Texte intégral
VSD : Une rentrée chaude, info ou intox !
Marc Blondel : Je n'aime pas cette formule. En décembre la mobilisation a pris car la « mise en scène » était du gouvernement. La situation économique et sociale s'est encore détériorée. Le budget est restrictif, on supprime des postes de fonctionnaires et l'État se désengage. Le chômage s'aggrave. Les six mois qui viennent ne vont pas être meilleurs. Enfin, le mécontentement gagne les commerçants, les artisans, les agriculteurs sans parler des restructurations militaires. Ce dossier sensibilise les politiques de tous bords qui soutiennent ensemble les revendications. Nous sommes à dix-huit mois des élections : j'ai peur que la politisation ne l'emporte ! Nous veillerons à l'indépendance syndicale.
VSD : Pour FO le thème dominant de la rentrée ?
Marc Blondel : Le chômage. Depuis 1975, la situation se dégrade…
VSD : Les vingt mille chômeurs de moins annoncés la semaine dernière ce n'est rien.
Marc Blondel : C'est un artifice provoqué par un changement de modes de calcul, entraînant le déclassement de deux cent cinquante mille chômeurs. Soyons sérieux, il y a à nouveaux trois millions deux cents mille chômeurs ! C'est la sanction du traitement social du chômage. La solution est ailleurs.
VSD : Où ?
Marc Blondel : Dans la relance de l'activité. Veut-on rester dans une économie restrictive ? Chirac a été élu en promettant le développement. Et puis il a changé de pied pour accepter les thèses des tenants d'une économie restrictive. Il n'y aura pas de résultat. On va dans le mur !
VSD : Concrètement, comment fait-on ?
Marc Blondel : Prenons l'amiante. Ça ne touche pas que Jussieu ! J'ai rencontré Barrot, Bayrou, Borotra et Arthus. Je leur ai proposé de se servir de ce fléau pour développer un nouveau secteur d'activité : le déflocage. Je leur ai même suggéré de lancer un emprunt d'État et un plan déflocage sur cinq ans. Coût : 40 milliards. Potentialité : cent mille emplois. Ce n'est pas rien !
VSD : Il y a d'autres gisements envisageables !
Marc Blondel : Bien sûr ! Il faudra bien qu'on démolisse les HLM ! Ils ont été conçus en 1960 pour trente ans. Là aussi, il faudrait un programme d'action créateur d'emplois.
VSD : Mais les emprunts, ça fait vivre à crédit.
Marc Blondel : Les emprunts ne posent pas de problèmes ! C'est le loyer de l'argent qu'il faut faire baisser. À ce sujet, je suis stupéfait que personne n'ait relevé que le 14 juillet Jacques Chirac avait déclaré ne pas pouvoir effectuer d'ingérence dans les affaires de la Banque de France…
VSD : C'est le respect des textes…
Marc Blondel : C'est un aveu d'impuissance ! Ça signifie que l'on élit des gens qui n'ont pas de pouvoir. C'est monsieur Trichet qui a le pouvoir. Moi, je n'élis pas monsieur Trichet !
VSD : Vous êtes toujours contre la flexibilité de l'emploi ?
Marc Blondel : Si on prend la base des heures supplémentaires effectuées annuellement, cela correspond à 80 000 postes de travail à temps complet et, par excédent, à 230 000 postes. Déjà que les patrons se permettent n'importe quoi, vous voudriez qu'on leur offre plus de flexibilité…
VSD : Et la réduction du temps de travail ?
Marc Blondel : Je suis pour. C'est une évolution inéluctable, mais arrêtons de dire qu'elle aura des effets importants sur l'emploi. Il y a trois moteurs à mettre en route pour espérer une réduction durable du chômage : l'activité, le soutien de la demande – il faut améliorer le pouvoir d'achat de toutes les catégories et notamment des chômeurs –, et la réduction du temps de travail.
