Interviews de M. Pierre Méhaignerie, président d'honneur de Force démocrate et président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 18, France Inter le 15 septembre 1996, et dans "La Croix" le 14 octobre, sur les dispositions fiscales du projet de budget 1997 et le projet de réforme du mode de scrutin.

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Média : Europe 1 - France Inter - La Croix

Texte intégral

Europe 1 - mercredi 18 septembre 1996

P. Méhaignerie : Il a reçu (le budget, ndlr) un accueil favorable parce que, pour la majorité des membres de la commission, il assure les conditions d'une relance de la croissance et de l'emploi. Pour trois raisons essentielles : d'abord parce que vraiment pour la première fois, il maîtrise la dépense publique. Deuxièmement, il réduit le déficit. Et troisièmement, il entame un début de baisse des impôts, taxes et prélèvements qui, aujourd'hui, étouffent l'économie.

M. Moineau : À ce propos, est-ce qu'il n’y a pas une présentation un peu discutable de ce budget dans la mesure où on nous avait dit : 25 milliards d'impôt sur le revenu en moins. Mais en revanche quelques hausses de taxes ici et là, et aux dernières nouvelles les allégements ne seraient plus que de 13 milliards ?

P. Méhaignerie : C'est un tout petit peu caricatural. La baisse de l'impôt est de 25 milliards. Je prends un couple avec deux enfants, par exemple un couple de fonctionnaires qui a 16 000 francs de revenus mensuels. Il va quand même bénéficier entre 2 000 et 3 000 francs de baisse de l'impôt sur le revenu. Mais si, dans le même temps, leurs impôts locaux augmentent, à quoi ça sert ? Or, il y a eu un concours de circonstances malheureux dans la mesure où les impôts locaux ont augmenté en 1996. Ils n'ont pas augmenté du fait de l'État pour les 4/5. Ils ont augmenté parce que c'est la première année qui suit les élections. Deuxième concours de circonstances, les fameuses petites taxes : alcool, tabac et essence. Je sépare les deux premières de la troisième – les deux premières vont pour l'équilibre de la Sécurité sociale. On ne peut pas, quand même, dire que les taxes sur l'alcool, au-dessus de 25° –  ce n'est pas la bière ni le vin – ne doivent pas être parties prenantes de l'équilibre du budget de la Sécurité sociale. Il en est de même pour le tabac, ce ne sont quand même pas des dépenses obligatoires. Par contre, pour l'essence, alors là, oui ! Tout le monde en a besoin et il n'est pas question de voir le prix de l'essence augmenter plus vite que l'inflation.

M. Moineau : Est-ce que vous comptez, avec la commission, améliorer ce budget ? Et sur quels points ?

P. Méhaignerie : Il y a toujours une capacité d'amendement Et les questions que nous nous posons portent sur le logement ancien. Sur le logement ancien, il n'y aura plus de possibilité de déduction des intérêts. Et il faut que nous trouvions une autre formule à la fois pour tenir compte du logement ancien de ceux qui achètent, parce que l'accession sociale à la propriété est à défendre, et en même temps pour blanchir le travail au noir lorsqu'il y a des travaux d'entretien. Il y a d'autres points. Pour qu'un budget passe, il faut qu'il y ait la recherche de l'équité. On a supprimé pour des raisons de simplicité un certain nombre de niches fiscales. Nous sommes tout à fait d'accord, il vaut mieux que le taux de l'impôt baisse en moyenne de 20 ou 25 % et que certaines niches fiscales qui profitent aux uns et pas aux autres soient supprimées. Moi, je me dis : pourquoi on laisse celles qui concernent certains investissements outre-mer qui profitent aux hauts revenus ? Je crois qu'il y a là possibilité. Je verrais très bien des amendements – on verra ce que dira le gouvernement – qui n'augmentent pas du tout le prix de l'essence, parce que tout le monde en a besoin, mais par contre des amendements qui remettent en question certains avantages fiscaux qui ne profitent qu'à une minorité. Ça fait partie de la légitime recherche d'équité. C'est-à-dire comment avoir un budget qui concilie efficacité et équité ?

 

France Inter - mercredi 25 septembre 1996

A. Ardisson : Alain Juppé, qui est en butte à des critiques de plus en plus fréquentes et plus radicales de la part de sa majorité, a décidé de la mettre à l'épreuve en posant la question de confiance sur sa politique économique dès l'ouverture de la session parlementaire. Est-ce un moyen de vous faire taire ?

