Interview de M. René Monory, président du Sénat, à RTL le 1er octobre 1996, sur l'intervention du président de la République pour l'union de la majorité, la lutte contre le chômage et l'exclusion sociale, l'idée d'une réforme du mode de scrutin, et le projet de loi antiraciste de M. Toubon.

Prononcé le 1er octobre 1996

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

M. Cotta : La majorité a été reprise en main par J. Chirac lui-même, qui a fait part, le 26 septembre, de son indignation devant les écarts de langage de certains. Le Premier ministre, lui, engage la responsabilité du gouvernement, demain. À votre avis, en ce début de session parlementaire, cette volonté de J. Chirac et d’A. Juppé de resserrer les rangs sera-t-elle entendue ?

R. Monory : Je souhaite qu’elle soit entendue parce que cela n’a aucun intérêt pour la majorité de continuer à se diviser. Vous savez, il y a des échéances qu’il faudra passer et il faudra les passer dans l’union. Cela dit, il ne suffira pas de dire qu’il faut s’entendre, il faudra aussi donner tous les moyens de s’entendre. Et malheureusement, on ne peut pas empêcher un député, quand il voit le chômage s’aggraver chez lui, de trembler un peu et c’est un peu ce qui provoque des réactions.

M. Cotta : Donc, pensez-vous que cet engagement de responsabilité servira ou ne servira pas ?

R. Monory : Si le président et le Premier ministre l’ont décidé, c’est utile mais ce n’est pas suffisant. Je suis sûr qu’il ne manquera pas une voix au Premier ministre mais au-delà de ça, il faudra faire du travail pour faire de l’adhésion.

M. Cotta : Peut-on encore, après les propos de J. Chirac, se réclamer de J. Chirac et combattre le gouvernement, comme certains dans la majorité ont tendance à le faire ?

R. Monory : Je ne suis pas d’accord parce que je crois que le Premier ministre et le président sont très unis et quand on touche à l’un, en touche à l’autre. Cela dit, il faut trouver rapidement des solutions pour l’emploi – je dis cela depuis longtemps mais je finirai peut-être par être entendu – car c’est la priorité des priorités. Tout le reste passe après. Tant que vous aurez 20 000 à 50 000 chômeurs de plus tous les mois, cela sera une catastrophe. Donc, il faut maintenant faire marche arrière. Il y a moyen, si on décentralise, si on personnalise le travail à l’égard des chômeurs. On peut y arriver.

M. Cotta : Nous sommes arrivés en août à un chômage record, est-ce que vous pensez que l’on peut s’attaquer à ce chômage record ? Est-ce que l’on peut faire davantage pour s’attaquer à lui ? Vous avez contesté les aides au chômage telles qu’elles ont été faites, qu’est-ce qu’il y a d’autre à faire ? Quelle est votre politique ?

R. Monory : Je ne conteste pas l’aide mais je conteste la méthode car je crois, qu’il y a trop d’étages entre la décision et l’application. Je ne veux pas parler de mon département spécialement, mais je crois que ce qui est bien, c’est lorsque l’on parle de quelque chose que l’on a expérimenté. Quand vous réussissez à mettre autour de la table le préfet, le président du conseil général, les syndicats patronaux et salariés, les chambres consulaires, les organismes comme l’ANPE, vous avez déjà fait un pas énorme vers la solution du travail.

M. Cotta : C’est ce que vous avez fait vous dans votre département mais vous voulez dire que les hommes politiques auraient finalement beaucoup plus de moyens d’agir qu’ils ne le revendiquent ?

R. Monory : Oui, mais vous savez, il faut aussi se battre beaucoup contre les administrations. Je ne critique jamais les fonctionnaires, je critique l’administration en tant que telle parce que les méthodes sont beaucoup trop restrictives. Chacun veut sa parcelle de pouvoir, la dispute à l’autre. Ce n’est pas bon. Ce n’est pas du tout que chaque homme politique peut faire plus, mais ce qu’il faut, c’est lui donner de la liberté. Les hommes politiques sont sur le terrain, sont en général intelligents, volontaires et ils ont tout intérêt à ce que cela marche. Il faut leur donner des pouvoirs, il faut leur donner de la liberté et ce n’est pas le cas en ce moment.

M. Cotta : Ils ont quand même de la liberté puisque vous l’avez bien dans votre département, non ?

R. Monory : Oui, c’est vrai mais enfin, cela fait longtemps que je suis sous le harnais politique. Cela me permet de prendre des mesures impopulaires sans prendre trop de risques. J’ai quand même peut-être l’avantage d’avoir une longue expérience de la politique et d’avoir résisté aux tempêtes. Cela dit, cela ne suffit pas pour tout le monde. Moi, je suis persuadé qu’on va y arriver. Je l’ai dit au Premier ministre, je l’ai dit au président et également à J. Barrot, qui est un ami. Mais si on prend le taureau par les cornes sur le terrain, on réglera beaucoup de problèmes d’emploi.

M. Cotta : De ce point de vue, la nouvelle loi sur l’exclusion, qui prévoit le redéploiement des aides sociales en faveur des plus pauvres mais aussi un contrôle du RMI, est-ce que cela vous paraît satisfaisant ? Est-ce que c’est le sens dans lequel il faut aller ?

