Texte intégral
Le Parisien : 11 décembre 1996
Sonia Jareno : Allez-vous généraliser la réforme des rythmes scolaires ? Combien de temps cela prendra-t-il ? Quels obstacles devrez-vous surmonter ?
Guy Drut : C'est la question la plus importante dans le secteur que je couvre. Elle intéresse directement les jeunes. Aujourd'hui, nous avons une école de qualité mais on peut encore l'améliorer en jouant sur l'aménagement du temps et en recherchant les possibilités d'épanouissement et d'équilibre des élèves. J'ai lancé, il y a un an, une expérience qui se voulait modeste. Mais beaucoup de villes et de gens ont voulu y participer. Cela prouve qu'il y a une attente. Mais, bien sûr, les obstacles sont nombreux. En France, quand on veut changer les habitudes, ce n'est pas facile. Cette réforme prendra le temps qu'il faut : trois ans, cinq ans, dix ans... On va essayer d'aller le plus vite possible. Il y a aussi l'aspect financier qui est important. Mon but, c'est que tous les enfants aient un minimum garanti qui leur donne accès au même enseignement. Cette année, il y a eu un peu plus de 113 000 enfants concernés. Avec le ministre de l'Éducation nationale, François Bayrou, nous avons décidé d'étendre l'expérience à trois départements : les Hautes-Alpes, la Marne et les Bouches-du-Rhône, en commençant par Marseille.
Sonia Jareno : Quelles sont les solutions concrètes pour ceux qui ne sont pas faits pour les longues études ?
Guy Drut : Aujourd'hui, les diplômes ne sont pas forcément suffisants. Il faut autre chose : de la volonté, des tripes. Et, parfois, c'est encore insuffisant. Il faut donc améliorer la formation et la préparation du jeune à la vie active. Ça passe par des passerelles entre l'école et l'entreprise. Je cite souvent l'exemple de l'École des travaux publics d'Egletons en Corrèze. Les élèves trouvent presque toujours un emploi en sortant car c'est une école qui prépare à un métier. Mais aujourd'hui, c'est la mobilité qui prévaut. Il faut accepter de se remettre en question, d'avoir une autre formation à un moment de sa vie. Il faut croire à la politique des stages formateurs, qui débouchent sur une possibilité d'embauche. J'ai sous ma responsabilité tous les points d'information-jeunesse, il y en a environ 700, dont celui de Paris (CIDJ). Cinq millions de jeunes y passent par an. C'est un lieu de rencontres et d'échanges extraordinaire. Tout début 1997, on va créer un 3615 Infostage. Beaucoup de chefs d'entreprise sont intéressés et beaucoup de jeunes ne demandent qu'à s'investir.
Christophe Vassout : Ne faudrait-il pas créer des filières qui permettent aux jeunes de trouver des débouchés dans les domaines de l'art, du sport, etc.
Guy Drut : En ce qui concerne le sport, j'ai fait un plan sport-emploi que j'ai lancé il y a environ un an. En 1996, on peut penser qu'il y aura 3 000 créations d'emploi. Si vous comparez avec le nombre de chômeurs (NDLR : plus de trois millions), ce chiffre peut paraître ridicule mais au moins ça existe. Dans ce plan, il existe un dispositif qui s'appelle « profession-sport ». Ça permet à des utilisateurs, villes, entreprises, particuliers, associations, de partager un moniteur ou un enseignant. L'aménagement des rythmes scolaires créera aussi des emplois dans ce domaine. Il y en a eu, par exemple, quatre-vingt à Bourges. Pour ce qui est des arts, on peut avoir le même principe mais il s'agit moins de mon domaine de compétences. La richesse et la difficulté de mon secteur, c'est que la jeunesse, c'est horizontal, comment on dit. Ça touche plein de domaines de compétences.
Sonia Jareno : Pourquoi n'organise-t-on pas plus régulièrement des stages en entreprise dès le collège ?
Guy Drut : Il est difficile de modifier les mentalités. Trop souvent, les parents pensent qu'il faut des diplômes pour que leurs enfants soient heureux. Pour ma part, je pense que, pour être heureux, il faut qu'on puisse se réaliser dans la vie. Celui qui fera dix années d'études après le bac ne vas pas forcément se réaliser davantage que celui qui fera une école de métier ou de sport. Le second sera peut-être mieux dans ses godasses. C'est ça la réussite d'une personnalité !
