Interview de MM. Jacques Delors, membre associé du bureau national du PS et Valéry Giscard d'Estaing, membre du bureau politique de l'UDF, sur France 2 le 27 avril 1998, sur les conséquences de l'introduction de l'euro.

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Média : Emission Mots croisés - France 2 - Télévision

Texte intégral

Alain DUHAMEL : Alors comme toujours, nous allons demander une définition d'abord à chacun de nos invités et cette fois-ci on va demander successivement à Monsieur GISCARD d'ESTAING et à Monsieur DELORS ce que pour eux l'Europe, devrait être. Monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING.

Valéry GISCARD d'ESTAING : Si vous m'aviez posé la question il y a dix ans, je vous aurais répondu différemment. C'était la petite Europe et je vous aurais dit, c'est un ensemble très homogène et qui doit être très uni. À l'heure actuelle nous allons vers la grande Europe, c'est donc une autre Europe. Et la définition que je vous donne c'est pour cette autre Europe. Alors là je dirais c'est un grand ensemble, diversifié qui doit respecter les identités et les cultures nationales, et qui doit mettre en commun ce qui est nécessaire à la vie de ce grand ensemble, c'est-à-dire principalement l’économie, la monnaie, la défense et la politique étrangère.

Alain DUHAMEL : Monsieur Jacques DELORS.

Jacques DELORS : Je pense que lorsque les historiens parleront de la période qui s'est écoulée depuis la dernière guerre ils diront que l'Europe était en déclin ou menacée de déclin. Ma conception de l'Europe, c'est aux yeux des historiens dans vingt ans, elle aura réagi contre le déclin. Que ce sera une Europe puissante et généreuse et grâce à cette Europe, qu'une France puissante et généreuse.

Arlette CHABOT : Alors vous serez tous les deux également interrogés par des lycéens, du lycée européen de Montébéllo (phon) c'est dans le Nord de la France près de Lille qui vous interrogeront sur cette Europe que vous avez voulue et dans laquelle évidemment ils vivront. Alors l'euro c'est officiellement le 1er janvier 99, mais les pièces et les billets vous les aurez plus tard, le 1er janvier 2002, et puis au plus tard le 30 juin de cette même année, ce sera la disparition du franc. Alors il faut s'habituer à perdre notre monnaie nationale, retour sur ce franc, souvenir, Nathalie SAINT-CRICQ, Philippe JASSELIN.

Georges VALANCE, journaliste, écrivain, « La Légende du Franc » : D'abord le franc est une très très vieille monnaie, puisqu'il est né en 1360 en pleine guerre de cent ans. Deuxièmement il y a un lien sémantique, tout à fait original et fort, puisque c'est le lien franc-France-français.

Smain LAACHER, sociologue : Ça exprime l'identité nationale, ça exprime l'attachement à l'État, ça exprime le fait d'être un citoyen d'un État, d'une Nation, donc ça exprime des choses extrêmement importantes.

Nathalie SAINT-CRICQ : Un attachement fort ancien doublé d'un passé qui parfois fut glorieux quand le franc dominait le monde.

Georges VALANCE : C'est un moment la monnaie commune, de la France, de la Belgique, de l'Italie, de la Grèce, de la Suisse, etc. Et même sous Napoléon III s'est tenu à Paris une conférence monétaire mondiale, internationale, où les Américains y étaient, les Japonais, les Russes etc. et tout et l’idée de cette conférence c'était de faire du franc germinal, la monnaie commune de l’économie mondiale.

Nathalie SAINT-CRICQ : Bien sûr cela se gâte sérieusement par la suite. 58 c'est le choc, le nouveau franc chasse le vieux.

Général de GAULLE : Nous devons placer notre franc, sur une base où il soit inébranlable.

TÉMOIGNAGE : Une pièce de un franc, c'est 100 francs si je comprends bien.

TÉMOIGNAGE : Oui, vous irez faire les calculs à ce régime-là.
TÉMOIGNAGE : Oui, ça ne va pas être le plus agréable pour nous.

TÉMOIGNAGE : Il y en a beaucoup qui vont s'y perdre.

TÉMOIGNAGE : On s'embrouille un peu.

TÉMOIGNAGE : C'est 35 francs, il y en aura je ne sais pas moi, 15 francs.

UN JOURNALISTE : C’est cela, prenons un exemple, vous payez ce journal 25 francs combien le payerez vous ?

TÉMOIGNAGE : En nouveaux francs…

TÉMOIGNAGE : Quel avantage qu’il puisse y avoir ? Je me le demande.

TÉMOIGNAGE : Ça je n'ai pas encore fait le calcul, mais ça pour moi on entre dans l’histoire.

TÉMOIGNAGE : C’est un gros bloc.

Nathalie SAINT-CRICQ : Alors si certains 40 ans plus tard, n’ont toujours pas assimilé, le passage à l’euro, sera certainement un choc d’une toute autre nature et d’une plus grande ampleur.

Smain LAACHER : Pour éviter les incertitudes, les désarrois, les craintes, les peurs etc., il faut que l’État prenne ses responsabilités. C'est-à-dire qu’il faut qu'il informe et pas seulement par des brochures. Il faut qu’il s'engage plus à fond et en particulier les institutions d'État doivent s'engager plus à fond.

Nathalie SAINT-CRICQ : Naissance de l'euro et deuil du franc, fin 2002, 15 milliards de pièces, un milliard et demi de billets, détruits.

Yves BARROUX, caissier général, Banque de France : Pour les pièces il faudra les regrouper et elles seront fondues. Et pour les billets ils seront détruits par la Banque de France. Soit pour une partie d'entre eux incinérés, soit parfois broyés directement en ligne à la sortie de nos unités de comptage et de triage.

Alain DUHAMEL : Alors monsieur Valéry GISCARD d'ESTAING vous étiez un très jeune secrétaire d'État aux Finances au moment où il a fallu piloter le passage des anciens francs aux nouveaux francs. Comparativement est-ce que vous avez l'impression qu'on s'y prend bien cette fois-ci ?

Valéry GISCARD d'ESTAING : Moi, je crois qu on s'y prend bien. D’abord il faut quand même revenir un peu en arrière parce qu'on montrait des images qui étaient intéressantes, on montrait le Général de GAULLE disant « Il faut établir notre franc sur une base inébranlable », on l'a dévalué cinq fois depuis. Je ne vais pas raconter l'histoire en rose, alors à l'heure actuelle on va donc changer de système. La différence c'est que quand on est passé de l’ancien franc au nouveau franc, on modifiait un système, c'est-à-dire qu'on disait ce que l'on appelle 100 on va l'appeler 1. Ce qu'on appelle 10 000 on va l'appeler 100, et en sens inverse ce qu'on appelle 100 on l'appelle 10 000. C'était incompréhensible très difficilement compréhensible. Il ne faut pas refaire la même opération et il ne faut pas présenter l'affaire en disant on va passer son temps dans sa tête à calculer en francs et en euros. Personne n'y arrivera. Il faut se dire, on va faire quelque chose de nouveau. Il y a le franc jusqu'en 2002,parce qu’il faut savoir qu'entre le 1er janvier 99 et 2002 rien ne va changer. Les gens auront des billets et des pièces en francs dans leurs poches et ils pourront payer en francs, être payés en francs etc. Donc dans la première période, ça ne changera pas beaucoup et ensuite ça sera nouveau, c'est un peu, si vous me permettez une comparaison. Supposez qu'il y a dix ans on a dit aux Français, vous savez si vous voulez vous allez pouvoir utiliser le dollar. Vous allez pouvoir ouvrir librement des comptes, n'importe où en Europe, vous allez pouvoir payer n'importe où librement en Europe, ça ne vous coûtera rien de changer vos francs contre des dollars, ils auraient été enchantés. Et au fond ce qu'on va faire c'est la même chose, c'est-à-dire ce n'est pas l'échange franc contre euro, c'est qu'on va passer d'un système à un système nouveau. Il faut donc avoir en tête, qu'il va falloir vivre avec un système nouveau. On en parlera peut-être tout à l'heure.

Alain DUHAMEL : Bien entendu. Monsieur DELORS, est-ce que ce passage à l'euro, parce que c'est la première question qu'on se pose, aussi est-ce qu'il est vraiment irréversible ?

Jacques DELORS : Non, il ne faut pas dire ça. Il peut se produire dans les années qui viennent une divergence grave, entre un pays et nous autres membres de l'Union économique et monétaire qui amènerait ce pays à se retirer de l'Union économique et monétaire.

Arlette CHABOT : Et reprendre sa monnaie alors ?

Jacques DELORS : Et à reprendre sa monnaie.

Alain DUHAMEL : Et ça ne flanque pas tout le système parterre ?

Jacques DELORS : Non pas du tout, mais cela peut arriver. Il ne faut dire irréversible en parlant de l'avenir c'est toujours dangereux vous savez. Mais pour le reste, il faut bien comprendre qu'il s'agit d'un échange. Et non pas d'une spoliation, c'est ce qui explique d'ailleurs la différence de réaction entre les Français si l’on en croit les enquêtes d'opinions et les Allemands. Parce que les Allemands ont le souvenir de deux échanges qui ont été des spoliations en 1926 et après la dernière guerre. Nous, on ne perdra rien. On ne perdra rien du point de vue de notre pouvoir d'achat. On gagnera en puissance économique et en influence nous en reparlerons plus tard, simplement, il est normal que certains Français aient un attachement, moi le premier, pour le franc français. Mais quand je vois que 46 % des échanges internationaux se font en dollars, 15 % en deutschmarks et 3 % en francs français et que je sais que si nous avons une monnaie commune, demain ce sera dans sept monnaies communes que se feront la plupart des échanges internationaux, peut-être plus de 50 %, que cela nous donnera une influence pour essayer d'obtenir un système monétaire plus stable, je pense que le jeu en vaut la chandelle.

Arlette CHABOT : Alors pour ceux qui sont, qui ont bientôt la nostalgie du franc, vous pouvez justement lire « La légende du franc », de notre confrère Georges VALANCE. On vous l'a dit vous avez un peu de temps, nous avons un peu de temps pour nous préparer à ce passage à l'euro. Alors déjà on commence à se préparer, vous allez voir, il y a ceux qui ne savent pas du tout. Il y a ceux qui commencent à réfléchir et à travailler sur ce passage. Justement Frédéric CROTTA, Nathalie SAINT-CRICQ, Patrick DESMULIE (phon) sont allés dans le Nord, dans le Sud, de la France, rencontrer ceux qui ne savent pas du tout, et ceux qui savent déjà un petit peu.

TÉMOIGNAGE : Apparemment ça ne va pas compter coûter 6,50 francs pour un euro. Il va falloir en prendre pour 6,50 francs au lieu d’en prendre pour 50 centimes.

TÉMOIGNAGE : Moi je me demande comment ils vont faire, les caissières Il va falloir compter, ça va être dur.

TÉMOIGNAGE : Cent grammes de crevettes en euros ? Ça c'est une bonne question. On n'est pas trop au point encore. Non. Je ne sais pas du tout.

Frédéric CROTTA : Les gens vont moins acheter, ou être plus méfiants ?

TÉMOIGNAGE : Ils ne vont pas encore avoir trop la notion, enfin la valeur de l'euro, donc ils vont peut-être se méfier, ils vont peut-être avoir l'impression qu'on va avoir tendance à les rouler, alors que ce ne sera pas forcément le cas.

TÉMOIGNAGE : Je pense que ça va poser des problèmes, puisque nous avons une caisse enregistreuse et donc il va falloir sûrement renouveler tout le système.

TÉMOIGNAGE : Moi j'ai peur du ralentissement commercial au début parce que les gens n'oseront plus dépenser, sans savoir ce qu'ils vont dépenser.

Olivier GERADQN  DA VERA, vice-président iri secodip : Comment dire on a un risque non négligeable que la perte des repères, entraînent une méfiance dans la consommation des produits, et une baisse de la consommation en volume. Vous savez baisser sa consommation en volume de 4 ou 5 % tout le monde peut le faire... or 4 ou 5 % de baisses en volume, c'est un séisme économique ça.

Benjamin VOISIN, pdg E.LECLERC, MOISSELLES : L'optique, c'était de préparer nos clients. Le principe étant de mettre une information pratique en franc avec tout de suite l'information en euros pour qu'ils puissent faire un rapprochement direct entre le prix qu'ils paient en francs et en euros.

TÉMOIGNAGE : Je fais bien souvent la division pour me...

Nathalie SA1NT-CRICQ : Pour vous rendre compte.

TÉMOIGNAGE : Je pense qu'on va être un petit peu perdu, mais bon on va bien s'y habituer. Moi je travaille dans une grande surface aussi, ils me mettent ma fiche de paie à la fin en euro.

TÉMOIGNAGE : Si on nous donne des petitsconvertisseurs d'euro, là pour qu'on puisse s'y retrouver. Évidemment si on nous lâche dans la nature, comme ça, ça ne sera peut-être pas très facile.

Francis MULOT, directeur E.LECLERC, MOISSELLES_ : Bien sûr dans les rayons nous prévoyons également de mettre des hôtesses qui pourront renseigner les gens, avec des petites calculettes convertisseuses pour conforter la clientèle dans son acte d'achat.

Nathalie SAINT-CRICQ : Comment ça va s’organiser pour la fixation des prix ?

Frédéric LECHIPEY, responsable gestion commerciale : Ce sera, ils ne gagneront pas, il n’y  aura pas un avantage supplémentaire, il n’y aura pas je dirais quelque chose à subir, ce sera complètement neutre et transparent.

Nathalie SAINT-CRICQ : Vous regardez d'habitude quand vous faites vos courses, le montant en euros ?

TÉMOIGNAGE : Pas forcément.

TÉMOIGNAGE : Comme je ne suis pas tellement calée en comment dirais-je en calculs, j'avoue que je suis un peu perdue c'est tout.

Benjamin VOISIN : Une ménagère qui fait son circuit habituel à 50 francs près, elle a toujours le même montant. Au moment du ticket de caisse, c'est là où elle fera vraiment l'effort de la conversion et là nous aurons intérêt à avoir du personnel pour assister, pour expliquer, pour aider, pour éventuellement faire des remboursements.

