Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la production laitière, notamment l'accord interprofessionnel sur le prix du lait à la production et la situation du marché des produits laitiers, les quotas laitiers dans le cadre de la PAC et l'hygiène du lait au plan communautaire, Alençon le 26 mars 1998.

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Circonstance : Assemblée générale de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) à Alençon le 26 mars 1998

Texte intégral

Je vous remercie de votre invitation à venir clôturer les travaux de votre assemblée générale, au cœur du grand bassin laitier normand car c’est pour moi l’occasion de vous entendre, d’exposer les orientations que je souhaite mettre en œuvre dans votre secteur. Je sais que la production laitière est le premier secteur agricole français puisque ses livraisons représentent 65 milliards de francs, soit 20 % des livraisons de produits agricoles françaises. Grâce à vous, les éleveurs, la France se situe ainsi au deuxième rang communautaire pour la production de lait derrière l’Allemagne et représente 20 % de la collecte de lait européenne.

Avant que d’évoquer avec vous les grands chantiers sur lesquels nous allons travailler ensemble au cours de l’année 1998, je souhaite dresser un bilan de l’année qui vient de s’écouler, tant il est vrai que l’année 1997 aura été riche en événements dans le secteur laitier.

Je reviendrai en premier lieu sur l’accord interprofessionnel sur le prix du lait à la production.

Le premier semestre 1997 a en effet été marqué par vos inquiétudes face aux perspectives d’évolution du prix du lait. Mais l’année 1997 s’est terminée dans le calme grâce à la conclusion de l’accord interprofessionnel relatif à la fixation du prix du lait, le 25 novembre.

Dans le courant du mois de décembre, lorsque vous êtes venus me présenter cet accord, Monsieur le président, je vous ai dit ma satisfaction. Satisfaction que le dialogue ait pu reprendre entre les acteurs d’une interprofession dont chacun s’accorde à reconnaître qu’elle a démontré depuis plus de vingt ans sa capacité à gérer de manière équilibrée les relations entre les différents acteurs de la filière laitière. Satisfaction aussi de constater la qualité du travail accompli qui jette les bases de relations nouvelles entre producteurs et transformateurs.

Désormais, les prix du lait à la production seront mis en relation avec le niveau de valorisation des produits laitiers par les industriels, mais aussi et c’est important de le souligner, avec d’autres facteurs comme l’évolution des coûts de production du lait. Des tendances seront ainsi établies au niveau national pour des produits laitiers de référence à partir d’indicateurs économiques fiables et reconnus par tous.

Mais le prix du lait ne sera pas fixé à Paris ! Cet accord préserve en effet une large autonomie aux interprofessions régionales, ce qui en fait un dispositif original et compatible avec le droit de la concurrence. Il va donc dans le bon sens ainsi qu’en témoigne son application depuis maintenant trois mois et je souhaitais aujourd’hui vous féliciter pour la contribution de votre fédération à ce travail.

J’en viens maintenant à la collecte laitière et à la situation du marché des produits laitiers.

Je crois savoir que la tradition dans le secteur laitier est de ne plus parler de la situation de la collecte au cours des quelques semaines qui précèdent la fin de la campagne laitière, ou alors de ne le faire qu’à voix basse. À quelques jours de la fin de la campagne laitière 1997/1998, je prendrai quand même le risque de dire qu’il est permis d’envisager que la France respecte son quota… ou presque. Je voudrais en profiter pour féliciter les producteurs de lait, pour vous féliciter, des efforts qui ont été réalisés en ce sens. C’est loin d’être le cas dans d’autres pays de l’Union européenne, et je pense en particulier à l’Allemagne, au Royaume-Uni, mais aussi à l’Espagne et à l’Italie. Je vous encourage à continuer, y compris au cours des derniers jours du mois de mars : le respect par chaque État membre de son quota n’est-il pas en effet le gage d’une situation de marché plus équilibré ?

C’est en tout cas ce qu’un observateur attentif aura constaté au cours des cinq-six dernières années : la situation de marché de l’Union européenne est très directement liée à deux phénomènes : les variations liées au niveau de la collecte et le volume de nos exportations sur pays tiers sont devenus déterminants dans l’équilibre du marché des produits laitiers. L’année 1997 illustre de façon exemplaire cette situation.

