Texte intégral
Conférence de presse : 8 octobre 1996
Mesdames et Messieurs,
Merci d’abord d’être là. Je voudrais vous dire quel plaisir j’ai à me trouver à Moscou, à l’invitation d’Evgueni Primakov, pour cette visite officielle. Vous vous souvenez peut-être que j’étais venu ici même, au début de l’année, au mois de janvier et que nous avions commencé, Evgueni Primakov et moi, à nouer des relations très étroites auxquelles j’attache personnellement beaucoup de prix. Je m’empresse de dire tout de suite que j’ai invité Evgueni Primakov en visite officielle à Paris dès que son calendrier le lui permettra. Et nous nous efforcerons de l’accueillir comme nous le souhaitons, c’est-à-dire comme le représentant d’une grande puissance amie de la France. Les relations entre la France et la Russie sont, du point de vue français, un élément essentiel, une priorité, ce que nous avons convenu d’appeler ensemble « un partenariat privilégié » entre Français et Russes. Et je vous demande d’accorder à ces mots toute l’importance qu’ils méritent, la signification qu’ils comportent. Nous sommes des partenaires et nous avons l’intention de faire en sorte, et déjà nous avons fait en sorte, qu’il y ait entre nous une relation privilégiée par rapport à d’autres.
Nous avons consacré une large part de nos travaux aux questions de sécurité. Evgueni Primakov a présenté une analyse des risques et menaces qui peuvent peser sur cette sécurité, qui est extrêmement intéressante et extrêmement riche pour la suite de notre discussion. Elle souligne particulièrement que nous sommes passés de l’époque, ancienne désormais, de la confrontation entre les blocs à celle de la coopération entre partenaires européens. Nous ne cherchons plus désormais à nous défendre les uns des autres. Nous cherchons à faire face ensemble à des menaces ou des risques qui pourraient porter atteinte à la stabilité ou à l’équilibre de notre continent, qui est notre objectif commun. Voilà ce que signifie passer de l’époque de la confrontation, l’époque ancienne, à l’époque de la coopération qui est celle que nous avons le bonheur de vivre aujourd’hui. Dans ces conditions, notre objectif commun doit être de faire en sorte que les réponses que nous apporterons aux questions de sécurité s’adressent à chacun d’entre nous, à chaque pays d’Europe. Il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. Il faut que tous les pays d’Europe, je dis bien tous les pays, trouvent les réponses satisfaisantes aux questions de sécurité qui se posent. Dès lors, le moment me paraît venu de passer des déclarations générales, des positions de principe, au travail concret. Je crois que Evgueni Primakov et moi sommes tombés d’accord sur la nécessité qu’il y ait entre la France et la Russie un travail très concret, très pratique, pour faire face aux échéances qui sont devant nous. D’ici à la fin de l’année 97, il y a un certain nombre d’échéances qui démontrent que l’année 97 sera l’année de la sécurité en Europe.
