons connu des périodes assez tendues, pour ne pas dire franchement conflictuelles au moment des essais nucléaires français. La page est tournée. Nous l'avons tournée avec le sentiment que c'est aussi la volonté des Suédois. Et nous souhaitons établir avec la Suède des relations non seulement cordiales et chaleureuses comme elles l'ont été pour l'essentiel dans l'histoire des deux pays, mais aussi intenses, à la fois sur le plan politique, sur le plan économique et, bien sûr, sur le plan culturel. Cela signifie que la France doit aussi se tourner vers ce qu'on appelle, souvent injustement, les petits pays. L'Europe de demain, c'est naturellement quelques grands pays, mais c'est aussi une assemblée d'États dans laquelle chacun compte. Nous souhaitons, par conséquent, avoir avec la Suède un dialogue politique approfondi sur l'Europe d'aujourd'hui et sur l'Europe de demain.

Je sais qu'il y a ici des traditions, des sensibilités, des approches des problèmes qui peuvent être différentes des nôtres. Il nous appartient de mieux les comprendre et, par le dialogue, de rechercher des solutions communes, ce que je crois tout à fait possible. Alors, voilà, j'attends beaucoup de ce voyage en Suède et j'espère qu'il nous permettra de franchir une nouvelle étape. Je le répète, nos relations sont très positives, mais je voudrais leur donner plus d'intensité, plus de chaleur et donc un nouveau rythme.

Q. : Avez-vous surtout parlé de l'UEM ?

R. : Je ne viens pas parler ici que de la monnaie. Nous parlerons de beaucoup d'autres sujets, nous parlerons de la sécurité, de la CIG, naturellement, où on a quelques sujets importants. Et puis, je vais certainement échanger avec mes interlocuteurs des propos sur la monnaie. Je souhaite que la Suède choisisse clairement le cap de l'Europe. Je crois que c'est bien ainsi que les choses vont, mais je comprends qu'il y a des débats très intenses dans ce pays, et que je respecte pleinement. C'est le jeu de la démocratie. Je souhaite vivement que la Suède regarde l'Europe sans scepticisme et sans hésitation. Ceci dit, je respecte d'autant plus ce scepticisme que je le vois en France. Je ne leur fais pas de reproches. Il y a un débat suédois. Je ne compte pas me mêler du débat politique suédois mais, naturellement, je veux dialoguer avec mes interlocuteurs.

Q. : Vous ne trouvez pas qu'ils sont un peu frileux tout de même ?

R. : Je ne porte pas de jugement sur la Suède.

Q. : Est-ce que vous ressentez parfois la frilosité… ?

R. : Je ne parle pas de frilosité, je parle de conception propre, c'est différent. La conception propre vient de leur histoire, de leurs choix. La Suède est un pays qui est récemment entré dans l'UE. Il est normal qu'il y ait une période d'adaptation, de découverte, d'appréhensions. C'est d'autant plus normal que les Suédois – et ils ne sont pas les seuls – constatent que le chômage ne s'améliore pas et, par conséquent, s'interrogent sur l'efficacité de l'Europe à les protéger. Cette interrogation existe aussi en France.

Q. : Vous parliez de rythme. Vous avez mis un coup d'accélérateur avec le tandem franco-allemand. Cela inquiète justement, peut-être, un peu les Suédois, les petits pays.

R. : Il ne faut pas faire un classement comme ça. Nous, les Français et les Allemands, sommes dans une situation que nous connaissons bien. Si nos points de vue divergent, nos partenaires nous font reproche de notre division : si nos points de vues convergent, nos partenaires nous soupçonnent d'un esprit dominateur. Avouez que cela n'est pas très facile. Mais nous sommes déterminés à travailler ensemble, Français et Allemands. Nous sommes aussi déterminés à travailler avec l'ensemble des Européens. Le système européen a ceci de bon qu'il ne permet à personne d'exercer quelque domination que ce soit. Pendant des siècles, tout ce qui s'est passé en Europe a été inspiré par un esprit de domination sur les autres. C'est vrai depuis César et ce que nous faisons aujourd'hui est tout à fait nouveau. Pour la première fois, nous avons un projet européen qui est fondé sur la volonté des peuples. Elle s'accompagne d'un respect très fort, d'une considération sincère de la diversité des peuples, de la diversité de leurs sensibilités, de leurs aspirations.

