Interviews de M. Alain Madelin, vice-président du PR et président du Mouvement Idées-Action, à RMC le 4 octobre 1996 et dans "Le Figaro" du 5, sur son soutien critique à la politique d'Alain Juppé, ses propositions en matière de fiscalité et de dépenses publiques et la préparation des élections législatives de 1998.

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Circonstance : Première réunion nationale des délégués du Mouvement Idées-Action à Nice le 5 octobre 1996

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Texte intégral

RMC - vendredi 4 octobre 1996

P. Lapousterle : Vous avez été un soutien efficace et remarqué du président J. Chirac lors de son élection, vous avez participé quelques semaines au premier gouvernement Juppé. Ce matin, appartenez-vous toujours à la majorité présidentielle et quel bilan dressez-vous de 16 mois du pouvoir du président Chirac et du Premier ministre A. Juppé ?

A. Madelin : Je suis plus que jamais persuadé que l'espoir né de la campagne présidentielle et les mesures proposées alors par J. Chirac constituent la voie de sortie de nos difficultés. Il est vrai que j'espérais, au lendemain de l'élection présidentielle, une politique plus vive, plus active de réformes, une sorte de sursaut qui nous permette à la fois d'engager l'assainissement financier du pays et en même temps de libérer les énergies, le formidable potentiel de talents qui est celui des Français. Bien. Cela n'a pas été le cas, on s'est engagé dans la politique d'assainissement, c'est vrai, mais il reste que les gens sont plus découragés qu'encouragés à travailler, à investir. C'est la raison pour laquelle je dis : moi, je garde l'espoir, mais de la campagne présidentielle, et j'essaie de travailler à rassembler une majorité de Français pour demain entrainer une majorité politique autour des mêmes idées.

P. Lapousterle : On sait que vous faites partie des visiteurs du soir du président de la République. Est-ce que, quand vous lui parlez de cela, du sursaut que vous attendez toujours, il vous semble réceptif ?

A. Madelin : Je ne vais pas vous dire ce que nous nous disons mais je crois que le président de la République, récemment, dans son voyage dans le Pas-de-Calais devant les entrepreneurs au Futuroscope, a tenu à nouveau le langage de sortie de la crise. Il reste à le traduire en mesures.

P. Lapousterle : Ce qui est curieux, c'est que le président de la République parle Madelin et fait Juppé ?

A. Madelin : Juppé, c'est Juppé, mais c'est normal ! À chacun… Il y a une politique Juppé, il y avait une politique Madelin, il y a eu un conflit entre les deux, il était normal que le Premier ministre reste et que le ministre de l'Economie et des Finances s'en aille. Mais je reste fidèle à mes convictions et à un parcours en ligne droite.

P. Lapousterle : Est-ce que les résultats, à votre avis, viendront avec la patience, c'est ce que dit l'actuel Premier ministre, ou est-ce qu'il faudra changer quelque chose dans la politique menée pour avoir des résultats ?

A. Madelin : Non, les résultats ne viendront pas avec la patience. Ils ne peuvent venir que d'un sursaut. Il y a besoin d'un sursaut, d'une sorte de grande libération des énergies, bref que les gens se disent : « bon, ça y est, on s'est un peu serré la ceinture mais le moment est venu de se retrousser les manches tous ensemble » et il faut avoir la capacité d'initier ce sursaut et surtout de prendre les mesures qui vont avec.

P. Lapousterle : Vous êtes président du mouvement Idées-Action, qui est un mouvement qui a été créé maintenant il y a deux ans et demi. Vous réunissez demain soir à Nice la première journée nationale des délégués d'Idées-Action à travers toute la France. Est-ce que, dans votre esprit, cette réunion a une signification particulière ?

A. Madelin : C'est la première réunion forte d'organisation d'Idées-Action. On a lancé cela il y a quelque temps déjà, c'est vrai, mais maintenant je crois que nous avons atteint le seuil de décollage. Ce n'est pas rien : 300 délégués qui paient leur séjour, leur participation qui représente 300 cercles locaux implantés dans toutes les grandes villes et maintenant, même aussi dans les villes moyennes, dans les petites villes, des cercles jeunes. Bref, il y a un formidable appétit pour faire de la politique autrement. Nous avons un nouveau comité directeur qui est représentatif de la société, avec aussi une cinquantaine de parlementaires rien que dans ce comité directeur. Donc je crois que nous avons aujourd'hui la taille suffisante pour engager une étape de conquête.

