Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes et interview à RFI le 30 mars 1998, sur l'opposition de la France au projet du commissaire européen Sir Leon Brittan d'une zone de libre échange transatlantique Europe Etats-Unis, et sur l'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne pour les six premiers pays candidats, Bruxelles le 30 mars 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil affaires générales à Bruxelles (Belgique) les 30 et 31 mars 1998

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Conférence de presse, 30 mars 1998

Question :
Sir Leon Brittan a dit que tout le monde était d’accord, ou plutôt que…

Réponse :
Puisque je l’ai fait au Conseil, je vais vous dire exactement en quels termes j’ai évoqué les relations transatlantiques, ainsi les choses sont claires, nettes et vous verrez si chaque pays a été d’accord.

Sir Leon Brittan a présenté son affaire, comme toujours avec beaucoup d’habileté, parce que c’est vrai qu’il avait consulté tous azimuts auparavant, du côté européen, du côté américain également. Donc, il était capable d’anticiper sur un certain nombre de réserves. C’est vrai que dans sa présentation il a vidé son initiative d’un certain nombre de points substantiels jurant, par exemple, ses grands dieux que ni l’agriculture ni la culture ne seront concernés. Du côté du gouvernement français, il avait rencontré Hubert Védrine à un stade très préliminaire, Dominique Strauss Kahn à un stade également préliminaire, moi-même à un stade moins préliminaire. S’en était suivie une lettre commune de Strauss Kahn et de Védrine qui manifestait une opposition, et devant la relative incompréhension de cette opposition qui ne semblait pas prise au sérieux, comme vous le savez, le Président de la République et le Premier ministre ont pris des positions d’une extrême vigueur à Londres. Le Président de la République est allé jusqu’à dire qu’il mettrait son véto à cette affaire, si on passait par des procédures détournées ou pas d’ailleurs, qui feraient recours à la majorité qualifiée, et mettaient en jeu les intérêts essentiels ou fondamentaux de la France.

C’est dans cette ligne là que j’ai inscrit l’intervention que j’ai faite pour le compte du gouvernement. Cette intervention exprime un désaccord total sur le fond et sur la forme. Il nous paraît que cette initiative unilatérale n’est pas compatible avec la lettre et l’esprit de l’OMC qui, pour nous, demeure le cadre prioritaire des relations commerciales incluant les Etats-Unis. Nous pensons d’abord que le contexte n’est pas favorable puisque, le même jour, le 18 mai, se tiendront à la fois la Conférence ministérielle de l’OMC et le Sommet euro-américain. Il nous paraît curieux qu’on annonce à la fois une initiative visant à conclure un accord bilatéral entre les deux principales puissances commerciales du monde qui représentent 60 % des échanges et, par ailleurs, une discussion à l’OMC. Pour nous, le signal envoyé aux pays tiers serait tout à fait inattendu, voire paradoxal.

La deuxième raison pour laquelle nous sommes opposés à cette affaire c’est que son contenu nous paraît contestable. Dans le secteur industriel, le niveau actuel moyen des droits de douanes est très faible, seulement quelques pics tarifaires demeurent, liés à des secteurs sensibles, comme la chaussure et l’habillement. Il nous semble qu’un démantèlement de ces pics devrait être étendu aux pays tiers qui, eux, sont très concurrentiels sur ces secteurs, en vertu de la clause de la nation la plus favorisée. Dans le secteur des services, il nous paraît que la marge de progression au plan bilatéral est faible et qu’elle se heurterait à des contraintes institutionnelles propres aux Etats-Unis, notamment les prérogatives de chaque Etat dans ce domaine. En revanche, le cadre multilatéral paraîtrait tout à fait adapté au traitement de cette question et serait un véritable moyen de pression, notamment vis-à-vis des Etats-Unis, mais aussi vis-à-vis des pays émergents. Donc, nous sommes favorables à ce que cette question des services soit traitée, nous y sommes favorables, mais dans le cadre multilatéral, le cadre bilatéral nous paraissant inefficace, voire dangereuse.