P. Méhaignerie : Je crois qu'Alain Juppé a eu raison. Cela lui permettra de mieux expliquer sa politique. Il y a un besoin de pédagogie et cela permettra aussi de mieux entendre les alternatives. Les alternatives à l'intérieur de la majorité s'il y en a – mais je ne le crois pas – et les alternatives dans l'opposition, qui m'apparaissent peu sérieuses. Il suffit de voir aujourd'hui ce que font nos partenaires européens, qu'ils soient pays social-démocrate, libéral, conservateur ou démocrate-chrétien. Tous les pays, sans exception, s'ils veulent redresser la croissance et l'emploi, sont engagés dans une politique de maîtrise de la dépense publique. Le gouvernement le fait, il ne l'a pas fait les six premiers mois et j'ai été critique à ce moment mais je ne le suis pas aujourd'hui. Ces pays sont engagés dans une politique de réduction des déficits – nous y sommes engagés et cela produira des effets – et enfin, dans une réduction progressive des taxes et prélèvements qui étouffent l'économie. J'ai, pour ma part, la ferme conviction aujourd'hui que si nous acceptons ces disciplines, nous aurons des résultats en matière de croissance et d'emploi. Et je suis de ceux qui pensent que ces disciplines acceptées, plus les leviers qui ont été mis en place à la fois par le gouvernement Balladur et Chirac, en matière d'aménagement du temps de travail, de réduction des charges sociales sur les bas salaires, devraient nous permettre, à terme, de baisser le chômage. Voilà ma conviction personnelle.

A. Ardisson : Mais vous conviendrez qu'à part quelques individus qui contestent la politique monétaire et ses conséquences, c'est plutôt dans l'autre sens que viennent les critiques de la majorité, dans le sens d'un renforcement de la lutte contre les déficits. On reproche plutôt à Alain Juppé de ne pas en faire assez !

P. Méhaignerie : Oui, il y a une critique que l'on peut comprendre. C'est celle qui consiste à dire, par exemple Alain Madelin, que cette politique des petits pas n'est pas assez rigoureuse pour produire des résultats rapides. C'est peut-être vrai mais cette politique ne pouvait être engagée que dans les cinq premiers mois qui ont suivi l'élection présidentielle. Aujourd'hui, c'est trop tard et il faut prendre en compte, aujourd'hui, les circonstances, la capacité du pays d'accepter certaines disciplines. Donc je pense qu'aujourd'hui, le souhait du gouvernement, en même temps, de renforcer la cohésion sociale fait qu'un certain nombre de prestations vont augmenter en 1997 encore, de 4 ou 5 % par an, car le gouvernement essaye de concilier à la fois l'acceptation de ces disciplines et en même temps une prise de conscience de certaines difficultés sociales.

A. Ardisson : Quand François Léotard dit que la baisse des impôts n'est pas une vraie réforme, n'est pas la grande réforme fiscale que l'on attendait, alors ?

P. Méhaignerie : Moi, j'ai écouté, puisque hier j'étais présent. Je dois dire que le président de l'UDF a été critique vis-à-vis du projet de loi sur la réforme électorale et il a raison. On ne fait pas de réformes électorales sans consensus mais il a été tout à fait positif sur les choix économiques et fiscaux faits par le gouvernement. Le seul problème qui se pose à l'intérieur de l’UDF, et qui sera posé dans le cadre de la réforme fiscale sur les cinq ans, est celui-ci : vaut-il mieux, pour l'emploi, continuer à baisser les charges sociales plus rapidement ou baisser l’impôt sur le revenu ? En termes d'efficacité et d'équité, là, il y a un vrai débat, il y aura un vrai débat. Mais sur les choix économiques, l'UDF a apporté son soutien au gouvernement.

A. Ardisson : Aux journées parlementaires UDF, vous avez demandé au président de la République de dire clairement qu'il n’y avait pas d'autre politique possible que celle qui consistait à réduire les déficits. Est-ce à dire que vous le soupçonnez d'avoir deux fers au feu ou de ne pas croire lui-même au bien-fondé de la politique que mène Alain Juppé ?

P. Méhaignerie : Moi, je crois qu'il n'est pas sain que des responsables de la majorité aillent dire le week-end que cette politique nous conduit dans le mur. D'abord parce que je n'y crois pas ! Et ensuite, parce que je suis convaincu que si ces responsables, qui voient de temps en temps le président de la République, recevaient du président de la République un message clair que cette politique n'est pas acceptable (sic), je ne crois pas qu'ils le rediraient le week-end.

