Interview de M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué à l'outre-mer, à RFO, le 11 juillet 1996, sur la politique en faveur de l'outre-mer, le développement économique et social et sur le statut des TOM et de Mayotte.

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Circonstance : Déplacement de Jean-Jacques de Peretti en Nouvelle-Calédonie du 29 juin au 6 juillet 1996

Média : Radio France d'outre mer

Texte intégral

RFO : … alors qu'en est-il exactement aujourd'hui ? Est-ce que cette politique que vous aviez décidée en arrivant au gouvernement est toujours la même ou est-ce que, au fil des réalités que vous observez, il y a des corrections que vous tentez d'apporter ?

Jean-Jacques de Peretti : Je dirai qu'il y a deux choses. Concrètement, il faut être partout. Il y a partout « des casseroles sur le feu ».

RFO : Vous en avez trouvé partout ? Et elles sont justifiées ?

Jean-Jacques de Peretti : Il y en a partout. C'est la vie ! Elles sont justifiées par des problèmes. La situation économique est difficile, la situation de l'emploi est difficile, mais l'axe de la politique gouvernementale est le même et il s'appuie sur les attentes de nos compatriotes d'outre-mer. Quelles sont-elles aujourd'hui ? Nous nous plaçons dans une perspective de développement économique et social, de progrès économique et social et culturel et non plus dans une situation d'assistanat. Tout le monde le comprend. La raison essentielle, c'est que des générations se sont succédé à des générations et que, aujourd'hui, vous avez une jeunesse très nombreuse, notamment dans des départements comme la Guyane, qui est, contrairement à ce que l'on dit, formée, éduquée. Ces jeunes attendent que l'on puisse les aider à réaliser leur volonté, à réaliser leur désir d'existence, de se mêler à l'intérieur de la société. C'est à mon avis la leçon essentielle que je tire de cette année qui s'est écoulée et c'est ce sur quoi il faut se reposer. Tout le reste…

RFO : Un état d'esprit à changer, une confiance à rétablir de part et d'autre.

Jean-Jacques de Peretti : L'état d'esprit a changé. Le gouvernement prend en compte cette nouvelle situation, sous la direction du président de la République, avec le Premier ministre, avec moi-même. Tout le reste n'est que « l'écume des vagues ».

RFO : Vous avez dit que les problèmes de l'outre-mer n'étaient pas essentiellement financiers. Alors, est-ce qu'il y a des problèmes de mentalité à changer ? Qu'est-ce qui doit évoluer ?

Jean-Jacques de Peretti : Prenons l'exemple du logement social. La fameuse ligne budgétaire unique. Nous allons consacrer à peu près, cette année, entre 1,4 milliard et 1,6 milliard de crédits de paiement à la politique du logement. Mais je constate que les reports s'accumulent : les crédits de 1995, qui n'avaient pas été consommés seront portés sur 1996 et fin 1996, nous allons encore avoir 300 millions de francs, peut-être même plus, qui vont être reportés. Pourquoi ? Paradoxalement, on réclame de plus en plus de logements sociaux. Il y a un besoin très réel mais on ne consomme pas tous les crédits du fait de problèmes sur le terrain qui tiennent aux opérateurs immobiliers, aux mécanismes de crédits, à la situation des entreprises, des collectivités locales, à la difficulté de trouver des terrains d'aménagements fonciers. Peu importe ! Il y a tout un ensemble de problèmes qu'il faut régler. Si déjà, l'on consommait les crédits, vous verriez que la situation… Il ne faut pas dire uniquement « de l'argent, de l'argent », il faut travailler. C'est le rôle du gouvernement qui doit apporter la garantie et la fluidité de ces mécanismes. Nous avons fait beaucoup, notamment sur les circuits financiers, vous avez vu que les taux d'intérêt ont diminué, conformément aux engagements pris lors des assises. C'est un « travail de fourmi » pour ne pas dire un « travail de Romain ». À chaque fois, il faut découvrir le petit grain de sable qui bloque telle ou telle procédure et, à mon avis, c'est le travail essentiel qui doit être fait. Il y a des hommes et des femmes qui sont tout à fait prêts à nous y aider et c'est cela qu'il faut faire.

RFO : Alors, vous revenez de Nouvelle-Calédonie où il vous a fallu prendre votre bâton de pèlerin, en quelque sorte, pour tenter de renouer le dialogue entre les différentes composantes de la réalité calédonienne d'aujourd'hui. Ce dialogue est-il réellement renoué et qu'avez-vous découvert ? Comment avez-vous procédé ?