Après une année 1996 très morose, 1997 aura été une année de redressement. Mais il ne vous a pas échappé que cette année aura aussi été marquée par un très fort contraste entre le marché de la matière grasse et le marché de la matière protéique. L’équilibre du marché de la matière grasse est resté très tendu grâce à la bonne tenue de la consommation intérieure aidée et de fortes exportations vers les pays de l’Est en début d’année. Quant au marché de la matière protéique, il est resté très fragile tout au long de l’année 1997.

Cette situation est principalement liée à la baisse des utilisations de poudre de lait écrémé dans les aliments pour les veaux. Car chacun sait que l’année qui vient de s’écouler aura été une année difficile pour les producteurs de veaux de boucherie.

À l’interface de deux filières très importantes, la viande bovine et le lait, ce secteur a subi de plein fouet les conséquences indirectes de la crise liée à l’ESB.

D’abord avec la désaffection des consommateurs. Ensuite avec les mesures prises en octobre 1996 pour faire face aux excédents de court et moyen terme dans le secteur de la viande bovine, je veux parler de la prime à l’abattage précoce.

Vous le savez, j’ai obtenu que les effets déstabilisants de cette prime soient considérablement atténués par la modification des montants relatifs allouée aux principaux pays producteurs. Je continuerai à m’attacher à l’harmonisation de ce dispositif.

Pour 1998, la situation du marché des produits laitiers ne devrait pas être différente. L’ajustement qui a eu lieu en début d’année sur le niveau des cours du beurre permettra de ne pas compromettre les utilisations de beurre tout en permettant une bonne valorisation de la matière grasse. En revanche, le marché de la matière protéique devrait rester fragile, et je m’attacherai donc dans les mois qui viennent à faire en sorte que la Commission mette en œuvre une politique d’exportation volontaire pour la poudre de lait écrémé.

Cette sérénité sur le marché des produits laitiers devrait nous permettre de concentrer tous nos efforts sur les deux grands chantiers de l’année 1998, je veux parler de la loi d’orientation agricole et de la réforme de la politique agricole.

Loi d’orientation agricole

J’ai la conviction que nous entrons dans une nouvelle période de l’histoire de l’agriculture et de la politique agricole. Nous entrons dans une période plus complexe, qui nous oblige à renouveler notre vision de l’agriculture et des politiques publiques qui y sont liées. Le temps est venu de redéfinir la place de l’agriculture dans notre société, et de reformuler les objectifs de la politique agricole en prenant en compte explicitement ses fonctions économiques, mais aussi territoriales et sociales.

Je voudrais tout d’abord vous rassurer, Monsieur le président, je n’oublie pas la fonction économique de l’agriculture. Les agriculteurs seront, demain comme aujourd’hui, des producteurs de denrées alimentaires et de matières premières pour les industries de transformation. Mais les préoccupations sociales et environnementales ne sont pas étrangères à l’économie. Les exploitations agricoles ne pourront produire durablement que si elles prennent en compte les exigences de protection et de renouvellement des ressources naturelles. Si elles ne le font pas, c’est leur capacité à produire et à commercialiser qui sera remise en cause. Ce que l’on baptise « contraintes environnementales » constitue en fait une condition de la pérennité des exploitations.

De la même façon, en faisant de la production de services collectifs l’un des objectifs de la politique agricole, nous ne nous éloignons pas de l’économie agricole. Les jeunes ne s’installeront que s’ils trouvent un milieu rural vivant, offrant les services collectifs que tous nos concitoyens attendent. En contribuant au maintien de ce tissu social dans le monde rural, par les services collectifs qu’ils pourront rendre, les agriculteurs travaillent pour eux-mêmes en même temps qu’ils travaillent pour les autres.

L’économie agricole reste intimement liée aux politiques publiques : plus de la moitié du revenu disponible des agriculteurs provient des fonds publics.

Nous ne devons jamais perdre de vue que ces soutiens, qui ont été légitimes pour encourager la production ou encore pour compenser des baisses de prix, sont menacés dans le court ou moyen terme, de perdre toute légitimité si celle-ci tire sa source dans le passé et non pas dans l’avenir.

L’avenir, c’est une agriculture qui va devoir affronter les conséquences d’une ouverture croissante des marchés mondiaux tels que les accords de Marrakech le stipulent. Ce qui signifie que la fixation des prix en agriculture sera de moins en moins protégée et s’effectuera de plus en plus par le marché.