C’est dans cette période, je crois, que les grandes orientations, les grandes décisions, le cadre général et, peut-être, certaines décisions pratiques seront prises qui, j’en suis convaincu, orienteront les décisions de sécurité en Europe pour la génération qui vient. Qu’il s’agisse du renforcement de l’OSCE, qu’il s’agisse de la modernisation du traité sur les Forces conventionnelles en Europe, qu’il s’agisse de la rénovation de l’OTAN. Dans ces principes, il faut accorder un rôle très important à l’OSCE. Naturellement elle n’a pas de vocation hiérarchique, mais elle doit assumer une responsabilité particulière. Voilà pourquoi il est très important de préparer de façon efficace et pratique le Sommet de Lisbonne qui est la première des échéances qui est devant nous au début du mois de décembre prochain et qui se tiendra, comme vous le savez, entre les chefs d’État et de gouvernement. Et nous sommes convenus avec Evgueni Primakov de consacrer, dans les prochaines semaines, beaucoup d’efforts et beaucoup de travail entre les experts français et les experts russes pour que ce sommet de Lisbonne soit un succès. Il sera un succès si, d’une part, nous convenons de renforcer la structure de l’OSCE et si, d’autre part, nous tombons d’accord sur ce qu’il y a lieu de faire en vue de moderniser le traité sur les Forces conventionnelles en Europe afin d’ouvrir la discussion sur ce sujet et, enfin, si nous parvenons à adopter une plate-forme de sécurité collective en Europe. Je ne vous cache pas que c’est un programme de travail chargé et que, par conséquent, il faut s’y consacrer de façon très intense. Enfin, le dernier principe que je tenais à vous exposer concerne le rythme de nos travaux en matière de sécurité. Si on écoute les uns, on serait tenté de dire « c’est tel aspect de la question avant tel autre, parce qu’il est plus important ». Et, selon d’autres, c’est l’ordre hiérarchique inverse qu’il faudrait suivre. Je propose que nous ayons l’ambition d’avancer de front sur tous les terrains et toutes les questions de sécurité, car elles sont toutes importantes si l’on veut faire en sorte, qu’en Europe, chacun ait le sentiment que sa sécurité est assurée. Ainsi nous pourrons tous créer ensemble une atmosphère de tranquillité et de paix sur notre continent. Naturellement, je suis prêt à entrer dans le détail si vous le souhaitez, mais je voulais insister sur la très grande importance de ces questions de sécurité en Europe et sur l’extrême qualité du dialogue franco-russe sur ce sujet.
Nous avons parlé abondamment, M. Primakov et moi, du Proche-Orient. C’est un sujet qu’il affectionne particulièrement et moi aussi. Je reconnais qu’il a sur ce sujet, comme sur d’autres d’ailleurs, une ancienneté nettement supérieure à la mienne. Les positions française et russe sont extrêmement proches, pour ne pas dire très souvent franchement identiques, donc tout ce qu’a dit M. Primakov pour résumer nos propos me convient parfaitement.
Europe 1 - 8 octobre 1996
Je viens de rencontrer successivement et très longuement, bien sûr, Evgueni Primakov, ministre des Affaires étrangères, ainsi que M. Tchernomyrdine, avec qui j’ai eu un entretien à la Maison Blanche.
Q. : Est-ce qu’il vous a parlé de la santé du Président Eltsine ?
R. : Il m’a parlé du Président Eltsine qu’il venait de rencontrer quelques minutes auparavant. Il m’a fait part du fait que le Président assumait pleinement la charge qui est la sienne et donc qu’il était en bonne forme.
Q. : Quelles sont vos impressions sur la transition actuelle ?
R. : Je ne pense pas que l’on puisse parler de transition. Je constate que les institutions russes fonctionnent, que les difficultés qui peuvent surgir n’empêchent pas les pouvoirs publics russes de fonctionner comme dans toute démocratie. Je crois que c’est un signe encourageant et positif, de constater ainsi que la démocratie russe, qui est jeune, démontre dans cette circonstance éprouvante sa force et sa réalité.
Q. : Vous avez fait une proposition d’un sommet en 1997 sur le thème de la préparation de la transformation de l’OTAN. Ce sommet se déroulera à quel niveau ? Qui y participera ?
R. : L’idée (qui n’est pas seulement une idée française), c’est de faire en sorte que les pays membres de l’Alliance puissent se réunir pour faire le bilan de la réforme en cours, que s’y adjoignent les représentants de la Russie afin que l’on puisse délibérer sur les rapports à établir entre l’Alliance atlantique et la Russie, et qu’enfin nous puissions associer l’ensemble des pays d’Europe, de façon que ce soit un sommet pan-européen. Il s’agira d’un sommet en effet puisque cette réunion devrait se tenir entre les chefs d’État et de gouvernement, permettant ainsi de montrer tous ensemble que nous établissons des règles nouvelles pour la sécurité des Européens, non plus dans l’idée de la confrontation, qui existait du temps de la guerre froide, mais dans l’idée de la coopération et de l’effort commun pour lutter contre les menaces de demain.