Jean-Jacques de Peretti : J'avais été alerté lors de mon premier séjour par une lettre que m'avait donné, lorsque j'avais été à Tiendanite, l'un des frères de Jean-Marie Tjibaou. C'était un peu une lettre d'appel au secours disant « les accords de Matignon, les grands projets d'infrastructure, les grands chiffres, c'est très bien mais vous savez, les accords de Matignon ne sont pas rentrés dans les tribus ». J'avais été marqué par ce message-là. Or, que constate-t-on ? Vous avez effectivement les politiques responsables qui discutent de grands équilibres, de projets qui sont nécessaires comme le projet de l'usine du Nord. Et puis, vous avez les gens qui attendent. Il y a un décalage total entre la réalité de ce qu'on pense bien faire et l'attente des gens. Dans la tribu de Ouemepoues à Hienghène, une jeune femme m'a dit : « Vous savez, monsieur le ministre, vous ne vous rendez pas compte des choses mais regardez à Poindimié, je vois une lumière là, eh bien, chez moi, je n'ai pas de lumière. » C'est ça la réalité des choses. J'ai eu beaucoup de mal chaque fois que j'ai rencontré les jeunes, les femmes, à les faire parler de l'avenir, de l'enjeu calédonien et j'ai eu un peu le sentiment que l'on était dans une situation politico-politicienne. Ils ont des attentes concrètes et si les politiques, quels qu'ils soient, qu'ils soient indépendantistes, pas indépendantistes, ne répondent pas à ces attentes, dans cinq ou six ans, il y aura de vrais problèmes, parce que l'on ne pourra pas continuer comme ça. Les jeunes seront devenus beaucoup plus grands. Rendez-vous compte qu'en 1988, au moment de la signature des accords de Matignon, ceux qui avaient 10 ans auront vingt ans en 1998. Alors soyons plus concrets.

RFO : Lorsque vous dites que vous reconnaissez le fait colonial, au-delà du vocabulaire, est-ce qu'il y a un sens particulier que vous accordez à ce vocable ?

Jean-Jacques de Peretti : Non, je dis que l'on ne peut pas nier. Je dis qu'il faut faire face à l'histoire.

RFO : C'est une revendication des indépendantistes qui attendent que l'on reconnaisse, que la France reconnaisse le fait colonial.

Jean-Jacques de Peretti : Quand vous ouvrez un livre d'histoire, vous voyez : « 1853 : acte unilatéral de prise de possession par la France de la Nouvelle-Calédonie ». Après, il y a eu des accords avec les chefs coutumiers, ces accords ont été violés. Il y a un passé colonial. En revanche, je n'ai pas le sentiment, aujourd'hui, que la France est un État colonial en Nouvelle-Calédonie. La France a la responsabilité de porter chez tous les Calédoniens le pacte républicain. Si l'on se situe dans cette perspective historique, on comprend mieux la population mélanésienne. Cette population mélanésienne est indépendantiste pour partie, mais il y en a une partie qui n'est pas du tout indépendantiste, qui veut rester au sein de la République. Il faut prendre en compte, dans cette perspective historique, cette identité et s'appuyer sur cette identité pour bien comprendre qu'ils souhaitent l'entente des communautés, que personne ne revendique les événements, une nouvelle période d'événements, tel que cela s'est passé en 1984 ou 1987. Au contraire, il y a une volonté commune d'aboutir et le rôle de l'État est de tenir compte de cette volonté commune, de prendre tout le monde par la main et d'arriver au point qui est la solution consensuelle ou partagée ou la solution commune.

RFO : Alors justement le terme, quel sera-t-il ? Est-ce que vous avez senti réellement du côté des indépendantistes et du côté des non-indépendantistes une possibilité de consensus ? Parce que les positions en avril étaient tranchées, elles semblent toujours l'être ?

Jean-Jacques de Peretti : Non ! Tout le monde veut arriver à une solution qui soit partagée, commune, consensuelle.

RFO : Est-ce toujours l'alternative : « indépendance ou non-indépendance » ?

Jean-Jacques de Peretti : Si vous voulez, il y a ceux qui se situent dans la perspective de l'indépendance, et cette perspective, personne…

RFO : Est-ce que c'est un ultimatum ?

Jean-Jacques de Peretti : Pas du tout ! Cette perspective, personne n'a le droit de la masquer ou de demander à ceux qui pensent vraiment que c'est l'avenir de la Nouvelle-Calédonie de leur demander de renoncer à leurs convictions. Ce n'est pas le rôle de l'État de le faire. Mais il y a aussi ceux qui se situent dans une perspective de maintien au sein de la République ou dans l'ensemble français.