Dans ces conditions, ce n’est pas en la réduisant à sa seule fonction économique que nous parviendrons à maintenir l’agriculture sur l’ensemble du territoire national. Ce n’est pas non plus ainsi que l’agriculture contribuera à apporter des réponses à la question de l’emploi et du travail.

Voilà pourquoi nous voulons reconnaître les fonctions multiples de l’agriculture. Voilà pourquoi nous voulons dire, avec ce projet, que le métier d’agriculteur est appelé à se complexifier et non pas à s’appauvrir.

Cette orientation générale correspond, je crois, à ce que nos concitoyens attendent quant à la place de l’agriculture dans notre société. Elle correspond aussi à l’idée que les agriculteurs se font de leur métier. C’est peut-être cela l’identité européenne de l’agriculture.

Loin de faire de la loi d’orientation agricole un exercice hexagonal sans lien avec le débat européen qui s’engage sur la PAC, notre ambition est de faire de cette loi une nouvelle approche de la politique agricole et une anticipation face aux défis mondiaux que nous avons décidé de relever.

En effet, alors même que se déroulent les négociations européennes, commence à s’amorcer le débat sur la réforme de l’organisation mondiale du commerce.

Il faut préparer ces échéances afin que notre agriculture reste présente sur les marchés mondiaux, mais aussi afin que l’agriculture européenne continue d’être le pivot de la construction de l’Union.

L’outil que je propose pour engager la politique agricole dans la voie du découplage des aides, c’est le contrat territorial d’exploitation.

Ce contrat entre l’agriculteur et l’État précisera les droits et devoirs de chacun et associera le versement d’une partie des aides publiques aux agriculteurs à la prise en compte, par les exploitations, d’orientations définies dans des cahiers des charges nationaux et régionaux, précisés au niveau départemental.

Les prescriptions de ces cahiers des charges traduiront les objectifs généraux que j’évoquais à l’instant devant vous. Les contrats territoriaux seront proposés à tous les exploitants sur tout le territoire. J’insiste sur ce point. Il ne s’agit pas d’une mesure réservée aux zones dites défavorisées, ou portant uniquement sur la prise en compte de prescriptions environnementales. Les contrats territoriaux d’exploitation ont vocation à couvrir tous les aspects de l’activité des exploitations qui les souscriront.

De même, le contrat ne sera pas seulement une formalité individuelle, n’intégrant pas les préoccupations collectives nécessaires au développement de l’agriculture. Car en effet, ce n’est pas l’addition de contrats individuels qui fait une politique agricole.

C’est pourquoi, il faudra créer une cohérence. Il y aura ainsi dans le cahier des charges les objectifs généraux fixés au plan national. Je veux parler d’objectifs en matière de pratiques agronomiques, de la gestion de la ressource en eau, d’évolution des processus de production, de la gestion des paysages, etc.

Ces objectifs généraux devront être complétés par des orientations définies localement au sein d’une petite région agricole, collectivement par un groupe d’agriculteurs, décidé à rentrer dans cette démarche.

Enfin, le contrat aura bien évidemment une dimension individuelle puisqu’il prendra en compte un projet personnel de reconversion de certaines productions, de diversification ou d’élargissement du projet d’exploitation. Il s’agit bien de contracter avec un agent économique et de l’encourager dans son développement. Ceci de deux façons :
– la première, en reconnaissant que c’est à travers son activité économique que s’élaborent les richesses non marchandes ;
– la deuxième tient au fait que le contrat doit prendre en compte la dimension d’innovation que l’exploitant veut mettre en œuvre. Cette innovation peut consister à chercher de nouveaux créneaux, à s’associer à d’autres pour promouvoir un produit. L’innovation, c’est aussi trouver des moyens pour maintenir ou créer de l’emploi.

Ainsi donc, le contrat symbolisera la triple dimension nationale, locale et individuelle, d’une exploitation agricole et en même temps sa dimension économique et territoriale.

Voici quelle est l’orientation de ce projet de loi.

Quant au contrôle des structures, la recherche de la qualité et de son identification, le volet recherche-formation-développement découlent de cette orientation générale et viennent la conforter.

Parlant de contrôle des structures, je souhaite vous dire comment j’entends répondre à vos inquiétudes face au développement de ce qu’il est convenu d’appeler les « montages sociétaires » dans le secteur laitier. Dans la plupart des cas, la mise en commun des moyens de production autres que le foncier, au travers de la création de GIE et/ou de GFA, permet à certains producteurs d’échapper au prélèvement instauré par le décret de 1996, mais aussi de contourner le régime des quotas laitiers. Dès mon arrivée au ministère, vous m’avez alerté sur ce problème, le premier cas m’ayant été soumis se trouvait d’ailleurs dans l’Orne.

