Déclaration de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation, sur la production et le marché laitiers et sur les aides à l'agriculture, notamment pour les quotas laitiers et l'abattage des veaux, Paris le 15 octobre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Philippe Vasseur - Ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation

Circonstance : Convention ATLA (Association de la transformation laitière française), Paris le 15 octobre 1996

Texte intégral

Monsieur le président,

Mesdames, Messieurs,

Monsieur le président vous vous êtes exprimé franchement.

C'est vrai, la situation est aujourd'hui difficile. Elle nécessite de la part de tous les intervenants de la filière une grande capacité d'écoute et de réflexion, et une mise en commun des analyses des uns et des autres.

Ce n'est certes pas le lieu de discourir longuement sur la crise très grave que traverse actuellement le monde de l'élevage bovin français mais je crois néanmoins utile de rappeler la volonté des pouvoirs publics d'agir dans ce domaine avec double objectif : assurer l'absolue sécurité alimentaire des consommateurs et soutenir le revenu des producteurs.

Votre organisation m'avait récemment fait part de ses inquiétudes, vis-à-vis de la position de certains Etats-membres au sujet de la production laitière au Royaume-Uni et d'une façon plus générale sur les risques potentiels du lait vis-à-vis des encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles.

J'ai veillé à ce que toute la lumière soit fait sur les études publiées, principalement au Royaume-Uni et qu'en particulier des scientifiques compétents et reconnus puissent se prononcer après avoir pris connaissance de façon approfondie des résultats de ces études mais également de leur protocole précis. Je mesure tout-à-fait les conséquences économiques qui sont actuellement en jeu et il est de notre devoir d'être parfaitement informés avant de prendre quelque décision que ce soit.

Cette crise bovine s'inscrit en toile de fond des tensions actuelles qui agitent le « monde laitier » et qui conduisent à certains débordements regrettables.

Le revenu du producteur laitier est le résultat, d'une part de la vente du lait produit sur son exploitation, mais aussi d'autre part de la valorisation des sous-produits « viandes » de son élevage, c'est-à-dire les veaux de huit jours et les animaux de réforme.

Ces deux sources de revenu connaissent aujourd'hui et pour des raisons diverses des évolutions défavorables.

Le marché laitier traverse depuis plusieurs mois des difficultés certaines, après une année 1995 marquée par la fermeté des prix pour l'ensemble des produits laitiers sur le marché communautaire.

Cette faiblesse du marché est en partie liée aux dépassements de la campagne 1995/1996 et à l'évolution de la collecte au cours des premiers mois de la campagne actuelle. Cette situation n'est malheureusement pas propre à la France et la plupart des grands pays « laitiers » de l'Union Européenne ont enregistré des dépassements de leur quantité de référence laitière depuis plusieurs mois.

Vous avez souhaité mon soutien pour bien faire prendre conscience aux producteurs mais aussi à certains transformateurs que la meilleure façon de maintenir un prix du lait rémunérateur est d'éviter une surproduction. Les prix sont toujours la résultante de la confrontation entre l'offre et la demande.

Je crois qu'en ce qui concerne l'actuelle campagne laitière, l'Office du Lait a tiré suffisamment tôt la sonnette d'alarme. Mais, je suis tout-à-fait d'accord pour renforcer la sensibilisation des différents acteurs de la filière, en liaison avec l'interprofession.

Cependant, je me doit également d'attirer l'attention de certains transformateurs sur la nécessité qui leur incombe d'avoir une gestion plus fine des fameux « avoirs » de campagne, afin de ne pas entraîner les producteurs sur la voie de la surproduction avec les risques de pénalités que cela comporte.

Mais la faiblesse du marché vient aussi de l'attitude de Bruxelles qui adopte une gestion pour le moins timorée des engagements communautaires dans le cadre des accords de Marrakech.

Depuis juillet 1995, pour assurer le respect de ses engagements, la Commission a maîtrisé les volumes des restitutions délivrées en utilisant régulièrement l'instrument de la baisse des restitutions.

J'ai déjà dénoncé à plusieurs reprises, et je vais continuer à le faire dans les semaines qui viennent, ce système qui inquiète la plupart des exportateurs de produits laitiers de l'Union Européenne : la France bien sûr, mais aussi les Pays-Bas, l'Irlande, l'Allemagne et le Danemark.

Ce choix de la Commission doit être combattu, car il provoque dans la plupart des cas une « course aux certificats », c'est-à-dire l'effort inverse de celui recherché. En outre, ce choix pénalise, de façon aveugle les entreprises qui se battent sur les marchés de la grande exportation.