La troisième raison pour laquelle nous sommes en désaccord sur le fond, c’est que la proposition fait peser un risque sur l’autonomie de la construction communautaire et sur l’évolution de l’acquis. La Commission se défende vouloir créer avec les Etats-Unis un véritable marché intérieur. Mais en fait, elle met en place, elle envisage plutôt, puisque rien de tout cela est en place, un processus d’harmonisation et de convergence réglementaire. Pour nous, c’est un point fondamental. Seule l’Union peut décider de choix et du niveau de ces normes, par exemple dans des domaines comme l’environnement ou la santé publique. C’est donc l’avenir du modèle européen qui nous paraît en cause à travers cette initiative. Il nous semble, en outre, que la question du champ de la négociation reste ouverte. Les premières réactions américaines, au Congrès comme dans l’administration, dont nous avons eu vent, montrent que Washington, quoiqu’en dise M. Brittan, entend bien inclure l’audiovisuel et l’agriculture dans le projet et on imagine les répercussions d’une discussion sur ces sujets au moment où l’Union s’engage dans un débat sur la réforme de ses politiques communes : l’Agenda 2000 et la reprise des négociations à l’OMC fin 1999. J’ai dit que c’était en tout cas, pour nous, absolument exclu. M. Brittan l’a d’ailleurs également dit, mais quelle garantie en avons-nous ? Il nous semble que pour ne prendre aucun risque, le mieux est de ne pas ouvrir la boîte de Pandore.

Enfin, dernière réticence de fond, le projet néglige les véritables enjeux de la relation euro-américaine. Pour nous, la priorité doit aller au règlement des contentieux existants. Et ils sont déjà assez nombreux : les lois extra territoriales, Helms-Burton, d’Amato, le marché de la banane, les hormones. La priorité doit aussi aller à la prétention des différents latents dans les domaines de la santé publique, de la protection du consommateur, des nouvelles technologies. Un plan d’action transatlantique existe depuis 1995. Son potentiel est loin d’être épuisé, par exemple en matière de reconnaissance mutuelle. Nous pensons que les difficultés de mise en œuvre que nous connaissons actuellement ne disparaîtraient en rien avec la signature d’un accord global. Donc, nous disons que les difficultés transatlantiques existent, qu’elles peuvent être surmontées mais grâce à la réaffirmation d’une volonté politique, à la définition d’un calendrier portant sur ces questions et non pas par le recours à un libre-échange global qui est d’ailleurs toujours mythique.

Enfin, j’ai pu aussi émettre une dernière réserve sur la procédure elle-même. Le gouvernement considère que pour la crédibilité de l’Union, il est tout à fait regrettable que l’initiative ait déjà été largement évoquée avec nos partenaires américains, avant même que le débat n’ait été engagé au Conseil. Sur le plan institutionnel, cela soulève à l’évidence une interrogation sur la conduite des relations extérieures de l’Union.

Donc, j’ai conclu en disant que la France ne pouvait donner son accord à l’initiative qui lui était proposée, qu’elle souhaitait certes qu’une vraie réflexion de fond soit engagée sur l’amélioration des relations transatlantiques, qu’elle était prête à contribuer activement à cette démarche mais que nous nous opposions et que nous continuerons à nous opposer vigoureusement à l’initiative du commissaire Brittan. Ce que je viens de vous dire là est exactement l’intervention qui a été faite en séance par et pour la France.

Question :
A Londres, le Président Chirac et le Premier ministre avaient indiqué leur souci de faire savoir à Tony Blair qu’ils ne voulaient pas que ce sujet soit inscrit à l’ordre du jour. Où en est-ce ?

