Interview de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, dans "L'Hebdo des socialistes" du 20 mars 1998, sur le bilan du plan de lutte contre la violence à l'école adopté en novembre, la sensibilisation des acteurs du système éducatif à la morale civique et à la prévention de l'incivilité et de la violence notamment grâce à la "semaine des Initiatives citoyennes", et sur la violence à la télévision.

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Média : L'Hebdo des socialistes

Texte intégral

H. S. : Pouvez-vous faire un premier bilan de l'application du plan contre la violence scolaire ? Pourquoi l'avoir limité à neuf sites ?

Ségolène Royal : Claude Allègre et moi avons souhaité éviter le saupoudrage des moyens. Le choix des neuf sites – qui correspond à 412 établissements scolaires et à leurs réseaux d'écoles primaires, soit 700 000 élèves – a été retenu en fonction des phénomènes de violence auxquels ils sont confrontés.
Il fallait donc en priorité affecter sur ces neuf sites les 250 postes d'infirmières et d'assistantes sociales créés dans la loi de finances 1998 et les 20 000 emplois-jeunes. On a déjà pu constater que, dans les établissements où ont été affectés au moins cinq aides-éducateurs, le climat s'est réellement amélioré.
À l'occasion de mes déplacements dans les écoles ou les collèges, j'ai pu apprécier l'apport bénéfique des emplois-jeunes dans la qualité de vie de l'établissement. Les aides-éducateurs sont un facteur de dialogue et de réduction des tensions entre élèves et adultes.

H. S. : Les montée de la violence dans et hors de l'école peut-elle menacer, selon vous, le bon déroulement de la partie du programme de prévention et de lutte contre les exclusions consacrée à l'accès à l'éducation ?

Ségolène Royal : La montée de la violence des jeunes est un phénomène inquiétant.
Le gouvernement disposera dans les prochaines semaines de plusieurs rapports de nature à guider son action : celui de Christine Lazerges et de Jean-Pierre Balduyck sur la délinquance des mineurs, un autre sur les violences urbaines et un troisième sur la meilleure répartition des tâches à envisager entre forces de police et de gendarmerie.
Pour ma part, je suis attachée à la responsabilisation des jeunes, dès lors que les discours de fermeté que doivent leur tenir les adultes est en cohérence avec leurs actes. Les adolescents ont besoin de repères clairs. C'est aux adultes de ne jamais brouiller le message par des conduites ou des défaillances individuelles ou collectives. Par ailleurs, le programme de prévention et de lutte contre les exclusions fera également diminuer la violence ; tout ce qui contribue à l'égalité des chances et à la réussite scolaire est de nature à faire baisser les tensions qui existent dans certains établissements.

H. S. : Sur quoi débouchent les initiatives citoyennes qui se tiennent depuis la fin novembre ? Quel sera le contenu de l'enseignement d'éducation morale civique qui devrait être dispensé dès la rentrée prochaine ?

Ségolène Royal : Afin de sensibiliser l'ensemble des acteurs du système éducatif à la morale civique et à la prévention de l'incivilité et de la violence, j'ai lancé les « initiative citoyennes à l'école pour apprendre à vivre ensemble ». À l'occasion d'un premier bilan qui a eu lieu début mars, j'ai pu constater la multiplication de projets menés à bien dans les établissements. Toutes ces initiatives méritent d'être connues ; j'ai donc décidé d'organiser une semaine nationale entre le 11 et le 16 mai prochain afin que les projets les plus ambitieux, les plus novateurs, les plus… citoyens soient mis en valeur à l'occasion de journées portes ouvertes auxquelles participeront les parents.
S'agissant du contenu des enseignements, il s'articulera de manière distincte selon les niveaux. Dans les écoles maternelles et primaires, l'accent sera mis sur la nécessité de développer les liens entre les comportements de civilité et les premiers apprentissages du civisme. Au collège, l'éducation civique sera assurée principalement par les professeurs d'histoire et géographie, une place étant laissée aux initiatives interdisciplinaires. Dans les lycées, un nouvel enseignement d'éducation à la citoyenneté sera créé en classe de première. Claude Allègre et moi avons décidé d'en différer le programme définitif dans l'attente du colloque national sur les lycées. Mais, dès la rentrée prochaine, les lycées organiseront des expérimentations dont nous nous inspirerons.

H. S. : Certains ont dénoncé le rôle néfaste de certains feuilletons et de certains jeux vidéo qui banalisent la violence. Serait-il souhaitable de fixer une barrière à ne pas dépasser ?

Ségolène Royal : Chacun voit bien que la violence est trop présente à la télévision et dans les médias. Elle est banalisée aux yeux des enfants. Je crois qu'il faut avoir le courage d'ouvrir ce débat, aussi urgent que nécessaire, avec les responsables des médias et des jeux violents à destination de la jeunesse.
En tant que ministre, chargée de l'enseignement scolaire, je souhaite apprendre aux élèves à exercer leur sens critique face à l'image, avoir le recul nécessaire et avoir écarter le message qui détruit et qui avilit. En tout cas, chacun doit se convaincre que le combat contre la violence à l'école sera un combat perdu si, en dehors de ses murs, cette violence maintient son emprise sur des enfants et des adolescents élevés dans la civilisation de l'image.