Interview de M. François Hollande, secrétaire national et porte-parole du PS, dans "Libération" du 1er juillet 1996 et à France 2 le 4 juillet, sur la politique gouvernementale, la méthode d'Alain Juppé et l'annonce d'une baisse des impôts en 1997.

Prononcé le 1er juillet 1996

Intervenant(s) : 

Circonstance : Interview de M. Alain Juppé à l'émission Face à la Une de TF1 le 3 juillet 1996

Média : Emission Forum RMC Libération - France 2 - Libération - Télévision

Texte intégral

Libération - 1er juillet 1996

Libération : L’affaire Tibéri classée. Surpris ?

François Hollande : Ce classement était redouté, dès lors que le juge Halphen avait perdu la maîtrise de l’instruction. Mais ça surprend tout de même. Juridiquement, parce qu’il existe des faits, des témoignages et des factures qui donnent crédit à la thèse de la prise illégale d’intérêts – il y en avait d’ailleurs plus que pour le fils d’Alain Juppé, dont le dossier a lui aussi été enterré. Politiquement, parce que ce classement vient vite, comme si la manœuvre était devenue routinière. Jacques Toubon a préféré être mise en cause devant l’opinion publique plutôt que risquer de laisser la justice suivre son cours. Il ne se passe pas de jours sans que la recherche de la vérité ne soit entravée. Le juge Halphen vient de subir son quatrième dessaisissement. La majorité commet une faute politique. Mais visiblement, cette faute est assumée. Mieux vaut aujourd’hui un classement impopulaire qu’une vérité établie par la justice sur le système du financement du RPR.

Libération : On peut vous rétorquer que la gauche au pouvoir a eu son lot d’affaires…

François Hollande : Il n’est jamais facile de faire la leçon quand on a été aux responsabilités soi-même. Mais acceptons la comparaison. Sur les affaires, permettez-moi de faire observer que les procès nous concernant ont eu lieu et touché des personnalités qui n’ont rien à se reprocher au plan personnel et n’ont pas commis de faute individuelle. Elles ont été condamnées à des peines très lourdes que nous contestons. Enfin, qui pourra nier que les affaires n’ont pas joué un rôle dans la sanction qui nous a frappé de façon excessive en mars 1993 ?

Libération : Forts de cet échec, les socialistes ont-ils de bonnes idées pour que la justice puisse faire son travail ?

François Hollande : Nous faisons deux propositions qui permettront de sortir de la confusion actuelle. D’abord, la rupture du lien entre la Chancellerie et les parquets afin qu’il n’y ait plus d’interférence politique sur le déclenchement des poursuites pénales. Et pour éviter que se reproduise la « grève » de la police contre la juge Halphen, nous demandons le rattachement administratif de la police judiciaire au ministère de la justice.

Libération : Ces mesures figureront dans votre programme pour les législative de 1998 ?

François Hollande : Oui. Dans l’opposition, Jacques Toubon prétendait vouloir séparer les pouvoirs et donner au parquet le même statut qu’à tous les juges. Il fait exactement l’inverse. Nous ne voulons pas rééditer l’expérience fâcheuse mais coutumière d’abandonner les promesses en chemin. Ce que nous disons aujourd’hui, nous le ferons. Car si les juges ne peuvent sanctionner les gouvernements ou partis défaillants, les électeurs sont de très beaux « substituts ».

 

France 2 - jeudi 4 juillet 1996

France 2 : Il n’est pas vrai que tout va mal, c’est le message principal qu’a fait passer hier A. Juppé, avec l’idée qu’il fallait lui donner du temps pour que les grandes réformes qu’il a entreprises portent leurs fruits. Après tout, est-ce qu’il ne faut pas lui faire crédit, est-ce qu’il n’a pas un peu raison ?