Vous le savez, j’ai demandé à mes services de se mobiliser sur ce problème. Nous avons, pour chacun des cas qui nous a été soumis par les professionnels, procédé à une analyse détaillée, car si tous ces montages poursuivent le même objectif, ils font souvent appel à une grande diversité d’astuces juridiques.

Sur la base de cette analyse, nous avons informé les intéressés des risques financiers que leur situation leur faisait courir.

Enfin, lorsque nous n’avons pas pu les convaincre de se remettre en conformité avec la réglementation, l’Onilait a été chargé de diligenter un contrôle et d’appliquer les sanctions requises par la loi.

Mais il faut aller plus loin pour prévenir la multiplication de ces structures et c’est pourquoi j’ai décidé de renforcer le contrôle a priori de ces structures dans le cadre de la loi d’orientation agricole.

Le paquet Santer

L’Europe doit elle aussi rechercher une voie nouvelle pour sa politique agricole.

J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de m’exprimer sur le paquet Santer et je vais avoir à le faire sur les nouvelles propositions de la Commission dans les tout prochains jours.

L’heure est venue pour la France d’être une force de propositions, de telle sorte que la politique agricole européenne ne devienne pas, au fil des ans, le talon d’Achille de la construction européenne, mais qu’elle en demeure au contraire le fer de lance.

Mais comment la PAC pourrait-elle être un ferment pour bâtir l’Europe si elle continuait durablement à reposer sur les postulats qui étaient ceux de 1960 ?

La question que nous nous posons en France autour de la préparation de la loi d’orientation agricole, nous devons la porter dans le débat européen puisque c’est là que se joue principalement la grande question de la relégitimation des aides publiques.

Une politique agricole commune qui ne reposerait que sur des mécanismes de compensation, a-t-elle un avenir durable alors que cette même Europe est confrontée à des problèmes internes tels que celui de la réforme de ses institutions ou celui de l’emploi, à des problèmes externes comme celui de son élargissement et celui des règles du commerce international ?

Ce qui nous est proposé me paraît abusivement baptisé « réforme de la PAC ». Il s’agit en fait d’une adaptation de ce qui a été décidé en 1992, tout au plus d’un réglage. Tout cela se résume à « un peu plus de baisse des prix et un peu plus de compensations ».

Quelle doit être la position française dans ce débat ?

Allons-nous nous contenter de demander un peu moins de baisse des prix et un peu plus de compensations ?

Même si nous obtenions cela, je pense que nous aurions échoué, car nous aurions manqué l’occasion de faire une véritable réforme de la PAC.

Celle qui nous est proposée, c’est de poursuivre la course sans fin à la compétitivité pour vendre des produits de base sur le marché mondial. Comme nous ne sommes pas en mesure de le faire sans aide, l’essentiel des moyens publics serait consacré à donner sous forme d’aides directes aux agriculteurs, le revenu qu’ils ne pourront pas tirer du marché.

Mais que penser d’un système dans lequel les aides publiques représenteraient en moyenne plus de 80 % du revenu disponible des producteurs de lait, 110 % du revenu disponible des céréaliers et 210 % de celui des producteurs de viande bovine, car ce serait le résultat de l’application du paquet Santer ?

Quelle serait la rationalité économique et la pérennité d’un tel système ?

Enfin, il faut aussi faire preuve de pragmatisme : il ne saurait y avoir de solution unique des problèmes fondamentalement différents. Le blé n’est pas le lait : 90 % de la production laitière communautaire est valorisée à un prix élevé sur le marché européen. Comme vous le disiez, Monsieur le président, pourquoi baisser les prix pour 100 % de notre production lorsque cela n’est justifié que pour les 10 % exportés sur le marché mondial ?

L’OCM actuelle a fait ses preuves. Chacun convient, y compris la Commission dans son rapport sur les perspectives du marché à l’horizon 2005, qu’elle a permis tout à la fois de :
– garantir un revenu équitable aux producteurs de lait ;
– maintenir la production laitière dans des zones difficiles contribuant ainsi de manière déterminante à la vitalité de certaines zones rurales ;
– maintenir un marché équilibré et d’assurer aux consommateurs des produits laitiers de qualité à des prix abordables.