Sonia Jareno : Si c'était inclus dans le cursus scolaire, les parents ne pourraient qu'accepter…
Guy Drut : On a toujours l'impression que lorsque tout le monde est d'accord il suffit de dire pour faire. Quand on réalise une enquête d'opinion sur les rythmes scolaires, 85 % des gens interrogés sont pour. On peut imaginer que si 85 % sont pour, on n'a qu'à le faire pour l'année prochaine, mais c'est un peu plus compliqué. Il y a des tas de choses à revoir ou à adapter. Rien que le fait d'avoir amélioré l'apprentissage, ça a demandé pas mal de travail et de patience. Il faut adapter davantage encore l'école à la vie. Par exemple, il y a une grande différence entre ce que les enseignants attendent de l'école et ce qu'en attendent les élèves et les parents, une formation à la vie professionnelle. L'objectif des enseignants est plutôt une transmission des connaissances, alors que vous, les jeunes, attendez plutôt la transmission d'un savoir-faire. L'idéal, c'est de faire les deux mais ça ne peut pas se réaliser du jour au lendemain. Le gouvernement peut initier une volonté, mais c'est tout un peuple qui la porte et qui la mène au bout.
Caroline Bordas : Dans mon lycée, à Colombes, on a mis des plantes vertes dans le hall pour l'inauguration par Charles Pasqua alors qu'on est très peu chauffé dans les classes. Pourquoi utilise-t-on l'argent pour améliorer l'image de l'établissement plutôt que pour les besoins élémentaires ?
Guy Drut : Je connais bien Monsieur Pasqua. C'est un homme qui comprend vite les choses. Je suis convaincu que, lorsqu'il va lire le journal et qu'il va voir ta réaction sur le lycée Guy-de-Maupassant, tu auras moins de plantes vertes et un peu plus de chauffage. Il faut aller à l'efficace. J'essaie toujours de privilégier le fonctionnel par rapport à l'agréable. À chaque fois qu'il y aura quelque chose à dire dans ce domaine, tu trouveras un allié en ma personne.
Marion Augier : Jacques Chirac veut que les jeunes soient égaux face à la culture, mais les livres, par exemple, coûtent très cher. Ne pourrait-on pas dégager des fonds afin de permettre aux jeunes d'accéder plus facilement à la connaissance…
Guy Drut : Cela relève du domaine de Philippe Douste-Blazy, le ministre de la Culture. Je sais qu'il a fait beaucoup, notamment pour les entrées au musée. Il y a aussi des politiques d'accession aux livres qui sont favorisées. Des mesures fiscales sont prises pour diminuer le coût. Il faut peut-être améliorer les accès aux bibliothèques.
Christian Vassout : Dans le cadre de l'aménagement du temps scolaire, pourrait-on aménager des moments pour que les élèves et les professeurs discutent sur les problèmes de la violence, de la drogue, des maladies ?
Guy Drut : Je suis tout à fait pour. Ce sont des cours de vie. J'ai pris des dispositions récemment sur les sectes, par exemple, car je pars du principe que ça n'arrive pas qu'aux autres. Le jeune est particulièrement vulnérable car il est généreux, spontané, un peu naïf. Il découvre la vie et il a envie de connaître plein de choses. Il peut être plus facilement victime. Sur le sida, l'information maintenant est bien passée. Dieu merci, on commence même à observer une stagnation, voire une diminution, toujours insuffisante certes, du nombre de cas. Le port des préservatifs chez les jeunes générations est complètement accepté et pratiqué. Même l'Église s'y est mise C'est un pas en avant important. Il ne faut pas avoir peur des réalités et évoquer les problèmes clairement, sans détour. C'est le cas du sida. Il faudrait que ce soit le cas de la toxicomanie car vous êtes les plus vulnérables.
Marion Auger : Les professeurs ne sont peut-être pas les mieux placés pour nous parler de ces problèmes. Avec le réaménagement des rythmes scolaires, ce serait le moment de créer des emplois pour des gens qui viendraient de l'extérieur.
Guy Drut : Des intervenants extérieurs, encore faut-il que les lycées l'acceptent. On commence à le faire mais ce n'est pas évident. C'est difficile de mettre ça en place du jour au lendemain. Il faut prendre le temps…
Caroline Bordas : Dans mon lycée, les professeurs, qui sont censés nous donner envie d'apprendre, nous disent qu'on n'arrivera à rien. Ils nous dévalorisent et ont une approche négative des problèmes. Trouvez-vous ça normal ?