F. Hollande : Oui et puis on n’est pas là pour donner un pessimisme qui ne serait pas justifié. Nous, on est une opposition qui essaie de dire, qu’est-ce qui va bien qu’est-ce qui va mal. Mais aujourd’hui, permettez-nous de dire qu’il y a quand même le chômage qui a atteint son niveau historique, il y a le niveau des impôts qui n’a jamais été aussi élevé et les déficits restent très importants. Donc, avec un tel bilan, on ne peut pas sombrer dans le pessimisme noir mais on ne peut pas non plus être droit dans ses bottes et considérer que la politique que l’on conduit est la bonne.

France 2 : D’une façon générale, comment l’avez-vous trouvé ? Il était assez sûr de lui, non ?

F. Hollande : Je l’ai trouvé comme sa politique, inchangé. C’est-à-dire, quoi qu’il arrive, quoi qu’il fasse, quoi qu’il se passe, A. Juppé pense qu’il a toujours raison. Et à un moment, le doute devrait l’atteindre parce que peut-être que ça l’amènerait à corriger ce qui ne va pas dans sa politique et beaucoup ne va pas.

Le Premier ministre a dit qu’il ne gouvernait pas à la petite semaine mais qu’il était en train d’engager des réformes profondes qui n’avaient pas été faites, notamment par vous depuis dix ou quinze ans, sur les déficits, sur la sécurité sociale, sur France Telecom.

La méthode d’A. Juppé est toujours de penser que si ça va mal, ce n’est pas de son fait, c’est à cause de ses prédécesseurs. Mais je liens à faire observer que ça fait maintenant trois ans que la majorité est en place. Cela fait trois ans que la droite gouverne ce pays et que donc l’héritage ou en tout cas le bilan, ça sera d’abord le leur. Deuxièmement, laisser penser que la gauche n’a pas fait de réforme dans ce pays, c’est vraiment une contre-vérité parce que finalement, sur les déficits, il y avait moins de déficits sous la gauche qu’il n’y en a sous la droite. Sur les impôts, il y en avait moins sous la gauche que sous la droite et nous avons fait des restructurations industrielles très importantes, nous avons supprimé l’inflation et je crois que M. Juppé devrait avoir un peu la mémoire longue là-dessus.

France 2 : Il y a quand même une bonne nouvelle, c’est que les impôts vont baisser des 1997, vous ne pouvez pas être contre quand même ?

F. Hollande : Les impôts ont beaucoup augmenté ; on nous dit qu’ils vont baisser et sur cinq ans. Je ne suis pas sûr que M. Juppé ait cette longévité-là mais qu’importe. Est-ce que c’est le bon impôt qui va baisser ? Est-ce que c’est la TVA, l’impôt sur la consommation, celui qui explique largement la faiblesse aujourd’hui de la croissance économique parce que la TVA a été augmentée de deux points il y a à peine un an ? Est-ce que c’est sur les impôts de consommation que M. Juppé va faire porter l’effort ? Non, il nous dit que ça sera sur l’impôt sur le revenu. Mais pour qui ? Pour les plus faibles revenus qui ne paient pas l’impôt sur le revenu ? Sans doute pas. Pour les revenus moyens ? On peut l’espérer, ce n’est pas sûr. Le plus probable est que ce soit sur les revenus les plus élevés de ce pays. Est-ce que c’est en diminuant les impôts des plus favorisés qu’on va relancer la consommation ? Nous, nous ne le croyons pas. Et enfin, est-ce que les économies budgétaires vont frapper tout le monde ? M. Juppé n’a par exemple pas parlé de l’allocation de rentrée scolaire qui était de 1 500 francs. Il a dit qu’il y aurait quelque chose, mais quelque chose n’est pas ce qu’il y avait avant. C’est-à-dire que ça sera moins pour les familles et donc plus pour les autres et les plus favorisés.

France 2 : Le Premier ministre a bien évidemment évoqué la Corse. II a dit que la politique, c’était fermeté et intransigeance. Il y a eu plus d’arrestations, a-t-il dit, que les années précédentes.