Q. : Quel est le sujet de préoccupation principale quand vous parlez avec Evgueni Primakov en la matière, je veux dire la préoccupation principale russe ?
R. : La préoccupation principale russe est très facile à comprendre : ils ne veulent pas que l’on continue à les considérer comme des adversaires d’hier. En effet, entre l’Alliance atlantique et le Pacte de Varsovie, entre l’Est et l’Ouest, des deux côtés du mur qui a séparé l’Europe, c’était une confrontation, deux mondes opposés. Maintenant, c’est un pays qui chemine sur la voie de la démocratie et de l’économie de marché et qui doit être traité comme un pays ami et comme un partenaire du dialogue.
Quotidien russe « Sevodnia » - 8 octobre 1996
Q. : Votre visite à Moscou va se dérouler dans un contexte compliqué du point de vue de la politique intérieure. Comment envisagez-vous les perspectives de la démocratie et des réformes économiques en Russie ? Quelle est la stratégie de la France dans ses relations avec la Russie ?
R. : La Russie a choisi en 1991 de s’engager sur la voie de la démocratie et des réformes économiques. Si je considère la dernière échéance électorale, l’élection présidentielle de juin-juillet dernier, on peut y lire, me semble-t-il, la confirmation par le peuple russe de ce choix.
Beaucoup de choses ont changé en Russie : une société civile a émergé, liberté d’opinion et d’expression sont des acquis. Une classe d’entrepreneurs se développe et 60 % du produit intérieur brut russe provient maintenant du secteur privé.
Ce ne sont là que quelques éléments mais ils témoignent de l’ampleur de la mutation opérée. Certes, les problèmes ne manquent pas, mais le cap fixé est le bon. Il permettra à la Russie de s’inscrire à la place qui doit lui revenir naturellement dans le grand concert des nations libres et démocratiques. Cette place est l’une des toutes premières.
La stratégie de la France ? Elle est précisément d’accompagner et d’aider la Russie dans sa marche en avant, sans aucune prétention à donner des leçons. Nous le faisons au travers de nos relations bilatérales et aussi de notre participation à de nombreux programmes multilatéraux, européens en particulier. Nos coopérations dans les domaines de l’espace, de l’environnement et de la sûreté nucléaire sont très prometteuses. Notre coopération pour la formation des hommes est essentielle. Je me rendrai aussi au Haut Collège économique, qui forme de futurs cadres russes aux techniques les plus avancées de la gestion et de l’économie et a été mis en place, avec l’aide de la France, par M. Iassine, ministre russe de l’Économie.
Nous souhaitons aussi développer nos relations économiques bilatérales. C’est pourquoi nous avons créé, au début de cette année, une commission au niveau des Premiers ministres russe et français. Avec l’aide de nos entreprises, cette commission donnera une impulsion nouvelle à nos échanges.
La volonté de la France d’entretenir avec la Russie un partenariat privilégié se traduit par un dialogue politique étroit et fréquent : ma nouvelle visite à Moscou en témoigne. La prochaine échéance sera la réunion de la commission Juppé-Tchernomyrdine en novembre prochain en France. Autant d’étapes qui marquent l’approfondissement et la solidité du dialogue franco-russe.
Q. : Le mandat de l’IFOR en Bosnie-Herzégovine prend fin en décembre. Les forces de paix ont accompli leur mission : les élections générales ont eu lieu. En même temps, plusieurs des pays qui ont fourni des contingents à l’IFOR jugent nécessaire de poursuivre l’opération militaire. Quelle doit être, selon Paris, la nature du nouveau mandat des forces internationales ? Les troupes françaises resteront-elles en Bosnie si les États-Unis se retirent ?
R. : La France est favorable au principe du maintien en Bosnie-Herzégovine d’une force militaire multinationale, au-delà du 20 décembre 1996. Mais elle n’y participera que si et dans la mesure où ses principaux partenaires en font autant.
