Déclaration de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, sur le renouveau et l'unité syndicale, Paris le 3 octobre 1996, publiée dans "Le Peuple" du 17 octobre 1996.

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Circonstance : Réunion de la Commission exécutive confédérale, à Paris le 3 octobre 1996

Média : Le Peuple

Texte intégral

Le mouvement social tel que nous le vivons en ce moment n'est ni un mouvement naturel, ni un mouvement spontané. Il nécessite en permanence des initiatives avec les salariés et les syndiqués, des initiatives unitaires et des recherches de convergences.

Nous n'avons pas encore acquis le réflexe systématique de travailler ces trois aspects : multiplier les initiatives, rechercher les convergences, construire ou travailler à construire des solidarités nouvelles. C'est une des questions qui nous sont posées, dans la période que nous traversons.

Plusieurs camarades ont souligné qu'on ne profitait pas assez des luttes qui peuvent se développer dans le secteur privé pour travailler les convergences avec les problèmes du secteur public.

C'est réciproquement vrai du public au privé sur les problèmes des sans-emplois (…).

Il faut gagner une qualité de travail qui permette d'élargir le champ revendicatif et faire en sorte, quand, par exemple, on discute de la privatisation de Thomson ou de la réforme de la SNCF, on évoque en même temps toute une série de problèmes qui constituent l'environnement revendicatif des luttes à conduire ensemble.

C'est dans la mesure où l'on gagnera cette démarche que le travail de construction et de recherche de convergences va devenir presque plus spontané et surtout, plus efficace.

Sur cette idée de construction de solidarité, nous sommes en présence, aujourd'hui, en France, de 4 à 5 millions de personnes qui sont privées d'emploi.

Parmi eux, il y a les chômeurs qui ne constituent pas un ensemble homogène, une catégorie. Il y a les chômeurs indemnisés parmi lesquels sont également recensés ceux qui touchent une indemnité leur permettant de faire face à certains besoins, ceux qui arrivent en fin d'indemnisation et qui sont complètement pris à la gorge. Enfin, il y a les chômeurs qui ne sont ni indemnisés, ni recensés et qui sont vraiment, maintenant des rejetés.

Nous sommes en présence d'une accentuation de la pression qui a maintenant, considérablement élargi le spectre du sous-emploi, des chômeurs aux précaires. Le chiffre de neuf millions de sans ou de sous-emploi sera dépassé dans les six mois qui viennent, lorsqu'on fera le bilan de la portée des plans de licenciements.

Il y a plusieurs années, nous avions déjà souligné que nous étions en présence d'une politique et d'une stratégie qui visaient à mettre le pays en situation de supporter un niveau très élevé de chômage, et que cette situation ne serait payée ni par les patrons, ni par les entreprises.

Ce qui, aujourd'hui, est nouveau, c'est la dimension que prend ce phénomène et, à partir de là, les problèmes qu'elle pose dans la structuration d'une politique. Car le jour où l'on va parvenir à faire grandir un mouvement important poussant à l'indemnisation du chômage où ira l'Unedic ? Va-t-on freiner la lutte que l'on doit mener pour obtenir l'indemnisation des chômeurs pour ne pas mettre en difficulté l'Unedic ? (…) Les enjeux grandissent, c'est incontestable. Depuis environ deux ans, on a réussi à empêcher un certain nombre de mauvais coups, heureusement d'ailleurs : on a remporté des succès revendicatifs sur les salaires, sur les conditions de travail et même sur l'emploi. Mais sur le fond de la transformation de la société, de la remise en cause des structures, nos adversaires ont marqué des points.

Face à cela, et en raison même de cela, car les choses sont liées, nous n'aurions jamais pu connaître les progrès que nous avons réalisés en matière d'unité d'action si le poids des réalités ne conduisait pas les salariés à affirmer avec encore plus de force leur aspiration à l'unité.

Je pense que nous avons développé notre démarche de bonne façon. On peut toujours discuter de savoir si toutes les organisations, toutes les forces de la CGT s'y sont engagées de bonne façon.

Mais je pense que nous sommes à mi-chemin car les avancées que nous faisons aux niveaux des branches, des secteurs, des départements butent sur une position globalement fermée des directions confédérales. Je ne fais pas de personnalisation.

Or, il y a un problème : au moment où il y a prise de conscience du besoin et de l'intérêt du cheminement unitaire du syndicalisme, d'un syndicalisme rassemblé, il y a balkanisation de celui-ci.

Il y a des aspects contradictoires dans les effets mais la réalité est là. Certains posent la question : si l'on avait une activité syndicale au bon niveau, les salariés n'auraient-ils pas pu venir à la CGT au lieu d'aller à Sud ? Évitons les réponses trop rapides. Pour l'essentiel, ils étaient à la CFDT et s'inscrivaient dans un processus qui visait à essayer d'infléchir la ligne confédérale, processus qu'ils ont déserté au moment où ces conditions pouvaient se réaliser.

