Interview de M. René Monory, président du Sénat, à RMC le 27 juin 1996, sur la baisse des impôts et notamment l'impôt sur le revenu.

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Texte intégral

RMC : L’équipe de France éliminée par la République tchèque aux tirs au but, êtes-vous déçu ou trouvez-vous qu’elle a fait un bon parcours ?

R. Monory : Elle a fait un bon parcours. Ce que je regrette un tout petit peu, comme tout le monde peut le regretter, c’est qu’elle a paru fatiguée et que peut-être que lorsque l’on sélectionne vingt-deux joueurs, il aurait peut-être fallu faire tourner davantage. On avait une équipe qui marchait bien, bien c’est difficile d’y toucher mais il y a des joueurs comme Martins, des joueurs comme cela qui auraient bien joué sur le terrain. On n’a peut-être pas tout à fait profité de toute la palette de joueurs qu’on avait.

RMC : Et pan pour A. Jacquet !

R. Monory : Non, non. C’est déjà pas mal d’être allé jusqu’en demi-finale. Il ne faut pas se plaindre.

RMC : Les plans sociaux se multiplient, quelle image pour le Gouvernement et la majorité que celle de ces décisions alors que la lutte contre le chômage avait été annoncée comme la priorité des priorités de la majorité et du Gouvernement !

R. Monory : Première chose, l’analyse de la situation n’a pas été bien faite des 1993. Il faut savoir que les déficits des entreprises publiques ou parapubliques, si on inclut là-dedans le Lyonnais, la sécurité sociale, la SNCF, représentaient 800 milliards c’est-à-dire 10 % du PNB. On ne l’a pas dit suffisamment et aujourd’hui on paye la note. Alors il faut bien les faire tous ces plans, parce qu’il faut arriver à ce que ces entreprises retrouvent un équilibre. Alors je sais que c’est douloureux, ce n’est pas facile mais finalement on n’a pas suffisamment bien annonce les choses au départ et maintenant on en paye les pots cassés.

RMC : Il n’y a pas moyen d’éviter ceci ?

R. Monory : Éviter ? Le problème est qu’il faut être concurrentiel et d’un autre côté, dans le cas de la SNCF, vous ne pouvez pas continuer à faire des déficits comme on le faisait. Je crois que les décisions sont bonnes. D’une part le président de la SNCF et d’autre part le ministre, ont bien travaillé mais cela dit, il faut bien les trouver, les 200 milliards qui manquent. Si vous prenez la sécurité sociale, il fallait les trouver les 250 milliards qui manquent ! Si vous prenez Air France, il fallait les trouver, les 20 milliards qui manquaient ! Alors, il ne faut pas accuser ceux qui sont au pouvoir mais cela a été géré d’une façon lamentable pendant quatorze ans. Et on paye quatorze ans de socialisme avec un mélange de libéralisme, ce qui fait que, dans l’ensemble, les déficits étaient énormes. On a continué à vivre en France pendant dix, quinze ans comme si on pouvait faire de la croissance à 5 ou 4 % alors que l’on n’en faisait que 2 %. On a pas eu les mêmes recettes alors que l’on a gardé les mêmes dépenses.

RMC : Sur la fiscalité, MM. Balladur et Léotard hier, G. De Robien ce matin, demandent avec insistance une très forte diminution des impôts dès l’an prochain. Alors peut-on diminuer les impôts fortement et est-ce que l’on peut le faire alors qu’on nous dit qu’il manque de l’argent pour boucler le budget ?

R. Monory : À mon avis, il ne faut pas faire n’importe quoi. Tout d’abord, il faut trouver de l’argent et il y a deux solutions : il y a les recettes et les dépenses. Sur les recettes, on peut accélérer la privatisation comme Thomson, comme ce qui nous reste chez Elf, chez Renault et renégocier la dette pour gagner de l’argent sur la dette et atténuer légèrement le tout de la dette. C’est une première chose. Il faut ensuite trouver 40 à 50 milliards d’économies sur le budget, ce qui est possible. Au-delà de ça, il faut trouver 20 ou 30 milliards pour donner une première orientation, un premier signe aux habitants. J’étais relativement peu favorable, au départ, à l’abaissement de la TVA mais si vous ne baissez pas la TVA d’une façon significative, cela ne servira à rien. Donc je serais favorable à ce que l’on baisse les impôts directs...

RMC : Les impôts sur le revenu ?

R. Monory : Les impôts sur le revenu de ceux qui sont particulièrement affectés. Vous savez aujourd’hui, un cadre, de quelle que nature que ce soit, paye 50 % d’impôts sur le revenu plus les charges sociales qu’il a sur son salaire brut. Alors cela devient intolérable et cela décourage les gens. C’est vraiment la première des priorités aujourd’hui, à savoir redonner espoir aux gens qui font de la richesse. C’est tout à fait prioritaire dans mon esprit.

RMC : Vous demandez au Gouvernement qu’il baisse les impôts sur le revenu, dès l’an prochain, de manière importante ?

R. Monory : Je crois que oui mais il ne faut pas affoler les marchés parce que nous avons aujourd’hui une situation tout à fait favorable sur les taux d’intérêt et il faut la garder. Mais on peut certainement baisser de 30 milliards les prélèvements sur les individus, c’est-à-dire sur le particulier. Je mettrais le paquet sur l’impôt sur le revenu de tous ceux qui ont été pénalisés avec les 10 % supplémentaires, etc. Alors, peut-être que cela choquera et que l’on dira « mais les riches et les pauvres ? » mais quand on compare le salaire net après impôt, on s’aperçoit que ceux qui sont relativement bien payés payent tellement d’impôts qu’ils arrivent à être beaucoup moins bien en salaire net que ceux qui gagnent moins en brut. Je crois qu’il faut absolument faire un geste car c’est psychologique.

