Texte intégral
Je me dois tout d’abord de vous présenter les excuses et les regrets de Corinne Lepage, ministre de l’Environnement, qui, retenue par une actualité dense et multiple, m’a demandé d’intervenir à sa place pour l’ouverture de votre colloque.
Le ministre regrette d’autant plus ce contretemps, que le sujet dont vous allez débattre, Éthique et environnement, lui tient tout particulièrement à cœur. Vous savez qu’elle a, sur ce thème important, organisé le 13 décembre dernier à la Sorbonne un colloque auquel de nombreuses personnalités ont participé.
Nous sommes, disent certains, en crise. C’est inexact : une crise est conjoncturelle et de courte durée. Notre société n’est pas en crise, elle est en pleine métamorphose.
La technique et les sciences nous apportent à un rythme accéléré des données nouvelles qui viennent remettre en cause des vérités que l’on croyait définitives. Les valeurs traditionnelles, religieuses ou républicaines, semblent avoir perdu de leur pertinence.
C’est ce qu’exprimait le président de la République dans son discours d’ouverture de la 4e session du comité international de la bioéthique de l’UNESCO.
« La place de plus en plus importante qu’occupe la réflexion éthique est l’un des phénomènes marquants de notre époque. Dans un monde conditionné chaque jour davantage par la science, la technique, l’économie, les hommes sont en quête d’une nouvelle “solidarité intellectuelle et morale” pour reprendre les termes utilisés dans l’acte constitutif de l’UNESCO voici déjà un siècle. »
Peut-être faut-il rappeler qu’environnement ne signifie pas seulement nature. L’ampleur des remises en cause, les incertitudes toujours présentes créent un sentiment d’anxiété que certains combattent en restreignant le champ de l’environnement : les plantes, les fleurs, les oiseaux, même les éléphants par exemple, c’est connu, facile à appréhender et rassurant. Mais les problèmes écologiques sont d’une toute autre ampleur. La pollution des rivières, des océans et des sols, la diminution de la couche d’ozone, la désertification des régions tropicales, l’appauvrissement de la diversité biologique, les changements climatiques sont des problèmes planétaires dont nous sommes tous solidaires et responsables à un degré ou à un autre. Ces dysfonctionnements de la planète terre menacent directement l’espèce humaine.
Les résoudre demande savoir et courage politique.
Le nucléaire et ses déchets nous forcent à réfléchir, non plus en années mais en siècles et en millénaires. Y sommes-nous préparés ?
Des événements récents renforcent notre perplexité. Depuis que l’homme a inventé le feu… et s’est brûlé les doigts, chaque découverte a apporté bienfaits et méfaits. Mais nous sommes en train de franchir des frontières que l’on croyait intangibles. Nos certitudes vacillent.
L’encéphalopathie spongiforme bovine, plus connue sous le terme de maladie de la vache folle, nous fait découvrir que l’agriculture moderne a transformé un herbivore en carnivore.
Par nécessité ?
Non, l’herbe n’est pas une espèce végétale en voie de disparition. Mais par recherche du plus grand profit sur le plus court terme, au-delà de toute morale.
Avec les organismes génétiquement modifiés, la biologie moléculaire est brusquement sortie des laboratoires de recherche pour envahir notre horizon. Nous découvrons que les scientifiques ont peu considéré les gènes comme un vaste jeu de Lego avec lequel ils pouvaient jouer de façon de plus en plus complexe.
Ici un maïs résiste à un parasite, la chenille de la pyrale, mais également à un herbicide… fabriqué par le même industriel producteur du maïs transgénique. En outre, un gène de résistance à l’ampicilline, antibiotique proche de la pénicilline a été adjoint comme marqueur.
Cette résistance ne risque-t-elle pas de se transmettre à l’homme lorsqu’il consommera ce maïs ? Nous n’en savons rien.
Là des plants de tabac ont reçu un gène humain et peuvent fabriquer de l’hémoglobine identique à celle qui colore votre sang.
Une banane transgénique doit vacciner contre l’hépatite B, un colza produire une protéine pour soigner la mucoviscidose, sans parler des tomates qui ne pourrissent plus.
Un palier vient d’être franchi avec le clonage d’une brebis adulte. Dolly superstar nous fait découvrir qu’il y a déjà des grenouilles, des lapins, des veaux et un singe clonés par différentes équipes scientifiques, toujours sous le couvert du progrès.
De quoi être étourdi, surtout lorsqu’on apprend que des femmes et des hommes ont demandé à être clonés.
Où mettre la limite à ne pas franchir ? Ne l’est-elle pas déjà ?
Faut-il mettre une limite ? Et sur quels critères ?
Hans Jonas rappelle « ce n’est plus seulement la sphère des affaires humaines qui constitue le champ de la réflexion éthique : la relation de l’homme avec son environnement est elle aussi devenue un nouvel objet pour la responsabilité ».
Nous sommes dans un monde paradoxal où sont mises au point des techniques coûteuses et sophistiquées de traitements médicaux, alors que tout près de nous des gens ne mangent pas à leur faim, où les incontestables avancées économiques des Trente Glorieuses nous laissent un milieu naturel sali, détruit, pollué parfois pour longtemps, où nous avons dégradé l’eau douce si abondante chez nous alors que certaines populations n’ont pas encore accès à l’eau en suffisance.
Tout à l’heure vous aborderez la question de la biodiversité avec l’inquiétante disparition de centaines de milliers d’espèces. Or nous ne connaissons aujourd’hui qu’un million et demi d’espèces terrestres sur probablement 10 à 20 millions.
Pourquoi nous arrogeons-nous ce droit de mort sur les espèces de la création ? Par quelle absurdité nous privons-nous ainsi de découvertes à venir, pharmaceutiques ou alimentaires ? Par quelle déraison en privons-nous nos successeurs ?
Le progrès économique nous a donné le confort, une grande mobilité, des moyens audiovisuels et de télécommunications peu prévisibles il y a 30 ans.
Mais il a sécrété la pollution des milieux naturels, l’exclusion sociale, la solitude, le mal être, la drogue et le suicide des jeunes. Peut-on vraiment parler de progrès ?
Ce qui différencie l’espèce humaine, n’est-ce pas de privilégier l’être sur l’avoir. L’aurions-nous oublié ?
Pour répondre à la demande sociale de morale, pour assurer le citoyen que le principe de précaution s’applique, tout particulièrement dans le domaine de l’environnement, pour prévenir les droits des générations futures, un nouveau comportement s’impose progressivement, fait de modestie et de pragmatisme, acceptant le jeu des contre-pouvoirs et du contradictoire, l’absence de vérité révélé et une totale transparence.
Les enjeux de l’environnement en termes éthique sont multiples :
- un enjeu humaniste, car il s’agit d’assurer la responsabilité de l’espèce humaine vis-à-vis de la nature et des autres espèces ;
- un enjeu de solidarité dans l’espace et dans le temps à travers les générations ;
- un enjeu politique, car la définition de principes politiques mais aussi de limites et d’interdits sert de morale agissante vis-à-vis de l’autre, pour une véritable refondation de référence.
Les remises en cause seront parfois douloureuses, elles sont nécessaires si nous voulons donner un réel avenir à nos enfants.
Je ne doute pas que les débats que vous allez avoir, en particulier avec les Léos qui sont l’avenir du Lionisme, conduisent à des propositions constructives dont Corinne Lepage prendra connaissance avec intérêt, car elle sait que l’éthique est l’âme du Lionisme.
Comme le disait Ghandi : « Soyons nous-mêmes le changement que nous souhaitons pour le monde. »