Interview de M. Jean-marie Le Pen, président du Front national, à Europe 1 le 12 octobre 1999, sur l'avenir du front national, le Pacs, le projet de lois sur la réduction du temps de travail, la victoire du parti nationaliste de M. Haider en Autriche.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que MM. Bayrou, Sarkozy, Delevoye et autres vous adressent en ce moment des remerciements ?

Jean-Marie Le Pen : Non, et je ne vois pas pourquoi ils le feraient.

Jean-Pierre Elkabbach : Parce que, grâce à ses déchirements et à ses excès, le FN se réduit comme une peau de chagrin et donne en ce moment une chance à la droite de gagner des élections ?

Jean-Marie Le Pen : Je ne crois pas du tout. Le FN se porte beaucoup mieux qu'il se portait il y a quelques mois, après la trahison de M. Mégret et de sa clique. II est en voie de convalescence et de ré-entraînement. On entendra parler de lui pour peu, bien sûr, que - comme vous - on nous invite.

Jean-Pierre Elkabbach : Attention, on va me le reprocher ! Vous ne serez plus en mesure de faire perdre à la droite des voix, des mairies, des sièges. Honnêtement, aujourd'hui, le FN-matamore, c'est fini ?

Jean-Marie Le Pen : Je suis désolé mais le FN se porte mieux que la droite parlementaire, parce que celle-ci s'éclate en six ou huit présidents.

Jean-Pierre Elkabbach : Elle se réorganise.

Jean-Marie Le Pen : Oui, elle se réorganise en éclatant alors que le FN est dans une phase. Cette phase-là est déjà dépassée chez nous. Nous sommes repartis vers les sommets.

Jean-Pierre Elkabbach : Qui peut croire ce que vous dites, honnêtement ? Vous croyez que les rodomontades classiques, ça marche ?

Jean-Marie Le Pen : Ce n’est pas une rodomontade.

Jean-Pierre Elkabbach : On ne vous entend plus parler. Vous n'existez plus.

Jean-Marie Le Pen : Dans le plus bas étiage du FN - à 6 %, comme aux élections européennes -  nous  sommes  déjà incontournables  pour  la droite. Elle ne peut pas gagner sans notre participation.

Jean-Pierre Elkabbach : Ah ! Vous devenez modeste : aujourd'hui, 6 % ; autrefois vous disiez 20 aux européennes ?

Jean-Marie Le Pen : Aux européennes, qui sont pas un sondage à mon avis ni clair ni typique. Nous avons fait 15 % aux trois élections principales qui ont précédé : régionales, présidentielle et législatives.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous aviez promis, ici même, 20°% pour les européennes. Mais ça c'est le passé.

Jean-Marie Le Pen : Ce n'est pas moi qui l'avais promis, c'étaient les sondeurs.

Jean-Pierre Elkabbach : Peut-on dire que le FN est une menace, une peur d'autrefois ?

Jean-Marie Le Pen : C'est une menace...

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce qu'un jour, vous pourriez le reconnaître ?

Jean-Marie Le Pen : C'est une menace et une peur artificielles créées par nos adversaires mais non justifiées. Le FN est un parti démocratique, normal, qu'on devrait laisser jouer son rôle, parce qu'il n'y a pas de démocratie si l'on empêche une des formations ou un des courants de s'exprimer.

Jean-Pierre Elkabbach : Cela fait tellement d'années que vous avez du mal à convaincre que c'est un parti démocratique. L'Assemblée, aujourd'hui, vote deux lois. Demain, le Pacs d'E. Guigou, applicable dès le printemps. La France adapte sa législation aux mœurs.

Jean-Marie Le Pen : Cela ne vous étonnera pas de savoir que le FN étant dans l'opposition et en particulier dans l'opposition au gouvernement socialo-communiste, il soit résolument contre le Pacs qui est une mesure démagogique visant à conquérir une partie peut-être de l'opinion homosexuelle mais qui a pour inconvénient d'affaiblir encore la famille - alors qu'elle devrait être renforcée - laquelle n'a cessé depuis des années d’être agressée par la démagogie des gouvernants et des partis de l'établissement.

Jean-Pierre Elkabbach : La deuxième loi, c'est la loi Aubry. Vous tapez dessus aussi, sur les 35 heures ?

Jean-Marie Le Pen : Oui, parce que c'est une loi absurde, qui n'apportera aucun emploi. Mademoiselle Delors, Mme Aubry ...

Jean-Pierre Elkabbach : Oh ! Je vous en prie. Ça c'est bas !

Jean-Marie Le Pen : Comment c'est bas !

Jean-Pierre Elkabbach : C'est très bas, Mademoiselle Delors ! Allons !

Jean-Marie Le Pen : Le fait de dire qu'elle est la fille de M. Delors, ce n'est pas tout fait indifférent dans la politique, quand même ! Si elle n'était pas la fille de M. Delors, elle ne serait peut-être pas le ministre Aubry.

Jean-Pierre Elkabbach : Elle avait assez de qualités, de compétence pour devenir ministre.

Jean-Marie Le Pen : Bien sûr. Ce n'est pas le problème.