Guy Drut : Je ne peux que le regretter mais il ne faut pas généraliser. Le « prof » qui a dit ça a un sens pédagogique qu'il faut retravailler. Un jeune n'est jamais nul. Un jeune a envie de faire des choses. Il a plein de projets, d'idées dans la tête. Je vais essayer de faire trois choses axées sur l'initiative. D'abord, un grand club des défis. Il y a quelque chose qui marche au ministère de la Jeunesse et des Sports, c'est le Défi jeune. Quand un jeune a une idée, un projet, on peut l'aider à le concrétiser. Il faut qu'il trouve un partenaire économique, une entreprise, une collectivité. Il présente son projet et là on lui donne une certaine somme d'argent. Comme je veux qu'il y en ait de plus en plus, il faut des moyens. Le club des défis, ça consiste à associer, autour du ministère de la Jeunesse et des Sports, des grandes entreprises, des grandes administrations, des services publics. La Poste, Havas, sont déjà prêts à nous suivre. Ensuite, je souhaiterais donner la possibilité à tous les jeunes de faire part de leurs initiatives. On va essayer d'organiser, au mois de mars, une Journée de l'initiative des jeunes. Ils pourraient s'exprimer et on serait là pour les écouter et les aider. Enfin, il faudrait que tout ça débouche sur une exposition universelle des jeunes qui aurait lieu en France et où chacun pourrait faire part de sa vision des choses.
Marion Auger : Quelles sont les suites de l'opération Dialogue sur la violence menée après le drame de Montereau (NDLR : accident mortel de Julien, tué d'une balle en plein coeur, en septembre dernier) ?
Guy Drut : C'est une initiative du ministre de l'Éducation nationale qui a été diversement appréciée. Elle a eu au moins le mérite d'exister. Les suites, c'est que pas mal de lycéens ont pris personnellement en charge ce problème. Des choses commencent à se faire dans un certain nombre de lycées. Lors de l'émission « 7/7 », j'ai eu l'occasion de lire un petit message qui a été adressé aux lycéens par le père de Nicolas, assassiné à Marseille en septembre. « La solution vous appartient, disait-il. Allez au-delà de ce que pensent les technocrates qui n'y connaissent pas grand-chose, prenez-vous en charge, ayez confiance en vous, faites confiance à votre enthousiasme. » Dans un premier temps, c'est aux jeunes eux-mêmes à imaginer des solutions et peut-être à renforcer la notion de respect des uns envers les autres. C'est quelque-chose d'essentiel. Il y a bien sûr, toutes les mesures qui vont autour de ça, le renforcement de la sécurité par tous les moyens dont le gouvernement à la charge.
Sonia Jareno : Quel type de solution proposez-vous pour lutter contre la violence dans les lycées. La manière forte ou la persuasion ?
Guy Drut : Je suis partisan à tire personnel car je ne suis pas ministre de l'Éducation nationale, de refermer physiquement l'école, de faire en sorte que les éléments extérieurs aient beaucoup de mal à y pénétrer. La deuxième chose, c'est de renforcer l'autorité des enseignants. Je crois aussi aux vertus du dialogue et de la prise en charge. Certes, les problèmes sont présents. Il y a une recrudescence de la violence mais, à un certain moment, il faut accepter le fait du danger, essayer de repousser au maximum le moment où on fera appel aux bras musclés surtout dans un collège ou dans un lycée. En revanche, lors d'un voyage à Marseille, j'ai découvert un système de tuteurs, des jeunes qui effectuent leur service militaire dans un lycée. Ça, ce n'est pas mal, il y a d'excellents résultats.
Sonia Jareno : Pourquoi ne pas généraliser cette pratique ?
Guy Drut : C'est en route. C'est une des possibilités qui sera offerte dans le nouveau mode de service national, sous forme de volontariat. C'est une solution qui donne des résultats. Essayons de la généraliser le plus vite possible.
Kamel Boulila : Je suis dans un lycée où les jeunes de l'extérieur peuvent entrer comme ils veulent. Il y a des bagarres tous les jours à la récréation. Comment peut-on nous protéger ?
Guy Drut : Il faut faire en sorte que le collège, le lycée soit réellement un espace clos. Il doit y avoir un renforcement humain des moyens de surveillance. À partir du moment où on accepte les intrusions, le climat de violence s'installe plus facilement. C'est aux chefs d'établissement à ne pas accepter ce genre de chose, c'est aussi de leur responsabilité !
