Interview de M. Alain Juppé, Premier ministre, dans "Sud-Ouest" du 14 octobre 1996, sur le bilan de la gestion municipale de Bordeaux et l'augmentation de la fiscalité locale dans cette ville pour 1996.

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Média : Presse régionale - Sud Ouest

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Sud-Ouest : Même si, par rapport aux années précédentes, vous avez considérablement réduit la hausse de la pression fiscale, les impôts locaux continuent à augmenter. Comment expliquer aux Bordelais que les impôts ne vont pas baisser ?

Alain Juppé : L'année dernière, j'aurais très bien pu choisir l'option zéro. Ce qui, compte tenu de l'inflation, se serait traduit par une baisse du montant inscrit sur la feuille d'impôt. Mais à ce moment-là, il aurait bien fallu expliquer aux Bordelais qu'il était impossible de faire les piscines Tissot et Judaïque, de lancer le programme de modernisation de nos écoles ou d'améliorer les moyens de propreté. J’ai donc préféré conserver une marge de manœuvre qui permet de programmer 250 millions de francs d’investissements chaque année afin de remettre la ville en route et de donner du travail à nos entreprises. Bordeaux n’est pas Angoulême et toute dramatisation de la situation serait injustifiée. En 1996, nous avons donc augmenté les cotisations individuelles de 3,46 %, ce qui est une des plus faibles hausses de France. Je pense que nous allons encore faire un peu mieux, c’est-à-dire un peu moins en 1997. Mais je vous rappelle que sur la feuille d’impôt des Bordelais ne figure pas que la ville ou la CUB. Le calcul de l’impôt prend également en compte les hausses qu’ont votées le Conseil général de la région.

Sud-Ouest : On vous fait le procès de faire payer aux collectivités les allègements d’impôts que l’État va ménager aux contribuables à travers les baisses d’impôts sur le revenu.

Alain Juppé : L'État respectera en 1997 le pacte de stabilité auquel il s'est engagé. Il n'y aura donc pas de recul de l'aide aux collectivités locales. On pourrait néanmoins nous reprocher de transférer des compétences sans les accompagner de financements adéquats. À ce sujet, j'ai donc demandé une étude au comité d'évaluation compétent qui n'avait pas été réuni depuis longtemps temps. Son rapport montre qu'en effet, durant la période 1989-1994, il y a eu transfert de charges sans toujours transfert de moyens équivalents. Il faut arrêter cette dérive, c'est ce à quoi je veille.

Sud-Ouest : Il reste qu’il n’est pas plus attractif d’habiter Bordeaux que d’y installer son entreprise. Quelle stratégie développez-vous pour inverser cette tendance ?

Alain Juppé : Le taux de la taxe d'habitation municipale à Bordeaux est, en 1996, de 12,64 % alors que la moyenne des villes de plus de 100 000 habitants est à 16,70 %. Il est vrai que c'est l'inverse pour la taxe professionnelle : taux municipal à Bordeaux, 16,30 % ; taux moyen, 14,91 %. Ceci permet de bien saisir la situation. Il reste indispensable de modérer, voire réduire la pression fiscale dans notre ville. C’est un processus très long. Mais je fais plusieurs constats. D'abord, Bordeaux ne se dépeuple plus. Sa courbe démographique remonte. Ensuite, nous avons lancé plusieurs opérations qui doivent permettre d'accueillir de nouvelles populations. Je pense à l'opération de la Visitation (200 logements), au programme de la ZAC des Chartrons ou encore à l'opération d'amélioration de l'habitat de Saint-Michel.

Sud-Ouest : Où en est-on de la zone franche qui prend en compte une partie du quartier de La Bastide ?

Alain Juppé : Tout sera prêt au 1er janvier quand les aides européennes inhérentes à ce dossier seront décidées. Mais les effets du pacte de relance pour la ville se font déjà sentir à travers les emplois de ville. Ainsi, nous allons pouvoir en disposer dans le cadre du plan TRIVAC de sélection des ordures ménagères.

Sud-Ouest : On vous reproche parfois de ne pas énoncer un grand projet pour Bordeaux, de ne pas fixer de cap.

Alain Juppé : Je fais ce que j'avais annoncé durant la campagne des municipales. À savoir que mon projet municipal s’appuierait d’abord sur de fortes actions de proximité tout en s’attachant à faire de Bordeaux la vraie métropole européenne qu’elle n’est pas aujourd’hui. Sur le premier point, je crois que les Bordelais commencent à sentir que les choses changent en matière de sécurité, de propreté et d’équipements scolaires. Sur le second, beaucoup reste à faire. Nous ne sommes pas encore au niveau. Je pense néanmoins que notre situation géographique dans le vaste cadran Sud-Ouest peut nous permettre de jouer un grand rôle au plan européen. Mais à condition de combler nos retards d'infrastructures et d'équipements.

Sud-Ouest : Comment qualifieriez-vous la deuxième année de votre mandat ?

Alain Juppé : Comme l'année des grands choix décisifs. Ce sera celle du choix des tracés précis du futur transport en commun en site propre - dont je vous rappelle que le calendrier est respecté au mois près - et du grand projet urbain qui guidera nos actions pour les prochaines années. Nous avons commencé à avancer sur cette voie : la mise à deux fois trois voies de la rocade, le lancement de l'opération d'Hourcade, le début des travaux de I'A 89, la confirmation du tracé du nouveau TGV par Angoulême et la mise en concession de l'autoroute Bordeaux-Pau.

Nous avons mis en place la structure qui va permettre que soit défini un réel projet d'agglomération, et pas seulement un toilettage du plan d'occupation des sols. Le projet de développement urbain de la ville fera l'objet d'une séance de travail exceptionnelle du Conseil municipal le 19 octobre. La Garonne, les bassins à flot, la rive droite, le quartier Saint-Jean, c’est là que va se construire le développement de Bordeaux, sans oublier l’axe est-ouest. Nous en reparlerons longuement le 19.