Réponse :
Je confirme que le Président de la République et le Premier ministre en ont parlé à Tony Blair lorsqu’il est venu à Paris la semaine dernière. Je n’ai pas assisté au dîner Lionel Jospin et Tony Blair qui était un dîner en tête-à-tête mais j’ai assisté à l’entretien entre Jacques Chirac et Tony Blair, dans lequel le Président de la République lui a dit à la fois son opposition de fond à la démarche, et son souhait que ce ne soit pas inscrit au sommet transatlantique. Tony Blair lui a posé une question sur le mode : « N’y a t-il pas quelques sujets dont on pourrait parler quand même ? » et la réponse a été : « Non, aucun ». Donc pour ce qui est de la position de la France, il est clair que notre souhait est que ce ne soit pas évoqué.

Le commissaire Brittan est un homme très intelligent, très habile, qui maîtrise la sémantique admirablement et sa position aujourd’hui était de dire qu’on en discuterait, ce qui veut dire qu’il n’y aurait pas de négociation. Je ne veux pas réagir à chaud à cela. Je pense que nous ferons savoir que notre position n’a pas changé sur l’opportunité d’en parler ou non. Mais c’est difficile de s’opposer à une simple discussion. En revanche, dès lors qu’il y a une véritable négociation, notre opposition n’a pas de raison, elle, d’être modifiée.

Question :
(inaudible)

Réponse :
Pour une fois, je me suis permis un exercice un peu laborieux qui consiste à lire, à peu de choses près, le papier que j’ai donné en séance. Je pense que si cela n’a pas été entendu, il y a un problème de compréhension très clair. Ce que j’ai dit est quelque chose qui était tout à fait validé bien sûr : c’est la position du Quai d’Orsay, c’est celle de Matignon et celle de l’Elysée. Il n’y a pas de problèmes là-dessus et c’est, comme vous l’avez entendu, une opposition très claire.

Question :
Comment ont réagi les Allemands ? A Londres, le Président e la République, à la suite d’une rencontre bilatérale avec Helmut Kohl avait dit que le Chancelier était sensible, avait les mêmes arguments que lui.

Réponse :
Il n’y a pas eu d’opposition aussi frontale que la nôtre. Je n’ai pas assisté à la totalité du débat ensuite, mais un certain nombre de pays sont intervenu. Les Allemands ont une position plutôt favorable à l’initiative mais en appelant à la prudence, notamment sur tout ce qui était agriculture et culture. Les Hollandais, tout en se félicitant de l’esprit, ont souhaité que l’exercice soit fortement réduit. La formule qui a été utilisée par Hans Van Mierlo signifiait en gros « qui trop embrasse, mal étreint ». Les Italiens ont fait à peu près les mêmes restrictions. Les Espagnols ne se sont pas exprimés à ma connaissance mais je sais qu’ils partagent, à peu près, cet esprit-là. Donc, si vous voulez dire que la France est isolée, ce n’est pas exact. Il est vrai, nous sommes plus en pointe et plus directs sans doute dans notre formulation, mas on sent de la part des autres pays des réticences assez convergentes sur l’étendue des négociations. Les pays scandinaves par contre y sont assez favorables, c’est clair.

Question :
Comment voyez-vous l’évolution ?

Réponse :
Je ne fais pas de politique-fiction mais ce qui est clair c’est que nous sommes très déterminés à maintenir notre position. Je n’ai pas de raison de paraphraser le Président de la République ou le Premier ministre puisqu’ils ont utilisé les termes les plus vigoureux qui existent en la matière. Quand on dit qu’on est prêt à mettre son veto ou à invoquer les intérêts essentiels, c’est qu’on espère être entendu, compris et on espère ne pas le faire.

Question :
(inaudible)

Réponse :
C’est un hasard, parce que c’est vrai qu’il y a une autre ruse sémantique qui consiste à dire : « nous allons retirer quelques sujets un peu mineurs, nous tenons compte de vos réserves ». Si vous voulez, il y a effectivement trois lignes de défense. La première est de dire que l’on tient compte des réserves. La seconde est de dire que l’on discute, mais ne négocie pas encore. La troisième c’est de voir plus tard. J’ai donné une série d’arguments, je ne les ai pas hiérarchisés par degré d’importance. Ce que nous voulons faire comprendre c’est que nous avons une opposition globale de fond, de forme, de principe à cette initiative et qu’elle est extrêmement vigoureuse.