Jean-Pierre Elkabbach : Je ne peux pas laisser passer cela.

Jean-Marie Le Pen : Mais je ne vois pas quelle bassesse il y a dans le fait de dire qu'elle est Mademoiselle Delors.

Jean-Pierre Elkabbach : Elle a été, autrefois. Elle est.

Jean-Marie Le Pen : Elle s'est prise pour Léon Blum qui avait fait la loi de 40 heures un moment d'ailleurs où il aurait mieux valu travailler plus que de réduire le temps de travail. Mme Aubry fait la même chose. Elle ne fait d'ailleurs que ce qui lui est recommandé par Bruxelles, car je vous rappelle que c'est Bruxelles qui a poussé le Gouvernement vers les 35 heures.

Jean-Pierre Elkabbach : Donc, à terme, c'est du chômage ?

Jean-Marie Le Pen : Oui, je le pense, parce qu'on va acheter les 35 heures avec 100 milliards supplémentaires de prélèvements obligatoires et que ces 100 milliards de prélèvements obligatoires coûteront plus d'emplois qu'ils n'en rapporteront.

Jean-Pierre Elkabbach : Alors, vous allez vous joindre, samedi, à la manifestation de R. Hue ?

Jean-Marie Le Pen : Sûrement pas. M. Hue va se retrouver tout seul. Par compassion, je pourrais éventuellement avoir une pensée pour lui. Non, ce n'est pas ma tasse de thé.

Jean-Pierre Elkabbach : En Autriche, la poussée du Parti populiste de Y. Haider fait revivre bien des peurs. Beaucoup de gens se sont demandé comment cela est possible, si près de nous, et encore en Autriche ?

Jean-Marie Le Pen : En Autriche, il y a un fait qui n'a pas été souligné, qui est très important : c'est qu'outre le fait qu'Haider est un, leader dynamique, populiste, sympathique à la population, il est soutenu par un grand journal. Il a un accès très important dans les médias, avec le journal Krönen Zeitung qui est l'un des principaux journaux, peut-être même le principal journal autrichien dans un pays où la presse écrite à une très grande importance.

Jean-Pierre Elkabbach : Pensez-vous que c'est un des effets des peurs de la mondialisation et Haider va-t-il faire des émules ?

Jean-Marie Le Pen : Il y a une foule de courants nationalistes qui sont en train de naître et qui se développeront. Certains sont ralentis, d'autres peuvent être stoppés provisoirement. Mais je crois que le sens de l'histoire va vers le développement des réactions nationalistes contre le phénomène nuisible de la mondialisation.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que, comme ses amis de là-bas, vous dites : « Heil ! Haider », vous aussi ?

Jean-Marie Le Pen : Je ne sais pas s'ils disent : « Heil ! Haider » Non, je ne dis pas : « Heil ! Haider », mais je me félicite de la  réaction  du peuple autrichien en faveur de la solution qui lui est présentée, pour manifester son opposition précisément à cette mondialisation.

Jean-Pierre Elkabbach : On dit qu'Haider est un peu un enfant de Le Pen. Je l'ai même lu dans la presse autrichienne.

Jean-Marie Le Pen : M. Haider aurait peur qu'on dise cela, parce que l'on sait que Le Pen étant diabolisé, chacun essaye de se démarquer de lui.

Jean-Pierre Elkabbach : Aujourd'hui, c'est un grand jour. La planète compte 6 milliards d'hommes et de femmes. Sans vous exciter, est-ce que vous croyez que les grandes migrations peuvent reprendre, peut-être vers l'Europe, au détriment ou à l'avantage d’une Europe qui est aujourd'hui démographiquement un peu vieillie ?

Jean-Marie Le Pen : Je l'annonce depuis quarante ans. Cette augmentation de la population est un trompe-l'œil, puisqu'en effet il y a une explosion démographique dans les pays du Tiers-monde, une redoutable réduction démographique dans les pays septentrionaux, c'est-à-dire dans les pays du Nord de l'Europe, de l'Amérique du Nord et de la Russie, et que cette réduction a des conséquences considérables : vieillissement de la population aggravé par l'allongement de la vie, déséquilibre des systèmes de retraites et danger vérifié aujourd'hui par des flux migratoires considérables.

Jean-Pierre Elkabbach : Vos thèmes classiques ! Vous ne dites pas, comme A. Juppé : « Un jour ou l'autre, on aura besoin, même en France et en Europe, de nouveaux immigrés. » Non ?

Jean-Marie Le Pen : Bien sûr que non. C'est absurde. Moi je ferais des petits Français, si j'en ai la possibilité, par une politique familiale, démographique ardente et vigoureuse.

Jean-Pierre Elkabbach : Rassurez-vous, les Français se chargent de faire les petits Français.

Jean-Marie Le Pen : Je voudrais bien.

Jean-Pierre Elkabbach : J'oubliais de vous parler de B. Mégret dont le parti s'appelle Le Mouvement national républicain.

Jean-Marie Le Pen : On peut s'en passer.

Jean-Pierre Elkabbach : Lui a un double espoir, c'est de revenir et de vous survivre.

Jean-Marie Le Pen : Je n'en sais rien. C'est le bon Dieu qui décidera.