Saurons-nous faire de cette diversité un bouquet qui soit capable de marquer l'histoire future ? Eh bien, cela, c'est le défi auquel nous essayons de répondre.

Q. : Comment comptez-vous répondre aux inquiétudes des Suédois, quant à la proposition de réduire le nombre de commissaires européens, que beaucoup interprètent comme la volonté de priver les petits pays de leur propre commissaire au sein de la Commission ?

R. : Cette interprétation est totalement fausse. En fait, nous posons une question d'intérêt général, c'est-à-dire qu'elle intéresse tout le monde, tous les pays d'Europe. Demain, il faut que la Commission continue de jouer le rôle qu'elle a joué. Avec l'élargissement, nous n'aurons plus quelques commissaires, mais nous allons aller vers 30 ou 35 commissaires. Dans cette situation, la Commission ne pourra plus jouer son rôle qui est non pas d'être le représentant des gouvernements, non pas une espèce de Sénat des États, mais d'être l'expression de l'intérêt général lui-même.

Il est évident que, pour cela, il ne faut pas laisser cette dérive, qui est en train de se produire, avec l'accroissement irrésistible du nombre de commissaires et avec cette espèce de « relationalisation » des commissaires, tentés du coup d'être cet embryon d'assemblée des représentants de leurs États. Il faut revenir aux sources. Pour cela, il faut réduire le nombre de commissaires. Cela n'est pas une proposition qui est dirigée contre tel ou tel État. C'est une proposition d'intérêt général. Ce que nous disons est très simple : pour parvenir à ce résultat, il faut demander à chacun un effort égal. Pour l'instant, il y a des pays qui ont deux commissaires, d'autres qui n'en ont qu'un. C'est un fait. Il faut trouver des solutions, imaginer des solutions telles que chacun fasse un effort égal.

Q. : La France est-elle prête elle aussi à réduire le nombre de commissaires ?

R. : La France est tout à fait prête à apporter sa contribution à la solution de ce problème dans la même proportion que les autres.

Q. : S'agit-il d'affaiblir la Commission ?

R. : Non, il ne s'agit pas d'affaiblir la Commission, il s'agit de la renforcer. Réduire son nombre, c'est renforcer son autorité.

Q. : Mais cela ne risque-t-il pas de renforcer le rôle du Conseil européen par rapport à la Commission ?

R. : C'est un autre sujet. Cette proposition ne risque pas de renforcer le Conseil européen. Je voudrais seulement attirer votre attention sur une seconde proposition française concernant la Commission qui est que la Commission devrait être responsable non seulement devant le Parlement européen, comme elle l'est aujourd'hui, mais aussi devant le Conseil européen. Autrement dit, nous proposons à la fois plus d'autorité pour la Commission, puisque nous voulons renforcer son organisation, et plus de responsabilité. Je crois que c'est un projet pleinement démocratique. Sur le Conseil européen – le conseil des chefs d'État et de gouvernement – nous n'avons pas de proposition particulière à faire.

Q. : Est-ce que vous avez des idées concrètes par rapport aux rapprochements des relations franco-suédoises, des projets dans l'air, que ce soit au niveau politique, économique ou culturel ?

R. : Au niveau politique, c'est surtout le dialogue. Naturellement, je vais inviter Mme Hjelm-Wallén à venir me voir à Paris dès qu'elle le pourra. Je pousserai d'autres ministres français à se rendre en Suède et nous veillerons à avoir un dialogue politique, diplomatique, qui soit plus régulier, plus constant, plus approfondi, évidemment, surtout en cette période où nous sommes, où il y a de si grandes échéances devant nous. C'est donc très utile.