Christophe Vassout : À Dreux, il y a deux lycées. Dans celui de la périphérie, il y a une concentration des jeunes d'origine étrangère alors que le lycée du centre-ville n'accueille que des Français de souche. Ne devrait-on pas davantage mélanger les communautés ?
Guy Drut : Indéniablement, mais ce n'est pas une opération qui va se faire du jour au lendemain. La politique de l'immigration est très compliquée et on évite toujours de l'évoquer. Je soutiens tout à fait l'action du ministère de l'Intérieur car, tout en ayant le respect des droits de l'homme, il faut aussi avoir une politique de fermeté. Celui qui vient en France, il doit accepter la façon de vivre, les coutumes, les moeurs françaises. À ce moment-là, ça se passera de façon plus agréable.
Marion Auger : À Évreux où j'habitais avant, c'était la même situation. Est-ce que ce n'est pas dangereux ?
Guy Drut : On lutte contre ça en essayant de mixer davantage les populations. On essaie d'adapter des solutions à travers le pacte de relance de la ville, mais c'est un problème qui dure depuis pas mal d'années, qui a eu le temps de s'enraciner. Même si les résultats commencent tout juste à apparaître, c'est vraiment une affaire de longue haleine. Dans ce domaine, le sport a des grandes vertus. On apprend davantage le respect de la règle, le respect de l'autre. C'est à vous qu'il appartient de participer et de réussir.
Sonia Jareno : Est-ce qu'on ne pouvait plus prévoir qu'en regroupant les immigrés dans des ghettos, un jour où l'autre, ça allait exploser ?
Guy Drut : Il y a des urbanistes qui ont fait des grands plans et qui se sont imaginé qu'en empilant les gens dans ces cités ils allaient participer à leur bonheur. Pourquoi n'ont-ils pas habité ces appartements qu'ils ont créés ? Il y a eu des erreurs énormes dans les années 60 et 70 et, aujourd'hui, on est en train de ramer en sens contraire pour essayer de rattraper toutes ces bêtises. Les erreurs qui ont été faites en quelques années, malheureusement, il faudra beaucoup plus de temps pour les rattraper.
Christophe Vassout : Dans certains lycées, il y a une anarchie complète. Les élèves prennent le dessus sur les professeurs, les surveillants et même, quelquefois, le directeur…
Guy Drut : Je ne peux que le regretter mais je ne peux pas parler d'un problème que je ne connais pas. C'est à ces gens-là de trouver la solution. Il y a quand même, à un moment donné, l'affirmation de l'individu, de l'adulte, de l'autorité.
Marion Auger : Je voudrais parler de la violence à la télé. Il y en a dans tous les programmes, même dans les dessins animés pour les petits. C'est inadmissible !
Guy Drut : C'est une question de liberté d'expression et donc de censure. C'est amusant que ce soit une jeune fille de treize ans qui réclame ça. Nous sommes malheureusement, de temps en temps, dans une société de consommation, victime de l'audimat. C'est un problème très complexe, qui met en jeu les valeurs fondamentales de la République, c'est-à-dire la liberté d'expression. Est-ce qu'on a le droit d'interdire et sur quels critères ? Moi je serais tout à fait prêt à supprimer toute scène de violence à la télévision. Sur le principe, je suis tout à fait d'accord, mais c'est la mise en oeuvre qui est très difficile. Cela passe par le CSA par exemple. Il faut aussi renforcer leurs moyens et aller beaucoup plus loin.
Marion Auger : À Bray-sur-Seine, une petite ville où j'habite, il y a beaucoup de drogue au lycée. Tout le monde le sait, même les professeurs. Pourquoi personne ne fait rien ?
Guy Drut : Parce qu'il y trop souvent la loi du silence. Est-ce que les enseignants, le proviseur, ont alertés les forces de police ou les élus ? La drogue, c'est le danger des générations futures. C'est la raison pour laquelle il faut faire une action pour prévenir les plus jeunes d'entre vous des dangers qui les menacent. Je m'apprête à le faire avec mon collègue Hervé Gaymard, ministre de la Santé. La lutte contre la drogue, c'est une véritable guerre qui nécessite de très gros moyens. Comme pour la pédophilie d'ailleurs, n'ayons pas peur d'en parler. Il y a des moments où il faut s'occuper des affaires des autres, de ce qui ne nous regarde pas.
Sonia Jareno : On attend que les problèmes s'aggravent pour informer les jeunes. Je n'ai eu qu'une heure dans toute ma scolarité sur le sida. Je n'ai rien eu sur la drogue, ni sur les sectes… On attend que ce soit la catastrophe pour en parler. Ne pourrait-on pas intégrer cette information dans le cycle scolaire ?