Par conséquent, nous sommes disposés à engager, le moment venu, une réflexion approfondie sur le mandat précis ainsi que sur le format de cette force multinationale. L’essentiel est d’assurer un environnement de sécurité suffisamment rassurant pour que le processus de réconciliation, déjà engagé, se poursuive et devienne irréversible. À cet égard, la France a proposé un plan de consolidation sur les deux années à venir, et organisera à Paris, le 14 novembre prochain, une importante conférence internationale consacrée à l’examen de ce plan.
Q. : À Berlin, lors de la session du conseil de l’Atlantique nord, il a été décidé de donner « une dimension européenne » à l’OTAN. À ce sujet, la France a déclaré qu’elle ne réintégrerait pas les structures militaires de l’Alliance tant que cette réforme ne serait pas mise en œuvre. Au cours de la récente rencontre de Bergen, la France a exigé le passage sous contrôle européen du commandement de deux flancs de l’OTAN. Peut-on parler de divergences sérieuses ? Pour Paris, l’européanisation de l’Alliance doit-elle précéder son élargissement ?
R. : À Berlin, les alliés, y compris les États-Unis, sont convenus de développer l’identité européenne de sécurité et de défense au sein de l’Alliance. Pour ce faire, des mesures concrètes doivent être proposées aux ministres lors de la réunion du conseil Atlantique qui se tiendra en décembre à Bruxelles.
La France a salué ces résultats auxquels elle a très directement participé. J’avais, en effet, le 5 décembre 1995, annoncé des mesures qui, en permettant une participation plus active de mon pays aux travaux de l’Alliance atlantique, avaient contribué à relancer le processus de son adaptation, lequel avait peu progressé depuis que le principe en avait été acquis lors du sommet de janvier 1994.
La France souhaite la réussite de ce processus d’adaptation. Elle ne prendra toute sa place que dans une Alliance vraiment rénovée en profondeur. La négociation actuelle forme un tout ; il n’est pas juste d’en isoler certains aspects particuliers. La question de l’européanisation du commandement sud de l’OTAN fait actuellement l’objet d’un débat entre alliés. Nous travaillons pour trouver des solutions nouvelles qui puissent satisfaire les Seize.
Il est normal, au demeurant, qu’à ce stade il n’y ait pas accord sur tout. Ce qui importe, c’est de garder la ligne de Berlin pour parvenir à des résultats aussi concrets, aussi complets que possible, en décembre. Notre objectif est de réussir la rénovation de l’Alliance, afin qu’elle puisse faire face aux nouveaux défis d’un monde totalement transformé depuis 1989 et qu’en son sein se dégage une véritable identité européenne de sécurité et de défense.
Q. : La date du sommet de l’OSCE de Lisbonne approche. Quelles sont les propositions que la France a l’intention de formuler concernant la sécurité européenne ? En particulier, nous voudrions savoir comment s’explique l’échec de l’initiative russe d’instituer un Conseil de sécurité européen.
R. : La France considère que le sommet doit constituer un temps fort dans la définition d’une nouvelle architecture européenne de sécurité. Nous sommes convenus avec Evgueni Primakov que nous évoquerions ce sujet en détail lors de ma visite à Moscou. Nos deux pays partagent le même souci d’obtenir des résultats substantiels lors de la réunion de Lisbonne. Cela concerne tout d’abord le cadre présidant à l’agencement de la sécurité en Europe, c’est-à-dire les « règles du jeu » que nous allons définir en commun et qui devraient s’inspirer de l’idée de « sécurité coopérative ».
En même temps, nous avons à l’esprit diverses mesures destinées à renforcer l’OSCE pour la doter de tous les moyens lui permettant de jouer efficacement son rôle en matière de diplomatie préventive. Nous n’écartons aucune proposition en la matière. Nous devons toutefois tenir compte des principes en vigueur à l’OSCE, en particulier celui du consensus, et préserver l’avantage de la souplesse qu’offre cette organisation.