Question :
Avez-vous parlé de Lomé ?

Réponse :
Nous avons parlé de Lomé. Il y a eu une présentation du commissaire Pinheiro suivi d’un débat général où nous avons manifesté notre souhait qu’on préserve la philosophie de Lomé, les principes, la spécificité de ces accords en tenant compte, notamment, des fragilités économiques de nos partenaires en la matière, enfin, bref, qu’il n’y ait pas un système de transition trop brutal pour les pays ACP. C’est d’ailleurs quelque chose qui me paraît avoir été compris et être, à peu près, dans la philosophie du mandat de la Commission…/.


Interview à Radio France Internationale, 30 mars 1998

Question :
Aujourd’hui, ça y est, on rentre dans le vif du sujet ; demain, les négociations vont s’ouvrir avec six pays candidats. Qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ? Est-ce qu’ils ont rempli toutes les conditions ?

Réponse :
Tous les candidats à l’entrée dans l’Union européenne ont la nécessité de reprendre ce que l’on appelle « l’acquis communautaire », c’est-à-dire de s’adapter sur le plan économique, d’avoir des structures de marchés qui soient compatibles avec l’économie européenne, de réformer également leur administration, d’avoir des structures administratives performantes. Il est très important que l’on est face à nous de véritables Etats qui soient capables de porter des programmes. Il y a aussi des conditions qui concernent l’aide que nous pouvons leur apporter pour ces réformes. Je pense notamment à ce qu’on appelle « les jumelages institutionnels » dans toute une série de domaines qui concernent justement les administrations, l’économie, la libre circulation des personnes. On peut envisager, on doit envisager des collaborations entre les Etats candidats et les Etats des quinze. La France, notamment, souhaite être très présente dans ce processus parce que si l’élargissement comporte des risques, il comporte aussi de formidables potentialités. Je crois qu’il ne faut pas être pressé. Ces négociations prendront du temps. Il y aura sans doute en plus des phases de transition importante. Il faut que l’élargissement soit réussi. Il faut que son coût soit supportable pour l’Union européenne et il faut aussi que les politiques qui existe soient maintenues, défendues. Par exemple, la Politique agricole commune ne doit pas être atteinte par l’élargissement. Les fonds structurels ne doivent pas être détournés des régions en difficulté de l’Union européenne actuelle. Tout cela suppose donc qu’il y ait un processus de réforme préalable, extrêmement poussé, donc des négociations qui seront longues. A mon sens, il est difficile d’envisager la conclusion des premières négociations avant les années 2002-2003, en étant encore optimiste, avec les phases de transition qui suivront. Nous allons discuter. Aujourd’hui, c’était une réunion à 26, donc avec tous les Etats candidats qui sont sur la même ligne de départ, mais demain nous entrons dans un processus qui est un peu plus technique, qui est un véritable processus de négociation avec six d’entre eux, dans le cadre de ce que l’on appelle des conférences intergouvernementales qui réunissent à chaque fois, les Quinze plus chacun des six pays. Là, nous entrons dans le détail progressivement. C’est vrai que c’est un processus historique – le bien de réunifier l’Europe, de lui donner son visage, je dirais, pratiquement définitif, sortait de 50 années de divisions nées de la guerre froide, du communisme et de la chute du communisme. Donc, cela mérite un travail sérieux. Vous savez, cela représenterait un choc pour nous si l’adhésion se faisait dans des conditions qui n’aient pas été suffisamment élaborées et aussi un choc terrible pour eux, par exemple le problème du chômage.