TÉMOIGNAGE : Surtout les personnes âgées, déjà elles ont du mal à passer de l'ancien au nouveau franc, et là des nouveaux francs à l'euro, ça va. Déjà au début on va avoir les euros et les francs dans la caisse et donc il faudra rendre la monnaie, faire le…

Nathalie SAINT-CRICQ : Et vous, vous avez l'impression que votre métier va beaucoup changer ?

TÉMOIGNAGE : Je crois qu'il va falloir les écouter, leur apprendre la nouveauté quoi.

Nathalie SAINT-CRICQ : Un soutien psychologique ?

TÉMOIGNAGE : Oui je crois aussi un peu. Même déjà pour moi, ça va être dur. Il faudra que je combatte ça aussi.

Alain DUHAMEL : Alors Monsieur DELORS une des questions que l'on se pose, que se posent justement ceux qui étaient interrogés là, est-ce que ça risque de faire monter les prix ? Est-ce qu'à l'occasion du changement de monnaie, il n'y aura pas une tentation générale d'arrondir vers le haut ?

Jacques DELORS : Je ne le crois pas parce que tous les Français maintenant on un compte en banque. Or dès l’année prochaine vous aurez sur vos avis de banques le montant en euros, donc vous aurez le temps de vous habituez. Et ensuite les ventes par correspondance vont se diffuser. Le consommateur va savoir quel est le prix en euros, d'une voiture à Bruxelles, à Paris, à Milan, à Madrid à Francfort, par conséquent ce sera une nouvelle vague de compétition plutôt qui va surgir en Europe. Et par conséquent je crois que l'euro va stimuler la compétition et avantager le consommateur.

Alain DUHAMEL : Alors Monsieur GISCARD d'ESTAING il y a une autre question qui ressortait très bien d'ailleurs du reportage, est-ce qu'il n'y a pas un risque au départ, parce que c'est nouveau, qu’il y ait un ralentissement de la consommation pendant disons six mois ?

Valéry GISCARD d'ESTAING : Non, au début, c’était intéressant le petit film mais ça montrait qu'on en donne une présentation beaucoup trop compliquée de cette histoire. Le 1er janvier 99 pour les gens il ne va rien se passer, rien. Ils auront leur argent dans leurs poches qui sera des francs, et ils paieront, ils paieront ce qu'ils achèteront en francs. Ça ne fera rien, il n'y aura pas de ralentissement, simplement ils auront une option, c'est-à-dire qu'à partir de ce moment-là, s'ils le veulent ils pourront avoir des euros, et s'ils le veulent ils pourront payer en euros. Alors on va voir peu à peu des segments de la population qui vont dire ce n'est pas mal, au fond moi j'ai envie d'avoir un compte en euros et ça me donne une certaine sécurité et ainsi de suite. Mais il n'y a aucune obligation. Donc toutes ces personnes que vous avez vues, elles se trompent. Le 3 janvier elles sortiront des francs de leurs poches, ce ne seront pas des euros, des francs et ils achèteront leurs produits avec des étiquettes en francs. Je crois pour ma part que l'habitude se prendra très vite. Parce qu'on montre toujours les produits alimentaires, d'abord je vous rappelle que les prix des produits alimentaires, ça bouge même en francs, y compris d'ailleurs on le sait à l'heure actuelle, les produits maraîchers. Tout le monde le sait. Les prix ça bouge. Ensuite les grandes consommations, c'est quoi, c'est par exemple le prix de l'essence, une fois qu'on aura pris une fois un litre d'essence en euros, on saura qu'un litre en France ça va être probablement 0,90 euro ou 0,95 euro on le saura une fois pour toute. Donc si ça passe de 90 à 95 on se dit ça augmente. Ça passe de 90 à 85, ça baisse. Ils ne feront pas le calcul pour revenir au franc. De même comme le disait Jacques DELORS, les grandes consommations, par exemple les automobiles, tous les prix vont être en euros et on va comparer les VOLKSWAGEN en euros, les PEUGEOT en euros, les CITROEN en euros etc.

Arlette CHABOT : On ira les acheter où ça sera moins cher ?

Valéry GISCARD d'ESTAING : Pardon ?

Arlette CHABOT : On ira les acheter dans les pays où on verra c'est moins cher.

Valéry GISCARD d'ESTAING : Et on ira, où ce sera moins cher. D'autre part, à l'heure actuelle, il est très difficile de comparer des prix en France et en Belgique, en France et en Italie, en France et en Espagne, on ne sait pas le faire, il faut passer par la monnaie. Là on va lire au contraire les comparaisons de prix. Et moi je pense plutôt que la stabilité des prix, elle ne vient pas des consommateurs, elle vient de la concurrence, et la concurrence avec des choses plus connues, plus simples, exprimées dans une monnaie, ça va être en réalité une concurrence plus dure. Et donc ça ira plutôt dans le sens de la modération des prix.

Arlette CHABOT : Alors Daniel COHN-BENDIT vous partagez l'optimisme effectivement c'est bon pour les consommateurs. Est-ce que vous ne trouvez pas quand même aussi étrange, au fond que ce soit les supermarchés, les grandes surfaces en général aujourd'hui qui fassent l'apprentissage de l'euro, davantage que les politiques à l'exclusion de ce soir évidemment ?

Daniel COHN-BENDIT : Écoutez moi je n'en sais rien, les grandes surfaces ont peur d'un ralentissement de la consommation, donc ils lancent la chose, c'est normal, ils veulent faire, ils veulent vendre des choses. Moi, je crois qu’il faut faire attention dans cette discussion, tout changement fait peur. Donc maintenant on peut leur dire n'ayez pas peur on a raison. Tout le problème est de savoir, est-ce que les Françaises ou les Français, les Allemandes ou les Allemands, les Italiennes ou les Italiens, ils ont envie qu'on aille plus loin. Et moi je crois qu'il faut arrêter de se chamailler maintenant sur l'euro, c'est décidé. Jacques DELORS a raison, on peut toujours revenir en arrière, mais c'est fait. Maintenant tout ce que l'on doit discuter, c'est qu'est-ce qu'on va faire avec cette monnaie commune ? Comment on va faire cette Europe sociale ? Parce qu'on va savoir maintenant combien coûte une voiture, mais on va pouvoir comparer les salaires, on va pouvoir comparer les retraites, on va pouvoir comparer la protection sociale et là il va y avoir un vrai débat et une vraie concurrence, en Europe, et ça je crois que ça peut être intéressant. Donc moi ce qui m'intéresse maintenant c'est qu'on fasse l'euro, j'ai toujours été pour, c'est un projet politique, beaucoup plus que financier, avec une monnaie on peut faire ceci ou cela, Madame THATCHER qui a fait une politique néolibérale était contre l'Europe, contre l'indépendance de la banque centrale anglaise. La livre sterling ne devait pas rentrer en Europe et elle a cassé la protection sociale et tout ça, donc qu'on ne nous raconte pas des histoires, et maintenant le vrai débat, mais qu'est-ce qu'on fait avec l'euro ? Comment on fait cette Europe sociale ? Et là j'avoue qu'on a encore du pain sur la planche.

Alain DUHAMEL : Monsieur COLLOMB, vous dirigez une entreprise très importante qui a des établissements dans différents pays européens. Alors comment est-ce que vous allez vous y prendre ? Par exemple est-ce que pour les mêmes produits vous aurez les mêmes produits de vente dans vos différents établissements en France, en Allemagne, en Italie ? Ou est-ce qu'au contraire si vous avez des prix différents ça ne créera pas des courants au bénéfice de celui-ci, ou au détriment de celui-là ?

Bertrand COLLOMB : Oui, nous sommes dans les matériaux de construction, donc dans un secteur ce n'est pas l'automobile, où les produits, les habitudes ne sont pas forcément les mêmes dans les différents marchés. Les techniques de production ne sont pas les mêmes dans le Nord de l'Allemagne et dans le Sud de l'Espagne. Et il y a des différences de prix géographiques liés à la nature des choses, à l'intérieur même d'un même pays donc on ne va pas avoir des phénomènes d'alignement de prix immédiat. Mais je crois que ce que le président GISCARD d'ESTAING disait tout à l'heure, est très vrai, il y aura quand même une concrétisation européenne qui existe déjà d'ailleurs et qui nous a fait faire énormément de progrès au cours des dernières années, et que l'euro va rendre encore plus visible, encore plus crédible aux yeux de tout le monde.

Arlette CHABOT : Mais dans votre entreprise par exemple, vous vous préparez déjà, vous commencez à préparer les bulletins de salaires en euros, en francs et dans d'autres monnaies européennes dans chaque pays, vous préparez vos salariés ?

Bertrand COLLOMB : Non, ce qui va se passer le plus vite, c'est dans le monde financier. C'est-à-dire que dès le 1er janvier 99 l'action LAFARGE elle vaudra plus à 130 francs comme elle vaut aujourd'hui, elle vaudra 80 euros, j'espère plus parce qu'entre-temps elle aura monté bien entendu. Et puis donc le monde financier va être en avant, et puis ça nous permettra d'ailleurs d'avoir accès à une puissance financière en euros, de faire des emprunts en euros etc. Par contre les salaires on a un problème c'est que jusque, en principe sauf si ça change jusqu'au 1er janvier 2002, les déclarations sociales et les déclarations fiscales doivent encore être faites en francs. Donc on va avoir un problème, qui est de manager entre le franc et l'euro pendant cette période-là, je ne sais pas encore très bien quelle sera la solution, parce qu'il faudrait…

Arlette CHABOT : Vous informez vos salariés, c'est ça que je voulais dire ? Vous informez tous ceux qui travaillent dans vos bureaux…

Bertrand COLLOMB : Bien sûr, on va informer, bien sûr on va trouver des modalités intérimaires.

Alain DUHAMEL : Jacques DELORS vous vouliez dire quelque chose là-dessus ?

Jacques DELORS : Parce que j'ai fait passer une loi européenne qui créait des comités de groupe c'est-à-dire des comités qui donnent le droit à l'information à la consultation des travailleurs dans les sociétés multinationales et dès l’année prochaine ils pourront demander de comparer les salaires en euros dans les différentes filiales des entreprises. Donc ça sera un élément de négociations sociales.

Alain DUHAMEL : Monsieur GISCARD d'ESTAING vous vouliez dire un mot je crois.

Valéry GISCARD d'ESTAING : Oui, un mot aux propos à Daniel COHN-BENDIT, je crois que la réponse à la peur d'une façon générale, elle doit être très précise, on ne répond pas à la peur par des choses vagues. Alors par exemple sur l'affaire des salaires, il faut d'abord que toute personne qui voudra que son salaire lui soit versé en francs continuera à le toucher en francs. Même si les entreprises s'organisent sur la base de l'euro, si un salarié dit : « moi je veux que mon salaire me soit payé en francs », ce sera obligatoire. Alors ce qui sera intéressant, c'est qu'à partir de l’année prochaine et à mon avis encore plus à partir de l’an 2000, les entreprises peuvent faire une option tout euro. C’est-à-dire moi comme entreprise je passe en euros. Avec la restriction qu’a dite monsieur COLLOMB, c’est-à-dire que pour les déclarations sociales on continuera à les faire en France. Mais si des entreprises passent en tout euro, elles n'obligent pas les salariés à toucher leurs salaires en euros. Simplement ce sera intéressant pour les salariés on dira qu'est-ce que vous voulez ? Est-ce que vous voulez continuez à le toucher en francs ? Et donc il y aura une espèce de pédagogie collective, où les gens commenceront à arbitrer eux-mêmes entre la partie de ce qu’ils veulent avoir en euros, la partie de ce qu’ils veulent garder en francs.

Arlette CHABOT : Alors Macha MERIL vous êtes quand même consommatrice aussi, deux, trois petites questions pratiques que vous, vous avez en tête.

Macha MERIL : Oui quand vous m'avez demandé de venir réagir sur l'euro. Je me suis demandé vraiment pourquoi ça m'ennuyait tellement ? Ce n'est vraiment pas palpitant l'euro. Et je me suis, j'ai pensé qu'il y avait une raison de base, c'est le mot. Le mot euro est vraiment pas très heureux, je sais que c'est trop tard, mais il y a beaucoup de Français qui ne savent pas que c'est choisi, que c'est fini. Il y en a encore qui se pose la question, qui se disent on va peut-être choisir un mot. Il avait été question il me semble du « delors », n'est-ce pas, c'était une très jolie idée à cause de la connotation avec l'or…

Jacques DELORS : Mais ça ne plaisait pas aux Français.

Macha MERIL : Ça ne plaisait pas aux Français. Je trouve que ce mot, savez-vous comment ça se prononce, les mots c'est mon métier, je suis linguiste aussi, je joue dans plusieurs langues. Alors on dit « oro » en allemand « iuro », en anglais « éo » en italien, « euro » en français « uro » en finlandais. C'est franchement un mot qui n'est pas le mot dans toutes les langues et qui ne…

Daniel COHN-BENDIT : Oui mais il y a un avantage, c'est que ça veut toujours dire Europe. Et que si on veut construire l'Europe, quand on dit euro et tout à l'heure, il y a un des spécialistes qui dit, c'est l'identité nationale le franc, là j'ai dit pour une fois moi j'étais contre le nom, mais ils ont peut-être bien tapé parce qu'euro ça donne l'identité future. Un gamin qui a maintenant, qui vient de naître il va apprendre à compter, à acheter ses premières glaces en euros.

Macha MERIL : Je trouve que justement on a l'impression qu'on nous le tape un petit peu dans le crâne. Euro, euro, euro, comme si l'Europe n'était pas vraiment une chose qu'on a envie de faire.

Daniel COHN-BENDIT : Oui, mais le problème c'est quand on fait, moi on a parlé tout à l'heure des peurs. La peur des Allemands est beaucoup plus grande parce que eux, ils ont eu deux réformes monétaires où ils ont perdu énormément d'argent. Et aux Allemands il faut expliquer que ce n'est pas la même chose, et je vous jure que ce n'est pas facile.

Arlette CHABOT : Autre petite question Macha MERIL ?