VSD : Cette formule, tentée entre 1981 et 1983, n'a pas été un formidable succès…
Marc Blondel : Ça a permis à la gauche d'éviter longtemps les deux millions de chômeurs. Il a manqué une vraie relance de l'activité. Surtout on a rendu l'inflation responsable de tous les maux et lancé une désinflation compétitive n'apportant aucune solution. C'est ce que je crains pour la monnaie unique demain…
VSD : La baisse de la pression fiscale promise par le gouvernement va dans votre sens…
Marc Blondel : Ça dépend sur qui portent les allègements. Si on généralise à tous les 20 % octroyés aux salariés, ça va faire la fortune de certains ! Le gouvernement souhaite faire baisser la pression fiscale pour ceux qui ont de l'argent, en espérant qu'ils vont investir. Il va se trouver obligatoirement devant la question de la confiance, et elle lui fait défaut.
VSD : La baisse des charges des entreprises peut participer d'une relance de l'emploi ?
Marc Blondel : Non, je ne crois pas. Les charges, c'est de l'argent qui ne se bloque pas. Il se redistribue immédiatement. Donc pas de réflexe poujadiste !
VSD : La réduction du nombre des fonctionnaires, c'est un casus belli ?
Marc Blondel : Je suis en colère. Nous avons négocié avec le gouvernement un accord prévoyant la transformation de quinze mille postes précaires en postes budgétés. Et voilà qu'Arthuis annonce vingt mille, puis sept ou huit mille fonctionnaires en moins. Il détruit les effets de l'accord conclu avec les syndicats de fonctionnaires et remet en cause les engagements de Perben.
VSD : Il n'y a pas trop de fonctionnaires ?
Marc Blondel : Non ! Et puis la société française tient par la fonction publique. Réduire le nombre de fonctionnaires, c'est céder une partie des prérogatives de l'État au privé.
VSD : Et alors ?
Marc Blondel : Ça remet en cause un des fondements de notre République, qui s'appelle l'« égalité des citoyens ».
VSD : Revenons à la Sécu. Vous ne trouvez pas que vous avez été excessif en décembre ?
Marc Blondel : Pas du tout ! Je reste persuadé que la « contre-réforme Juppé », c'est la mainmise du gouvernement sur le paritarisme. C'est incroyable ! L'État prend de l'argent partout… sauf à ceux qui en ont. On ne s'attaque pas aux gros porteurs de capitaux, mais tout ce qui est cotisations, soit l'État le récupère, soit il demande aux organismes gestionnaires de se substituer à lui. Moi, je crains que la Sécu n'éclate avant dix-huit mois !
VSD : Vous décrivez un gouvernement de classes…
Marc Blondel : Oui, dans ce sens c'est un gouvernement de classes. On a gouvernement interventionniste dans le mauvais sens. Il se dit réformateur : il fait de la contre-réforme. Quant aux socialistes, ils sont timides. On paie les conséquences de l'acceptation des lois du marché par tous.
VSD : Vous avez la nostalgie du candidat Chirac ?
Marc Blondel : Il voulait faire vivre la France, pas la faire attendre. Il a abandonné tout cela.
VSD : Vous êtes un déçu du Chiraquisme ?
Marc Blondel : Non, il avait donné une image de lui qu'il a changée complètement. L'a-t-il fait délibérément pour être élu, je n'en sais rien !
VSD : Les salariés du privé ont peu bougé l'hiver dernier, était-ce votre objectif ?
Marc Blondel : Ce sont d'abord les fonctionnaires qui se sont mobilisés car ils étaient en situation de désaccord depuis octobre. Le 10 octobre, il avait 60 % de grévistes.
VSD : Certains disent qu'ils étaient plutôt en situation de privilège !
Marc Blondel : Quels privilèges ? On venait de leur dire qu'ils n'auraient pas de hausse de salaire. Ils n'étaient pas en situation de privilège, mais d'avant-garde. Ayant la garantie de l'emploi, ils combattent pour eux et pour le privé. Dans le public on se bagarre avant pour modifier les textes de lois, dans le privé on proteste quand ça tombe !