RFO : Dans une forme qui reste à définir…

Jean-Jacques de Peretti : Dans une forme qui reste à définir. Il faut tenir compte de ces réalités à partir du moment où les deux groupes, ou si vous voulez les deux parties, sont de bon sens et comprennent qu'il faut un accompagnement si l'on ne veut pas venir à l'indépendance ou qu'il faut mettre en place un lien renouvelé avec la France et qu'il faut tenir compte des uns et des autres. Comme le disait l'un des leaders du FLNKS, il faut permettre à chacun de donner corps à son propre objectif tout en comprenant l'autre dans ce qu'il a de différent. C'est une dialectique mais en même temps c'est un état d'esprit qui est très important. Sans cela, vous ne pouvez pas comprendre. Lors de mon passage dans de nombreuses tribus ou de nombreux villages, notamment dans le Nord, sur la côte Est, les gens disaient : « Où en est-on des accords de Matignon ? Que s'est-il passé à Paris ? » La base était un peu désemparée et se disait : « Enfin, on va avoir de l'information ! » Il y a vraiment un travail qui nous concerne tous, en tous les cas, c'est ce à quoi l'État travaille puisque avec l'accord du FLNKS, et du RPCR, il a repris en la matière l'initiative. L'État travaille sur un cadre politique global et général qui mette tout le monde d'accord, ça c'est la première phase et la deuxième phase, c'est la rédaction d'un statut qui soit « Le Statut » de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie qui ne soit pas remis systématiquement en cause et qui permette à chacun de s'y reconnaître.

RFO : En avril, le Premier ministre avait exclu l'option de l'indépendance. Le gouvernement a-t-il changé sur ce point puisque le FLNKS la réclame toujours à terme ?

Jean-Jacques de Peretti : Le Premier ministre n'a pas dit : « J'exclue l'indépendance ». Ce n'est pas dans son discours. Il n'a pas dit non plus : « Je suis pour ces gens-là ».

RFO : Il s'est prononcé pour une large autonomie et non pas pour l'indépendance.

Jean-Jacques de Peretti : Oui, mais c'est là où le symbole des mots est important. La « large autonomie » sur le modèle du statut de la Polynésie, les Calédoniens n'en veulent pas. Ce n'est pas ce qu'ils veulent. Il faut se mettre d'accord sur ce que l'on veut, la manière dont on veut le faire, la manière dont on se situe pour le faire. Que l'on se situe dans une perspective historique ou que l'on se situe dans une perspective en ignorant tout ce qui s'est passé avant, les choses sont différentes. À partir de ce moment-là, nous pourrons donner un sens à ce que l'on fait et donner un vocabulaire. Le terme « autonomie » dans l'esprit du Premier ministre lui paraissait être suffisamment fort pour ouvrir des perspectives, notamment en matière de relations internationales, en matière d'emploi local, en matière de réforme des régimes fonciers, en matière de droit d'accès aux ressources naturelles. Mais le terme d'« autonomie », compris dans le vocabulaire indépendantiste, donnait le sentiment d'être un peu un carcan. Avançons et puis nous trouverons certainement un terme pour définir tout cela. La contribution de gens comme Jacques Lafleur, François Burck, Léopold Jorédié, Rock Wamytan, Paul Néaoutyine, Louis Mapou qui est quand même l'un des représentants principaux aujourd'hui du Palka au sein des négociations, des représentants du RPCR et de l'UNCT, est un langage extrêmement réaliste sur la manière de faire les choses. Comme nous sommes dans un archipel, il y a les mêmes conflits que dans ma ville de Sarlat, qui sont des conflits humains. Il faut les apaiser ou les ignorer pour préparer l'avenir de la Nouvelle-Calédonie qui, en tout état de cause, appartiendra aux Calédoniens. Ce sont eux qui seront appelés à décider ce qu'ils voudront faire de leur pays. Personne ne se substituera à eux et l'État, en aucune manière, ne veut se substituer à eux dans cette affaire-là. C'est la chose la plus importante. Les accords de Matignon…

RFO : Justement, les accords de Matignon. En aucun cas ces accords ne sont remis en cause aujourd'hui. Bien au contraire, on demande qu'ils soient mieux appliqués. Alors, qu'est-ce qui a manqué ? Est-ce que ce sont là aussi les hommes qui ont « péché » et qui n'ont pas permis que ces accords tels qu'ils étaient prévus…

Jean-Jacques de Peretti : Je ne crois pas. Dans les accords de Matignon, il y a eu de très bonnes choses. L'approche était un peu, je dirais « macro-économique ». Si vous prenez l'exemple de l'électricité, vous verrez qu'avant les accords de Matignon, l'électricité ne comprenait qu'une petite partie de la Grande Terre alors qu'aujourd'hui, le réseau électrique fait pratiquement toute la boucle de la Grande Terre. C'est un acquis extrêmement concret des accords de Matignon. Les accords de Matignon raisonnaient en termes macro-économiques, c'était peut-être nécessaire à cette époque-là. Il a réinstallé des pouvoirs locaux, les provinces… Tout le monde s'y est associé, etc.  Maintenant, il faut que ces pouvoirs prennent leur racine et soient dans les foyers. Il faut que l'on réponde aux préoccupations du terrain : c'est ce que m'ont demandé notamment les femmes de Netché. Monsieur Naisseline apporte une contribution qui se situe toujours dans la même perspective d'indépendance, mais il apporte une très forte contribution sur le plan économique. Cette vision qu'a le FNLKS, je vous assure que quand on lit les documents, il y a matière. Or, cela me paraît très important.