Macha MERIL : Alors bien sûr quand je pose des questions autour de moi, en tant que femme, et consommatrice, c'est nous les femmes qui auront les pièces dans la poche, et bien, tout le monde me demande : est-ce que les prix vont augmenter ? Ça c'est la question numéro un.

Alain DUHAMEL : On y a répondu.

Macha MERIL : Et puis est-ce que vraiment c'était utile ? Voilà en gros.

Alain DUHAMEL : Alors on y répondra.

Arlette CHABOT : On va y revenir. Sur les questions pratiques, Nathalie SAINT-CRICQ, des lycéens autour de vous, qui ont deux ou trois questions aussi, pratiques, quotidiennes, sur l'utilisation de l'euro.

Nathalie SAINT-CRICQ : Des lycéens d'un lycée européen de Lille qui ont des questions pratiques. Alors la première question est de Sakova (phon) qui va se lever. Voilà.

SAKOVA : Oui bonjour, en fait je voudrais revenir sur le fait que tout le monde se pose des questions, c'est parce que ils sont peut-être mal informés. Donc il faudrait peut-être intervenir là, parce que c'est quand même important. Les consommateurs il faut qu’ils soient au courant. Et peut-être dans l'éducation, aussi, parce que les jeunes c'est quand même pour eux, c'est l'avenir de demain. Voilà.

Arlette CHABOT : Alors pas assez d'informations on disait.

Alain DUHAMEL : Est-ce que par exemple à votre avis, le Gouvernement fait ce qu'il a à faire pour essayer d'informer et de faire comprendre ? Parce qu'on a vu les grandes surfaces, mais on n'a pas vu, le Gouvernement-là ?

Valéry GISCARD d'ESTAING : Oui, d'abord ce n'est peut-être pas fait jusqu'à maintenant. On ne peut pas demander à des gens d'informer quand la décision n'est pas prise. La décision est prise la semaine prochaine. Tant que ce n’était pas fait, on n'allait pas se lancer dans une explication. D'autre part, je ne crois pas que les gens écoutent les explications, il y a des brochures. Voilà par exemple la brochure, si on vous donne ça ne vous apportera rien. Je crois qu'il faut voir comment la société, la collectivité, la société humaine va s'emparer de ce sujet. Et plutôt que de faire des espèces de discours pédagogiques, il faut faire vivre ce système. Je reviens à la question du nom, le franc ce n'est pas le nom d'une monnaie. C'est le nom d'un peuple, le peuple des Francs, venus en France au milieu du dernier millénaire. Et c'est le peuple qui a donné son nom, à la monnaie. Et bien de même l'affaire de l'euro, comme vous le disiez c'est une jolie chose, notre continent s'appelle l'Europe c'est un nom que les Grecs, lui ont donné. Comme vous le savez, au cours d'une guerre. Le continent donne son nom à sa monnaie. C'est un joli nom, il faut le prendre comme ça. Alors sur la question de l'information que posait tout à l'heure mademoiselle n'est-ce pas, c'est plutôt par des séries de pôles et d'actions que l'on peut agir et il va y avoir des tas d'acteurs dans cette affaire. Il y a tout le système financier, il y a tout le système des communications, de toutes espèces, il y a tout le système des transports. Quand vous paierez par exemple vos billets, vos tickets en euros vous aurez dans la tête des prix en euros. Donc je crois que c'est ça qu’il faut faire. Ce n’est pas des conférences explicatives que personne n'écoutera. C'est une espèce de pédagogie collective pour passer d'une monnaie à une autre. Et je voudrais revenir sur ce point, il ne faut pas garder en tête deux monnaies personne ne s'en sortira. Il faut avoir l'idée qu'on passe d'une monnaie à une autre.

Arlette CHABOT : Vous êtes contre la calculette c'est ça, non ?

Valéry GISCARD d'ESTAING : C'est trop compliqué, personne ne peut multiplier de tête par 6,65.

Alain DUHAMEL : Même vous, même vous ?

Valéry GISCARD d'ESTAING : Mais non je ne peux pas bien sûr.

Daniel COHN-BENDIT : Même lui.

Valéry GISCARD d’ESTAING : Même vous.

Alain DUHAMEL : Parce qu’il a une formation de mathématicien.

Daniel COHN-BENDIT : Ah bon.

Arlette CHABOT : Alors autre question de lycéens.

Nathalie SAINT CRICQ : Une dernière question pratique, parce que manifestement, toutes les informations ne sont pas arrivées dans les classes. Alors une question de Stéphanie.

STÉPHANIE : Moi je voudrais savoir l'euro, on parle surtout des pièces et des billets, mais au niveau des chèques, comment ça va se passer ? Est-ce qu'on pourra payer en chèques dans les autres pays en Europe.

Valéry GISCARD d'ESTAING : Vous aurez le droit d'avoir un carnet de chèques en euros, si vous le voulez, et vous pourrez utiliser votre carte de crédits actuelle dans toute l'Europe, en euros, mais on débitera votre compte en francs, de façon à ce que vous puissiez garder votre comptabilité…

Arlette CHABOT : Alors je vous signale qu’il y a déjà des banques qui se préparent par exemple la BNP qui commence déjà à établir des chéquiers en euros, vous voyez le petit sigle euro, là, voilà ça c'est un spécimen, mais vous pourrez donc si vous voulez, commencer dès l'année prochaine à avoir un chéquier en euros. Dernière question pratique, après on revient à la politique et aux raisons de fond.

FABRICE : Bonsoir, je voudrais revenir à ce que Monsieur Jacques DELORS a dit, par exemple, pour les voitures, les gens verront qu'avec l'euro, les prix sont différents selon les pays, donc les consommateurs seront gagnants et iront acheter les voitures dans les pays où c'est moins cher. Mais pour nos entreprises est-ce qu'il est prévu une harmonisation fiscale, des fiscalités des pays ?

Jacques DELORS : Je pense que les entreprises pousseront à une harmonisation au moins de ce que l'on appelle en France, l'impôt sur les sociétés c’est-à-dire non seulement le taux de l'impôt mais également les règles essentielles, les régimes d'amortissement, de provisions et autres. Il y a déjà une forte poussée des entreprises et je suis heureux de voir qu'après des années d'efforts, les ministres des Finances ont accepté pour la première fois un code de conduite fiscal, qui est le premier pas à mon sens vers une harmonisation non pas de tout, il faut surtout éviter cela, mais une harmonisation des régimes d'impôts sur les sociétés.

Alain DUHAMEL : Ça suffira pardon, ça suffira pour empêcher des détournements de francs importants si, par exemple, il y a 20 % de différences de prix ?

Daniel COHN-BENDIT : Attention comme si on pouvait encore pêcher quoique ce soit maintenant ? Vous faites comme si on était dans un système où il n'y avait pas de spéculation monétaire, pas de spéculation financière qu'on avait un système où on empêchait quoique ce soit. On n'empêche rien du tout en ce moment et on dit « est-ce qu'avec l'euro » alors la question posée comme ça, comment le faire avec l'euro, ce qu'on ne fait pas avec le franc ou le mark ? Voilà la bonne question.

Alain DUHAMEL : Et qu'est-ce que répond à cette très bonne question, Monsieur DELORS ?

Jacques DELORS : Je pense que c'est là où la discussion politique commence avec les adversaires de l'Europe. Avec ou sans Europe, la France aurait été confrontée à la globalisation, à l'ouverture des économies, elle aurait dû faire face. Il se trouve que pour nous, la meilleure solution d'y faire face, c'est de construire une Europe unie. Voilà la seule réponse valable.

Arlette CHABOT : Alors justement, ça nous permet de revenir sur les raisons. Je vous donne quand même un petit truc pratique qui pourrait donc s'inspirer partout en Europe. C'est une carte qui existe déjà en Belgique, Proton, qui n'est pas tout à fait une carte de crédits, mais qui a une valeur et avec laquelle on peut payer les tout petits achats, type journaux, ou pain par exemple ça peut aider et ça nous a été prêté par nos confrères de la RTBF que je remercie de nous avoir confié ainsi leur argent Donc on revient sur le fond et sur l'histoire au fond de cette marche vers la monnaie unique. Cette marche a tout simplement 20 ans, souvenez-vous sur ces images Valéry GISCARD d'ESTAING, Helmut SCHMIDT qui ont lancé le système monétaire européen, et puis en 1988, François MITTERRAND, Helmut KOHL avec Jacques DELORS qui reprennent le chemin donc de la monnaie unique et qui nous amène après le Traité de Maastricht et les péripéties, des débats que nous connaissons, jusqu'à cette monnaie unique, les chefs d'État et de gouvernements à la fin de la semaine, à Bruxelles vont faire entrer en vigueur, en définissant, en choisissant définitivement le premier groupe des pays qui fera partie de l'euro. Alors ?

Alain DUHAMEL : Alors question qui sera d'abord à Monsieur GISCARD d'ESTAING et ensuite à Jacques DELORS qui sera bénéficiaire ?

Valéry GISCARD d'ESTAING : Quand on dit ça on cherche des catégories. Je ne crois pas que ce soit des catégories. On va passer de d'une situation à une autre, c'est comme quand on passe de la guerre à la paix. Qu'est-ce qui est bénéficiaire ? Les gens qui vont dans les armées, enfin bon. On va passer d’un système à un autre. Tout à l'heure vous parliez de la monnaie, avec une espèce de nostalgie le franc, est-ce qu’on dit aux Français que par rapport au franc germinal, il a perdu aujourd'hui 760 fois sa valeur ? Le franc d'aujourd'hui c'est 1,760e, du franc germinal. On peut très bien dire on était attaché au franc etc. Il faut voir qu'on a ruiné l'épargne à plusieurs reprises que ça a eu des conséquences sociales, traumatisantes pour des personnes âgées, et ainsi de suite. Donc qui va gagner ? Ceux qui vont gagner, ce sont les gens qui ont intérêt à ce que la monnaie soit stable, c'est-à-dire au fond les épargnants et je dirais la partie laborieuse de la population. Parce que c'est celle qui ne joue pas avec la monnaie, c'est celle qui conserve des comptes, des comptes d'épargne, des encaisses et ainsi de suite. Elle va gagner parce qu'elle va avoir une monnaie stable, elle ne sera plus jamais volée, l'autre ensemble qui va gagner à mon avis, ce sont les entreprises qui veulent jouer le jeu de la concurrence. Celles qui trichent ça va les embêter, parce qu'on va mettre en pleine lumière les situations, mais celles qui veulent jouer le jeu de la concurrence, elles auront une unité de mesure commune et objective. On saura quels sont leurs prix ? Quels sont leurs coûts ? Quels sont leurs salaires ? Quelles sont leurs charges. Et donc elles vont être amenées à faire des efforts pour être plus compétitives que les autres. Alors en gros c'est la partie de la population qu’il faut protéger, c'est-à-dire les épargnants, et la partie de la population qu'il faut encourager, c'est-à-dire celle qui produit qui est dans la compétition.

Alain DUHAMEL : Monsieur Jacques DELORS ?

Jacques DELORS : Il me semble que tout d'abord il faut rappeler que les pères de l'Europe voulaient faire l'Europe politique. Et a deux reprises ils n'y sont pas arrivés. Ils ont voulu faire la défense commune en 53-54, la France n'a pas voulu. Ils ont voulu faire une Europe politique en 63 avec deux formes différentes, celle du Général de GAULLE ou celle des cinq autres, ils n'y sont pas parvenus. Donc on a fait l’Europe par l'économie, il faudra qu'on parle tout à l'heure de l'Europe politique.

Alain DUHAMEL : On en parlera.

Jacques DELORS : Mais il faut bien voir que l’euro est une immense étape sur la voie de l'Europe politique, même si elle n'y mène pas obligatoirement. Ceci dit, l'euro n'est pas un remède miracle, il nous permettra de bénéficier d'une monnaie stable, et le président GISCARD d'ESTAING a donné une comparaison frappante de ce que ça voulait dire. Il faut bien se rappeler que les meilleures performances économiques durant ces 50 dernières années ont été faites par des pays qui avaient une monnaie stable. Et il faut se rappeler aussi que grâce au système monétaire européen, mis en œuvre par Monsieur GISCARD d'ESTAING et par le chancelier SCHMIDT, il a été possible à nos économies de converger. Croyez-vous que moi, ministre des Finances j'aurais pu obtenir l'assainissement, le début de l'assainissement de la situation de la France, sans le S.M.E. et pour d'autres pays c'est la même chose. Donc, et même aujourd'hui n'en déplaise à ceux qui croient qu'avec un déficit budgétaire de 6 % on lutterait contre le chômage on s'est aperçu dans les années 90 qu'on avait un déficit budgétaire de plus en plus important, et de plus en plus de chômage. Par conséquent s'il n'y avait pas eu la perspective de l'euro, on aurait continué ces mauvaises pratiques qui d'ailleurs reportent le fardeau sur les générations à venir. Donc une monnaie stable, une monnaie qui peut nous permettre de retrouver la croissance, mais sûrement pas un remède miracle, il y a des actions à mener au niveau français, au niveau européen pour parachever le succès de l'euro.

Arlette CHABOT : Alors une seconde, Robert HUE, secrétaire national du Parti communiste est avec nous. Il vous a écouté patiemment tous les deux et gentiment expliquer les raisons pour lesquelles vous êtes pour cette Europe. Monsieur HUE c'est cette Europe que vous contestez parce que c'est une Europe libérale au fond ?

Alain DUHAMEL : Et cette monnaie ?