R. Monory : Le RMI, j’ai commencé cela depuis un an. J’ai douze personnes sur la route qui ne rencontrent que les RMIstes et qui voient leurs problèmes. Le problème des RMIstes, c’est que ce sont des gens déboussolés souvent, hors de la société, qu’il faut aider à reconquérir cette société. Moi, j’ai douze personnes, et je vais d’ailleurs élargir sans doute et les faire passer à vingt parce que j’ai de bons résultats. Ces gens, il faut parler avec eux, il faut leur redonner confiance, il faut les réunir le matin, il faut trouver le moyen de les former, il faut demander aux entreprises de faire un effort également et je suis persuadé qu’il y a 30 à 40 % des RMIstes que l’on peut sauver.

M. Cotta : Donc, vous êtes d’accord sur le principe de la loi sur l’exclusion ?

R. Monory : Le principe du faire du sur mesure pour le RMI doit dominer le principe de faire du prêt-à-porter.

M. Cotta : Comment expliquez-vous quand même que les Français restent – c’est J. Chirac qui l’ait dit hier – inquiets, sceptiques, qu’ils doutent de tout, y compris de leur aptitude à faire face ? Comment expliquez-vous cette tendance au pessimisme et au renoncement ?

R. Monory : Cela fait des années que je dis que cela passera toujours par l’emploi et par le chômage. Chaque famille a aujourd’hui un fils, un neveu, un cousin, un oncle, une tante qui est au chômage. Comment voulez-vous les rendre heureux ? Moi, c’est la catastrophe de ma vie, de ma vie intellectuelle, de ma vie politique, de penser que, quand je rentre chez moi, je vois ces gens qui viennent me voir en pleurant parce qu’ils n’ont pas d’emploi. Ce n’est pas tenable pour un homme politique. Donc, je crois que c’est la priorité des priorités. Il faut se battre et je suis sûr qu’il y a des solutions.

M. Cotta : Revenons aux différents projets de loi qui vont être discutés pendant cette session. Vous-même, vous avez protesté aux journées parlementaires de l’UDF contre le projet gouvernemental de changer la loi électorale législative et d’instiller un peu de proportionnelle. Vous avez même parlé de « magouilles », etc. Est-ce que vous manifesterez cette opposition si, par hasard, ce projet de loi prenait forme ?

R. Monory : Oui, alors là, je peux vous dire que j’ai été peut-être l’un des premiers à faire entendre ma voix, forte, mais je ne regrette pas parce que, maintenant, je n’ai pas l’impression qu’il y en ait beaucoup qui s’expriment dans l’autre sens. J’ai été ravi de voir que tout le monde rejoignait un peu ces propos. Ce n’est pas possible de penser à faire une loi électorale, qui apparaît, quelle que soit la qualité, quelle que soit la volonté politique derrière, comme une magouille de dernière heure pour gagner les élections. Donc, je suis contre une réforme du scrutin électoral avant les élections et je me battrai pour.

M. Cotta : Vous pensez que de ce point de vue-là, le gouvernement et le RPR ont fait un peu marche arrière ?

R. Monory : Je ne sais pas si c’est le gouvernement. On ne sait pas qui a fait cela. On n’arrive pas à savoir qui a lancé cette idée mais de toute façon, elle n’est pas bonne ; quel que soit celui qui l’a lancée, elle n’est pas bonne.

M. Cotta : Le projet de loi antiraciste, est-ce que vous le trouvez opportun ou inopportun ? Est-ce un texte de circonstance ?

R. Monory : Je suis président du Sénat, donc d’une assemblée législative et j’ai toujours pensé qu’il fallait légiférer à froid et jamais à chaud. C’est-à-dire que, lorsqu’il y a un problème, il faut sans doute légiférer mais ne pas trop se presser parce que, bien souvent, on fait une loi de circonstance.

M. Cotta : J. Toubon dit qu’il pensait à cette loi depuis longtemps.

R. Monory : Tant mieux, mais on n’en avait pas beaucoup entendu parler avant. Donc, ce que je souhaite, c’est que l’on en parle beaucoup ou qu’on ne fasse pas n’importe quoi dans la précipitation. Il faut sûrement quelque chose mais il faudra le faire avec réflexion. Prenons notre temps. J’ai toujours dit : légiférons à froid, prenons notre temps. Regardez le nombre de fois où on a légiféré et où on s’est aperçu que la loi n’était pas complète. On parle des lois Pasqua qui ne sont pas complètes. Je ne sais pas si c’est vrai ou pas vrai mais si c’est vrai, ces lois ont été faites rapidement également. Donc, on a intérêt toujours à bien réfléchir. Un législateur, c’est un homme de réflexion.

M. Cotta : Quel est votre jugement sur le vote du budget ? Faut-il davantage d’économies sur le déficit public, faut-il davantage de baisse d’impôt, faut-il s’attaquer à certaines niches fiscales qui ont été préservées ?

R. Monory : Les deux vont ensemble. Il faudra moins de dépenses et moins d’impôt. Cela me paraît clair et obligatoire.