Sur le plan économique, la position de la France s'améliore, mais elle peut encore se développer. Il faut inciter nos entreprises à être davantage présentes en Suède. Nous sommes dans un pays d'économie ouverte, d'économie de marché. Par conséquent, on ne peut pas dicter les commandes aux clients, mais on peut pousser dans cette direction et, d'ailleurs, je peux vous dire qu'une délégation du CNPF viendra dans un avenir prochain. Nos efforts vont dans ce sens.

Dans le domaine culturel, l'année 1998 est considérée importante par les Suédois. Ce sera l'année où Stockholm sera capitale culturelle européenne et j'ai dit à mes interlocuteurs, notamment à la directrice de ce projet, que la France y participerait, qu'elle soutiendrait ce projet.

Q. : Une situation qui préoccupe officiellement beaucoup de Suédois est la sécurité des pays baltes. Les Américains voudraient donner un rôle à la Suède. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

R. : Oui, c'est une question extrêmement importante. Quand on pense à l'architecture européenne de sécurité, on doit certainement accorder une attention particulière aux questions de sécurité pour les pays de la Baltique. Leur proximité de la Russie crée, de part et d'autre d'ailleurs, des sensibilités particulières et requiert sans doute des solutions appropriées. D'autre part, le fait que ni la Suède, ni la Finlande n'appartiennent à l'Alliance atlantique constitue un élément qu'il faut prendre en considération. Tout cela nous pousse, en effet, à considérer que le moment est venu de parler avec les pays de cette région pour examiner avec eux comment on pourra, le mieux possible, répondre à leurs questions de sécurité. L'architecture de sécurité en Europe ne sera pas terminée tant qu'il restera un pays qui n'aura pas reçu les réponses légitimes – et auxquelles il a droit – à ses questions de sécurité.

Q. : Est-ce que vous souhaitez que la Suède joue une espèce de rôle de gendarme régional ?

R. : Le mot n'est pas approprié du tout. Je ne les vois pas (les Suédois) d'ailleurs candidats à cette fonction. La Suède et la Finlande, pays non membres de l'Alliance, le Danemark, pays membre de l'Alliance, qui est lui aussi très concerné par la Baltique, les pays baltes qui ont leurs propres préoccupations, que je connais bien, tous ces pays ont, me semble-t-il, des intérêts communs à trouver des solutions appropriées.

Q. : Qui pourraient être ?

R. : Excusez-moi d'attendre un peu de voir ce qu'ils disent.

Q. : Est-ce que vous trouvez que la Suède s'engage assez loin ?

R. : C'est qu'il y a une grande évolution en Suède, longtemps pays neutre, et qui, me semble-t-il aujourd'hui, réfléchit sur le contenu, la signification et la portée de cette neutralité. J'entends des voix qui s'expriment en faveur d'une participation à l'Alliance atlantique, d'autres qui tiennent des propos assez différents. Ça prouve qu'il y a un débat qui est tout à fait compréhensible puisque la neutralité avait un sens très clair lorsqu'il y avait l'Est et l'Ouest qui s'affrontaient. Être neutre, on savait ce que cela voulait dire. Il n'y a plus d'affrontement entre l'Est et l'Ouest et les mots ont changé de sens à supposer qu'ils en aient toujours gardé un.

Q. : Qu'est-ce que vous pensez du rôle joué par les États-Unis ? Est-ce que vous pensez que les États-Unis ont un rôle à jouer ?

R. : Oui, bien sûr. Les Américains sont tout à fait fondés à réfléchir à ces problèmes, comme nous le faisons. Leur contribution est la bienvenue.