Robert HUE
Écoutez d'abord je veux dire que je ne confonds pas l'Europe et l'euro. Je suis favorable à l'Europe, il faut absolument construire l'Europe. Je pense même que les changements nécessaires en France, ne peuvent s'inscrire que dans une perspective européenne. Mais il ne faut pas raconter d'histoire aux Français. Tout à l’heure quelqu'un disait « L'euro c'est un projet politique ». Oui, c'est un projet politique et précisément moi ce projet politique je le conteste parce que c'est un projet libéral. C'est avec cet euro, nous n’allons pas avoir l’Europe sociale que nous souhaitons. Et donc à partir de cette réflexion, je dis il faut réorienter, il faut un autre type d'Europe. Et aujourd'hui ce qui nous est proposé, c'est une Europe qui inquiète effectivement les Français et beaucoup de Français. Si les Français sont inquiets ont des doutes, ce n'est pas comme ça par enchantement. Ça fait des années qu'au nom de l'Europe, on leur dit qu'on va régler un certain nombre de grands problèmes sociaux auxquels vous êtes confrontés. Le chômage, les inégalités sociales, l'exclusion. On voit qu'au fur et à mesure que les choses avancent ça s'aggrave, parce qu'il y a un type d'Europe qui se met en place notamment avec l’euro, un type d'Europe qui s'inscrit dans la libre-concurrence, dans les marchés financiers et l'argent qui domine tout. Et à partir de là, il y a des conséquences pour les nations d'Europe, les peuples d'Europe. Donc moi ce que je souhaite c'est qu'on construise un autre type d'Europe. Et c'est cela qui est en cause aujourd'hui. Alors on me dit c'est fait. Rien n’est jamais fait définitivement, Monsieur DELORS avait raison tout à l'heure, il reste que je crois qu’il faut aujourd'hui que dans un débat aussi important, on ait, on entende les Français, on les écoute, on discute avec eux, des questions qui sont posées. Vous le savez j'ai été, j'ai proposé qu’il y ait un référendum sur cette question. Pas parce que le référendum de Maastricht…

Alain DUHAMEL : Vous ne l'aurez pas Monsieur le référendum, Monsieur…

Robert HUE : Pardon ?

Alain DUHAMEL : Vous ne l'aurez pas le référendum, puisque le Président de la République et le Premier ministre vous ont dit « non » tous les deux et que c'est eux deux qui peuvent le déclencher.

Robert HUE : Alain DUHAMEL, j'ai compris qu'un certain nombre de gens ne souhaitaient pas ce référendum. D'ailleurs si ce référendum était en fait, et pourquoi, pourquoi on a peur du référendum ? On a peur que les Français contestent que cette Europe et cet euro qu'on met en œuvre aujourd'hui. Sinon on ne craindrait rien. Si c’était aussi, aussi beau que ce qu'on nous présente. Il faut donc à mon avis, il faut consulter, il faut consulter les Français. Je crois que c'est quelque chose d'essentiel, me semble-t-il. Alors ensuite…

Alain DUHAMEL : On va d'abord, Monsieur HUE, on va d'abord demander à Jacques DELORS de vous répondre et puis vous réintervenez après. Alors Jacques DELORS d'abord, est-ce que vous avez le sentiment en écoutant Robert HUE comme vous venez de le faire, qu'au fond vous, le social-déemocrate et l'homme de gauche c'est une Europe libérale que vous avez construite ?

Jacques DELORS : Non, Monsieur HUE rêve. À moins qu’il ne s'agisse d'un réflexe pavlovien, issu de l'attitude constamment négative du Parti communiste à l’égard de l'Europe.

Robert HUE : Non, non. Ne commencez pas à ce niveau là, on ne va plus vous croire sur l'euro.

Jacques DELORS : Non, non mais je dis ce que je pense parce que…

Robert HUE : Oui j’ai bien compris. Ça m'inquiète d'ailleurs.

Jacques DELORS : Monsieur HUE, la globalisation, l’ouverture des marchés, la promotion des pays en développant pour lesquels vous êtes, tout cela ce sont des réalités, face à ces réalités, la France doit trouver une solution. Or cette solution si nous restons seuls entre nous, nous n'y arriverons pas à faire face à cela.

Robert HUE : Monsieur DELORS, pardonnez-moi Monsieur DELORS, pardonnez-moi, je suis en duplex donc ce n'est pas simple. Pardonnez-moi de vous interrompre.

Jacques DELORS : Mais je vous en prie.

Robert HUE : Ce n’est pas comme si j'étais sur le plateau. Mais il faut bien dire les choses, je suis pour l'Europe, je ne suis pas pour un repli frileux, je ne suis pas pour…

Daniel COHN-BENDIT : Mais si vous n'aviez pas l'euro aujourd'hui vous auriez le mark Monsieur HUE. Monsieur HUE il faut savoir ce qu'on n'a pas dit tout à l'heure, que l'euro ne se serait pas fait s'il n'y avait pas eu l'unification allemande. Et s’il y a l'unification allemande, ça pose des problèmes éminemment politiques à l'Europe. Donc n'essayez pas de noyer le poisson, je vous ai dit tout à l'heure…

Robert HUE : Daniel COHN-BENDIT, Daniel COHN-BENDIT le problème…

Daniel COHN-BENDIT : Attendez une seconde, vous êtes en duplex, mais vous pouvez quand même m'écouter, même en duplex on écoute.

Robert HUE : Mais je n'entends pas…

Daniel COHN-BENDIT : Vous n'entendez pas, alors je voulais vous dire une chose simplement, je l'ai dit tout à l'heure au début. Madame THATCHER a fait une politique néo-libérale contre l'Europe, sans l'Europe, la livre sterling devait rester en dehors de l'Europe. On peut faire une politique néo-libérale, pour l'Europe contre l'Europe, mais on peut faire une politique, j'ai tout de suite fini Monsieur HUE. Vous avez une monnaie avec l'euro, où vous ferez et nous ferons ensemble, un combat pour l'Europe sociale. Si vous ne faites pas l'euro, vous serez défavorisés dans ce combat pour l’Europe sociale, voilà mon argument.

Robert HUE : Alors Jacques DELORS et puis Monsieur GISCARD d'ESTAING va terminer, parce que...

Jacques DELORS : Je n'ai pas terminé.

Arlette CHABOT : Terminez Jacques DELORS.

Alain DUHAMEL : Oui terminez votre raisonnement.

Jacques DELORS : Lorsque je regarde l'Europe aujourd'hui, on ne peut pas imputer à l'Europe le chômage en France, puisque trois pays européens le Danemark, les Pays-Bas et l'Irlande, ont fait reculer le chômage en étant sous les mêmes contraintes que vous. En réalité si nous avons beaucoup de chômage c'est pour des raisons globales, le progrès technique, notamment, qui met en cause le travail peu qualifié et c'est parce que nous avons mené une mauvais politique en France, mais ce n'est pas à cause de l'Europe. Et on ne m'a jamais entendu, dire quand j’étais président de la Commission que l'Europe était un remède miracle. J'ai simplement dit en 85, lorsque j’ai lancé le marché unique, que cela redonnerait du tonus à notre économie. Et ça a été prouvé puisque le taux de croissance a doublé, les investissements ont augmenté, on a crée 9 millions d'emplois entre 85 et 91. Mais je dis aujourd'hui c'est notre affaire aussi à nous, je reviendrai tout à l'heure, sur les conditions de réussite de l'euro, parce que là-dessus je ne suis pas éloigné de Monsieur HUE.

Alain DUHAMEL : Alors Monsieur GISCARD D'ESTAING, je crois que vous vouliez dire un mot.

Valéry GISCARD D'ESTAING : Oui simplement un mot pour Monsieur HUE que j'ai écouté d'ailleurs la semaine dernière à l'Assemblée nationale, si on ne fait pas l'euro, qu'est-ce qui se passera ? Il y aura une monnaie européenne et cette monnaie européenne sera le deutschemark, quand vous circulez dans le monde, vous regardez, vous allez à Hong-Kong, vous allez à Los. Angeles, vous allez à Rio de Janeiro, vous allez dans une banque, il y a les cours des devises, comme cours des devises, qu'est-ce qu'il y ? Il y a le dollar, le yen, le deutschemark et la monnaie locale. Il n'y a pas la peseta, il n'y a pas la lire, il n'y a pas le franc français, donc si on continue avec cette Allemagne qui a déjà crée une zone mark avec cinq pays, parce que la Hollande c'est la zone mark, la Belgique et le Luxembourg c'est la zone mark, l'Autriche c'est la zone mark, vous aurez une monnaie européenne, cette monnaie ce sera le deutschemark et je dis plutôt que d'avoir une monnaie européenne qui sera le deutschemark, il vaut mieux une monnaie européenne gérée par nous, par nous tous, dans laquelle nous aurons notre mot à dire, notre influence politique, notre influence technique et c'est pourquoi la solution de l'euro me paraît beaucoup plus une solution d'avenir que le deutschemark, monnaie européenne.

Alain DUHAMEL : Alors Monsieur HUE qui manifestement a très bien entendu Monsieur GISCARD D'ESTAING va donc pouvoir répondre et ensuite on interrogera Nicole CATALA.

Robert HUE : J’ai parfaitement entendu Monsieur GISCARD D'ESTAING, ce que je veux dire, je ne conteste pas la nécessité d'une monnaie commune, d'un instrument monétaire qui effectivement participe de coopération, de codéveloppement entre les nations au niveau européen. Ce que je conteste c'est l'euro, c'est-à-dire cette forme monétaire-là, qui annule nos monnaies nationales, on peut très bien avoir un instrument monétaire commun au niveau européen, qui s'articule avec nos monnaies nationales, alors pourquoi je suis effectivement contre l’euro ? Parce que la suppression des monnaies nationales fait.., oui mais essayez d'écouter ce que je pense de ce point de vue…

Daniel COHN-BENDIT : J'écoute, j'écoute.

Robert HUE : La suppression des monnaies nationales fait que, qu'est-ce qui restera comme élément d'ajustement entre des économies nationales différentes les unes des autres, ce ne sera plus la monnaie, ce ne sera plus les différences de monnaies, ce sera essentiellement les salaires et l'emploi. Donc il y aura une régression sociale, c'est pourquoi moi je propose un instrument monétaire parce que je suis pour la réussite de l'Europe, un instrument monétaire différent de celui-là qui ne soit pas celui-des marchés financiers, celui tenu par la Banque centrale européenne qui permette effectivement un véritable développement, une véritable croissance.

Daniel COHN-BENDIT : Alors Monsieur HUE quand même, depuis je ne sais pas combien d’années où il n'y a pas de monnaie commune, il y a une régression sociale. Il faudrait s'entendre, vous faites comme si on était dans le meilleur des mondes il y a dix-huit millions de chômeurs en Europe et c'est à cause... ce n'est pas à cause de l'euro qu’il y a dix-huit millions de chômeurs, quand on a commencé la politique de convergence, il y a avait déjà quinze millions, quatorze millions de chômeurs. Le problème il est, et là vous avez raison, il va y avoir en Europe, une nécessité de coordination économique pour résoudre les problèmes, qui dit euro et ne veut pas coordonner les politiques économiques, ment, parce qu'il y a responsabilité collective entre la France et le Portugal, le Nord de la Suède quand ils rentreront dans l'euro et le Sud de l'Italie, si on ne dit pas ça, on ne dit pas la vérité sur l'euro.

Alain DUHAMEL : Jacques DELORS.

Jacques DELORS : L'idée de la monnaie commune…

Robert HUE : Daniel COHN-BENDIT, comment, comment…

Alain DUHAMEL : Attendez, Monsieur HUE, ensuite Jacques DELORS, allez-y, allez-y.

Robert HUE : Merci, oui je voudrais dire, mais précisément sur la coordination entre les politiques, chacun sait bien qu'actuellement face à la Banque centrale européenne, il n'y a aucun pouvoir politique qui est capable de défendre les intérêts respectifs des nations dans le cadre des coopérations, il y a donc bien quelque chose qui manque profondément, or on fait l'euro. Il n'y a pas les institutions politiques nécessaires, il n'y a pas cet élément de coopération ou de contrôle, de contrepoids à la Banque centrale européenne, on sait très bien que le conseil de l'euro n'a ni les compétences, ni le pouvoir de faire avancer les choses, donc il y a bien un grave problème, le calendrier avance sur l'euro et en même temps, on n'a pas effectivement les moyens de contrepoids.

Daniel COHN-BENDIT : Est-ce que vous quittez le Gouvernement ou vous essayez d'ajuster ça ?

Robert HUE : Ce n'est pas le débat.

Daniel COHN-BENDIT : Ce n’est pas le débat, je voulais savoir.

Alain DUHAMEL : Jacques DELORS maintenant, c'est Jacques DELORS qui répond.

Jacques DELORS : La monnaie commune a toujours été à un moment pour Monsieur BALLADUR, aujourd'hui pour Monsieur HUE, un moyen d'évasion pour éviter de regarder en face le problème de la monnaie unique, la monnaie commune, c'est un danger pour le franc, il suffirait que sur les marchés financiers ou ailleurs on laisse entendre que le franc a des faiblesses pour que la mauvaise monnaie chasse la bonne et c'est nous qui subirions cette conséquence, la seule solution pour l'Europe, c'est une monnaie unique. En second lieu, je suis d'accord qu'il faut une coordination des politiques économiques je l'ai dit dans le rapport qui a servi de base au traité de Maastricht, dans ce rapport fait pour l'essentiel par un comité de gouverneurs de banques centrales, il y avait autant de places pour la politique économique, pour la politique monétaire. Je reconnais aujourd'hui que dans les accords qui ont été faits, l’équilibre n'est pas assuré, mais c'est la bataille politique que nous allons mener maintenant. Je regrette que ça ne se soit pas fait en application du traité mais nous allons mener cette bataille.

Alain DUHAMEL : Alors Madame CATALA, est-ce que pour vous, quand vous voyez cette naissance, puisqu'on y est de l'euro, est-ce que vous craignez dans tout ça, est-ce que vous percevez dans tout ça la dissolution de l’identité française, la perte de toute souveraineté, au fond est-ce que vous avez peur ?