Nous avons et je souhaite qu'il en soit toujours ainsi un potentiel important aussi bien en matière de production que de transformation. Ce potentiel doit pouvoir s'exprimer largement et particulièrement au travers de l'exportation.

À l'initiative de la France, une réflexion commune a été engagée avec les principaux pays européens exportateurs afin d'assurer un meilleur ciblage des restitutions pour certaines destinations et pour certains produits.

Il semble en effet possible de supprimer les restitutions vers certaines zones proches ou qui disposent d'un pouvoir d'achat important, ou il est peut-être également possible de supprimer certains produits pour lesquels la restitution n'est pas décisive dans le calcul de la rentabilité à l'exportation.

J'ai noté votre appui « mesuré » sur cette démarche et vos remarques sur son caractère limité. C'est cependant une approche que je souhaite poursuivre car elle a déjà permis quelques décisions concrètes au cours de ces derniers mois et elle montre bien à la Commission notre désir commun à plusieurs pays de proposer une autre alternative à sa politique afin maintenir et même de développer la vocation exportatrice de l'Europe vers les marchés tiers.

Je le répète, il convient en effet de prendre position sur certains marchés d'avenir et de conforter nos acquis sur les autres.

Je voudrais m'arrêter quelques instants sur les perspectives qui s'offrent tout près de nous dans les pays d'Europe Centrale et Orientale. La filière laitière de ces pays représente près de 20 % des volumes actuels de l'Union Européenne.

Le tout récent voyage que j'ai effectué en Pologne m'a tout à fait confirmé les impressions ressenties à l'occasion d'un premier déplacement dans trois de ces pays en février dernier. La filière laitière de ces pays constituera un des défis majeurs de l'élargissement à venir.

Il faut, je le dis avec lucidité que nous soyons présents à tous les niveaux pour préparer ces pays à leur adhésion : nous devons prendre position sur ces marchés d'avenir afin d'éviter l'entrée en force de pays tiers, et au niveau administratif, nous devons dès maintenant préparer ces pays à la mise en place d'une véritable maîtrise de l'offre telle que nous la pratiquons dans l'Union depuis plus de dix ans.

L'adhésion des PECO c'est demain, c'est l'an 2000, c'est aussi une période charnière pour la filière laitière avec la fin du régime actuel des quotas laitiers.

Vous avez présenté en quelques mots l'analyse de votre organisation sur la problématique et les enjeux de l'évolution des quotas laitiers, afin que les exportateurs aient accès à une matière première à un prix qui vous permette de continuer d'exporter vos produits laitiers malgré les contraintes de Marrakech.

Vous avez clairement exprimé, ce n'est pas une nouveauté, votre option pour un système de prix différencié. C'est une solution qui paraît séduire la plupart des familles professionnelles même au sein de votre interprofession.

Nous l'étudions avec attention au ministère et nous sommes donc particulièrement intéressés par le résultat des travaux de votre convention d'aujourd'hui.

Nous devons en effet nous préparer dès maintenant, sans attendre 1999 à une réforme de l'OCM « lait ».

Avant de vous en parler, je voudrais aborder la réforme du secteur de la viande bovine qui constitue, je l'ai rappelé il y a quelques instants, une des bases du revenu final des producteurs laitiers. Cette réforme aura des conséquences importantes pour vos éleveurs, vos producteurs.

Il me semble donc nécessaire de procéder par étapes, calmement si c'est possible, dans une concertation approfondie.

À ce stade, je voudrais tout de même préciser ma position sur le problème posé par la production du veau de boucherie.

Je souhaite, je veux obtenir de Bruxelles une définition européenne du veau de boucherie. La vitellerie française, dans son ensemble a beaucoup travaillé sur ce sujet, depuis plusieurs semaines. Je félicite d'ailleurs les diverses familles professionnelles qui ont su définir ensemble un projet de norme commune, comportant en particulier la fixation d'un poids maximum de carcasse, nettement inférieur aux pratiques communautaires actuelles et nettement inférieur aux pratiques de certains pays de l'Union.

Cette demande est importante. Je me mobilise et je continue à me mobiliser. Nous sommes quinze, ce sera long, mais mon objectif est d'aboutir à une définition commune avec un poids limité.

Pour les veaux de huit jours, j'ai accepté, à la demande des organisations professionnelles, une première mesure relative à leur « transformation ».

En application d'une directive de 1992, certains petits veaux vont pouvoir, de façon facultative être soustrait définitivement du marché et leur dernier détenteur percevoir une prime communautaire pour leur destruction.