A. Ardisson : Vous voulez dire qu'il est trop gentil avec eux ?

P. Méhaignerie : Peut-être, peut-être. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des marges de manœuvre à l'intérieur de certains axes politiques. Nous les utilisons. Mais dire que les grandes orientations de la politique aujourd'hui ne sont pas conformes à l'intérêt du pays, je ne crois pas qu'un responsable politique de la majorité puisse le dire le week-end. Je pense que le président de la République a une capacité d'influence importante.

A. Ardisson : Les sondages qui se succèdent ces derniers jours sont mauvais pour le gouvernement, ils sont mauvais aussi pour le président de la République et l'opinion est troublée. Prenons l'exemple de la Sécurité sociale à laquelle personne ne comprend plus rien. J'ai même tendance à croire à certains moments que les ministres eux-mêmes sont perdus. On n'arrête pas d'annoncer des tours de vis impopulaires et le déficit continue de filer. Alors, Jacques Barrot nous dit que les recettes n'étaient pas au rendez-vous, certes, mais cela, on le savait. Est-ce que cela veut dire que les solutions sont inadaptées ou que les décisions ne sont pas mises en œuvre ?

P. Méhaignerie : Les décisions, pour la plupart, ne sont pas mises en œuvre. Les disciplines rudes ne sont pas encore appliquées pour la plupart et je rappelle qu'il y a aussi, dans les raisons de l'augmentation des déficits de la Sécurité sociale, l'application de la politique familiale mise en place par Édouard Balladur qui représente une augmentation de 8 milliards de francs sur une année. C'est l'allocation de garde d'enfant et l'allocation parentale. Ce sont des politiques positives. On l'oublie !

A. Ardisson : Cela rend aussi la branche famille déficitaire.

P. Méhaignerie : Cela exige que les disciplines de santé soient mises en application.

A. Ardisson : Au chapitre des couacs, vous y avez fait allusion tout à l'heure, il y a aussi la réforme des modes de scrutin. Pas d'accord, dit François Léotard, pas d'accord nous avez-vous dit aussi. Est-ce que cela veut dire que le débat lui-même est mort-né ?

P. Méhaignerie : Je crois que le débat peut avoir lieu mais si on fait une réforme de mode de scrutin, ce ne sera certainement pas pour la prochaine élection législative parce que les Français ne comprendraient pas qu'à un an des élections, on change le mode de scrutin. Ou alors, il faudrait un accord de toutes les grandes familles politiques. Mais moi, je ne voterai pas une réforme du mode de scrutin qui ne soit pas, je l'espère, la dernière. Pour que ce soit la dernière réforme du mode de scrutin, il faut que toutes les grandes familles politiques, donc essentiellement le PS aussi, donnent leur accord.

A. Ardisson : Faut-il que ce soit constitutionnalisé ?

P. Méhaignerie : C'est un débat que l'on peut avoir mais ce n'est pas le débat principal.

A. Ardisson : Mais sur l'introduction d'une part de proportionnelle dans les élections législatives, il fut un temps où vous étiez pour ?

P. Méhaignerie : Je suis tout à fait dans cette ligne mais je dis qu'il faut avoir l'accord des grandes familles politiques et, deuxièmement, il faut le faire pour la prochaine élection législative et pas dans dix-huit mois, parce qu'immédiatement, ce sera vu comme une manipulation.

 

La Croix - 14 octobre 1996

La Croix : Approuvez-vous les grandes lignes du budget ?

Pierre Méhaignerie : Oui. Parce que ses trois principes de base – la maîtrise des dépenses publiques, la réduction des déficits et la baisse de prélèvements – correspondent aux souhaits de la commission des finances. Ce sont d’ailleurs aussi les orientations choisies par tous les gouvernements européens libéraux, sociaux-démocrates ou chrétiens-démocrates. Chacun le sait, au-delà d’un certain seuil, la dépense publique crée plus de chômages que d’emplois. Mais une question de fond demeure : fallait-il baisser l’impôt sur le revenu ou plutôt continuer à baisser les charges sur les bas salaires, réduire la TVA ou encore des taxes payées par tous les Français comme celles sur l’essence ? Même si une baisse sélective de l’impôt sur le revenu est souhaitable, je reste fidèle à notre engagement de 1993 : baisse des charges sociales sur le salaire et accroissement du salaire direct.