Nicole CATALA, député RPR et vice-présidente de l'Assemblée nationale : Je ne dirais pas que j'ai peur, j'ai voté non au référendum sur le traité de Maastricht, et aujourd'hui comme en 1992 je ressens l'abandon programmé de notre monnaie nationale comme une atteinte, j'aurais presque envie de dire comme une blessure à l’attachement très profond que j'ai pour mon pays, pour cet État-Nation qui incarne la force, le rayonnement de la France et qui est toujours le cadre nécessaire à notre démocratie et à la solidarité entre les Français. Néanmoins, depuis 1992, deux événements au moins se sont produits qui ont un peu infléchi le cours de ma réflexion, tandis que d'autres raisons, qui m'avaient conduit à voter non en 92 subsistent. Rapidement, ces deux éléments qui ont relancé ma réflexion personnelle sont d'une part la crise monétaire de 1993 qui a fait exploser le système monétaire européen mis en place par Monsieur GISCARD D'ESTAING et qui ont montré la nécessité de le remplacer par autre chose. C'est d'autre part l'émergence de plus en plus claire d'ensembles économiques régionaux ou subcontinentaux, que ce soit l'Alena ou le Mercosur en Amérique, ou la Chine ou l'Inde, qui vont de toute évidence, constituer pour l'Europe des concurrents extrêmement redoutables et je crois donc que la nécessité pour les États européens de s'unir est plus pressente que jamais…

Arlette CHABOT : Vous avez peur ou pas peur alors, dites-nous.

Nicole CATALA : Mais, subsiste comme raisons d'être réticent à l’égard de l'euro, d'une part le grave problème démocratique que va représenter la présence au sommet de la construction européenne d'une Banque centrale, dont je doute qu'elle ait un véritable contrepoids politique en dépit des efforts réalisés cette semaine par Monsieur GISCARD D'ESTAING. Subsistent aussi comme source de réticence, les contraintes, les amputations que vont constituer pour nos choix nationaux, la nécessité d'harmoniser nos politiques budgétaires, nos politiques fiscales et notre politique sociale et pour revenir sur les préoccupations sociales exprimées à plusieurs reprises depuis le début de notre débat, je crains beaucoup pour ma part que ce soit vers le bas que se fasse l'Europe sociale et pas vers le haut.

Arlette CHABOT : Vous n'êtes pas bien éloignée de Robert HUE dans vos critiques si j'ai bien compris.

Alain DUHAMEL : Monsieur GISCARD D'ESTAING, il y a beaucoup de choses dans ce que vient de dire Madame CATALA, mais il y en a une première : face à la puissance que représentera la Banque centrale européenne, est-ce que vous pensez sincèrement qu'on a des chances d'avoir un vrai contrepoids politique, susceptible réellement de faire passer une volonté démocratique ?

Valéry GISCARD D'ESTAING : Alors je dirais que dans la démarche vers l'euro et je souhaite que notre débat revienne un peu plus concret, pour qu'on dise des choses de la vie quotidienne etc., dans la démarche vers l'euro, je ne sais pas ce qu'en pense Jacques DELORS, mais je trouve qu'au cours des dernières années, on a trop confié le bébé aux banques centrales, ce n'était pas uniquement ou principalement une affaire bancaire, le travail technique, c'était les banques, chacun sait qu'en effet c'est elles qui pouvaient le faire, elles l'ont d'ailleurs bien fait, il faut être juste, elles l’ont bien fait, mais je prends le cas par exemple de la nomination du président de la banque centrale. Aux États-Unis, ce n'est jamais un banquier central, ça a été Monsieur FOLKEUR (phOn) qui était très bon, qui venait du ministère des Finances, ça a été à l'heure actuelle Monsieur GREENSPAN qui est un universitaire, ce sont ces gens-là qui doivent conduire à la réflexion de la banque centrale, et dans notre système, il aurait fallu que le vice-président soit un banquier central, mais que le président doit un homme ou une femme d'ailleurs à vue globale. Parce que la politique monétaire, elle doit procéder d'une vue globale. Si nous avons dans quelques mois une deuxième crise en Asie et que nous serons dans le système euro, il faut que l'euro réagisse, qu'on ait une opinion, ce n'est pas les banquiers centraux que nous connaissons qui ferons entendre leurs voix dans le monde, il faut une personnalité plus forte, donc dans le système, et là, je suis d'accord avec vous, je trouve qu'on a donné trop de caractère Banque centrale au système et qu'on ne lui a pas donné son accompagnement politique, alors j'ai essayé au Parlement la semaine dernière, de dire au moins, créer une structure parlementaire.

Alain DUHAMEL, : Comité parlementaire qui pourrait examiner les décisions.

Valéry GISCARD D'ESTAING : Comité parlementaire de l’euro, constitué à la proportionnelle, où les gens ont le pouvoir de venir parler, poser des questions, discuter de la politique monétaire, je crois que c'est un minimum de ce que nous devons réaliser pour compléter le système.

Alain DUHAMEL : Avant Monsieur COLLOMB à qui on va demander quelque chose de précis, Jacques DELORS, il y avait dans ce que disait Madame CATALA, un autre aspect très important parce que beaucoup de gens se le pose effectivement, qui est : est-ce que ces nouvelles formes de concurrence et de transparence qui vont exister ne vont pas, ne risquent pas effectivement de pousser l'harmonisation sociale vers le bas ?

Jacques DELORS
Soyons concret, lorsqu'en 1985 j'ai proposé le marché unique, et l'élargissement à l'Espagne et au Portugal pour lequel beaucoup de Français étaient réticents, on nous a prédit le pire. Or, de 85 a 97, l'ajustement s'est fait par le haut, non seulement le niveau de vie de tous les Européens a augmenté, mais en plus, les pays qui étaient en retard, ont rattrapé 20 % de leur retard par rapport aux autres. Il faut faire en sorte qu'avec l'euro, l'ajustement par le haut continue, et ça sera une bataille politique car il ne faut pas oublier qu'en Europe, il y a des forces qui veulent supprimer le modèle social européen, c'est la réalité. Avec ou sans euro, on serait confronté à cette question, il y a des gens qui disent, le système, en gros il est social-démocrate, c'est fini, et d'ailleurs on voyait ce qui s'est passé en Angleterre, il faut aller au système anglo-saxon. Avec ou sans euro, cette bataille on aurait dû la mener, il se trouve qu'on aura la monnaie dans le cadre de l'Europe avec des institutions qui nous permettent de discuter, un parlement européen qui va prendre de plus en plus d'importance et nous allons exiger que la banque centrale soit responsable d'expliquer sa politique devant l'opinion publique, devant les gouvernements, devant les conseils des ministres, devant le Parlement européen et devant les parlements nationaux, mais tout est une bataille politique, rien n'est jamais gagné, pourquoi être frileux aujourd'hui ?

Arlette CHABOT : Daniel COHN-BENDIT ?

Daniel COHN-BENDIT : Je voudrais juste, pas corriger Jacques DELORS, mais quand on parle à la télévision…

Jacques DELORS : Mais vous avez le droit, vous avez le droit Monsieur le professeur.

Daniel COHN-BENDIT : Non non, sur un truc, vous dites, le niveau de vie a augmenté pour tout le monde, il y a quand même dix-huit millions de chômeurs, il y a la précarité, je veux dire il y a la fracture sociale qui existe au niveau européen…

Jacques DELORS : Je le sais ça.

Daniel COHN-BENDIT : Justement, c'est pour ça que je ne dis pas corriger, mais il faut le dire, parce que les gens qui nous écoutent, dont le niveau de vie n'a pas augmenté, ils disent, ils se foutent de nous là, ils disent tout va bien et moi je ne suis pas là-dedans, mais le problème reste entier, vous avez raison, répondre à cette crise sociale, c'est un problème avec le franc ou avec l'euro, et l'euro ne donne pas la réponse automatiquement et ce n’est pas les banques centrales qui donneront la réponse.

Arlette CHABOT : Alors Bertrand COLLOMB, un grand chef d'entreprise comme vous quand il entend doping social, nivellement par le bas des salaires, etc. qu'est-ce.que-vous dites ?

Alain DUHAMEL : Et est-ce qu'il a la tentation justement de mettre en pièce le système social européen ou pas, est-ce que vous trouvez que de votre point de vue, le chef d'entreprise international ça serait plus commode ou au contraire, finalement beaucoup moins efficace et beaucoup moins juste ?

Bertrand COLLOMB : Écoutez, un groupe comme le notre, LAFARGE a depuis très longtemps une culture sociale qui est effectivement très fortement implanté dans ses racines françaises et européennes et franchement le défi, c'est face à la compétition internationale de défendre quelque chose de cette culture européenne qui effectivement nous différencie de la culture américaine notamment et nous différencie d'ailleurs aussi de l'autre côté, de la culture japonaise, mais il faut gagner avec cela, alors quand j'entends « modèle social européen », ça peut vouloir dire plusieurs choses, ça peut vouloir dire un continent, l'Europe, où l'on sait mieux dialoguer, où l'on sait mieux parler ensemble, où on tient compte davantage des points de vue des hommes, des points de vue des groupes, mais ça veut... ça peut aussi vouloir dire un continent où il y ait des règles rigides, de plus en plus rigides, de plus en plus fermées, avec de plus en plus d'obligations et de plus en plus de chômage. Alors le modèle social européen, oui, dans un esprit de…

Alain DUHAMEL : Pour dire les choses carrément, est-ce qu’il est possible avec cette logique-là, qu'il ait un modèle social européen soit simplement plus protecteur pour les salariés, que ne le sont les législations par exemple anglo-saxonnes ?

Bertrand COLLOMB : Bien entendu, il peut être plus protecteur, à condition qu'il ne soit pas rigide, à condition qu'il permette une adaptation à la compétition internationale, mais le défi de groupes comme le nôtre c'est de garder notre âme, c'est de garder effectivement une âme européenne, une nous mette pas des règles européennes encore plus rigides que les règles françaises.

Arlette CHABOT : Jacques DELORS ?

Jacques DELORS : Écoutez, il faut être assez simple sur ces questions-là, moi je considère que l’Europe idéale de demain, c’est une Europe dans laquelle chaque nation garde dans sa compétence, la politique de l’emploi, la politique de la sécurité sociale, la politique de l’éducation, la politique de la culture, je suis pour une fédération des États nations et je ne pense pas que la communauté puisse régler ces problèmes, il faut qu’il soit réglé au plus près des gens. Deuxièmement on ne peut pas dire que le modèle européen soit de plus en plus rigide, en ce moment 80 % des nouveaux contrats de travail en France, sont des contrats à durée déterminée, alors il ne pas…

Bertrand COLLOMB : C'est une conséquence de la rigidité de nos systèmes.

Jacques DELORS : Non, non, non, ce n'est pas la faute des syndicats français si les fonds de pensions qui possèdent 20 ou 30 % du capital des sociétés françaises exigent constamment une rémunération plus importante, au détriment du long terme, ce n'est pas la faute des syndicats français cela, il ne faut quand même pas leur mettre tout sur le dos.

Arlette CHABOT : Robert HUE ?

Robert HUE : Je voudrais dire à propos du social, il y a effectivement avec l'euro un danger de nivellement par le bas, je m'explique : il y a quelque chose qui n'a pas été évoqué jusqu'à maintenant, et qui est très important et qui n'était pas dans le traité de Maastricht, c'est le fameux pacte de stabilité qui a été mis en place, or ce pacte de stabilité... on parlait à l'instant de rigidité, ce pacte de stabilité il enferme un certain nombre de nos économies dans des contraintes terribles, des contraintes d'austérité, c'est-à-dire qu'on dit l'emploi va pouvoir se développer etc., mais si il y a en fait cette politique d'austérité au nom de la diminution des déficits publics, on va se trouver effectivement avec une situation où il y aura baisse de la consommation populaire, il y aura la concurrence puisque dans la zone il y aura concurrence, il y aura la tentation des entreprises de se délocaliser, il y a là donc un danger certain; ce n’est pas… moi je ne fais pas de gaîté de cœur, je souhaite vraiment que ça réussisse, mais je crains vraiment que là, il y ait une puissance, la puissance des marchés financiers, nous empêche de faire l'Europe sociale dont on a besoin et qui n’est pas le cas aujourd'hui.

Arlette CHABOT : Jacques DELORS et Daniel COHN-BENDIT. Répondez le premier.

Jacques DELORS : Si nous avions pour habitude d'avoir un déficit budgétaire chaque année entre 4 et 6 %,  imaginez ce que ça donne au bout de dix ans, et imaginez, alors que nous avons une génération d'actifs, les voilà, qui sont moins nombreux que nous, la charge qu'on leur mettra sur le dos, avec ou sans Europe, on aurait été obligé de discipliner notre politique budgétaire, une politique budgétaire saine, c'est une politique avec un budget équilibré, une politique budgétaire saine, c'est une politique dans laquelle on emprunte pour des investissements de longue durée, qui profiteront aux générations à venir.

Arlette CHABOT : Alors pour terminer sur ce sujet, Daniel COHN-BENDIT, Bertrand COLLOMB, deux questions de lycéens. Allons-y.

Daniel COHN-BENDIT : Oui, moi je crois qu'il faut quand même être clair, quand les entrepreneurs disent la rigidité, il faut quand même que les gens comprennent une chose : quand il y a une énorme augmentation des bénéfices des entreprises avec un capital financier qu'on ne réinvestit pas mais qui est un capital financier de spéculation, les gens perdent la boule et je crois que s'il y a un devoir de social dans la tête des entreprises, c'est de réinvestir pour qu'il y ait productivité, mais ça, Robert HUE, c'est la lutte de classe qui fait ça, la monnaie unique, l'euro, ne dit pas qu'on arrête la lutte de classe, la lutte de classe a plusieurs formes, ça peut être par la négociation mais il y a des intérêts différents.

Bertrand COLLOMB : Si on croit, honnêtement si on croit encore à la lutte de classe, moi je n'ai plus grand chose à dire…

Daniel COHN-BENDIT : Arrêtez, il y a quand même des intérêts différents entre une entreprise qui licencie et le CAC 40 augmente, c'est une forme de lutte de classe, les gens prennent ça en pleine gueule.

Bertrand COLLOMB : Je crois que ce que les marchés financiers demandent, c'est d'être efficace et l’efficacité en principe c'est bon pour tout le monde…

Daniel COHN-BENDIT : Et ce que les gens vous demandent c'est aussi d'avoir un boulot !

Bertrand COLLOMB : Bien sûr, le problème du chômage est le vrai problème pour tout le monde, on est bien d'accord.

Alain DUHAMEL : Nicole CATALA et ensuite les lycéens, puis Monsieur Romano PRODI.

