Article de M. Ladislas Poniatowski, porte-parole du PR, dans "Le Monde" du 1er octobre 1996, sur la fiscalité des produits pétroliers, intitulé "L'État et les énergies : trop de ponctions ".

Prononcé le 1er octobre 1996

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Les périodes de disette budgétaire n'ont malheureusement pas pour vertu d’aiguiser l'imagination des pouvoirs publics en général et du ministère de l'économie et des finances en particulier. L'énergie, activité nourricière de toute notre économie, est curieusement le secteur le plus systématiquement sollicité pour réduire les déficits.

Cette attention quelque peu suspecte peut certes être interprétée comme la preuve de la santé financière des grands opérateurs français. Elle peut être aussi regardée comme un obstacle artificiellement dressé devant des entreprises qui devront, au cours de la prochaine décennie, relever des défis stratégiques essentiels pour toute notre économie.

Est-il besoin, par exemple, de revenir sur l'acharnement fiscal dont sont victimes les produits pétroliers ? La TIPP est devenue une sorte de joker que les gouvernements successifs jouent à répétition dès que des ressources nouvelles doivent être dégagées. À poursuivre dans cette voie, il me semble clair que le fleuve Pactole finira bientôt par se tarir.

La France est dans une situation extravagante : ses compagnies proposent les carburants les moins chers d'Europe hors taxes (la belle affaire pour les consommateurs !) et les plus chers, ou presque, de l'Union lorsque les taxes sont incluses. Cette charge fiscale pourrait certes avoir un sens si elle s'inscrivait dans une logique environnementale. Tel n'est pas le cas, la TIPP n'étant pas modulée en fonction de la « propreté » des carburants, à l'exception notoire, quoique tardive, du GPL.

S’agissant des énergies de réseaux, la ponction opérée par l'État est de nature différente. Mais le but recherché est le même, et les conséquences pour les entreprises sont similaires. Certes, m’objectera-t-on, il s'agit ici d'entreprises publiques, et il n'est en conséquence pas choquant que l'État, qui intervient parfois – sous le contrôle sourcilleux de Bruxelles – pour recapitaliser les entreprises publiques en difficulté, puisse en sens inverse opérer des prélèvements chez les entreprises florissantes.

Je ne conteste pas ce principe, mais j'estime que son application doit être précisément définie dans les contrats de plan que ces entreprises passent avec l'État. La stratégie industrielle des entreprises, leur désendettement ou leur politique tarifaire étant largement orientés par ces contrats, il est clair que les « ponctions surprises » opérées par les pouvoirs publics remettent en cause la teneur même de ces accords et laissent perplexe quant à la valeur des engagements souscrits par l’État.

Que doit-on penser d'une décision relevant de 5,5 % à 18,6 % le taux de TVA applicable aux abonnements de gaz lorsque cette décision intervient six mois après la signature du contrat de plan avec GDF, qui prévoit entre autres une réduction de 8,4 milliards de francs de la dette de l'entreprise ?

Pour EDF, la hausse de la TVA sur les abonnements a eu pour résultat un transfert de 2 milliards de francs à l'État. Si l'on ajoute la participation de l'entreprise au financement du « fonds transports » prévu par la loi Pasqua, les mesures de déplafonnement de la taxe professionnelle, les acomptes sur dividendes et la rémunération du capital, ce sont environ 11 milliards de francs qui sont passés de la trésorerie de l'entreprise aux caisses de l'État, somme qu'il convient de rapprocher des 160 milliards de francs d’endettement du groupe et de l'objectif de désendettement de 40 milliards de francs fixé par le contrat de plan pour la période 1993-1996.

Dans le secteur spécifique du gaz et de l'électricité, nos opérateurs paient au prix fort le prix de leur compétitivité, et sont ainsi contraints de vivre avec la crainte permanente d'une intervention des pouvoirs publics remettant en cause leur stratégie, leurs perspectives de développement et leur politique d’investissement.

Pour EDF, cette situation est plus qu'inconfortable, puisque l'entreprise doit simultanément faire face à plusieurs défis : mise en place du marché unique de l'électricité ; avenir du programme nucléaire français ; politique d'investissement à l’étranger.

À la veille de la signature d'un nouveau contrat de plan qui fixera à EDF ses objectifs pour la fin du siècle, la puissance publique doit définir une règle du jeu claire et s’y tenir. Il y va non seulement de l'avenir d'un de nos plus prestigieux fleurons industriels, mais aussi de l'avenir de notre économie, de sa compétitivité et de son indépendance.