Guy Drut : Quand j'ai monté le plan anti-secte, certains ont dit : Est vraiment à vous de faire ça ? Comment allez-vous faire ? J'ai dit : il y a un besoin, un danger. Allons-y ! J'ai fait un peu la même chose pour les rythmes scolaires. On a édité une brochure qui a été envoyé dans tous les sites, les collèges, les lycées, les écoles. Dans chaque direction régionale de la Jeunesse et des Sport, il y a un responsable « sectes ». Dans le cursus de formation du personnel Jeunesse et Sports, il y a une sensibilisation aux problèmes des sectes. On va faire la même chose sur la toxicomanie. En ce qui concerne la pédophilie, on a participé avec Xavier Emmanuelli et Jacques Toubon aux mesures qui vont être prises. Dans mon domaine, l'encadrement des jeunes dans les clubs de sport ou les colonies de vacances, il y a une sensibilisation à ces problèmes. Pour le moment, il n'y a que mon administration qui le fait. Il faudrait que ça se généralise. Mais on est confrontés à l'inertie administrative et c'est ce contre quoi le président de la République râle tous les mercredis matin. Sur la toxicomanie, je suis en train de travailler sur une idée. On sait qu'il y a trop de médecins. Ceux qui arrivent en fin de carrière, on pourrait leur proposer une préretraite avec la possibilité de s'occuper des jeunes toxicomanes dans des hôpitaux ou des dispensaires. D'aller faire aussi des cours dans les collèges ou les lycées.
Alexandre Guichard : Y aura-t-il des lois plus sévères pour ceux qui vendent de la drogue ?
Guy Drut : Je l'espère ! C'est la guerre totale. C'est pour la drogue comme pour le dopage ! Dans peu de temps, je vais proposer une loi contre le dopage. Autant je suis prêt à avoir une grande indulgence pour ceux qui sont victimes du phénomène, notamment les plus jeunes, autant je considère qu'avec ceux qui vivent du malheur et de la mort des autres, parce que c'est un assassinat pur et simple, il faut être d'une sévérité totale. C'est la raison pour laquelle j'ai beaucoup de mal à accepter la politique laxiste de nos voisins hollandais.
Sonia Jareno : Seriez-vous prêt à généraliser l'utilisation de la méthadone chez les toxicomanes ?
Guy Drut : J'y suis plutôt favorable. Mais, en tant que ministre de la Jeunesse et des Sports, je n'ai qu'un pouvoir d'intervention. Je n'ai pas de pouvoir de décision ni d'action. Ce n'est pas de mon domaine.
Alexandre Guichard : Êtes-vous partisan d'un suivi pour les désintoxiqués ?
Guy Drut : Oui, il le faut. Ils sont toujours vulnérables. C'est comme les jeunes alcooliques. Ça passe par des centres, des méthodes, beaucoup de considération, d'écoute. On peut s'en sortir mais il y a un laps de temps où l'individu qui s'est drogué est particulièrement vulnérable. Il faut donc un suivi.
Caroline Bordas : J'ai une amie que ses parents ont forcée à entrer dans une secte. Elle m'en a parlé. Qu'est-ce que le peux faire concrètement pour l'aider ?
Guy Drut : C'est un cas particulier. Ce cas doit être entouré de discrétion car c'est assez délicat. Pour le moment, ce que j'ai pu faire, c'est de nommer des conseillers dans les directions départementales de la Jeunesse et des Sports, dans les directions régionales. Dans les 700 points d'information jeunesse, il existe des petits fascicules avec des adresses, des numéros de téléphone. Il va falloir mettre ces fascicules à la disposition des élèves dans les collèges et les lycées.
Caroline Bordas : Oui, mais, pour une adolescente qui veut s'en sortir, ce n'est pas facile d'y aller. Qu'est-ce qu'on peut faire concrètement ?
Guy Drut : La personne qui sera amenée s'occuper de ça, qui aura été formée spécialement, va savoir l'écouter. Elle va se renseigner sur la secte, voir les parents. Chaque cas est un cas particulier. Il faut voir qui est à l'origine de la secte. Il n'y a pas de solution miracle. Chacun est un cas particulier. Il ne peut se régler qu'en ayant eu un échange direct entre l'intéressé et le responsable.
Christophe Vassout : Pouvez-vous donner plus de moyens aux associations pour qu'elles jouent à fond leur rôle d'intégrateur social ?