Q. : La France a une position particulière sur les sanctions mises en place par les États-Unis à l’encontre de l’Iran. En même temps, on a l’impression que l’Iran utilise très habilement ses relations particulières avec Bonn et Paris pour réaliser son ambition de dominer la région et, si la possibilité se présente, de contrebalancer le poids des États-Unis dans le processus de paix au Proche-Orient par celui des Européens. Que pensez-vous de cette présentation des choses ?
R. : L’Union européenne poursuit, depuis 1992, un dialogue critique avec les autorités iraniennes. Dans ce cadre, nous abordons, avec franchise et fermeté, l’ensemble des sujets sur lesquels une évolution de l’attitude de l’Iran est nécessaire pour que les quinze États membres de l’Union puissent normaliser leurs relations avec Téhéran : droits de l’homme et minorités, processus de paix, attitude vis-à-vis du terrorisme…
Les Quinze ont les mêmes attentes que Washington vis-à-vis de l’Iran. Nous n’avons pas de divergences sur les objectifs, mais sur la méthode à retenir pour faire évoluer l’attitude de ce pays et l’amener à se conformer aux pratiques internationales. Les États-Unis ont mis en place une politique d’endiguement politique et économique de l’Iran. Cette politique s’accommode toutefois d’une présence visible et active des entreprises américaines sur le marché iranien, où elles jouent un rôle de premier ordre sur le plan commercial. L’Union européenne, pour sa part, privilégie la voie du dialogue pour faire évoluer les positions iraniennes. Cette méthode a permis d’obtenir des résultats, qu’il s’agisse du règlement de dossiers humanitaires ou, par exemple, d’une contribution à l’apaisement de la crise israélo-libanaise en avril dernier.
S’agissant des relations commerciales, l’Union européenne n’a pas l’intention de se laisser dicter sa politique par les États tiers. Aussi est-elle déterminée à contrer la loi d’Amato, comme d’ailleurs la loi Helms-Burton. Ces législations, en l’absence de sanctions prévues par le Conseil de sécurité des Nations unies, édictent des mesures de rétorsion unilatérales contre des entreprises non américaines qui seraient actives à Cuba, en Libye ou en Iran. De telles sanctions extraterritoriales sont contraires aux principes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et portent atteinte à notre souveraineté. L’Union européenne a donc déjà demandé la réunion d’un « panel » à l’OMC et préparé une législation « miroir » contre la loi Helms-Burton.
Q. : La France possède également des intérêts particuliers en Iraq. Néanmoins, autant qu’on puisse en juger, elle n’a pas pour l’instant justifié les espoirs de Bagdad d’une scission de la coalition anti-Saddam. Comment envisagez-vous les perspectives d’une levée de l’embargo pétrolier ? Qu’a fait Paris pour encourager Bagdad à mettre en œuvre les exigences de la communauté internationale ? Dans quelle mesure l’humeur parfois anti-américaine des Français explique-t-elle la position de la France sur les questions iraquienne et iranienne ?
R. : Les résolutions du Conseil de sécurité doivent être respectées et il convient que l’Iraq y contribue. C’est la condition de sa réintégration dans la communauté internationale, que la France souhaite. Lorsque le président de la Commission spéciale des Nations unies chargée des questions de désarmement et le directeur général de l’Agence internationale pour l’énergie atomique auront remis, chacun pour ce qui le concerne, des rapports pleinement positifs sur le respect des obligations de l’Iraq, l’embargo pétrolier devra être levé, conformément au paragraphe 22 de la résolution 687.
La France, comme la Russie, ne cherche pas à isoler l’Iraq, mais à l’encourager à poursuivre ses efforts en vue d’une mise en œuvre rapide des résolutions du Conseil de sécurité. Notamment, nos démarches ont contribué à l’acceptation par l’Iraq des résolutions 715 (contrôle continu des programmes d’armement de destruction massive), 833 (reconnaissance de la souveraineté et des frontières du Koweït) ou 986 (« pétrole contre nourriture »), et ont pu faciliter la coopération des autorités iraquiennes avec la Commission spéciale.