Point de presse (Stockholm, 28 janvier 1997)

Je suis très heureux de vous rencontrer, de vous rendre compte de cette visite que j'ai rendue à l'invitation de Mme Hjelm-Wallén en Suède. Hier, à l'occasion du dîner, ma collègue et amie, ministre des Affaires étrangères suédois, a expliqué les raisons que la Suède et la France ont de s'apprécier et de se bien connaître. Ce sont des raisons liées à l'Histoire. Naturellement, je ne peux pas oublier – personne ne peut oublier – qu'il y a des moments – il y a eu des moments – où nous avions des sujets de désaccord, et même des sujets de désaccord exprimés d'une façon, si j'ai bien compris, assez vive. Et il est bien clair que tout cela appartient au passé, que ces raisons de désaccord ont disparu et que le moment est venu de donner à la relation entre la France et la Suède toute la chaleur, toute la cordialité, toute l'amitié que nous souhaitons voir.

La Suède et la France sont maintenant, ensemble, membres de l'Union européenne. Nous partageons par conséquent un grand projet, « le grand projet principal », me semble-t-il, de nos pays pour la génération qui vient. Nous partageons aussi des valeurs communes. Nous avons les mêmes valeurs du monde d'aujourd'hui, qui sont des valeurs de démocratie, des valeurs d'attachement aux droits de l'homme. Bref, des valeurs communes à défendre dans le monde et un projet européen partagé font que nos deux pays ont toutes les raisons de travailler de façon très étroite. Vous savez enfin que Mme Hjelm-Wallén et moi-même avons des relations amicales et très chaleureuses. Cela peut contribuer aussi au renforcement des relations entre nos deux pays.

Nous avons donc parlé des questions bilatérales et nous avons décidé de donner à ces relations une impulsion nouvelle. Nous voulons les développer à la fois sur le plan politique, sur le plan économique et sur le plan culturel. Nous avons convenu d'établir entre nos deux ministères des Affaires étrangères, entre nos directeurs politiques, des consultations approfondies, régulières, permanentes. Et ceci d'autant plus que les sujets d'intérêt commun ne manquent pas et je vais y revenir dans un instant. Nous avons évoqué les relations économiques entre nos deux pays. Elles sont déjà intenses, mais elles sont aussi susceptibles de se développer… Nous avons évoqué les questions culturelles qui sont importantes à nos yeux. L'année 1998 fera de Stockholm la capitale culturelle européenne et j'ai exprimé le désir de la France d'y participer et d'y contribuer de façon très active.

Enfin, je souhaite que notre chaîne de télévision, TV5, puisse être accessible au plus large public suédois, car elle contribue non seulement à la connaissance mutuelle de nos deux langues, mais aussi, me semble-t-il, aux échanges culturels entre nos deux pays.

Nous avons parlé de façon approfondie de ce qui touche aux questions européennes, notamment dans la perspective de la Conférence intergouvernementale à laquelle, l'un et l'autre, nous participons. La Suède souhaite que le traité auquel nous travaillons laisse toute sa place aux questions intéressant l'environnement, l'emploi et quelques autres questions. La France est disposée à répondre à ces demandes. Donc, nous nous efforcerons de trouver ensemble des rédactions appropriées. Mais en même temps, nous attachons une très grande importance à deux préoccupations que j'ai communiquées une nouvelle fois à ma collègue. Il s'agit de la flexibilité et de la rénovation de nos institutions. L'idée générale, c'est que l'élargissement de l'Union européenne qui est devant nous, qui commencera à être discutée à partir du mois de janvier 1998 et que nous regardons comme un événement d'une grande importance, extrêmement positif pour nous tous, l'idée est donc que cet élargissement de l'Union européenne exige un approfondissement de nos règles de fonctionnement, donc des institutions européennes. Plus nous serons nombreux, plus la diversité des États membres sera, par conséquent, élevée et plus il sera nécessaire que notre fonctionnement soit suffisamment souple et flexible et permette à certains pays d'aller de l'avant dans le cadre des institutions.