Nicole CATALA : À mes yeux, ce qui est grave du point de vue social ce n'est pas seulement ou pas principalement l'abondance de la réglementation européenne, c'est aussi et surtout l'inégalité qui existe entre les pays du point de vue du coût et du mode de financement de la protection sociale. En Grande-Bretagne aujourd'hui, la part de cotisation sociale qui est demandée aux salariés est de 10 % sur le salaire brut, elle est de 20 % chez nous. La part de cotisation patronale payée pour chaque salarié est de 40 % du salaire brut elle est de 10 % en Grande-Bretagne, alors dans ces conditions, comment n'y aurait-il pas des délocalisations d'activités vers la Grande-Bretagne. Ce n'est pas supportable.

Daniel COHN-BENDIT : Mais la part de protection sanitaire en Angleterre, la part de protection sur le chômage en Angleterre c'est combien ? Il faut dire les vérités aussi ! C'est-à-dire le nombre d'anglais qui vivent avec un travail sous le minimum…

Nicole CATALA : Mais ça n'empêche pas la délocalisation d'activités Monsieur COHN-BENDIT, ça n'empêche pas la délocalisation au contraire, au contraire, c'est ce qui est grave.

Alain DUHAMEL : Ne parlez pas ensemble.

Jacques DELORS : Ça ne se présente pas comme ça, la protection sociale est un peu moins élevée en Grande-Bretagne qu'en France, mais ce que les Anglais ne payent pas sur les salaires, ils le payent par l’impôt sur le revenu, alors si la France veut faire une grande réforme d’impôt sur le revenu et diminuer les cotisations sociales pourquoi pas, mais on ne peut pas dissocier comme le fait Madame CATALA les charges su les salaires de l'impôt sur le revenu. En Grande-Bretagne, 70 % de la protection sociale est déjà payée par l’impôt sur le revenu.

Arlette CHARBOT : Alors des lycéens.

JOURNALISTE : Alors questions dans le même sujet, une question de Bruno.

BRUNO : Bonsoir, j'aurai aimé savoir si l'euro n'allait pas réduire la liberté d'action du Gouvernement dans le domaine économique, financier et social.

Alain DUHAMEL : Alors Monsieur GISCARD D'ESTAING ?

Valéry GISCARD D'ESTAING : Oui alors tout d'abord je suis content qu'on revienne un peu à l’euro parce qu’il y avait une espèce de débat idéologique, général, c'est là je crois un débat sur l'euro et ses conséquences, je vais répondre à votre question. Ça fait disparaître une liberté, c'est un fait, cette liberté, qu'est-ce que c'était ? Il faut bien voir, y compris pour votre génération, c'était la liberté de dévaluer notre monnaie, c'est la seule, dans l'histoire monétaire française, à la différence d'autres pays, comme l'Allemagne par exemple, vous n'avez jamais eu de réévaluation de la monnaie, jamais, nous n'avons eu que des dévaluations, alors qu'est-ce qu'on faisait ? On faisait les erreurs de politique économique, à tort ou à raison, et puis quand on en voyait les conséquences, on dévaluait la monnaie pour faire payer la facture à la collectivité nationale, ça ça disparaît, il faut le savoir. Mais est-ce que c'est un mal ? Ce n'est pas sûr, nous gardons tous les autres instruments de la politique économique, nous gardons l'instrument budgétaire, dans certaines limites, bien sûr, nous gardons l'instrument fiscal dans certaines limites, nous gardons la vie des collectivités locales et de leurs initiatives telles qu'elles sont, alors nous faisons disparaître une des variables, une des libertés de notre politique économique mais je vous rappelle que nous ne l'avons jamais utilisé que d’une seule manière, qui était de dévaluer notre monnaie, nous ne pourrons plus le faire.

Arlette CHABOT : Alors autre question.

JOURNALISTE : Une question d'Alicia.

ALICIA : Moi je me posais une question sur les critères, est-ce qu'une fois que l'euro sera adopté, est-ce qu'il ne va pas y avoir une baisse de vigilance sur les critères de convergences, est-ce qu'on pourra faire ce qu'on veut ?

Alain DUHAMEL : Alors Jacques DELORS qui surveille ?

Jacques DELORS : Certainement pas vous pouvez compter sur Monsieur WAIGEL pour ça…

Daniel COHN-BENDIT : Il n'y ait plus pour longtemps.

Jacques DELORS : Non mais le suivant sera de la même eau, mais ce que je déplore, c'est qu'à côté de cette surveillance des déficits budgétaires, nous n'ayons pas encore un pacte aussi solennel pour coordonner les politiques économiques et c'est ça la bataille que l'on doit mener dans les mois qui viennent.

Arlette CHABOT : Alors Monsieur COLLOMB, vous vouliez dire quelque chose.

Bertrand COLLOMB : Je voulais dire que les entreprises sont en concurrence depuis le marché unique, je crois que l'euro c'est aussi une manifestation du fait que les États sont en concurrence, alors ils ne sont pas en concurrence pour réduire le niveau de protection sociale, ils sont en concurrence pour être plus efficace, quand on consomme 56 % du PIB du pays sur les dépenses publiques et sur les dépenses sociales c'est trop, si les autres arrivent à avoir des niveaux tout à fait correct de protection sociale pour 45 % au lieu de 56 %. Alors ça c'est l'efficacité et l'efficacité comme disait quelqu'un récemment, elle n'est ni de droite, ni de gauche.

Daniel COHN-BENDIT : Monsieur COLLOMB, je voudrais vous poser une question : les impôts sont beaucoup moins élevés que par exemple si vous faites une usine en Inde d'accord, est-ce que vous enverriez votre enfant, s'il est malade, se faire soigner en Inde ?

Bertrand COLLOMB : Non mais attendez, on n'est pas en train de comparer l'Inde ou probablement…

Daniel COHN-BENDIT : Non à chaque fois qu'on nous dit... c'est l'État prend trop…

Bertrand COLLOMB : L'État prend 56 % de ce que produit le pays.

Daniel COHN-BENDIT : Moi je suis d'accord avec Jacques DELORS, oui mais moi je suis pour taxer l'énergie et détaxer le travail, vous baissez les taxes sur le travail, vous faites augmenter l'énergie…

Jacques DELORS : Mais les entreprises n’ont pas voulu de la taxe sur l’énergie.

Daniel COHN-BENDIT : Exactement, il y a une chose, attendez vous me répondez, il y a une chose quand même qu’il faut que vous nous expliquiez à un moment, la protection sanitaire, l'éducation des jeunes, la protection, la sécurité du pays, qui paye ça ? L'État, l'État c'est qui ? Alors…

Bertrand COLLOMB : C’est nous qui payons.

Daniel COHN-BENDIT : C’est nous tous.

Bertrand COLLOMB : Mais c'est pour cela que je vous dis que je propose... quand je dis de passer de 56 % du produit brut pour les dépenses publiques et sociales à 45 %, ce n'est pas aller au niveau de l'Inde je vous rassure.

Daniel COHN-BENDIT : Qui qui... la différence de 9 % sur le budget national pour faire quoi, quoi, quoi en moins ?

Bertrand COLLOMB : Parce que vous pensez qu'on fait toujours la même chose avec le même argent.

Arlette CHABOT : Alors on a les deux aspects, on a bien compris que le débat français était toujours vivant et animé, alors il y a un pays qui se réunit et qui se rassemble autour de l’idée d'Europe c'est l'Italie, alors dieu sait si les Italiens ont fait beaucoup d'efforts ces dernières années, en deux ans depuis l’arrivée du gouvernement en centre gauche, la coalition après Monsieur Romano PRODI, déficit budgétaire de le ramener l’été autour de 7 % en-dessous de ces fameux 3 %, cela en deux ans, les Italiens ont fait des efforts, ils ont payé des impôts, alors d'abord avant d'entendre justement le président du conseil italien je vous propose avec Gerard GRISBEK (phon) et Philippe LUDZI (phon) eh bien d'aller faire un petit tour en Italie et de constater ces efforts des Italiens.

Gérard GRISBEK : Les peintres de la renaissance mélangeaient leurs couleurs au contact de l'Arno (phon) cette rivière qui fait la fierté de la Toscane, alors dans ce petit village on sait depuis des siècles ce que ce travail manuel, minutieux mais aussi harassant veut dire. L'usine SOLDINI, tout près d'Arezzo, compte aujourd'hui 350 employés. Là comme partout en Italie on a accepté de faire des sacrifices pour que le pays respecte les critères de Maastricht. Chacun paye une taxe, équivalent en moyenne à 2 % de ses revenus, appelée Eurotaxe, en deux ans, la pression fiscale a augmenté de 10 %. Pourtant, l’entrée dans la zone euro est vécue comme une seconde chance.

UNE EMPLOYÉE, traduction : C'est une chose positive.

LE JOURNALISTE : Donc vous êtes d'accord ?

L’EMPLOYÉE : Oui, oui.

LE JOURNALISTE : Ça va servir à quelque chose ?

UN EMPLOYÉ : Espérons-le, on espère toujours.

Gérard GRISBEK : Ici 35 % de la production est exportée vers l'Europe, la monnaie unique simplifiera les choses puisque l'on ne subira plus les fluctuations de la lire au moment des transactions.

Rossano SOLDINI, responsable de l'exportation, traduction : J’espère que ça pourra nous aider à grandir, mais ça ne dépendra pas de l'union européenne, ça dépendra toujours de nous. J'attends de l'entrée dans l'euro des avantages, comme une réduction de toutes les taxes payées à l'État, mais aussi une réduction de la bureaucratie typiquement italienne qui n'a jamais bien fonctionné jusqu’à maintenant et j'attends aussi que l'on s'adapte à cette Europe en se conformant à un développement rapide.

Gérard GRISBEK : Loin de dénoncer les eurocrates, les Italiens ont hissé le drapeau de l'Europe sur tous les bâtiments publics de Rome, donnant l'impression que tout le monde s'identifie au projet européen, il y a donc une exception italienne qui s'explique par l'histoire.

Franco CARDINI, historien : Le grand problème de l'histoire de l'Italie, sont les Italiens, l'Italie n'a jamais eu un véritable État étant donné qu'il y a un État depuis, je ne sais pas, un siècle, un siècle et demi.

Gérard GRISBEK : L'Italie ne pourrait donc s'unifier vraiment que dans le cadre de l’Europe d’où les efforts spectaculaires consentis cette année, le déficit budgétaire a diminué de plus de la moitié.

Walter VELTRONI, vice-président du conseil : En Italie on a fait beaucoup de sacrifices, mais c'est la première fois que les Italiens font des sacrifices pour un objectif et cet objectif se réalise.

Arlette CHABOT : Voilà ce succès c'est donc celui d'abord d'un homme, du chef du gouvernement, Monsieur Romano PRODI, le président du conseil italien nous a reçu avec Alain CHALVRON, le correspondant de France 2 à Rome il y a quelques jours et nous l'en remercions et nous saluons les téléspectateurs italiens qui nous regardent en direct ce soir, qui suivent cette émission, c'est un peu ça aussi l'Europe, donc en remerciant beaucoup Monsieur le président du conseil d'avoir accepté de répondre à nos questions, en français écoutez, c'est un vrai discours européen.

Arlette CHABOT : Pourquoi vous vouliez vous, surtout personnellement, absolument que l'Italie fasse partie du premier groupe des pays qui font l'euro, qui auront cette monnaie unique.

Romano PRODI : Parce que l'Europe s'était toujours liée avec les problèmes, il ne faut pas jamais oublier que l’Italie c'est un pays pauvre, qu'après la guerre l’Italie c’était un pays d'immigration dans ma petite ville, tout le monde sont immigrés à Saint-Étienne parce que l'économie était très pauvre et les changements s’étaient toujours accompagnés avec l'Europe alors l'Europe c'est le futur, c'est le progrès, il faut être dedans le futur et dedans le projet.

Arlette CHABOT : Mais quand vous mêmes vous avez dit que l'Italie ferait partie du premier groupe des pays de l'euro, quand vous avez fait ce pari, est-ce que vous y croyiez vraiment à la réussite de ce pari ?

Romano PRODI : Oui parce que je suis très optimiste et j'ai toujours pensé que si vous mettez les italiens clairement devant les problèmes, vous avez la solution relationnelle et la capacité d'être unifié, alors j'ai dit nous sommes dans un moment de changement de l'histoire, et il n'est pas possible d'avoir une « désattitude », alors j'ai dit si nous ne sommes pas dedans la monnaie unique, je vais résigner parce que je pense que l'Italie ne sera plus la même et le résultat c'était bon.

Arlette CHABOT : Oui vous aviez effectivement proposé, vous avez dit je démissionnerai si nous n'y arrivons pas. On sait que les Français sont très attachés au franc, les Allemands aussi au mark, est-ce que les Italiens ne sont pas un peu triste de perdre, eux, la lire ?

Romano PRODI : Non, la situation est différente, parce que n'oubliez pas que nous avons eu beaucoup d'inflation, nous avons eu la livre faible pendant beaucoup d'années et quand je vous dis : l'Europe ça a toujours été la référence forte de l'Italie. Alors dans le point de vue monétaire aussi nous avons toujours pensé que de passer de la lire à l'euro ce n'est pas la perte de quelque chose, mais c'est un avantage, c'est un progrès.

Arlette CHABOT : Que dites-vous aux Français, aux euro-sceptiques français, qu'est-ce que vous leur dites pour les convaincre.

Romano PRODI : Aux français, la première chose que  je dis c’est merci, parce que la France a toujours été aux côtés de l’Italie dans les moments les plus difficiles et ça c’était très important, la France de droite, de gauche, la France ça c’est… pour moi, c’était très très important. Mais aux euro-sceptiques je dis qu’il faut être puissants ensemble, il faut faire la masse critique dans la monnaie, dans la culture, dans la défense, ça c’est l’Europe, alors il faut faire le sacrifice, il faut changer, il faut prendre des risques, la monnaie c’est un risque bien sûr, mais c’est un risque bien calculé et c’est la garantie pour notre futur. En France le débat sur la télévision c’est grand, c’est fort et je l’ai suivi avec beaucoup d’attention mais ce n’est pas possible d’avoir la force culturelle avec la France, il faut mettre ensemble France, Italie, Belgique, Allemagne, alors je pense qu’il est réaliste de faire la concurrence avec les États-Unis et ça c’est ma raison parce que je pense que pour préserver notre identité, il faut être ensemble.