Et tout cela pour 3,5 milliards d’écus, soit seulement 12 % du budget FEOGA.

Au moment où la Commission nous propose de réformer radicalement le secteur laitier et d’engager ainsi ce secteur dans une logique de baisse des prix, il est bon de rappeler le succès de l’OCM actuelle.

Car en effet, on ne réforme pas pour le plaisir de réformer.

Quelles sont donc les raisons invoquées pour justifier une telle réforme ?

Les conséquences des accords de Marrakech et les négociations multilatérales qui vont s’ouvrir dans le cadre de l’OMC ? S’agissant des accords de Marrakech, nous avons trouvé ensemble les moyens d’aider le secteur laitier d’y faire face en mettant en œuvre une politique de ciblage et les résultats sont là : nos exportations n’ont pas diminué et la part des exportations sans restitution a progressé. Quant aux futures négociations, ne préjugeons pas de leurs résultats avant même de les avoir commencées, d’autant que la production laitière est protégée dans la plupart des grands pays laitiers du marché à commercer par les USA.

On nous dit aussi que l’élargissement aux PECO imposerait une réforme radicale parce que le prix du lait à la production est faible dans ces pays. D’autres secteurs ont eu à faire face à une situation comparable lors de précédents élargissements de l’Union européenne, je pense au secteur des fruits et légumes lors de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal. Ces pays ont, avec succès, progressivement appliqué les mécanismes de la PAC. Pourquoi ne pourrait-il pas en être de même lors de l’adhésion de la Pologne ?

Je ne suis pas favorable à la réforme radicale de l’OCM lait qui nous est proposée : coûteuse, le budget laitier augmenterait ainsi de 3 milliards d’écus, elle n’est pas justifiée et entraînera une dégradation du revenu des producteurs de lait.

Enfin, comment croire que l’on pourra durablement maintenir le régime du prélèvement supplémentaire et baisser les prix : les propositions de la Commission portent en elles le démantèlement du régime des quotas, auquel je suis très attaché.

Cela ne signifie pas que je suis opposé à toute évolution du régime des quotas laitiers.

Comme nous l’avons fait en 1992, nous pouvons apporter des aménagements, des assouplissements à ce régime sans le remettre en cause. Le niveau des quotas, leurs règles de mobilité, les conditions de leur application dans certaines zones difficiles ou pour des produits d’appellation d’origine, voilà des sujets sur lesquels nous devons travailler à l’occasion de la réforme de la PAC.

Vous faisiez vous même référence à la nécessité d’aménager les règles de gestion des quotas. Nous pouvons saisir l’occasion qui nous est offerte pour apporter plus de subsidiarité, qu’il s’agisse de la redistribution des quotas, de la gestion des sous-réalisations, qu’il s’agisse d’ailleurs des livraisons ou des ventes directes.

Mais je n’oublie pas que le producteur de lait est aussi un producteur de viande. La baisse des prix de 30 % de la viande bovine, la suppression du système des achts [???] à l’intervention de même que les modalités de compensation ne sont pas acceptables pour la France.

Voilà ce que je souhaite dire à la Commission et à mes collègues européens le 31 mars prochain. Vous le savez, les négociations vont être longues et difficiles. Je souhaite que, dans les mois qui viennent, la concertation soit très étroite afin que nous trouvions ensemble les voies qui vous permettront de faire progresser ce que j’ai appelé l’identité de l’agriculture européenne.

Outre la loi d’orientation et la réforme de la PAC qui vont dominer l’actualité de l’année 1998, vous avez évoqué quelques autres dossiers qui vous tiennent à cœur et qu’il ne faudra pas négliger.

Je commencerai par évoquer les échanges de quotas laitiers et de PMTVA.

Plus que l’accès au foncier, l’accès aux droits à prime ou à produire est devenu un élément déterminant pour l’installation d’un jeune, mais aussi pour assurer la pérennité des exploitations existantes.

Lorsque je présentais, il y a quelques instants, les objectifs que j’assigne à la loi d’orientation agricole, j’évoquais le phénomène d’agrandissement et son corollaire, je veux parler de la disparition chaque année de centaines d’exploitations. Pour enrayer ce phénomène, la loi apportera des solutions et notamment en assurant une meilleure transparence et en renforçant le contrôle des structures. Mais la loi n’apportera pas de remède miracle.

