Texte intégral
Date : mardi 16 juillet 996
Source : Europe 1/Édition du soir
Europe 1 : Vous soutenez la réforme de la Sécu engagée par A. Juppé. Le déficit pose de sérieux problèmes, qu’allez-vous faire ?
J.-M. Spaeth : Je crois que le déficit actuel semble le résultat d’une insuffisance de gestion du système de soins qui est le résultat de deux choses : un manque de clarté de qui décide de quoi – c’est l’obscurantisme qui a sévi dans notre pays depuis vingt ans -, et puis, je crois aussi, un manque de volonté de regarder les choses, pas seulement sous l’angle de remboursement parce que la Sécu est une immense machine à rembourser, ce qu’elle doit rester, mais une machine qui rembourse d’une manière aveugle. Or, vous et moi, nous sommes à la fois les financeurs de la Sécu et les assurés sociaux. Notre volonté est de tenir les deux bouts de la chaîne. Une majorité s’est dégagée au conseil d’administration pour gérer réellement une politique de santé dans ce pays qui évite l’exclusion, ainsi qu’une médecine de qualité. Je vous rappelle – parce qu’il faut mettre les choses sur la table – que nous avons deux problèmes au niveau remboursement. Nous avons plus de 35 milliards vraisemblablement de déficit cette année, en assurance maladie, que 1997 ne réglera pas totalement les problèmes. Et nous sommes en même temps un des pays au monde qui a les cotisations les plus importantes. Nous sommes le pays d’Europe qui rembourse le moins. Dans certaines grandes banlieues des grandes villes, nous sommes dans une situation de pays en voie de développement. Et en même temps, notre système exclu des gens. Notre ambition, avec la CFDT et une majorité, c’est de mieux utiliser l’argent qui est mis par la collectivité à disposition de l’assurance-maladie pour que tout le monde puisse accéder aux soins et à des soins de qualité.
Europe 1 : Vous souhaitez une meilleure gestion mais va-t-il y avoir des « déremboursements » ?
J.-M. Spaeth : Je viens d’indiquer que si nous allons à la présidence de la CNAM c’est parce qu’elle est en situation d’implosion, des « déremboursements » ont été faits, donc ils ne sont plus à faire. Et je rappelle toujours que lorsqu’on regarde devant soit, tous les gâchis qui existent à la Sécu, toutes les inadaptations, il y a un boulevard d’économies possibles sans jamais rembourser moins les gens au contraire, d’arriver à les rembourser mieux, en particulier, à l’égard de la médecine générale. Quelques exemples simples : quand dans certains départements on fait deux fois plus d’ablation de l’appendicite que dans d’autres. Croyez-vous que c’est dans l’intérêt des malades ? Quand, dans certains départements ou régions, pour 10 000 habitants, on fait 1,5 fois plus d’opérations chirurgicales, croyez-vous que c’est dans l’intérêt des Français ? Non. Il faut tout mettre en œuvre pour que l’argent que les uns et les autres donnes solidairement – parce que je suis pour une Sécu solidaire – soit utilisé pour la bonne santé des gens et exclusivement à ça et non pas pour d’autres lobbies.
Europe 1 : Allez-vous mettre à contribution les médecins ?
J.-M. Spaeth : Je n’ai aucun problème avec les médecins. J’estime simplement qu’ils sont des acteurs déterminants du système de soin. Ils doivent pouvoir exercer leur art en toute liberté. Mais il faut qu’il sache aussi qu’ils sont des agents économiques. Au fond, la Sécu leur met dans la main un carnet de chèques. Nous tous, assurés sociaux, nous avons le droit de discuter avec eux sur la manière dont on utilise ce carnet de chèques. Je suis pour qu’ils maintiennent ce carnet de chèques, mais je suis pour qu’on élabore des règles qui définissent comment, et dans quelles conditions, ils mettent leur signature.
Europe 1 : Vous les voyez demain ?
J.-M. Spaeth : Oui, pour débattre de la question de la maîtrise des dépenses de santé, une maîtrise médicalisée. Nous allons essayer de renouer des rapports contractuels. La vie est évolutive : un contrat, ça dure sur une période, ça peut changer après. Comment faire évoluer la démographie médicale ? Comment mettre en place les filières de soin, les réseaux de santé ? Comment faire évoluer les pratiques médicales pour qu’on utilise au mieux l’argent que nous versons ? Comment rechercher avec eux un meilleur rapport qualité-prix ? La notion de qualité-prix doit être commune car sans la Sécu, il n’y a pas de médecine libérale et sans médecine libérale, il n’y a pas de Sécu. Nous sommes dans le même bateau.
Europe 1 : L’amélioration des soins dentaires est un thème qui vous tient à cœur ?