Guy Drut : Je n'ai qu'un pouvoir d'incitation. En revanche, je peux leur donner plus de facilités matérielles. C'est ce que j'ai fait, par exemple, à travers le plan sport emploi. Il y a une mesure qui s'appelle : « Un sport, un emploi, 50 000 » qui permet à une association d'avoir des facilités financières pour créer un poste d'animateur. « Profession sport » dont je parlais tout à l'heure, c'est un peu la même chose. Je peux aussi travailler davantage avec le mouvement sportif, avec les fédérations, les élus pour favoriser ces créations. Il faut aussi faire la promotion du sport parce que la France est un pays cartésien où on a pris le sportif un peu trop pour un « musculaire »... Les états d'esprit commencent à changer. Je peux développer toutes les qualités, toutes les dimensions du sport : la dimension éducative à travers les rythmes scolaires, la dimension économique à travers le plan sport emploi, la dimension d'intégration et d'insertion à travers la facilité d'accès et d'exercice du sport. De plus en plus, j'entends des élus sur le terrain reconnaître que le sport est l'une des activités les plus positives pour apporter des solutions aux problèmes.
Sonia Jareno : Compte tenu du manque d'informations sur le sida et la drogue, j'aimerais informer les jeunes, m'investir, aller dans les lycées ou les collèges pour leur expliquer ce que c'est. Mais je ne sais pas à qui m'adresser.
Guy Drut : Il faut que tu réunisses ton petit groupe d'amis ou de relations, que tu montes une association. C'est exactement le Défi jeune. Il faut que tu montes un défi. On va t'aider.
Libération : 21 décembre 1996
Libération : Vous voulez créer une autorité du type Conseil supérieur de l'audiovisuel. Est-ce un bon exemple ? Une réelle garantie d'indépendance ?
Guy Drut : Vous voyez toujours les choses du côté négatif ! On veut surtout lever les ambiguïtés qui existent, éviter les suspicions systématiques. On souhaite une réelle transparence, une claire indépendance. Et puis ce conseil aura un réel pouvoir décisionnaire et non plus consultatif, comme c'est le cas pour l'actuelle Commission nationale de lutte contre le dopage.
Libération : Une étude à paraître début 1997 estime à 9 % le nombre d'athlètes dopés (1). C'est plus que les statistiques officielles...
Guy Drut : Le dopage est un fléau. C'est le plus gros danger qui menace le sport de haut niveau. Il faut donc revenir près de zéro. Pour cela, il s'agit d'insister, principalement, sur un double volet : information et répression. Mais il y aura toujours des tricheurs…
Libération : Vous mettez l'accent sur un suivi médical et biologique généralisé. N'est-ce pas une disposition trompe-l'oeil lorsqu'on sait que seul un athlète français sur cinq présents à Atlanta a bénéficié d'un tel accompagnement ?
Guy Drut : Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. C'est aussi une question de moyens. Notez quand même qu'on va doubler le budget alloué à la lutte contre le dopage. C'est déjà énorme ! Il ne faut pas non plus oublier ce qu'est le haut niveau. Le haut niveau, c'est un bon classement au niveau européen... Donc peu d'élus. En moyenne, un athlète ou deux par discipline.
Libération : La généralisation du dopage n'est pas le résultat d'une dérive du sport vers l'obligation de résultat et de spectacle, le toujours plus d'argent ?
Guy Drut : Le dopage, c'est aussi de la toxicomanie. On se charge comme on se drogue. Il faut donc pouvoir être clément vis-à-vis des athlètes, souvent fragiles, et poursuivre, de manière intraitable, les pourvoyeurs, les incitateurs. Et leur appliquer des sanctions qui soient en tout point irréprochables... Enfin, il s'agit de les harmoniser à l'échelle internationale. On travaille pour cela en étroite collaboration avec le Comité international olympique.
Libération : La volonté de créer une autorité dite indépendante ne prouve-t-elle pas, a contrario, que par le passé, l'indépendance n'aurait pas toujours été respectée et que des affaires auraient pu être étouffées par le ministère et les fédérations ?
Guy Drut : Pas de mon côté, non, ça je peux vous l'assurer ! Je n'ai jamais rien étouffé. Je le répète, la lutte contre le dopage est un besoin. Une nécessité. Une question de survie. Il faut s'attaquer de front au dopage. C'est simplement une haie plus haute que les autres à franchir...
(I) « Journal of Sport Medicine and Physical Fitness », Patrick Laure.