La résolution 986, malgré la conclusion, en mai dernier, d’un mémorandum d’entente entre le secrétaire général des Nations unies et le gouvernement iraquien, n’est toujours pas entrée en vigueur, en raison d’obstacles bureaucratiques au sein du Conseil de sécurité. Or, nous ne pouvons pas rester indifférents à la situation humanitaire dramatique qui prévaut en Iraq. Nous nous mobiliserons donc pour que ce dispositif s’applique enfin et permette d’alléger les souffrances des populations.
Les États-Unis sont, comme nous, partisans du respect des résolutions du Conseil de sécurité, même s’ils déclarent refuser tout contact avec les États dont le comportement ne répond pas aux exigences de la communauté internationale. Concernant les relations avec l’Iraq et l’Iran, c’est la principale différence entre la position américaine et la nôtre. Comme je vous l’ai indiqué, nous appelons au respect de la légalité internationale, mais n’avons pas privilégié les mêmes méthodes pour y parvenir. En tout état de cause, ces approches différentes sur ces questions au Moyen-Orient ne s’expliquent, bien entendu, pas par nos sentiments vis-à-vis de nos alliés américains, sentiments qui ne sont caractérisés ni par l’hostilité ni par la contestation stérile, mais plutôt par l’amitié et la solidarité.
Q. : La France, ex-grande puissance coloniale, se montre très active dans les affaires africaines. Au vu des événements de ces dernières années, de nombreuses analystes sont convaincus de la nécessité, pour l’Afrique, de l’avènement d’une période de néocolonialisme, les Africains n’étant pas parvenus à intégrer les valeurs démocratiques. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
R. : Il me paraît tout à fait inexact de dire que les Africains ne sont pas parvenus à intégrer les valeurs démocratiques. Bien au contraire, ce que l’on observe depuis plusieurs années sur le continent africain, malgré quelques incidents de parcours c’est :
– un respect croissant des grandes libertés publiques, de pensée, d’expression, de croyance, d’organisation qui sont la condition de l’exercice de la citoyenneté ;
– une aspiration profonde de la société civile et notamment des milieux économiques à la mise en place d’un véritable État de droit ;
– la généralisation de processus électoraux, le plus souvent en présence d’observateurs internationaux. Les règles du jeu électoral et notamment le respect du pluralisme et des contraintes de l’alternance politique s’enracinent dans un nombre croissant de pays.
Nous devons donc encourager les pays africains dans cette voie.
La démocratie, en effet, comme l’a rappelé le président de la République française à Brazzaville le 18 juillet dernier, ce sont aussi des nations solidaires qui s’épaulent les unes les autres et construisent la paix.
La France apporte, parmi d’autres, mais plus que d’autres, son aide à cette évolution : en concentrant sa coopération sur le secteur éducatif, en apportant son appui à l’organisation des scrutins dans de nombreux pays qui le demandent, et au renforcement des outils institutionnels nécessaires au fonctionnement de la justice et de l’État de droit, en encourageant enfin le développement de la société civile à travers une incitation au dialogue entre l’État et les citoyens.
En aucun cas, je ne saurais reprendre le concept de « néo-colonialisme » qui est aux antipodes mêmes de notre vision de l’Afrique, de son avenir et de nos relations avec elle. Il est de notre intérêt à tous que les Africains assument les responsabilités qui sont les leurs, tant au regard du développement de leurs États que de la paix sur leur continent. Il est aussi de notre devoir de rappeler sans relâche la nécessité d’une aide suffisante, en quantité et en qualité, aux pays les moins avancés d’Afrique. C’est le message que la France, en tant que président du « G7-P8 » a clairement fait passer lors du sommet de Lyon, en juin dernier.