P. Lapousterle : Quel discours allez-vous tenir, M. Madelin ? Vous allez dire à vos militants : voilà l'influence que nous pouvons avoir ou voilà ce que nous allons faire ?

A. Madelin : Voilà ce que nous allons faire, voilà les objectifs qui sont les nôtres. Quand d'autres renoncent, nous, nous avançons avec des objectifs très précis de présence, d'influence. Un objectif à terme, il est très simple : nous ne sommes pas un parti, nous n'avons pas l'intention de nous transformer en petit parti politique pour aller négocier trois lignes d'un programme, vingt-cinq investitures et trois places dans un gouvernement Notre ambition est beaucoup plus grande.

P. Lapousterle : Beaucoup plus grande ?

A. Madelin : Beaucoup plus grande ! Notre ambition est de faire en sorte que les idées, les propositions, les réponses qui sont les nôtres, qui nous paraissent vraiment adaptées aujourd'hui à ce qu'est la France, à ce qu'elle doit faire, soient demain aux positions de commande de la politique française.

P. Lapousterle : C'est-à-dire qu'au bout du compte, vous attendez d'être plus fort pour devenir une force politique, c'est ça ?

A. Madelin : Non, cela veut dire simplement que je souhaite que nous utilisions aujourd'hui des structures de développement de ce mouvement Idées-Action pour entrainer l'opinion, pour entraîner une majorité de Français autour des propositions qui sont les nôtres. Et si nous réussissons cela, et à le montrer, je suis sûr que nous aurons les capacités d'entrainer une majorité politique.

P. Lapousterle : Est-ce qu'en 1998, aux prochaines élections législatives par exemple, il y aura des candidats qui auront, d'une manière ou d'une autre, un label Idées-Action ?

A. Madelin : D'une manière ou d'une autre, sûrement. Car il est évident que si je vous dis que nous voulons faire grandir l'exigence de ces propositions dans l'opinion, il faut être à la rencontre de l'opinion. Les élections sont l'occasion pour cela.

P. Lapousterle : Donc vous allez devenir parti politique ?

A. Madelin : Non, cela ne signifie pas cela. Cela signifie simplement que les propositions qui sont les nôtres ont vocation à être celles d'un certain nombre de candidats, de députés sortants appartenant à cette majorité présidentielle ; d'autres peut-être se réclameront de ces propositions, ils se réclameront d'autant plus qu'ils auront le sentiment que ce sont là des bonnes propositions pour l'avenir du pays, et des propositions que les Français acceptent, j'allais dire, d'enthousiasme parce qu'elles apparaissent comme les chances de la France et des Français.

P. Lapousterle : On parle de dissolution possible en ce moment, est-ce que ça vous paraitrait une bonne solution par les temps qui courent, avec l'atmosphère politique actuelle ?

A. Madelin : Dissolution, motion de confiance, interdiction des partis politiques etc., c'est tout un petit jeu politicien qui ne m'intéresse guère.

P. Lapousterle : Le président de la République dit ce matin dans la revue Valeurs Actuelles que le dollar est vraiment sous-évalué, laissant entendre que cette parité actuellement nous coûte très cher et que cela, finalement, ne pourrait durer. Est-ce que le constat est juste et est-ce que l'on peut faire quelque chose contre le cours du dollar ?

A. Madelin : Le constat est exact. Nous avons un problème : dans le monde et en Europe, la zone mark-franc est sans doute une zone surévaluée. Alors, vous avez les avantages d'une monnaie très forte mais aussi les inconvénients d'une monnaie quelque peu surévaluée. Ceci poserait un problème grave demain si nous devions entrer dans l'euro sur la base d'une parité surévaluée. Vous savez que je développe une analyse de plus en plus partagée selon laquelle la France, peut-être plus généralement l'Europe, est aujourd'hui sous pression déflationniste et une monnaie surévaluée accentue ces pressions déflationnistes et nous aurions un risque cette fois de passer de cette zone de déflation, c'est-à-dire une situation de baisse des prix, à une situation de baisse des prix et de dépression. Donc c'est un vrai problème qui est aujourd'hui évoqué par le président de la République. Est-ce que l'on peut faire quelque chose ? Ce n'est pas facile parce que ce sont les marchés qui décident Mais il est vrai qu'une politique de taux d'intérêts courts plus bas, décidée par les banques centrales en Europe, aurait sans doute un effet correcteur de surévaluation.

 

Le Figaro - 5 octobre 1996

Le Figaro : Bien qu'absent de l'Assemblée, mercredi dernier, vous avez, en donnant votre pouvoir, voté la confiance au gouvernement. Etait-ce par enthousiasme, par obligation ou par résignation ?