Alain DUHAMEL : Alors Monsieur GISCARD D'ESTAING, par quel miracle est-ce que quand il s’agit de l'Italie ou d'ailleurs de l'Espagne c'est pareil, on parle de l'Europe comme d'une chance, d'une question de confiance, d'une dynamique d'une libération et qu’en France on a tendance plutôt à en parler comme d'une contrainte ou d'un risque.

Valéry GISCARD D'ESTAING : Je crois qu'on a d'abord chercher à décourager les Français, vous avez un certain nombre de gens qui depuis des années ont miné le moral des Français sur ce sujet, il faut le dire jusque d'ailleurs la semaine dernière, le langage de Monsieur PRODI parle au nom d'une très large coalition, il parle au nom des syndicats italiens, il parle au nom des communistes réformés italiens qui le soutiennent à fond, il faut voir n'est-ce pas et nous en France on n'a pas réussi à créer cette communauté qui a existé à un certain moment, cette communauté d'opinion parce que à droite comme à gauche, il y a un certain nombre de gens qui expliquent que c'est très dangereux. Je voudrais répondre à votre question, finalement les deux idées simples parce qu'on est un peu compliqué, c'est : est-ce qu'on perd une liberté importante et deuxièmement est-ce que ça va être trop compliqué pour les gens. Est-ce qu'on perd une liberté importante ? Les Italiens disent non pas du tout pourquoi ? Cette liberté dont vous parliez n'est-ce pas qu'est-ce que c'est ? C'est la liberté de faire plus de bêtises que les autres, ça n'est que ça, ce n'est pas la liberté d'être meilleur que les autres, on ne la perd pas celle-là, c'est la liberté de faire plus de bêtises que les autres et de la rattraper de temps en temps par des dévaluations, vous savez ce n'est pas quelque chose dont on a une raison d'être triste de se priver. Donc, ça veut dire au contraire qu'on va avoir une unité de mesure solide, pour toujours sur laquelle bâtir notre système. Et l'autre chose, en effet n'est-ce pas, c'est qu’il ne faut pas que les gens se disent : c'est trop loin de nous, c'est une affaire de banquiers, de financiers, etc. et donc c'est la raison pour laquelle même ce soir, moi j'aurai souhaité une discussion beaucoup plus concrète, j'ai aimé votre question, est-ce que je vais pouvoir avoir un carnet de chèques en euros, qu'est-ce que ça va changer dans mes études, ce sont ces questions-là que les gens se posent et c'est à ces questions-là maintenant qu'il faut apporter des réponses, des réponses de vie quotidienne si on veut que l'opinion publique bascule et qu'on se dise après tout, c'est au fond une bonne chose pour nous.

Alain DUHAMEL : Jacques DELORS ?

Jacques DELORS : Le 2 mai lorsque nos chefs de gouvernement décideront de la liste des pays qui seront membres du premier train de l'union économique et monétaire ce sera un jour de fête nationale pour les Italiens, qui auront repris confiance en eux-mêmes parce qu'ils doutaient de leur système politique, ils doutaient de leur capacité économique, en dépit d'une Italie du Nord très florissante, j'aurais souhaité que pour la France aussi ce soit un jour de fête. Malheureusement les divisions entre Français minent aussi notre position à Bruxelles ou à Strasbourg ou ailleurs et il faut bien se rendre compte que c'est une tristesse pour moi que le pays ne soit pas d'accord à 85 % sur cet objectif, car, quand on reprend l'histoire depuis le début, même s'il y a d'autres pères de l'Europe, c'est toujours la France qui a initié les mouvements en avant, certains de nos voisins s'en moquent en disant que nous sommes des amoureux de la grande France, mais c'est vrai et je souhaite que demain nous ayons encore des femmes et des hommes politiques qui fassent que la France puisse être fière des initiatives qu'elle aura prise en Europe, et ceci, sera à mon avis un grand renfort pour la France et peut-être une certaine façon de lutter contre une morosité ambiante qui n'est pas de mise pour un grand peuple.

Arlette CHABOT : Alors Macha MERIL il y a peut-être un moyen de rapprocher l'Europe des citoyens, c'est de faire cette fameuse Europe de la culture, dont parlait justement Monsieur PRODI en disant on peut défendre notre identité, notre culture si on est ensemble et pas la France seule.

Macha MERIL : D'abord je voudrais remercier Monsieur PRODI, il aime la France, eh bien moi je l'ai trouvé bouleversant, touchant, et j'ai trouvé qu'il a tenu le langage que j'aimerais entendre ici en France. Effectivement, la culture ça coûte de l'argent, il y a des grands projets qui ne peuvent pas se faire dans chacun des pays et on peut imaginer, j'espère beaucoup que c'est à ça que servira l'euro, parce que pour l’instant, je vous écoutais tous, et je me disais, à moi, dans ma vie, qu'est-ce que ça va changer l'euro, en vérité j'ai l’impression que c'est un peu le propre des hommes d'affaires, des grands groupes ça ne m'a pas beaucoup touché tout ce qui a été dit, et là tout d'un coup Monsieur PRODI me touchait, c'est peut-être aussi parce qu'il a aussi parlé de la culture, mais la culture le seul espoir à mon avis, de vraiment nous réunir les êtres humains de l'Europe, elle a toujours existé elle a toujours été commune, mais il existe les grands projets qui coûtent cher, une grande salle de concerts en France, un grand opéra, un grand théâtre, un cinéma commun, et tout ça ça devrait être facilité par l'Europe, je le sens vaguement mais on ne me l'explique pas clairement.

Arlette CHABOT : Alors sur l'Europe de la culture qu'on a un peu oubliée.

Jacques DELORS : Je pense quand même quoi qu'en ait dit tout à l'heure Monsieur PRODI, nous avons eu raison de nous battre pour l'exception culturelle, non seulement à l'intérieur de l'Europe, mais aussi lors des négociations commerciales, pourquoi ? Parce qu'il est une tradition dans nos pays, que les pouvoirs financent une partie de la culture et pour résister aux studios hollywoodiens, il faut quand même une force, alors il se trouve que la France a redressé le tir, qu'aujourd'hui la fréquentation des films français est importante elle est de près de 50 % pas tout à fait, mais je crois que maintenant, comme l'a dit Macha MERIL, il faut que nos studios de télévisions, nos systèmes d'aide aux jeunes créateurs, soient des systèmes étendus à tous les européens et quand je vois que Ettore SCOLA a du mal à faire des films en Italie, je souhaite effectivement…

Macha MERIL : Ils ont été proches nous avec la bataille contre l'AMI et ils ont été vraiment formidables et ils étaient très fiers d'ailleurs…

Jacques DELORS : Oui mais il y a de jeunes réalisateurs italiens qui n'ont pas les chances qui sont offertes aux jeunes réalisations français.

Daniel COHN-BENDIT : L’idée de lancer l’avance sur recettes européenne, c’est quelque chose qui ferait justement vivre le cinéma européen, en gardant l’avance sur recettes en Allemagne, en France, leur système et qu’il y a ça aussi qui émerge et qui permettrait justement cette identité européenne.

Alain DUHAMEL : Alors justement ça sera peut-être le dernier thème Monsieur GISCARD D’ESTAING, puisque vous aviez envie de dire des choses concrètes, si vous aviez une, deux, trois idées concrètes à proposer pour faire avancer l’Europe, je dirais à partir de dimanche matin puisque c'est samedi qu'on va choisir qui est dans l’euro, qu'est-ce que vous proposeriez de concret et de nouveau ?

Valéry GISCARD D'ESTAING : Pourquoi nouveau, il ne faut pas chercher à la nouveauté à tout prix, c'est une action continue, chacun apporte sa petite pierre, sa petite brique. D'abord on parle de la culture en termes abstraits, mais regardez cette pièce, vous êtes dans l'hôtel de la monnaie, il n'est pas quelconque cet hôtel de la monnaie, il a été construit en 1750-1760 par un architecte qui s'appelait ANTOINE, c'est un des plus beaux monuments de Paris, vous avez vu l'escalier, vous voyez la décoration... on peut avoir à la fois des préoccupations monétaires et des préoccupations culturelles, voila l'idée que les Français se faisaient au milieu du 18e siècle de l'endroit où on fabrique la monnaie, c’était quand même…

Macha MERIL : Il y a même un petit théâtre en bas, savez-vous ?

Valéry GISCARD D'ESTAING : Il y a même un petit théâtre… alors qu'est-ce qu'on peut faire de concret pour faire avancer l'Europe ? D'abord cesser de la démolir, cesser de la démolir, les grands projets ils sont portés par les peuples, mais si on harasse les peuples sans arrêt en disant il ne faut pas faire ça, ou il faut avoir peur, il faut garder les petites monnaies, chacun doit rester dans son coin etc. Vous développez dans le corps social européen des éléments totalement négatifs, ce qu'il y a de sympathique par exemple chez nos amis italiens, ils avaient peu de chance de réussir en fait, il faut être francs, ils avaient des déficits budgétaires énormes, Jacques DELORS rappelez-vous, ils avaient un taux d'inflation colossal, mais ils se sont mis d'accord et ils ont dit « on y va », et quand ils l’ont dit il y a deux ans et demi, trois ans, personne ne les a crus, il faut bien se rappeler quand même que les grands dirigeants européens ont dit on ne veut pas de l'Italie, on ne les acceptera pas etc., mais comme ils avaient entre eux cette espèce de force collective, ils ont réussi et ça a été vrai également pour les Espagnols, je me souviens encore il y a quelques années on disait jamais l'Espagne n'entrera dans la zone euro, les Espagnols vont y entrer dans de meilleurs conditions que nous et je voudrais justement dire aux Français puisqu'on y est, on est quand même les derniers de la classe, dans le document qui est là, c'est-à-dire le classement des pays au regard des critères euro, je reconnais qu’il y a des critères où nous sommes très bons, on est bon pour l'inflation, on est bon pour la dette mais si vous prenez le critère budgétaire, c'est-à-dire le déficit, nous sommes les derniers et ce n'est pas brillant, le pays qui a proposé de faire ça, il devrait être en tête ou au milieu, mais pas être en queue. Donc moi ce que je souhaite c'est que d'abord on mette fin à cette espèce de discussion byzantine ça a été voté par référendum, qu'on nous fiche la paix, on ne va pas recommencer cette histoire, ça a été voté par l’Assemblée nationale la semaine dernière à une très large majorité, par le Sénat, c'est donc fini cette affaire. Maintenant il faut la réussir et il faut que les Français jouent un rôle dans ce succès, c'est-à-dire que d'abord ils soient présents dans les institutions, c'est important, que nos entreprises soient parmi les premières à adopter l'euro, de façon très pratique, de façon très moderne qu'on trouve des moyens d'associer la population dans sa vie quotidienne, c'est qu'on se dit mais c'est pas mal cette affaire, nous y trouvons un certain avantage et il faut mettre en place le système démocratique que je recommande, c'est-à-dire qu’il y a une instance parlementaire où l'on viennent parler de la politique de l'euro, que ça ne reste pas une affaire confidentielle et je souhaite que notre gouvernement, dans les prochaines négociations européennes proposent la création d'un comité parlementaire.

Alain DUHAMEL : Jacques DELORS, même question.

Jacques DELORS : D'abord je suis d'accord avec Monsieur GISCARD D'ESTAING, il faut que la Banque centrale européenne, informe, rendre des comptes et notamment aux parlementaires et l'idée d'un comité parlementaire, composé de parlementaires européens et nationaux est la bonne idée, la plus simple. Deuxièmement je souhaite qu'au prochain conseil européen, la réunion des chefs d'État et de gouvernement, on signe un pacte de coordination des politiques économiques car sans procédure, il ne se passe rien et que donc ceci soit officialiser au même titre que le pacte de stabilité, et enfin troisièmement je souhaite que l'on donne un visage à l'Europe d'une manière ou d'une autre et que ce soit un des sujets essentiels des prochaines élections européennes, où j’espère les partis français accueilleront des camarades des autres pays.

Arlette CHABOT : Quand vous dites un visage à l'Europe, pour être tout à fait précis ?

Jacques DELORS : Un visage à l'Europe ça peut être un débat soit sur le président de la commission, soit sur un président pour deux ans et demi du conseil européen.

Alain DUHAMEL : Élu par qui ?

Jacques DELORS : Ce sont les partis qui le présenteraient aux élections, il y aurait les élections au suffrage européen et bien entendu, le parti qui aurait le plus de voix verrait son champion promu.

Alain DUHAMEL : Autrement dit vous voulez dire que à l’échelle de l'Europe, chaque réunion de parti, par exemple les partis socialistes européens ou les partis démocrates chrétiens…

Jacques DELORS : Je vais vous donner un exemple pour être concret. Quand j'étais président de la commission, le président des États-Unis m'appelait, parce que pour lui l'Europe c'était le président de la commission, des fois j'étais obligé de lui dire je m'excuse, mais je ne suis pas compétent, c'était le cas pour la politique étrangère et la défense. Que ce soit Monsieur BUSH ou Monsieur CLINTON, ils ne comprenaient pas, ils ne comprenaient pas cette. Europe qui était compartimentée et ils se rappelaient la cruelle réflexion de KISSINGER « l'Europe, rappelez-moi son numéro de téléphone ? ». Il faut donc personnaliser l'Europe et ceci permettra de la débureaucratiser, dès qu’il y aura une personnalité responsable, elle rendra l'agenda plus lisible, les problèmes plus compréhensibles aux citoyens et on créera peut-être un espace politique européen.

Alain DUHAMEL : Daniel COHN-BENDIT.

