Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à RMC le 1er juillet et articles dans "FO hebdo" du 26 juin ("N'est pas indépendant qui veut") et du 3 juillet 1996 ("L'argent roi"), sur les projets d'instauration de fonds de pension, la présidence des caisses de sécurité sociale et le libéralisme économique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - FO Hebdo - RMC

Texte intégral

Date : 26 juin 1996
Source : Force ouvrière hebdo

N’est pas indépendant qui veut

Lors de la réunion du TUAC (1), préalable au G7, les camarades japonais de Rengo ont expliqué que certains adhérents du syndicat s’inquiétaient de la baisse des taux d’intérêt au Japon. Raison : cela compromettait le rendement des sommes placées dans les fonds de pension japonais, donc le niveau même de leurs retraites.

Il y a quelques années de cela, les camarades anglais du TUC se sont aperçus, alors qu’ils protestaient énergiquement et combattaient l’Apartheid en Afrique du Sud, qu’une part importante des fonds de pension anglais était placée dans ce pays.

Ce sont là deux exemples de la perversité des fonds de pension pour les travailleurs.

Alors que le gouvernement français, depuis plusieurs mois, indique que la baisse des taux d’intérêt (en cours) permettra une relance de l’activité, faut-il, demain, si les fonds de pension se développaient, que ce soit les travailleurs et retraités français qui revendiquent des taux d’intérêts relativement élevés ?

Or, tout le monde sait que la spéculation ne favorise pas l’augmentation des salaires et de l’emploi.

On doit dès lors s’interroger sur les motifs conduisant le patronat et certains politiques à revendiquer la mise en place de tels fonds.

Certains disent que c’est une nécessité pour fournir des fonds aux entreprises afin qu’elles investissent.

Or les entreprises ont actuellement et globalement un taux d’autofinancement supérieur à 100 % (110 %), c’est-à-dire plus de fonds que nécessaire en quelque sorte.

D’autres, ou les mêmes, indiquent que le coût à venir des retraites et tel qu’on ne peut pas se permettre d’accroître à nouveau les prélèvements obligatoires.

En effet, il serait prioritaire de réduire les dépenses publiques et sociales.

De ce point de vue, les versements aux fonds de pension présentent l’avantage de ne pas figurer dans les prélèvements obligatoires (c’est le système anglo-saxon), même si le rapport de la Martinière envisage de développer les cotisations sociales sur les compléments salariaux.

Les mêmes expliquent encore que l’endettement public est tel que cette dette (2) monopolise l’épargne qui serait nécessaire aux entreprises privées pour qu’elles investissent. Ce qui est faux.

Il faut en effet savoir que l’investissement en question s’est effondré au début des années 90 alors même que l’épargne augmentait sensiblement, comme l’explique Anton Brender (3).

Et, malgré sa forte croissance, l’endettement public n’a pas réussi à absorber toute l’épargne disponible. Le reliquat d’épargne a en effet servi pour être prêté à l’étranger.

Pire, si l’endettement public n’avait pas augmenté, la situation économique et sociale serait encore pire.

Et si demain, du fait de l’amélioration du pouvoir d’achat, donc de la consommation, l’activité et l’investissement repartaient, l’endettement public diminuerait automatiquement.

On retrouve là l’opposition entre une logique économique restrictive frisant la déflation et une logique économique de développement et de progrès.

Et c’est dans ce cadre que se situe le dossier de la protection sociale collective, en particulier dans le domaine de la maladie et de la retraite. Et c’est ce que nous expliquons depuis longtemps.

Tout cela confirme que derrière l’étatisation vient la privatisation et la remise en cause fondamentale du paritarisme. Gérer de manière paritaire ne consiste pas, comme l’affirme la Secrétaire générale de la CFDT, à savoir si le patronat a quelque chose à reprocher à un syndicaliste quand il est président, mais à trouver les compromis permettant aux interlocuteurs sociaux de faire fonctionner la démocratie sociale.

Mais n’est pas indépendant qui veut !

(1) Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE.
(2) cf. FO Hebdo n° 2298 du 29/5/1996.
(3) Alternatives Économiques n° 138.


Date : lundi 1er juillet 1996
Source : RMC/Édition du matin

RMC : Vous êtes-vous intéressé au G7 de Lyon ?