F. Hollande : Je ne sais si on peut parler d’intransigeance quand on voit le nombre d’actes impunis en Corse, le nombre de rassemblements de cagoules ou le nombre d’assassinats, de règlements de compte qui se produisent en Corse ces derniers mois. Je pense que l’intransigeance n’était pas le bon mot. Ensuite, il a parlé même d’audace pour la Corse, je ne suis pas sûr que dire aux Corses « vous allez encore payer moins d’impôts ou plus d’impôts du tout soit la meilleure image que l’on peut offrir de la Corse. »

France 2 : Et les affaires, J. Toubon, a dit le Premier ministre, n’a jamais donne d’instructions, s’est élevé contre la violation du secret de l’instruction. Il veut que le Parlement en débatte, c’est un vrai problème non ?

F. Hollande : Pour qu’il y ait secret de l’instruction, ce qui est nécessaire, il faut encore qu’il y ait des instructions. Or M. Juppé avec M. Toubon se sont employés pour que certaines affaires – chacun les a à l’esprit – soient classées. Donc nous, on dit oui au secret de l’instruction, ça fait partie de la présomption d’innocence. Mais avant, il faut qu’il y ait ouverture d’une instruction, d’une procédure judiciaire. Si on veut que la justice fasse correctement son travail et on le souhaite tous quelles que soient nos sensibilités, il faut que la justice ne soit pas entravée. Et ensuite, il est normal que le justiciable, des lors que la justice peut faire son travail, soit protégé comme convient.

France 2 : Mais en principe, J. Toubon n’est pas intervenu, a dit le Premier ministre ?

F. Hollande : Vous y croyez ? Est-ce que quelqu’un croit aujourd’hui que J. Toubon n’est pas intervenu, est-ce que quelqu’un croit par exemple que le ministre de l’intérieur n’a pas donné des ordres très précis à la police pour qu’elle ne soit pas mise à la disposition de la justice ces jours derniers ?

France 2 : Évidemment, le Premier ministre a évoqué 1998 et il est convaincu de la victoire de la majorité d’autant, a-t-il dit, que le PS est revenu à Jurassic Park, les vieilles lunes de 1981, les nationalisations, l’autorisation de licenciement ?

F. Hollande : Je ne suis pas sûr que l’on ressemble tellement à des dinosaures. D’abord, Jurassic Park est un film plutôt à succès, donc peut-être que les gens voudront regarder aussi le park. Mais je pense surtout que M. Juppé devrait considérer que l’alternance, ça fait partie aujourd’hui de la vie politique. Et que ce qui nous importe à nous, dans l’opposition socialiste, c’est d’essayer de faire des propositions qui quelquefois sont nouvelles et qui quelquefois peuvent être la reprise d’actes justes qui ont été supprimés anormalement. L’autorisation administrative de licenciement, si on doit la regarder de très loin, c’est M. Chirac qui l’a faite. Alors je ne sais pas s’il mettait Chirac dans Jurassic Park mais en tout cas, ce que nous voudrions rétablir, c’est une mesure que M. Chirac – quand il était Premier ministre en 1974 – avait créée et qui avait permis au moins de faire qu’il y ait négociation lorsqu’il y avait des plans de licenciement et pas que l’on interdise les licenciements. Si vous me permettez une métaphore cinématographique, M. Juppé a utilisé le mot Jurassic Park pour nous, pourquoi pas, mais peut-être que lui est dans le film « A bout de souffle ».

France 2 : La fusion Air France-Air Inter à l’ordre du jour aujourd’hui, c’est effectivement, vraisemblablement, la bonne solution, comme le dit le Premier ministre ?

F. Hollande : Je ne sais pas. La bonne solution est de permettre à cette compagnie, qui est aujourd’hui soumise à la concurrence, d’être bien sir modernisée, d’être plus compétitive, mais c’est de le faire dans la négociation avec les personnels ; on ne le fera pas contre les personnels.