Alain Madelin : J'ai effectivement voté par procuration. Cela étant, ce qui manque au gouvernement ce n'est pas la confiance de sa majorité, mais celle des Français. Ce n’est pas davantage les moyens politiques qui manquent, mais les résultats. Au lendemain de l'élection présidentielle, j’aurais souhaité que soit mise en œuvre une politique de sursaut. Cela n’a pas été le cas, une autre voie a été choisie. J’ai quitté le gouvernement en 1995 en souhaitant cependant son succès, car son échec pourrait annoncer une crise plus profonde.

Le Figaro : Mais encore ?

Alain Madelin : Le Premier ministre estime qu'il est à la veille d'obtenir les résultats promis, et il demande de la patience à sa majorité et à l'opinion. Il faut espérer que ces résultats seront au rendez-vous, car sinon la situation pourrait devenir dangereuse tant est grand aujourd’hui le décalage entre le sommet et la base, entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés.

Le Figaro : Bref, comme Philippe Séguin, avant l’élection présidentielle, vous dites : « Président, n’oubliez pas votre message »…

Alain Madelin : Je dis simplement que Jacques Chirac a présenté, à mes yeux, pendant sa campagne, la bonne analyse et les bonnes solutions aux problèmes de notre pays. D'un côté, la nécessité d’assainir nos finances publiques. Et, de l’autre, la nécessité de libérer l’initiative des forces vives pour retrouver la prospérité, l’emploi et le progrès social. Une politique de rigueur a été engagée. Elle était nécessaire, et je ne crois pas à l’« autre politique » si celle-ci consiste à renoncer à nos engagements européens pour laisser filer les déficits et les dépenses publiques. Mais il est indispensable d’accompagner cet assainissement financier par une politique de libéralisation. Or la politique libératrice des énergies n’est toujours pas au rendez-vous, même si le président de la République, dans ses récentes interventions, en a rappelé la nécessité.

Le Figaro : Le gouvernement semble aujourd’hui l’avoir compris…

Alain Madelin : Tant mieux ! Mais le temps a passé, et beaucoup de choses qui pouvaient être faites pendant les cent premiers jours du septennat sont plus difficiles à faire aujourd’hui.

Le Figaro : Pourtant, Alain Juppé n’applique-t-il pas aujourd’hui votre politique ?

Alain Madelin : On retrouve effectivement dans les orientations du gouvernement, heureusement, beaucoup d'orientations qui sont les miennes depuis longtemps, et qu'on jugeait parfois, il y a un an, impraticables ou inopportunes. Cela étant, pas plus qu'il n’y a de parti unique, de pensée unique, il n'y a de solution unique ! J'apporte, sur beaucoup de sujets, des réponses souvent très différentes de celles d’Alain Juppé. Sur la réforme de notre système de santé, par exemple. Je ne crois pas à l’approche par le renforcement de la gestion étatique et administrative du système. On ne maîtrisera pas les dépenses de santé en mettant un contrôleur derrière chaque médecin, chaque ordonnance et chaque malade. Je crois à la responsabilité individuelle et non à la sanction collective. Et je reste fidèle à ce qui a toujours été l’option de la majorité : une gestion autonome, décentralisée et responsabilisante. Bref, à l’évolution vers le système anglais, j’aurais préféré qu’on choisisse la voie d’un paritarisme rénové, de l’autonomie et de la responsabilisation des caisses, à l’allemande.

Le Figaro : La réforme fiscale ne va-t-elle pas dans le sens que vous prôniez ?

Alain Madelin : Cette diminution de l'impôt sur le revenu va dans le bon sens, même si elle y va lentement. J'avais proposé de réaliser, dès l’an dernier, dans une première étape, une réduction de 20 % à 25 % de l’ensemble du barème de l’impôt sur le revenu, en contrepartie. Il est vrai, d’une remise en question beaucoup plus forte des allégements, exonérations et déductions qui font la complexité de la fiscalité française. Ce qui était possible hier est sans doute plus difficile aujourd’hui. Il y manque de plus, ce qui est essentiel aujourd’hui : une baisse très significative de la pression fiscale sur la création de richesses nouvelles, afin de favoriser la croissance et l’emploi. La réforme fiscale ne doit pas seulement avoir pour objet de rendre un peu de pouvoir d’achat aux Français pour relance la consommation, mais de chercher avant tout à fabriquer un nouveau pouvoir d’achat. De même, on peut dire que la diminution du nombre de fonctionnaires et la diminution des dépenses publiques vont dans le sens de la politique que je prônais il y a un an. Cependant, je pense que la diminution des dépenses publiques, pour être saine et durable, doit être le résultat non de coupes budgétaires mais de réformes profondes. De même, s’il y a sans doute des secteurs où il y a trop de fonctionnaires, il en est d’autres où il n’y en a pas assez. La diminution du nombre de fonctionnaires doit s’accompagner d’un statut de mobilité, et plus généralement de leur association et de leur intéressement à un projet de modernisation de l’État et des services publics. Vous le voyez, pour un même objectif politique, il peut y avoir plusieurs chemins.