M. Blondel : Le problème, c’est que je m’interroge maintenant de savoir si les G7 servent à quelque chose dans la limite où ils se répètent et que les conclusions ne semblent pas des plus pertinentes. On pouvait espérer que le G7 soit le contrepoids de Davos. Davos, c’est les patrons, les financiers en Suisse, qui s’y rencontrent tous les ans, c’est le gotha de la finance internationale.

RMC : Vous y étiez, d’ailleurs ?

M. Blondel : J’étais un peu le canard boiteux, l’affreux jojo. Là, on voyait ce que les financiers voulaient : la mondialisation, pouvoir se placer où ils le désiraient sans réglementation, sans rien. Donc, le rôle des G7, c’est que les politiques, les hommes qui dirigent les pays reprennent la direction des affaires. Or là manifestement, tout le monde fait de l’autosatisfaction, notamment du côté des Américains. Tout le monde dit que le système américain est le meilleur. Moi, je continue à penser qu’il exclut un quart des gens et que c’est un système qui fonctionne par exclusion. C’est la loi du plus fort. Il faudrait justement que le G7 ait pour effet d’améliorer les choses et surtout de prendre des orientations, notamment dans le domaine du chômage.

RMC : Quand vous entendez M. Chirac parler de protection sociale nécessaire et d’un dialogue tripartite…

M. Blondel : Mais il a dit ça, il le prouve, il ne l’a pas dit qu’à Lyon : il a dit ça au BIT, où il a fait un discours absolument excellent qui a été donné comme référence et comme modèle par tous les autres, y compris les syndicalistes. Il m’a redit ça lors de la préparation du G7 parce que la commission consultative – les syndicats représenté dans les sept pays les plus riches du monde… Le discours a été bon. J’aurais bien aimé qu’il dise qu’il avait reçu les syndicats et qu’il fasse connaître nos préoccupations. Le discours est bon. Seulement, l’application, y compris dans notre propre pays, moi, je trouve que ça laisse à désirer.

RMC : Le chômage continue de monter…

M. Blondel : Je n’en sais même plus le nombre !

RMC : …et on annonce de nouveaux plans sociaux : est-ce l’effet de la politique économique du Gouvernement ou bien sont-ce les effets de la mondialisation ?

M. Blondel : Est-ce que la politique du Gouvernement n’est pas la mondialisation ? C’est ce que je viens de reprendre sur votre interrogation. Le fait pour le Gouvernement de se rallier au marché et de laisser les finances décider, parce que c’est ça, le problème de fond, n’est-ce pas ça, la mondialisation ? La mondialisation, ça ne veut pas dire qu’il y aura de l’activité et de l’industrie partout. La mondialisation, c’est laisser les financiers aller où ils le désirent pour créer des prédateurs et mettre tous les autres en concurrence. Je vous annonce d’ailleurs tout de suite qu’à terme, ce sera la Chine. Ceci est clair. Pourquoi les gouvernements laissent faire ? Pourquoi les gouvernements européens laissent faire ? Pourquoi, au niveau mondial, les gouvernements laissent faire ? C’est ça, le véritable problème.

Donc, le chômage est la conséquence de la politique économique, ladite politique économique n’étant pas dirigée par les gouvernements. Manifestement, M. Trichet est plus important que M. Juppé en la matière. Bien entendu, M. Juppé essaie de faire du tricot, essaie de faire mieux, de satisfaire les exigences financières. On ne s’en sortira pas comme ça. En boutade, mais aussi par dérision, mais aussi par colère, je vous ai dit que je ne sais même plus le nombre. Ça ne signifie plus rien, maintenant, le nombre ! Allez dire à un jeune qui a 20 ans : « Il y avait 2 990 000 chômeurs au 31 décembre 1995. Il y en a 3 200 000 maintenant ». Il va vous répondre : « Je m’en fous ! A 200 000 près, que voulez-vous que ça me fasse dans la mesure où je suis sûr que je n’aurais pas de boulot ? » C’est ça, la véritable catastrophe. Les gens entre 15 et 24 ans n’ont aucun espoir en ce moment.

RMC : Le rétablissement de l’autorisation administrative de licenciement proposée par le PS est-il bon ?