Avec Hubert Védrine, nous nous sommes fixés comme tâche et nous y sommes presque, - je me rends dans quinze jours à Prague et ce sera terminé – d’aller dans tous les pays candidats. On constate des situations beaucoup plus contrastées que cela : ils ont de la main d’œuvre bon marché, le niveau des salaires est sans comparaison avec le nôtre mais en même temps, leurs capacités technologiques sont aussi sans comparaison, dans l’autre sens : ils sont très en-dessous. C’est pour cela qu’il peut y avoir, je le répète, un choc pour nous : le choc de main d’œuvre peu qualifiée, mais il y a aussi un choc terrible pour eux : celui d’une économie de marché performante. C’est pour cela qu’il faut qu’il y ait à la fois des négociations et des périodes de transitions longues. Il faut que ces États quand ils entreront dans l’Union européenne, soient dans des situations comparables à la nôtre. Encore une fois, il ne s’agit pas d’infliger à l’Union européenne des coûts massifs, des concurrences internes qui seraient difficilement supportables pour nos propres économies. Il s’agit bien d’aspirer vers le haut ces États sui viennent d’économies qui ne sont pas des économies de marché pour la plupart, les aspirer vers le haut pour les amener au niveau de développement qui est le nôtre. Je crois qu’ils en sont capables parce qu’une année à l’échelle de ces pays ne vaut pas une année à notre échelle. Ils font probablement en un an ce que nous faisons en cinq ans ou en dix ans. Mais, ils viennent de beaucoup plus loin. Tout cela a été évalué par la Commission dans un document qui s’appelle l’Agenda 2000. Nous voulons que l’on aille un peu plus loin que cela. Lors du dernier Conseil européen de Luxembourg, nous avions demandé qu’il y ait une double programmation : une programmation des dépenses à quinze pour l’Union européenne, parce que l’an prochain nous allons avoir une réforme des finances communautaire, et une programmation des dépenses consacrées à l’élargissement ; cela suppose, avant la programmation, une évaluation. Le gouvernement français, par exemple, ne sait pas exactement combien cela coûtera. Je pense que pour la période qui vient, la période 2000-2006, le coût évoqué est plutôt un maximum qu’un minimum mais il faut savoir combien cela coûte au total. C’est l’argent des politiques communes ; c’est pour cela que la facture me paraît, à l’heure actuelle, un peu élevée. Je pense en effet qu’ils adhéreront plutôt vers la fin de la période que vers le début.

Question :
Pendant que les discussions officielles se déroulaient dans une salle, vous vous êtes éclipsé discrètement et vous êtes allé débattre avec d’autres ministres européens sur un autre sujet : il s’agissait des relations euro-américaines. Elles ne sont pas au beau fixe depuis un certain temps et on a eu la surprise d’entendre le commissaire européen chargé de ces choses-là, M. Brittan, proposer un nouveau marché transatlantique. On est un peu surpris ici car, finalement, il y a une infinité de dossiers avec les Etats-Unis où l’on a des problèmes : la banane, les mesures phytosanitaires, les lois Helms-Burton et d’Amato-Kennedy. Maintenant le commissaire européen se met à proposer quelque chose qui va loin au-delà de tout cela. Est-ce que c’était une surprise pour vous ? Et comment est-ce qu’on peut y réagir ?

Réponse :
Sir Leon Brittan s’est manifesté, au fil des ans, par à la fois un libre-échange assez exacerbé et une sympathie atlantique qu’on ne peut pas contester dans son principe, mais qui est quand même très affirmée. Là, c’est vrai qu’il a pris une initiative unilatérale, sans mandat du Conseil, en élaborant une sorte de vaste projet, de traité de libre-échange avec les Etats-Unis. La France est plus que réservée, elle est très opposée à cette initiative. Elle est opposée sur la forme, parce que cela ne nous paraît pas être la bonne façon de concevoir les relations entre l’Europe et les Etats-Unis. Il faut que le Conseil, c’est-à-dire l’instance politique, en débatte d’abord puis qu’ensuite il y ait un mandat de la Commission et là nous avons l’impression que l’on nous a volé la politesse. Cela nous paraît curieux que les Américains soient déjà au courant de propositions que nous-mêmes nous n’avons pas entérinées. Je viens de le dire au Conseil des ministres des Quinze.