Tout le monde dit que la croissance va revenir mais elle ne reviendra pas, cette croissance, pour des raisons toutes simples qui sont que beaucoup de pays dans le monde se développent et que la croissance mondiale est toujours la même, donc la part de croissance qui reste aux pays développés sera moins forte qu’auparavant. Il ne faut pas oublier, par exemple, que pour faire face aux dépenses excessives des dernières années... quand j’ai quitté le ministère des finances en 1981, les emprunts de la France étaient de l’ordre de 100 milliards alors qu’aujourd’hui, ils sont de l’ordre de 4 000 milliards. On ne peut pas continuer comme cela.

RMC : Est-ce que le Gouvernement n’a pas fait une erreur en augmentant les impôts en arrivant ?

R. Monory : En arrivant, il fallait qu’il donne un signe. II a peut-être trouve un signe plus dégradé qu’il ne le pensait mais cela ne peut être qu’un signe passager. On ne peut pas rester dans cette situation. Cela a été un peu lourd, c’est vrai. Mais aujourd’hui, il faut revenir sur ce qui a été fait à ce moment-là sans mettre en cause les marchés. Il faut trouver des économies et il y en a à faire.

RMC : Devant un groupe de députés RPR, avant-hier, qui exprimait l’inquiétude des électeurs de la majorité, A. Juppé a répondu qu’il fallait maintenir le cap. Est-ce qu’à votre avis, il faut maintenir le cap ou le modifier un peu ?

R. Monory : Je ne crois pas que l’on peut modifier le cap brutalement Il y avait des déficits trop importants et il fallait peser absolument sur ces déficits trop importants. C’est un des gouvernements qui a le plus réformé et c’est pour cela que je le soutiens. Il a réformé l’armée, la sécurité sociale, la SNCF, France Télécom, beaucoup de choses dans ce pays. On n’avait jamais fait autant. Cela dit, maintenant, pour donner confiance aux gens, il faut faire un signe et ce signe est sans doute de baisser les impôts sur un certain nombre de personnes. Mais l’impôt sur le revenu en priorité.

RMC : Vous avez dit l’autre jour que la majorité pouvait gagner les élections de 1998, pensez-vous sérieusement qu’elle peut les gagner et à quelles conditions peut-elle les gagner ?

R. Monory : À condition d’être toujours claire dans le message.

RMC : Pour le moment, les électeurs sont déçus !

R. Monory : Oui, c’est vrai, c’est vrai. Ils sont déçus et c’est forcé. Mais malheureusement, à chaque fois que l’on reprend le pouvoir, on n’analyse pas suffisamment les choses. Ce n’est pas quand même la majorité actuelle qui a dégradé le pays comme il l’est c’est bien la majorité précédente ! Alors, si on veut retourner aux mêmes erreurs, il n’y a qu’à faire une nouvelle majorité. Tout n’est pas perdu, tout n’est pas gagné non plus. II faut être réaliste et il y a du travail à faire. Il faut se serrer les coudes et il faut absolument que le Gouvernement nous entende, quand on lui dit un certain nombre de choses – il le fait d’ailleurs assez bien. Je soutiens le Gouvernement à fond et c’est ce que je fais tous les jours mais je souhaite seulement que, pour l’année prochaine, on donne un signe de détente sur les prélèvements. Alors il y a plusieurs façons, il peut y avoir des méthodes qui s’affrontent. Certains parlent de la TVA, d’autres parlent des impôts ; moi, je parlerais plutôt des impôts aujourd’hui parce que, pour que ce soit significatif sur la TVA, il faudrait que l’on ait beaucoup d’argent.

RMC : Vous ne pensez pas que la majorité pourrait donner une image un peu plus cohérente de ce qu’elle est parce que l’on a l’impression qu’elle s’égaye un peu à droite et à gauche ? Ne pensez-vous pas que cela devrait être remusclé pour affronter les élections ?

R. Monory : Si vous prenez l’UDF, il y a un progrès. Il y avait avant des composantes qui étaient assez dispersés et aujourd’hui, elles sont réunies sous une même bannière et je crois qu’il y a un gros progrès. Il y a, sans doute, encore des progrès à faire. Le RPR a toujours été très uni et il l’est encore. À nous maintenant de consolider le RPR et l’UDF ensemble pour faire une majorité pour se battre demain. Si on le fait bien, on peut gagner encore."

RMC : Quand vous avez lu dans Le Monde d’hier que L. Jospin était prêt à cohabiter, cela vous a fait quelle impression ? Et est-ce que ce serait une très mauvaise nouvelle pour la France que L. Jospin devienne Premier ministre ?

R. Monory : Ce n’est pas une mauvaise nouvelle mais je souhaite pour la majorité que L. Jospin reste le plus longtemps possible le patron du PS. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle par. Ce que j’aime bien L. Jospin mais je n’ai pas trouvé jusqu’à présent, depuis qu’il est secrétaire général du Parti socialiste, qu’il a fait des miracles ou qu’il a trouvé des idées nouvelles. Il a été aussi au pouvoir et il n’a pas fait de miracle. N’oublions jamais que ce sont les socialistes qui ont mis la France en faillite ! On l’oublie trop facilement et personne ne le dit jamais. On dirait que c’est honteux de le dire mais c’est la vérité.