Dans le secteur de l’élevage, je crois qu’un des moyens permettant de limiter la concentration est de favoriser la spécialisation des exploitations et cela est possible grâce aux échanges de droits. Dans un courrier, le président Guyau, Madame Lambert, le président Daul et vous-même avaient souhaité que de tels échanges puissent être mis en œuvre pour les droits PMTVA et les quotas laitiers.

Vous le savez, j’ai demandé à mes services de travailler avec vous sur ce sujet. En dépit des difficultés juridiques et pratiques que soulève un système d’échanges, j’ai souhaité mettre en œuvre, dès la campagne 1998/99, une expérimentation « grandeur nature ». J’ai voulu qu’une telle opération soit à la fois limitée dans le temps, une campagne, et sur le territoire, trois départements, la Creuse, le Cantal et la Haute-Saône, afin que nous puissions faire dans un an un bilan très précis des avantages et des inconvénients d’un tel dispositif.

À la lumière de cette expérience, il sera alors possible de définir dans quelles conditions une telle bourse d’échanges pourrait voir le jour. Les instructions nécessaires seront adressées à mes services et aux préfets concernés dans les jours qui viennent et je compte aussi sur vous, sur vos représentants sur le terrain, pour que cette expérimentation se passe dans de bonnes conditions.

L’hygiène du lait

Mais l’année 1998 verra aussi l’entrée en vigueur de la totalité des dispositions de la directive 92/46/CEE du 16 juin 1992 relative aux conditions d’hygiène applicables dans la filière laitière. La qualité des produits laitiers trouve, bien évidemment, son origine dans celle du lait. C’est-à-dire l’importance de votre rôle d’éleveurs fournisseurs d’un lait cru devant satisfaire à des critères, en particulier microbiologiques, de plus en plus stricts au moment où les débats sur la qualité des produits laitiers des fromages, prennent souvent le devant de la scène médiatique.

Votre fédération a bien compris cet enjeu puisque vous avez depuis plusieurs années préparé et publié le « Guide d’hygiène de la traite », puis son référentiel technique d’accompagnement.

Au plan régional, de nombreux accords intègrent désormais cette composante hygiénique vétérinaire dans une démarche dynamique d’amélioration toujours plus grande de la qualité du lait, en matière de germes et de cellules.

Vous devez poursuivre vos efforts tant il est vrai qu’il suffit d’un incident pour entamer la confiance des consommateurs. Cela vaut tant pour les produits au lait cru que pour les autres. Mais je suis conscient des difficultés considérables que le renforcement croissant des exigences sanitaires peut créer pour certains éleveurs. Le programme de rachat de quotas que j’ai décidé de mettre en œuvre en accord avec vous a permis de traiter en priorité les cas les plus difficiles. Mais, ainsi que vous l’indiquiez, Monsieur le président, il faudra rester attentif à l’évolution de cette situation dans les mois à venir.

Les dioxines

Si l’éleveur est directement responsable de la qualité hygiénique du lait qu’il produit, il est parfois victime de contaminations qui trouvent leur origine dans l’environnement de son exploitation. Chacun aura compris que je fais référence aux producteurs du Nord dont les laits se sont révélés impropres à la consommation en raison de leur taux élevé en dioxines.

Même si les premières notifications aux producteurs ont été réalisées de manière un peu abrupte, je crois pouvoir dire que la collaboration entre les professionnels, les services déconcentrés de l’État et la communauté urbaine de Lille a été remarquable par la volonté de dégager rapidement des solutions pour traiter une situation nouvelle pour tous. Les réunions de concertation ont permis de soutenir les éleveurs concernés. Collecte, remplacement de cheptel, affourragement, tout a été étudié pour favoriser un redémarrage des activités. J’entends bien suivre personnellement ce dossier nordiste, Monsieur le président.

Vous avez aussi évoqué d’autres sujets qui nous tiennent à cœur comme le PMPOA, les produits fermiers ou encore l’agriculture biologique. Sur ces dossiers, comme sur les grands chantiers que sont la loi d’orientation agricole et la réforme de la PAC, nous allons travailler ensemble tout au long de l’année 1998. Ensemble, il nous faut œuvrer pour que l’agriculture française conserve sa modernité et sa diversité. Depuis longtemps déjà, vous avez démontré votre dynamisme et votre capacité d’adaptation. Ils vous autorisent à regarder l’avenir avec un optimisme lucide.