Sur le fond, l’initiative ne nous paraît pas opportune. Pour la France, le bon cadre pour traiter des relations commerciales, c’est le cadre multilatéral, c’est l’organisation mondiale du commerce, l’OMC, ce n’est pas une relation bilatérale. Quel signal donnerions-nous aux pays tiers ? Vous venez de le dire, il y a toute une série de contentieux, des lois extraterritoriales. Nous craignons aussi beaucoup qu’on intègre dans ces accords bilatéraux deux sujets sur lesquels les Etats-Unis manifestent, de façon très constante, une attitude offensive à notre égard : l’agriculture et la culture. Nous le refusons absolument . Pour toutes ces raisons quelques autres encore – le Président de la République l’avait dit, le Premier ministre aussi -, nous sommes très opposés sur le fond à cette initiative et s’il le faut nous utiliserons tous les instruments en notre possession pour le faire savoir. Il vient d’y avoir un débat en Conseil Affaires Etrangères, donc dans ce Conseil des ministres des Quinze, où cela a été dit avec la plus grande fermeté. Le commissaire Brittan est un homme très habile, qui a anticipé sur certaines de nos réserves. Mais j’ai quand même pu lui dire que bien qu’il ait anticipé sur notre réserve, rien de notre opposition n’était levé, tout simplement parce que nous sommes opposés ) l’initiative elle-même. Elle nous paraît contestable, peu opportune et elle ne nous paraît pas juste sur le fond. Le commissaire Brittan use d’une ruse sémantique assez habile, il dit : « je n’ai pas de mandat pour négocier mais nous pouvons toujours discuter ». Il souhaite notamment que cette discussion ait lieu lors d’un Conseil qui réunira les États-Unis et l’Europe, le 18 mai, sous présidence britannique. On ne peut effectivement empêcher personne de parler mais pour négocier, il faut effectivement que le politique soit d’accord et là, pour ce qui nous concerne, nous ne sommes absolument pas d’accord. Le Président de la République, il y a maintenant une dizaine de jours, à Londres, lors de la Conférence européenne, qui est encore une autre instance pour prévoir l’élargissement, une instance très large à la fois dans sa composition et dans ses problématiques, avait dit : « s’il le faut nous opposerons notre veto, dans le cadre d’une négociation ». Et s’il le faut encore, c’est-à-dire si on essaye de ruser, et d’introduire d’autres mécanismes, comme le vote à la majorité qualifiée, alors nous invoquerons ce que l’on appelle les intérêts fondamentaux, les intérêts essentiels de la France. Le Président de la République et le Premier ministre sont, je le sais, unis dans cette affaire sur une position qui est une position d’une très grande clarté, d’une très grande fermeté. Nous sommes opposés à cette initiative et nous ferons tout pour qu’elle ne se conclut pas.

Question :
(Sur la Turquie et Chypre)

Réponse :
La situation est compliquée. On risque de se fâcher avec les Turcs. On risque aussi de se fâcher avec les Grecs dans cette affaire. Mais le problème de Chypre est le suivant : c’est vrai qu’il y a un engagement qui a été pris depuis 1995 d’ouvrir des négociations avec Chypre. Elles s’ouvrent demain. C’est logique et c’est légitime. Chypre, en plus, ne pose pas de problèmes économiques majeurs, mais nous sommes obligés de constater que c’est une île qui est fracturée en deux, entre une communauté turque et une communauté grecque, avec en plus une occupation militaire partielle. Donc, la question est de savoir si on veut cette ligne de fracture au sein de l’Europe. Nous ne voulons pas, nous Français, qu’une île divisée adhère à l’Europe. Donc, effectivement, il va falloir suivre avec attention l’évolution de cette négociation. Ce sera très dur./.