J.-M. Spaeth : Oui, nous sommes quand même dans une situation où la Sécu petit à petit, à travers des désengagements successifs, fait que l’accès aux soins dentaires est devenu un véritable problème. Je crois que ça a été d’ailleurs l’intervention naturelle de plusieurs délégations ce matin, au moment, où J. Barrot était présent. Oui, je suis pour renouveler une convention avec les dentistes. Il n’est pas supportable que dans un pays qui consacre près de 10 % de sa richesse à la santé, on soit dans une situation où des gamins, des personnes âgées, n’arrivent plus à avoir de soins dentaires. Le dentaire est un signe imparable de l’état sanitaire d’une population. Eh bien quand je vois que dans nos banlieues et dans une certaine catégorie de la population, on arrive à cette situation, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va plus dans ce pays.
Europe 1 : A partir de quand peut-on espérer un retournement de tendance, une amélioration des remboursements et une baisse des cotisations ?
J.-M. Spaeth : N’exagérons rien, une baisse des cotisations, certainement pas. Une amélioration des remboursements, c’est notre ambition. Pourquoi il n’y aura pas de baisse des cotisations ? Je crois que les Français sont prêts à financer à condition qu’ils sachent où va leur argent et qu’ils aient la conviction qu’il est utilisé à bon escient. C’est pour ça que j’aurai toujours une volonté d’efficacité et de transparence dans ce qu’on fait. Il n’y aura pas de diminution parce que le simple fait du vieillissement de la population a une contrepartie, un coût. Mais je suis convaincu que la collectivité est prête à jouer ce jeu. Je dis à l’ensemble de mes concitoyens qu’ils ont le droit et l’exigence que leur argent soit bien utilisé. C’est ce que nous nous évertuerons à faire avec la majorité de gestion qui s’est dégagée au cours de ce conseil d’administration.
Europe 1 : La CNAM juge-t-elle préoccupante la hausse des honoraires et des prescriptions des médecins libéraux de 6,1 % sur les cinq premiers mois alors que l’objectif fixé par le Gouvernement était de 2,1 % sur l’année ?
J.-M. Spaeth : Tout à fait. Il y a un héritage très lourd qui implique que l’on prenne des mesures. On souhaite prendre ces mesures en lien avec les médecins. Mais j’aimerais quand même dire, pour faire une petite analyse des chiffres, que ces chiffres recouvrent à la fois les prescriptions médicales, mais ils portent aussi sur les honoraires médicaux. On s’aperçoit que, par exemple, les honoraires médicaux augmentent de 7,3 %, c’est-à-dire d’une manière encore supérieure à la moyenne des dépenses. On est dans une situation où on a affaire à une profession qui, à partir d’un financement collectif, c’est-à-dire nos cotisations, a les moyens de s’autofinancer sa rémunération. Il faut que tout le monde ait conscience que la poule aux œufs d’or sera tuée un jour, à ce rythme-là de dépenses.
Europe 1 : Vous laissez donc entendre que les médecins exagèrent, en ce moment ?
J.-M. Spaeth : Il y a un développement anormal du nombre d’actes. Rien ne justifie, médicalement, de notre point de vue et de toute la médecine-conseil et de tous les experts que l’on consulte, cette augmentation du nombre d’actes. Il y a là un vrai problème. Je crois qu’il faut relancer les rapports contractuels pour simplement fixer des règles du jeu.
Europe 1 : En est-on vraiment encore à l’heure des rapports contractuels ? Ne faut-il pas plutôt maintenant imaginer un véritable système de sanction ?
J.-M. Spaeth : J’ai rencontré l’ensemble des médecins il y a deux jours. Nous avons échangé largement. Il y a eu un climat très serein pour qu’ensemble, on recherche les voies et les moyens pour arriver à une maîtrise médicalisée des dépenses de santé. Cela passe par des questions de démographie. Je leur ai demandé clairement, et la Caisse l’a fait, de modifier leurs prescriptions, par exemple en pharmaceutique pour développer le générique. On est un des pays en Europe qui prescrit trop peu de génériques. A cet effet, on va publier un guide du générique dès l’automne. Je leur ai demandé que d’ici fin août, ils me fassent part par écrit de leurs propositions pour qu’il y ait un accord conventionnel dans les meilleurs délais.
Europe 1 : Vous voulez croire que la concertation peut encore freiner les dépenses de santé.
J.-M. Spaeth : Il est bien évident que si on n’arrive pas à trouver cette solution, tous les assurés sociaux, tous les financeurs sont en droit d’attendre des résultats. Si les résultats ne viennent pas, il faudra trouver des moyens plus coercitifs. C’est avec regret qu’on le fera mais on ne peut pas continuer, car il en va de l’avenir de la Sécurité sociale. Les syndicats de médecins sont d’accord là-dessus : la sécurité sans Sécurité sociale, il n’y a plus de médecine libérale. Il faudra bien trouver une solution.