Daniel COHN-BENDIT : Moi je voudrais... une chose concrète, ce n'est pas parce que je suis en désaccord, mais je crois que vue la situation pas seulement en France, il faudrait que le 2 mai, en même temps qu’il y ait la décision, on fait l’euro ensemble, que l’Europe décide de dire, sur chaque programme d'aide aux jeunes qui sont au chômage, l'Europe rajoute 15 %, sur chaque programme décidé en France, en Allemagne, en Italie, pour donner un signal fort et je suis d'accord qu'on fasse les États généraux de la culture européenne et qu'on propose concrètement des mesures parce que la culture c'est la vie, de vivre ensemble. Si on fait ces deux, trois choses, en même temps que l'euro, moi je suis fondamentalement partisan de l'euro, je crois que l'euro va révolutionner et faire avancer le débat sur l'Europe politique, sur l'Europe, la défense, la nécessité d'une intervention civile, pas seulement militaire etc. mais il faut donner des signes que l'euro ce n'est pas seulement l'affaire des banques, c'est aussi l'affaire de régler le problème de la fracture sociale, c'est un des signes très fort, c'est important dans l'état actuel des choses.

Alain DUHAMEL : Là vous êtes d'accord Monsieur Robert HUE ?

Robert HUE : Oui, moi je voudrais dire, tout à l'heure j'entendais ce qui était dit et ça me choquait, on est… les Français seraient les derniers de la classe, on est morose, non, les Français veulent l'Europe, mais je répète, une partie des Français ne veulent pas de cette Europe qui se construit et qui entraîne des injustices, des inégalités supplémentaires, ils veulent un autre type d'Europe, et tout à l'heure un lycéen posait la question, est-ce qu'on va garder nos libertés ? C'est une des questions les plus pertinentes de la soirée me semble-t-il, est-ce que oui ou non le gouvernement français qui a été élu par les Français eh bien va pouvoir mettre en œuvre sa politique sociale, les 35 heures, toutes les dispositions qui sont avancées dans le cadre de cette Europe telle qu'elle est, mon sentiment, je le dis vraiment très sincèrement, mon sentiment c'est qu’il y a un risque, il y a un risque qu'on soit enfermé et qu'on ne puisse pas mener correctement nos politiques sociales, c'est pourquoi je pense qu'il faut réorienter l'Europe, ça peut se faire, il y a beaucoup de choses qui peuvent se faire, le gouvernement de Lionel JOSPIN a proposé au Luxembourg une avancée dans le sens d'une Europe sociale, j'y souscris mais je crois qu'il faut aller beaucoup plus loin, empêcher que la Banque centrale européenne ait la maîtrise avec les marchés financiers de notre politique, qu'on soit libre dans une Europe libre. Voilà mon idée.

Arlette CHABOT : Nicole CATALA ? Que faire pour que ça réussisse.

Nicole CATALA : Puisque nous sommes entourés de jeunes, je voudrais former le souhait que chaque jeune européen apprenne deux langues en plus de sa langue nationale, d'abord parce qu'ils en auront besoin pour réussir leur vie professionnelle, ensuite parce que je crois que cela sera indispensable pour réussir l’Europe de la culture, pour qu’il y ait au-delà de la civilisation européenne un fond culturel commun aux différents états-membres, il faut faire tomber la barrière des langues, donc je crois réellement qu'il faut souhaiter que tous apprennent deux langues en plus de la leur, sinon l'Europe buttera toujours sur l'obstacle du cloisonnement linguistique.

Alain DUHAMEL : Monsieur COLLOMB ? Pour que l'Europe marche mieux ?

Bertrand COLLOMB : Oui, il me semble qu'on soit tous d'accord pour que l'euro ça ne soit pas simplement un aboutissement mais un point de départ, et je me retrouve d'accord avec Daniel COHN-BENDIT au moins sur quelque chose, c'est que pour les Européens, le problème de l'emploi est effectivement actuellement le problème le plus difficile. Alors je suis sans doute pas d'accord avec les méthodes parce que je pense que ce n'est pas en ajoutant de l'argent à des programmes subventionnés mais c'est en créant une société avec plus d'innovations, plus de dynamisme qu'on arrivera à résoudre les problèmes d'emplois, mais c'est vrai que c'est à cela, au cours des quatre ou cinq années qui viennent que les Européens jugeront du succès de ce qu'on aura construit, d'une zone qui doit être une zone de stabilité, de croissance et de solidarité.

Arlette CHABOT : Macha MERIL, l'Europe de la culture qui doit se faire ?

Macha MERIL : Je voudrais dire un petit mot à Monsieur HUE, vous dites les Français, mais les Français ont voté, on la veut cette Europe, l'euro aussi c'est fait, c'est réglé, je ne vois pas pourquoi il faut tout le temps remettre sur le tapis des choses qui sont déjà décidées.

Arlette CHABOT : Alors sur l'Europe de la culture, vous attendez quoi, des états-généraux c'est ça ?

Macha MERIL : Je pense que la grande idée serait... et la France est très bonne pour faire ces choses-là, nous avons des intellectuels pour le faire…

Arlette CHABOT : On parle beaucoup parfois, mais on n'agit pas beaucoup c'est ce qu'on nous reproche.

Macha MERIL : Non non parce que ça on sait le faire et justement si ça pouvait déboucher sur des actions…

Alain DUHAMEL : Alors qu'est-ce qu'on pourrait proposer de concret ?

Macha MERIL : Si vous voulez une liste de grands projets…

Alain DUHAMEL : Un un, un très grand ?

Macha MERIL : Un grand centre du cinéma et un grand centre de la musique, je pense que la France est un peu en faiblesse en ce moment du côté de la musique et que nous avons besoin de construire un grand complexe musical, voilà.

Arlette CHABOT : Alors question de lycéen pour terminer ? Je rappelle que ce sont des lycéens qui viennent d'un lycée particulier où on apprend deux langues…

LA JOURNALISTE : Et on étudie même parfois certaines disciplines comme l'histoire dans une langue étrangère.

Arlette CHABOT : Donc, ça c'est pour répondre à Madame CATALA, ça se fait, c'est embryonnaire…

LA JOURNALISTE : C'est à Lille et ça s'appelle le lycée Montebello.

UN ÉTUDIANT : Oui bonsoir, je voulais vous demander est-ce que le passage à l’euro n’est pas qu’une étape avant la création d’un état fédéral d’Europe en fait, merci ?

Arlette CHABOT : Alors avant de répondre, une autre question tout de suite.

LA JOURNALISTE : C’est une question un peu plus inquiète et qui est une question d’Anne-Marie.

ANNE-MARIE : Je suis fille d'immigrés polonais, et je sais que la Pologne aujourd'hui ne remplit pas les critères et qu'elle mettra du temps pour les atteindre, est-ce que justement ce décalage il ne va pas accentuer une Europe à deux vitesses avec d'un côté une Europe riche et de l'autre une Europe pauvre ?

Alain DUHAMEL : Monsieur GISCARD D'ESTAING

Valéry GISCARD D'ESTAING : Je commence par vous, vous avez entièrement raison, ce qu'on fait, la construction de l'euro, c'est une construction fédérale, les gens ont peur du mot, ils se cachent etc., mais une banque centrale unique avec un euro conseil, on verra comment ça marche, avec j’espère un comité parlementaire de l'euro, ça veut dire que le plan monétaire en Europe il va être fédéral, et s'il est fédéral il ne faudra pas qu’il reste tout seul, parce qu'on ne peut pas avoir un système fédéral avec un truc qui est fédéral et les autres plus ou moins coopératifs etc., donc le pilier monétaire va être un pilier fédéral et de ce fait, on peut avoir l'idée que la construction européenne, à moyen terme, c'est-à-dire dix ans, vingt ans, va s'organiser suivant un modèle fédéral original, ce ne sera pas le modèle américain, ça sera un modèle dans lequel on bâtira des piliers fédéraux, vous aurez le pilier de la monnaie, je pense qu'on aura le pilier de la défense un jour, j’espère qu'on aura le pilier de la politique étrangère et on gardera le reste pour nous, c'est ça l'originalité de la construction européenne, c'est un système dans lequel on exercera en commun des fonctions fédérales et on gardera le reste pour nous et alors je voudrais dire à mademoiselle qui a la chance de descendre, parce que la Pologne c'est un pays très sympathique et on est très heureux d'ailleurs d'avoir une immigration polonaise qui était très active et utile en France, alors la Pologne est un pays qui se développe vite à l'heure actuelle et parmi les pays de l'Est, vous savez que c'est le plus grand d'abord au point de vue de sa population c’est celui qui a le taux de croissance le plus fort et c'est vraisemblablement celui qui va entrer le premier dans l’union européenne, je crois simplement qu'on a un peu trompé les gens en leur faisant croire que ça pouvait être très facile; que ça se faisait du jour au lendemain et ainsi de suite. Si vous prenez nos voisins par exemple, les Espagnols, on a commencé la négociation espagnole, Jacques DELORS doit s'en rappeler, j'étais Président de la République, en 1978-79, on a signé le traité en 85, ratifié en 86 donc vous voyez ça a pris 6 ans et ils avaient le droit à une période de transition de dix ans, qui d'ailleurs est assez longue et vient seulement de se terminer alors on a laissé croire aux pays de l’Est que ça pouvait être fait dans la nuit, qu'on allait négocier et puis que deux ans plus tard ça serait fini, je crois que ce n'est pas très réaliste, mais les Polonais peuvent penser qu’ils seront sans doute les premiers à entrer dans l'union européenne, qu’ils s'y préparent bien à l'heure actuelle et qu'il faut que de part et d'autre; on améliore notre coopération pour faire que ce soit une réussite pour eux et pour nous.

Alain DUHAMEL : Alors Monsieur DELORS, réponse aux mêmes deux questions.

Jacques DELORS : Pour la Pologne, entrer trop vite, ça sera le pot de fer de l'Europe contre le pot de terre polonais, nous allons souscrire avec eux un contrat de pré-adhésion qui va voir une aide renforcée à la Pologne et dans l'état actuel des choses, on peut dire que ce contrat de pré-adhésion rapproche la Pologne de l'Europe et permet si tout va bien, une entrée en 2002. Sur le deuxième point, je suis pour une fédération des États-Nation, pourquoi ? Parce que le système fédéral est le seul qui est lisible, qui dit qui fait quoi, qui permet d'avoir une bonne architecture des pouvoirs, ce qui n'est pas le cas actuellement et des États-Nations, parce que je considère que dans l’état actuel de nos démocraties nationales, il faut renforcer le sentiment d'appartenance à la Nation.

Arlette CHABOT : Alors un mot pour chacun, Daniel COHN-BENDIT, je voudrais vous poser une question simple, on parle beaucoup de vous, même si vous vous refusez de reparler de 68, vous dites : le seul combat aujourd'hui qui vaille c'est celui de l'Europe, je voudrais que vous me disiez, en une phrase, pourquoi vous vous battez pour l'Europe ?

Daniel COHN-BENDIT. : Écoutez, moi je suis né en 45, grâce à l’intervention des troupes en Normandie et ça a permis de pacifier une région qui est une région de guerre et moi je dis qu'une guerre entre l'Allemagne et la France soit aussi impossible qu'entre la Bavière et la Prusse, c'est un progrès de civilisation. Alors pour moi, tout ça c'est pour faire autre chose dans cette région d'Europe et je suis sûr, et là on ira beaucoup plus loin, on inventera quelque chose de nouveau qui sera cette fédération, cette union européenne il faut aller de l'avant, dans 50 ans en Europe il y aura la Russie et la Turquie, il faut rêver aussi maintenant pour dans 50 ans, l'Europe d'aujourd'hui c'est un rêve d'il y a 50 ans, on est en train de le réaliser, il faut aussi rêver pour dans 50 ans.

Arlette CHABOT : Alors Monsieur GISCARD D'ESTAING, un mot pour conclure parce qu'on arrive à la fin.

Valéry GISCARD D'ESTAING : Vous êtes bien bonne, un mot lequel ?

Arlette CHABOT : Sur le combat, sur l'Europe, celui que vous voulez.

Valéry GISCARD D'ESTAING : Je dirais il faut redonner à l’Europe, il faut redonner son caractère d'utopie et de rêve, on en a fait quelque chose qui est trop technique, qui est trop compliqué dans lequel les gens se perdent, en fait il faut redonner à ça une espèce de souffle. Prenez par exemple l'Amérique Latine, l'Amérique latine est en train de faire des efforts extraordinaires pour s'unifier, extraordinaire. Il faudrait qu'en Europe on ait le sentiment qu'on sera plus heureux dans une Europe unie, que ce sera une Europe plus intense au point de vue culturel, que ce soit une Europe plus libre dans les comportements individuels de toute espèce et que ce soit une Europe qui donne plus de chance à ses habitants, c'est-à-dire que la vie d'un jeune européen sera plus heureuse, plus riche et plus libre, que la vie de chacun de ses…

Jacques DELORS : Des pères fondateurs ont eu le génie de nous apporter la paix après 70 ans de guerre civile, comme l'a dit Daniel COHN-BENDIT, maintenant il faut à partir de cela, en restant fidèle aux valeurs d'universalité de l'Europe, faire de notre continent un instrument pour être puissant et généreux. Je répète on ne peut pas être généreux sans être puissant et on se fait marcher sur les pieds dans le monde, dans le monde d’aujourd’hui si on n'est pas puissant, donc il faut les deux. Et c'est ce rêve-là qu’il faut faire en pensant aux nouvelles générations.

Arlette CHABOT : Voilà en vous remerciant. Si vous aimez l'Europe et si vous commencez à vous y intéresser des livres pratiques, alors Le dictionnaire Daniel COHN-BENDIT, Olivier DUHAMEL, c'est au Seuil, toutes les questions que vous vous posez pratiques sur l'euro. L'euro pratique aussi de Philippe SASSIER de France 2 c'est chez FLAMMARION. L'euro pour tous Philippe YURGENSEN, ça c'est pour les entreprises, les banques pour tout le monde. Un peu d'histoire Le roman de l'Euro, le combat politique, Hachette c'est notre confrère Gabriel MILESI d'Europe 1 et puis l'association présidée par Jacques DELORS eh bien publie un livre France Allemagne, les relations franco-allemandes, en avant, voilà vous retrouverez tout ça naturellement sur Minitel France 2, sur Internet vous retrouverez le texte sur émission, nous saluons les téléspectateurs qui nous ont vus à l'étranger dans le monde entier grâce à TV5, merci à tous d'avoir participé à l’émission, bonsoir et nous nous retrouvons donc le mois prochain, la semaine prochaine d'Un monde à l'autre.