C'est une réalité, cela ne modifie pas notre appréciation et, donc, notre stratégie, mais il faut avoir quand même à l'esprit que les salariés ont besoin d'un syndicalisme rassemblé en opposition à une balkanisation.

Sur le fond, je pense que nous sommes dans une situation qui pourrait devenir préjudiciable si elle perdurait.

La CFDT développe un syndicalisme d'accompagnement qui s'affirme comme tel. Dans les arguments qu'elle a développés pour justifier sa prise de pouvoir à la CNAM, elle a déclaré : « Nous voulons diriger la CNAM pour pouvoir mettre en oeuvre la réforme Juppé ». Or, c'est contre cette réforme que la CGT s'est battue avec beaucoup d'autres. Et c'est exactement la même démarche pour l'Unedic…

Je le disais tout de suite, nous sommes en présence d'enjeux qui conditionnent le bouleversement de la société française. Il faut regarder la vérité en face, la réforme de la protection sociale, telle qu'elle se met en place, n'est pas seulement la mise en cause d'un acquis social. C'est une restructuration de la société française avec affaiblissement des éléments de solidarité, de transferts et l'ouverture de toute une série de canaux pour protéger le capital, dégager les entreprises et pénaliser les salariés (…).

Autrement dit, les conséquences, qui sont liées à la démarche d'accompagnement, sont de plus en plus lourdes parce qu'elles ont une portée de plus en plus structurelle.

L'accord du 31 octobre, modifiant les conditions de négociation qui vont aboutir à contourner les négociations de branches pour faire en sorte qu'elle se développe au niveau de l'entreprise, ce n'est pas la mise en cause d'un acquis social mais un élément très fort de structuration d'une autre forme de rapports sociaux, où le syndicalisme va bel et bien se trouver immédiatement en position affaiblie (…).

Les conséquences de la démarche d'accompagnement n'ont rien à voir avec la signature d'accords salariaux au rabais. C'est d'une autre portée. Ce n'est pas mineur et je pense que la stratégie du CNPF hier, jouant ouvertement, publiquement la promotion de Nicole Notat intègre cette donnée. Ce n'est pas une nouveauté que les patrons votent pour le syndicat qui leur plaît. Mais en l'occurrence, c'est plus que cela. C'est un patronat qui dit ouvertement : l'Unedic est désormais à nous, puisque, selon la règle de l'alternance, une fois ce sera un patron et une autre fois, un représentant des patrons. Nicole Notat a bien essayé de dire qu'elle n'était pas l'élue du patronat. Mais cela ne trompe personne et, malgré tout, cela ne peut pas nous conduire à baisser les bras sur les revendications des chômeurs et les problèmes de l'Unedic.

D'où l'importance de ne pas lâcher notre démarche unitaire (…).

Il ne faut plus lâcher sur l'interpellation des salariés, sur la nécessité d'une unité d'action qui ne s'arrête pas à la porte de l'entreprise. On peut, demain, connaître des situations où les syndicats CFDT se battront avec nous contre les conséquences d'un accord national signé par les dirigeants de la CFDT.

Il faut donc, maintenant, et sur le fond, poser les vraies questions et éclairer la contradiction qui grandit entre ce que vivent les salariés et la responsabilité prise par le syndicalisme d'accompagnement lorsque des encouragements sont donnés au gouvernement et au patronat.

Lorsque l'on parle de responsabilité, c'est le crédit du syndicalisme qui va se jouer.

Nous sommes en présence d'une évolution où le rapport est presque en train de s'inverser entre le monde des salariés qui ont un emploi et le monde du « sous-emploi ».

La façon dont les initiatives syndicales seront perçues va devenir déterminante sur le jugement que porteront globalement les hommes et les femmes.

Nous avons déjà eu l'occasion de dire que si, en fin de compte, le syndicalisme était perçu par la masse des chômeurs, des précaires, comme étant le syndicalisme des seuls salariés qui ont un emploi, un statut, une convention, on irait très vite vers une situation grave (…).

Autrement dit, en même temps que nous poussons notre stratégie d'unité d'action syndicale, nous devons, en permanence, nourrir, enrichir, en élargissant notre démarche de rassemblement en direction des associations, tout en sachant que cela va encore nous compliquer la vie. FO est, en effet, plus que réticente sur cette démarche.

C'est pourtant dans cette direction-là que nous avons à travailler, d'où le besoin, pour tout le monde, la commission exécutive et surtout le bureau confédéral, de réfléchir à une initiative d'interpellation des salariés sur renouveau et unité. Initiative qui incitera nos syndiqués à s'engager dans ce débat avec l'idée que tous les militants sont déjà sur le pont.