Cette prime est actuellement de 798,50 F et c'est à Bruxelles que son taux a été fixé. Il me paraît aujourd'hui raisonnable et je ne souhaite pas une prime plus élevée et nous veillerons à ce que cette mesure ne perturbe pas gravement la filière « veau de boucherie ».

Cette mesure doit cependant constituer une garantie pour les producteurs qui trouveront ainsi un moyen de mieux valoriser les quelques veaux qui trouvent difficilement preneurs.

Nous venons d'avoir la notification officielle de Bruxelles sur son acceptation des propositions françaises. Concrètement les premiers abattages vont donc débuter dans les tous prochains jours et permettront de mieux appréhender les divers coûts pour cette opération.

Pour en revenir à la première composante du revenu de vos producteurs, c'est à dire le lait j'ai bien conscience de l'urgence des problèmes de votre filière. Je ne les occulte pas, mais je veux être précis et prudent dans mes annonces sur l'avenir de la politique des quotas laitiers.

J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt des travaux récemment présentés en Irlande et surtout des positions exprimées par différents États-membres sur le dispositif des quotas et son avenir.

Certains souhaitent la fin des quotas avec un régime transitoire inspiré de la réforme de 1992 dans le secteur des grandes cultures avec un système d'aides compensatoires un peu complexe.

D'autres envisagent le maintien d'un quota global européen à son niveau actuel et un déplacement des quotas nationaux en fonction des coûts réels de production.

D'autres enfin ont des positions plus mesurées mais ils se prononcent pour une légère baisse des quotas, afin de mieux assurer l'adéquation de l'offre avec la demande...

Voilà trois positions assez différentes.

Je n'ai pas pour habitude de révéler ma stratégie avant la négociation. Je suis cependant convaincu que l'instauration d'un libéralisme total, comme le propose la plupart des pays anglo-saxons n'est pas une solution d'avenir. Cette solution ne pourrait pas assurer à terme la sauvegarde dans notre pays d'un potentiel de production suffisant compte tenu des conditions même de la production française. La France est profondément attachée au régime actuel et souhaite son maintien au-delà de l'an 2000.

Pour conclure sur cet avenir à court terme désormais, je vous invite à prolonger vos analyses au sein de l'interprofession et à vous déterminer clairement tous ensemble sur les modalités concrètes d'un système de double prix. Je vous propose de venir ensuite très rapidement me présenter ensemble le fruit de vos travaux. La balle est dans votre camp, je suis à votre disposition.

Avant de devoir malheureusement vous quitter, je voudrais vous dire quelques mots sur les travaux relatifs à la loi d'orientation pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

À mes yeux, Monsieur le président, cette loi d'orientation pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt constitue le plus grand chantier que nous devons conduire et faire aboutir.

Nous allons devoir proposer de véritables orientations claires, cohérentes et de long terme. Nous allons devoir faire des choix importants. Nous allons devoir définir pour les prochaines décennies le rôle de l'agriculture, des agriculteurs, des transformateurs dans notre société en mariant des impératifs économiques, de gestion de l'espace et de respect des consommateurs.

Notre organisation économique date de plus de 30 ans. Elle a été progressivement élargie à l'organisation des filières et a permis les remarquables résultats enregistrés depuis. Mais face aux mutations rapides et profondes connues et à venir dans l'espace commercial européen et mondial nous devons clarifier les champs de compétence respectifs des uns et des autres.

Nous devons effectivement proposer à l'ensemble des acteurs des filières, les moyens de renforcer leur capacité commerciale et leur capacité de négociation.

Face aux nouvelles exigences des consommateurs, de la transformation et de la distribution, nous devons parvenir à institutionnaliser un type de négociations contractuelles entre les fournisseurs directs et leurs partenaires transformateurs. Comme entre ceux-ci et la distribution.

Mon souhait est de permettre le maintien d'une agriculture à taille humaine et à responsabilité personnelle qui assure la production d'une matière première de qualité, à un prix rémunérateur. Je compte sur la sagesse de tous afin de bien réfléchir à leur intérêt commun. De nombreux groupes de travail ont fonctionné ces derniers mois. Les synthèses sont en cours.

Mon objectif est de présenter un texte équilibré, accepté par l'ensemble des agents économiques, au printemps prochain.

Les débats que nous avons actuellement sont et seront parfois rudes, mais je suis confiant, sur la capacité et la volonté de nos professionnels qu'ils soient producteurs, transformateurs ou distributeurs, d'aboutir à un texte riche de promesses pour l'avenir.

Le pire serait de ne rien faire. Nous devons aboutir à un grand texte.

Je vous remercie.