La Croix : Prenons l’exemple de l’essence : comment ne pas en augmenter le prix sans creuser d’autant le déficit ?

Pierre Méhaignerie : Le refus d’augmenter les taxes sur l’essence (la Tipp), correspondait à un signal fort montrant aux Français que la maîtrise des dépenses profite à tout le monde. Mais la commission des finances ne s’engagera pas à proposer de nouvelles dépenses sans trouver d’économies équivalentes. Sur les 3,5 milliards de francs que rapporterait la hausse de la Tipp, nous en avions déjà trouvé 1,6 grâce à la réduction de certains abus de la défiscalisation dans les DOM-TOM, à l’investissement dans le cinéma au travers des Sofica, à la reprise de certains crédits non utilisés pour la formation professionnelle et à l’alignement de la TVA d’une partie de la restauration rapide sur celle de la restauration traditionnelle.

La Croix : Ne craignez-vous pas que la remise en cause d’avantages fiscaux pour les investissements dans l’outre-mer se heurte à nouveau à des blocages politiques ?

Pierre Méhaignerie : Cette décision a été prise à l’unanimité de la commission des finances, tous partis confondus. Il faut mettre un terme aux abus d’évasion fiscale permettant à certains très hauts revenus d’échapper à l’impôt. Les yachts et avions de tourisme ne profitent guère aux populations d’outre-mer. Je ne souhaite pas que l’on fasse machine arrière sur cette question, malgré les pressions, les corporatismes et les soutiens divers.

La Croix : Vous avez souhaité plus d’économies sur les dépenses de fonctionnement et plus de souplesse sur l’investissement. Dans quels secteurs précis est-il possible d’agir ?

Pierre Méhaignerie : L’investissement est un peu sacrifié dans ce budget, notamment pour l’aménagement du territoire et le logement ancien. Raison de plus pour rendre l’État plus performant et réduire les gaspillages. L’appareil de formation, par exemple, devient surdimensionné au regard de l’évolution démographique.

La Croix : Faut-il, comme Jacques Chirac en a ouvert la possibilité, revenir sur les modalités de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ?

Pierre Méhaignerie : Méfions-nous des slogans salivaires. En 1995, le gouvernement a déplafonné l’ISF par rapport aux revenus. Certains contribuables paient maintenant plus d’impôt qu’ils ne perçoivent de revenus. Ce qui met en cause la survie de certaines entreprises moyennes, à caractère familial, et encourage les délocalisations. Il suffit de revenir au plafonnement de 1992 de 85 % des revenus fixé par M. Bérégovoy et la majorité socialiste d’alors. Il faudra bien que la question soit abordée un jour, après un effort préalable de pédagogie pour répondre aux arguments faciles.

La Croix : L’opposition du RPR à certains amendements UDF est-elle un signe inquiétant pour l’union de la majorité ?

Pierre Méhaignerie : Non. Le débat a lieu dans tout le pays, dans la majorité comme dans l’opposition, et au sein même du gouvernement. Il ne sert à rien de poser un couvercle dessus. Acceptons que le Parlement soit le lieu des débats publics, sans agressivité.

La Croix : Ce budget est-il de nature à doper la croissance et à favoriser l’emploi ?

Pierre Méhaignerie : Les pays qui se sont engagés dans cette voie de la maîtrise de la dépense publique, de la réduction des déficits et de la baisse des prélèvements retrouvent le chemin de la croissance et de l’emploi. Mais il y a une période intermédiaire difficile à passer. J’avais préconisé une dissolution après l’élection présidentielle parce que je la croyais préférable car les décisions nécessaires sont coûteuses politiquement à court terme et ne font sentir leur effet qu’après deux ou trois ans. Le gouvernement paie aujourd’hui lourdement, trop lourdement, le mauvais démarrage des cinq mois qui ont suivi la présidentielle, marqués par un accroissement des prélèvements et des dépenses publiques. Si la politique menée aujourd’hui avait été engagée clairement dès le début, les premiers résultats seraient déjà visibles.

La Croix : Comment rattraper ce retard ?

Pierre Méhaignerie : Il faut beaucoup de pédagogie, d’équité et d’exemplarité jusqu’au sommet de l’État.

La Croix : Ces conditions sont-elles remplies ?

Pierre Méhaignerie : Cela s’améliore…