Date : vendredi 19 juillet 1996
Source : Europe 1/Édition du matin
Europe 1 : La CNAM juge-t-elle préoccupante la hausse des honoraires et des prescriptions des médecins libéraux de 6,1 % sur les cinq premiers mois alors que l'objectif fixé par le Gouvernement était de 2,1 % sur l'année ?
J.-M. Spaeth : Tout à fait. Il y a un héritage très lourd qui implique que l'on prenne des mesures. On souhaite prendre ces mesures en lien avec les médecins. Mais j'aimerais quand même dire, pour faire une petite analyse des chiffres, que ces chiffres recouvrent à la fois les prescriptions médicales, mais ils portent aussi sur les honoraires médicaux. On s'aperçoit que, par exemple, les honoraires médicaux augmentent de 7,3 %, c'est-à-dire d'une manière encore supérieure à la moyenne des dépenses. On est dans une situation où on a affaire à une profession qui, à partir d'un financement collectif, c'est-à-dire nos cotisations, a les moyens de s'autofinancer sa rémunération. Il faut que tout le monde ait conscience que la poule aux œufs d'or sera tuée un jour, à ce rythme-là de dépenses.
Europe 1 : Vous laissez donc entendre que les médecins exagèrent, en ce moment ?
J.-M. Spaeth : Il y a un développement anormal du nombre d'actes. Rien ne justifie, médicalement, de notre point de vue et de toute la médecine-conseil et de tous les experts que l'on consulte, cette augmentation du nombre d'actes. Il y a là un vrai problème. Je crois qu'il faut relancer les rapports contractuels pour simplement fixer des règles du jeu.
Europe 1 : En est-on vraiment encore à l'heure des rapports contractuels ? Ne faut-il pas plutôt maintenant imaginer un véritable système de sanction ?
J.-M. Spaeth : J'ai rencontré l'ensemble des médecins il y a deux jours. Nous avons échangé largement. Il y a eu un climat très serein pour qu'ensemble, on recherche les voies et les moyens pour arriver à une maîtrise médicalisée des dépenses de santé. Cela passe par des questions de démographie. Je leur ai demandé clairement, et la Caisse l'a fait, de modifier leurs prescriptions, par exemple en pharmaceutique pour développer le générique. On est un des pays en Europe qui prescrit trop peu de génériques. À cet effet, on va publier un guide du générique dès l'automne. Je leur ai demandé que d'ici fin août, ils me fassent part par écrit de leurs propositions pour qu'il y ait un accord conventionnel dans les meilleurs délais.
Europe 1 : Vous voulez croire que la concertation peut encore freiner les dépenses de santé.
J.-M. Spaeth : Il est bien évident que si on n'arrive pas à trouver cette solution, tous les assurés sociaux, tous les financeurs sont en droit d'attendre des résultats. Si les résultats ne viennent pas, il faudra trouver des moyens plus coercitifs. C'est avec regret qu'on le fera mais on ne peut pas continuer, car il en va de l'avenir de la Sécurité sociale. Les syndicats de médecins sont d'accord là-dessus : la sécurité sans Sécurité sociale, il n'y a plus de médecine libérale. Il faudra bien trouver une solution.
Date : 25 juillet 1996
Source : CFDT – Service de presse
Déclaration de Jacky Bontems, Secrétaire général adjoint
Assurance maladie : réussir la réforme pour ne pas retomber dans les ornières du passé
La CFDT s’étonne de l’exploitation que certains organes de presse ont faite d’une phrase extraite d’une interview de Nicole Notat au journal « le généraliste » et sortie de son contexte, pour accréditer l’idée qu’elle envisagerait une augmentation des cotisations en raison de la forte progression des dépenses de santé.
Cette interprétation n’est pas conforme aux propos tenus et est d’autant plus regrettable qu’elle accrédite l’idée que la CFDT pourrait se résigner à un échec de la réforme de l’Assurance maladie, avant même que ses modalités concrètes ne soient entrées en application.
Retomber dans les ornières du passé en remettant à contribution les assurés après la RDS, pour combler des trous qui proviennent à la fois des déficiences du système actuel et de l’inadaptation du mode de financement de l’Assurance maladie, ne pourrait qu’être contre-productif et saper le fondement de notre système qu’est l’adhésion de tous au principe d’une prise en charge collective et solidaire des frais de santé.
La situation actuelle rend plus que jamais indispensable la réussite de la réforme.
C’est pour cela que la CFDT s’est engagée depuis longtemps en faveur de l’Assurance maladie universelle et d’une réforme du financement dont la première étape doit se traduire, dès janvier 1997, par une diminution de la cotisation des salariés. C’est pour cela qu’elle mettra tout en oeuvre, avec la majorité du Conseil d’administration de la Cnam, pour que se mettent en place dans les délais prévus les outils de la maîtrise des dépenses de santé, ce qui implique la connaissance, le contrôle et l’évaluation de l’activité des professionnels de santé, et pour que soit conforté l’accès de tous à des soins de qualité.