La France et l'Allemagne ont présenté des propositions très précises à leurs collègues lors de la réunion du Conseil affaires générales et nous attachons beaucoup d'importance à ces questions. Je crois que le gouvernement suédois devrait considérer positivement cette démarche. S'agissant des institutions, je ne veux pas être trop long : vous connaissez les questions. Nous souhaitons à la fois que le processus de décision du Conseil des ministres européens permette de prendre des décisions et si nous sommes 20, 25, 30, peut-être, il ne faut pas que nous nous trouvions dans des situations de blocage. C'est l'idée qui guide la France et l'Allemagne dans les propositions que nous faisons à cet égard. Notre objectif, s'agissant du Conseil des ministres, comme s'agissant de la Commission, est très simple : il s'agit de permettre à ces institutions de s'adapter à l'augmentation du nombre de membres de l'Union européenne et de faire en sorte qu'elles ne perdent rien de leur efficacité à l'occasion de l'élargissement. Naturellement, nous sommes à la fois très convaincus de nos propositions et en même temps ouverts, disponibles aux négociations de l'Union européenne. Ce sont des négociations entre amis et, par conséquent, il doit être possible de trouver des solutions qui répondent aux préoccupations des uns, qui rassurent les autres, et qui nous permettent de terminer cette négociation dans les délais, c'est-à-dire à Amsterdam en juin prochain.

Je suis venu en Suède apporter un message d'amitié et je viens avec les meilleures intentions du monde, soucieux qu'ensemble nous trouvions sur les questions européennes des réponses qui tiennent compte des préoccupations suédoises, bien entendu, comme des autres.

C'est dans le même esprit que nous avons évoqué les questions de sécurité qui vont dominer l'année 1997. J'ai le sentiment qu'entre Français et Suédois, nous avons des vues assez convergentes sur les questions de sécurité en Europe. La Suède ne participe pas à l'Alliance atlantique. Je crois qu'il y a des débats en Suède sur la position future de votre pays dans le domaine de la sécurité. Vous êtes un pays qui exprime une forte identité nationale et qui a une culture très particulière en Europe. Nous aussi, ce qui nous rend très compréhensibles, très familiers à cette façon qui vous est propre d'exister en Europe parce que nous avons aussi la même. Nous avons marqué un commun attachement, me semble-t-il, à la nécessité de trouver pour la Russie des réponses appropriées à ses questions de sécurité et d'éviter des troubles qui créeraient une situation d'isolement néfaste à la stabilité de l'Europe du Nord.

Nous avons évoqué, naturellement, les questions de sécurité intéressant les pays riverains de la mer Baltique. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce que la Suède a à dire à ce sujet. Votre pays a raison d'avoir, dans ce domaine, une expérience et de jouer un rôle particulièrement important. Et nous sommes convenus d'approfondir notre travail commun sur ce sujet majeur pour la sécurité en Europe qu'est la stabilité et la sécurité des pays riverains de la mer Baltique.

Q. : Je viens d'apprendre qu'il y a une réunion à Moscou entre le président de la République, M. Chirac, et M. Eltsine, le 2 février. Avez-vous une idée des thèmes qui seront abordés au cours de cette réunion ?

R. : Cette réunion est prévue depuis plusieurs semaines. Elle a été annoncée d'ailleurs, je crois bien, avant la fin de l'année 1996, avant Noël. Elle s'inscrit dans la préparation des grandes décisions que nous avons à prendre en 1997 dans le domaine de la sécurité. Le chancelier Kohl est allé à Moscou, il y a quinze jours. Le Président Chirac rencontrera le Président Eltsine dans une semaine. C'est la même démarche, il s'agit d'examiner avec la Russie l'ensemble des questions intéressant les relations bilatérales franco-russes naturellement, mais aussi d'examiner comment faire progresser la question des rapports entre l'Alliance atlantique et la Russie. J'y attache une grande importance.