Le Figaro : Pensez-vous que la majorité est en mesure de remporter les élections législatives ?

Alain Madelin : Pour gagner les élections législatives, comme l’avait d’ailleurs dit le Premier ministre en prenant ses fonctions, il faut gagner la bataille de l’emploi. C’est la condition pour remonter la pente, car aujourd’hui trop de gens baissent les bras, trop de gens perdent espoir.

Le Figaro : C’est ce qui explique notamment la montée du Front national. Espérez-vous, grâce à Idées-Action, rattraper des déçus du chiraquisme tentés de rallier ce parti ?

Alain Madelin : Ce n'est pas l'objectif d'idées-Action. Mais beaucoup voient encore en nous l'espoir du changement fort qu'ils attendent. C'est pourquoi nous constatons un flux d'adhésions, venu pour une part de ceux qui ont eu un engagement politique au sein de la majorité et qui sont déçus, mais d'autre part, aussi, de beaucoup de Français qui n’avaient pas d'appartenance politique mais qui estiment le moment venu de s’engager. Beaucoup de Français attendent que quelque chose de nouveau émerge dans la vie politique. Et par nos propositions, en essayent de faire de la politique autrement, je crois que nous représentons cet élément neuf du paysage politique. Notre ambition n'est pas d'être un parti politique de plus pour négocier trois paragraphes dans un programme, soixante investitures ou dix postes ministériels. Nous voulons entraîner aujourd'hui une majorité de l'opinion sur nos projets, pour entraîner demain une majorité politique, afin de les mettre en œuvre effectivement.

Le Figaro : Présenterez-vous des candidats aux prochaines élections ?

Alain Madelin : J'observe déjà que, dans les élections locales, Il y a des candidats issus d'Idées-Action et beaucoup d'autres qui se réclament de nos idées et demandent notre soutien. De même, je me réjouis aussi de voir nos cercles locaux se coordonner spontanément au niveau régional pour élaborer des projets, préparer des initiatives, avec le désir de prendre des responsabilités dans leur région. S'agissant des prochaines élections législatives, je ne sais pas quand et dans quel contexte elles se dérouleront. Ce dont je suis sûr, c’est que, si nous savons faire mûrir notre projet dans l’opinion, lui donner les relais et les soutiens qu’il mérite, il y aura sûrement des candidats parmi mes amis de la majorité et mes amis d’Idées-Action pour s’en réclamer.

Le Figaro : Menez-vous votre action politique avec le plein accord du président de la République, avec son soutien ou avec sa bienveillance ?

Alain Madelin : J’entretiens, je crois, de bons rapports avec le président de la République. Mon action se situe, certes, dans le droit-fil de sa campagne présidentielle, mais je la mène en toute indépendance.

Le Figaro : N’êtes-vous point agacé de voir présenter Philippe Séguin comme l’alternative la plus crédible à Alain Juppé ?

Alain Madelin : Le problème n'est pas tant de savoir qui mène la politique que de savoir quelle politique on mène.

Le Figaro : Vous n’avez pas souhaité qualifier Jean-Marie Le Pen de « raciste, antisémite et xénophobe ». Est-ce à dire que vous ne partagez pas ce jugement, qui est notamment formulé par Alain Juppé ?

Alain Madelin : J'ai seulement observé que, dans cette escalade des provocations et des qualifications, on avait oublié l'essentiel : répondre à M. Le Pen sur le fond. C'est ce que je me suis efforcé de faire. Les différences entre les hommes font de chaque être humain un être unique, ce qui justifie l'égale dignité de tous les êtres humains. On ne sait que trop, hélas ! Où nous a conduits la contestation de ces valeurs.

Le Figaro : Car, selon vous, Jean-Marie Le Pen n’est pas raciste, antisémite et xénophobe…

Alain Madelin : Chacun qualifie M. Le Pen ou lui répond à sa manière.