M. Blondel : C’est une revendication qui, lors du Congrès de février, a été réclamée. On avait constaté que ça freinait les choses. Ceci étant, une entreprise doit être maître de son embauche et de son licenciement. Maintenant, il y a des circonstances. Rappelez-vous : avec M. Balladur, il y a des circonstances. Rappelez-vous : avec M. Balladur, il y a eu une semaine où il y eu une annonce de 15 000 licenciements. On vient de revivre à la semaine dernière. Si on met ce que M. Millon a annoncé avec les arsenaux – 4 500 – avec le Crédit Lyonnais – 5 000 – avec Moulinex, le GIAT, on est encore une fois à 15 000. Et curieusement, cette foi, ça ne provoque plus la même émotion. Ça veut dire qu’on s’habitue à tout, y compris au chômage. D’une certaine façon la société est en train d’évoluer, pas en bien. Tout le monde gravite autour de ça. Personne n’aurait à l’heure actuelle l’objet de condamner qui que ce soit qui essaierait de tromper les gens pour avoir un peu d’argent.

RMC : Vous êtes candidat à la présidence de l’Unedic ?

M. Blondel : Je vais vous dire : il y a un véritable problème dans ce pays. Nous avions mis en place une certaine notion du paritarisme, c’est-à-dire de la gestion des œuvres sociales par le patronat et les organisations syndicales. Je pense que FO a pris une grande part dans cette affaire. Je me demande même, sans vanité excessive, si ce n’est pas nous qui avons lancé cette conception. Je ne me le demande pas : je sais que c’est nous, et je peux même donner les références. Ceci étant, à la suite de la réforme, ou contre-réforme de M. Juppé sur la Sécurité sociale…

RMC : Vous avez été évincé…

M. Blondel : …Je n’ai été évincé de rien ! À la suite de la réforme, ou de la contre-réforme de M. Juppé, le paritarisme a été remis en cause, dans la mesure où maintenant, en matière de Sécurité sociale, les organisation syndicales et patronales mettront en musique ce que le Gouvernement a décidé. Moi, figurez-vous que ce n’est pas mon genre : je ne suis pas là, moi, comme l’auxiliaire du Gouvernement. Je ne suis pas obligatoirement son ennemi, mais je ne suis pas l’auxiliaire du Gouvernement. A chacun sa conception. Si j’avais voulu – c’est un secret de Polichinelle – nous serions encore président de la CNAM. J’ai demandé au patronat, si nous y retournions, de pouvoir essayer de modifier en bien la réforme. Le patronat ne le souhaitait pas. Moralité : je ne veux pas être déloyal. Nous n’irons pas pour ne pas démolir l’opérations. Nous restons à l’extérieur. Nous n’irons pas pour appliquer les décisions du Gouvernement. Donc, nous resterons à l’extérieur et nous serons critiqués et nous nous feront entendre. Ceci étant, en matière de chômage, pour l’instant, l’intervention de l’État n’est pas aussi abusive et aussi grande que la Sécurité sociale. J’ai donc déclaré que nous serions candidats à la présidence de l’Unedic pour essayer de faire que l’Unedic reste l’Unedic et non une officine complémentaire ou subsidiaire du Gouvernement.

RMC : Face à vous, il y a N. Notat qui est le chouchou des Français, selon un sondage du Pèlerin.

M. Blondel : C’est de la provocation, ça ! À huit heures du matin, vous me faite ça ? ! Chouchou des Français d’après un sondage…

RMC : 51 % des Français pensent que c’est le meilleur des syndicalistes.

M. Blondel : Ce n’est pas tout à fait la question, ni la réponse. J’ai le texte sous les yeux. Ça me permet de sourire gentiment, parce qu’elle est peut-être le chouchou des Français, mais on dit « parmi les artisans, les commerçants et les agriculteurs, etc. ». Je respecte toutes ces catégories, bien entendu, mais je n’en suis pas le représentant. Quand on regarde le sondage, on voit que jusqu’à 50 ans, c’est moi qui suis en faveur, ainsi que chez les employés et les ouvriers. Moi, je considère comme un bon syndicaliste. Voilà un sondage auquel je ne crois pas plus que les autres. Voilà un sondage qui me donne plutôt une bonne image même s’il a été fait pour conforter l’image de Mme Notat.

RMC : Et si vous étiez battu à l’Unedic ?