VSD : Ça peut changer ?
Marc Blondel : Pour le moment il n'y a pas de révélateur, à moins que Juppé ne nous donne un coup de main en faisant une grosse bêtise. On me dit que beaucoup de gens ont écourté leurs vacances d'été pour le cas où des mouvements sociaux d'importance se produiraient cet hiver. Ils prendraient alors leurs jours de congés restants. D'après les sondages, 70 % des gens s'attendent à ce que ça pétouille.
VSD : Vous souhaitez que ça « pétouille » ?
Marc Blondel : Nous avons un rassemblement le 21 septembre à la Bastille. On sent que ça monte. Nous allons ouvrir le mouvement pour donner un avertissement au gouvernement et dire à Juppé : « Vous avez voulu ignorer les réactions sociales. C'est la rentrée. Si vous voulez éviter le gros coup, vous avez intérêt à tenir compte de nos réactions. » On peut même imaginer des initiatives communes avec d'autres. Nous allons prendre date. Nous nous préparons à y aller !
VSD : Les conditions sont-elles réunies pour un mouvement général des salariés ?
Marc Blondel : Tous les ingrédients sont réunis pour une explosion générale. Mais est-il opportun de les coordonner ?
VSD : Bonne question !
Marc Blondel : Ce serait faillir que de ne pas tenter la coordination.
VSD : Vous êtes un partisan de l'autre politique ?
Marc Blondel : Ça ne veut rien dire. Il n'y a pas que deux politiques. Il y a une politique restrictive et des politiques de développement.
VSD : Où en sont vos rapports avec Alain Juppé ?
Marc Blondel : Normaux.
VSD : Mauvais ?
Marc Blondel : Nous sommes en désaccord.
VSD : Comment peut-on avoir de bons rapports avec le président et de mauvais rapports avec son Premier ministre ?
Marc Blondel : Ça pose quelques problèmes, c'est un ménage à trois… Je n'aime pas ça.
VSD : Vous avez serré la main de Louis Viannet en décembre. L'unité d'action c'est une priorité ?
Marc Blondel : Non, c'est une conséquence de la situation. Un syndicat ne peut plus prendre seul l'initiative d'un mouvement interprofessionnel.
VSD : Ça doit passer par de meilleures relations avec la CFDT. C'est loin d'être le cas…
Marc Blondel : Où sont mes mauvaises relations avec la CFDT ?
VSD : Le couple Notat-Blondel, c'est dur !
Marc Blondel : Bah ! Oui et alors ? On disait la même chose avec Jean Kaspar.
VSD : On ne vous a pas vu à l'église Saint-Bernard…
Marc Blondel : J'ai pris clairement position mais je ne me suis pas précipité à Saint-Bernard contre Viannet. Je m'interroge sur la stupidité du gouvernement laissant ce dossier pourrir cinq mois. À moins qu'il y ait une volonté de se montrer ferme, pour plaire à l'électorat du FN… Et je m'inquiète de la manière dont les évènements sont perçus par les peuples africains.
VSD : En quoi êtes-vous différent de Bergeron ?
Marc Blondel : En rien. Il a dirigé pendant les trente glorieuses, et moi, en période de crise. Et puis je n'ai pas l'intention de faire de FO un magasin d'antiquités avec des pépères rabâchant la scission de 1947. On est à quatre ans de l'an 2000 !
VSD : Vous êtes l'homme de la société bloquée ?
Marc Blondel : On a essayé de m'isoler, de me faire perdre du crédit. On a dit que j'étais contre toute réforme. Mais si on remet en cause les acquis sociaux dans la quatrième puissance économique au monde, que vont devenir les cent soixante-dix pays moins riches ? Dans ces conditions défendre les acquis c'est être progressiste. On a voulu m'esquinter. On a cru que j'allais baisser la tête. Je suis un taureau. J'ai relevé la tête et les cornes. Je me suis battu et je continuerai à me battre.