M. Blondel : D’abord, quand je suis candidat quelque part, je ne me mets jamais dans l’hypothèse d’être battu. Ensuite, nous verrons. C’est d’ailleurs incroyable ! Mme Notat a annoncé qu’elle serait – quand je dis « elle », c’est son organisation – candidate à la présidence de la CNAM, un peu comme si elle faisait une OPA. C’est assez significatif : ça prouve que la Sécu maintenant, c’est une affaire financière. Elle a fait ça, et ensuite, elle s’est dépêchée d’aller voir le patronat en lui disant « il faut me soutenir ». Le patronat et Mme Notat ont tenu pour une simple et bonne raison : il ne fallait surtout pas qu’on discute de la Sécurité sociale, et notamment du déficit éventuel, des 48 milliards. Il ne fallait surtout pas qu’on montre qu’en définitive, la contre-réforme était en train de démolir la Sécu plutôt que l’améliorer. Alors, pour éviter ça, on s’est dépêché de faire un incident. Ça a marché, d’ailleurs. Alors, on a dit : Ça y est, FO se fait virer ». Ce n’est pas vrai. J’étais en mesure de réclamer la présidence et de la garder, non pas depuis 29 ans comme certains le disent, mais bien avant : nous étions président de la FNOS avant 1967.


Date : 3 juillet 1996
Source : Force ouvrière hebdo

L’argent roi

L’accumulation de mauvaises nouvelles ces derniers jours confirme largement nos analyses et nos revendications :
    – augmentation du chômage de 214 000 en un an (de mai 1995 à mai 1996) avec 30 800 chômeurs supplémentaires (+ 1 %) en un seul mois et une aggravation du chômage de longue durée ;
    – multiplication d’annonces de plans sociaux ;
    – révision à la baisse des perspectives économiques avec une croissance négative (- 0,3 %) au deuxième trimestre 1996 ;
    – atonie de la consommation et des salaires, entretenue par le gouvernement qui n’a relevé le SMIC que de 0,5 % ;
    – aggravation de la situation financière de la Sécurité sociale.

Tous ces éléments sont liés à la nature de la politique économique menée en France, comme dans la plupart des autres pays européens, et au niveau de l’Union européenne.  De ce point de vue, l’absence du social au dernier sommet européen de Florence est particulièrement significative.

Il résulte de tout cela un sentiment croissant d’injustice et un manque grandissant d’espoir.

De plus en plus les gouvernements, c’est-à-dire les politiques, donnent l’impression d’être, pour reprendre le mot des guignols de l’information : « les employés » des forces du marché. Ils se coulent, comme en France, dans la logique déflationniste de réduction des déficits, remettant en cause les structures de solidarité et d’égalité, comme la Sécurité sociale ou les services publics.

Après les télécommunications, c’est maintenant au tour de La Poste d’être dans le collimateur libéral de l’Union européenne.

EDF va devoir, progressivement, faire face à la concurrence.

Quant à la réforme annoncée de l’État, elle vise essentiellement à mettre sur pied un État minimal qui, plus est, autoritaire, fonctionnant sur le mode de la subsidiarité.

L’État fixe pour chaque service, son budget global, à charge pour chaque unité déconcentrée d’adapter son rôle et ses missions aux moyens disponibles. C’est ici la même logique que celle retenue pour la Sécurité sociale. Les pouvoirs publics fixent l’enveloppe et sous-traitent leurs décisions aux caisses devenues exécutantes.

La frénésie de réformes ou d’annonces de réformes (Sécurité sociale – fiscalité – État – service national notamment) ont comme logique commune le respect des critères européens de convergence économique, ce qui implique la réduction des déficits et la libéralisation (c’est-à-dire la livraison au marché) de pans entiers de structures publiques ou collectives. L’État minimal correspond bien à la logique anglo-saxonne mise en œuvre par Thatcher.

Le scandale de la « vache folle » en est aujourd’hui une des expressions les plus significatives, qui n’épargne guère les autres pays. Laisser le pouvoir aux forces du marché c’est soumettre les intérêts vitaux au profit, c’est progressivement abandonner la notion d’intérêt général. De ce point de vue on se retrouve dans la même logique que celle du sang contaminé. Ce sont les critères financiers qui décident et priment sur tous les autres.

Dans une telle démarche, la notion même de service public n’a plus sa place.

Sur un tel débat, essentiel pour l’avenir, les citoyens ont le droit de savoir et de débattre.

C’est la même chose concernant la Sécurité sociale, où la contre-réforme Juppé est prioritairement guidée par des contraintes financières.

Tout comme il aurait été plus que normal, en démocratie, que les tenants et aboutissants de la construction européenne soient clairement posés.

Or sur tout cela, l’autoritarisme tend à étouffer la démocratie : quand on n’est pas d’accord on est considéré comme ennemi.

C’est conscient de tout cela et de la nécessité, pour l’organisation syndicale, de jouer son rôle en toute indépendance, que le Comité confédéral national aura à débattre les 2 et 3 juillet 1996.