RFO : Le FLNKS a demandé à l'État un geste fort pour reconnaître le contentieux colonial. Quel peut être ce geste ? Quelle forme peut-il prendre ?

Jean-Jacques de Peretti : C'est la manière d'être. C'est la démarche de l'État et je crois que, pendant mon séjour, j'ai démontré que le message avait été reçu cinq sur cinq et qu'il ne fallait plus avoir peur des mots, qu'il ne fallait plus avoir peur de regarder l'histoire. Maintenant, comment tout cela se concrétisera ? Si je vous le disais aujourd'hui, cela voudrait dire que j'ai dans ma poche l'accord-cadre politique global. L'important c'était de ramener la confiance. En outre, il était agréable de discuter avec eux, de les rencontrer, de rencontrer les uns et les autres. Ce serait vraiment très dommageable de ne pas pouvoir trouver la voie d'un accord et de ne pas rendre la confiance aux Calédoniens qui ont des atouts fantastiques. C'est certainement l'un des espaces de l'outre-mer français où il y a les atouts les plus importants. Mais là aussi, il y a un peu de retard, en matière de développement, il y a aussi la nécessité d'offrir aux jeunes un emploi.

RFO : Restons dans le chapitre des institutions et parlons de Mayotte qui demande à accéder, on le dit, au statut de département. Dernièrement, il y a quelques jours, l'organisation de l'unité africaine réaffirmait la souveraineté de la République islamique des Comores sur l'île de Mayotte. Que répondez-vous ?

Jean-Jacques de Peretti : La France a un principe. C'est un principe non seulement constitutionnel mais un principe qui relève des Nations unies. C'est le droit des peuples à s'autodéterminer. À plusieurs reprises, les Mahorais ont clairement fait savoir qu'ils souhaitaient rester et qu'ils étaient français. Maintenant, le reste, c'est « l'écume des vagues ». Tout le monde peut revendiquer ce qu'il veut. Moi, je pourrais revendiquer Clipperton en disant que j'ai un ancêtre qui a pu mettre le premier le pied sur l'île mais personne ne me croirait. La réalité des choses est que 95 % des Mahorais veulent rester français. Tout le reste, ce sont des histoires.

RFO : Le gouvernement a promis aux Mahorais de les consulter avant l'an 2000. Quelle forme prendra cette consultation ? Comment cela va-t-il se passer ?

Jean-Jacques de Peretti : Nous avons mis en place des groupes de travail complémentaires sur l'évolution des institutions dans la perspective de l'an 2000. Il y a deux groupes de travail, un national et un local. Ils vont travailler sur la manière dont les Mahorais souhaitent voir évoluer les institutions de Mayotte, dans le cadre, bien sûr, de la République parce que c'est ce qu'ils souhaitent.

RFO : Pourquoi deux comités ? Un national et… ?

Jean-Jacques de Peretti : Le comité national comprend des personnalités qui ont été préfets, qui ont eu des responsabilités à Mayotte. Parallèlement au niveau local, nous devons consulter toutes les institutions locales. Là aussi, les institutions coutumières, pour savoir comment ils pensent l'avenir de Mayotte, comment ils la souhaitent. Je crois que ces deux approches sont bonnes.

RFO : Et sur le souhait de la plupart des élus mahorais de voir Mayotte devenir « département ». Quelle est la position du gouvernement ?

Jean-Jacques de Peretti : Ce que nous disons aujourd'hui, c'est qu'à l'horizon de l'an 2000, les Mahorais seront consultés sur les institutions qui leur paraîtront être bonnes. Il faut bien voir une chose, c'est que Mayotte, département français dans la situation actuelle – 96 % de musulmans, un système qui s'appuie sur le droit coranique, le système des cadis… –, pose beaucoup de problèmes. Notre système de droit imposera de nombreuses adaptations. Nous sommes obligés de regarder de quelle manière les choses doivent se faire. Je crois que là aussi, il y a une perspective à avoir. Progressivement, Mayotte peut évoluer vers le statut de département mais, là aussi, il faut que cela se mette en place progressivement.

RFO : Et du côté de la République française, cela devient de plus en plus une évolution institutionnelle différenciée en fonction des régions de l'outre-mer ?

Jean-Jacques de Peretti : Autant les quatre départements d'outre-mer sont bien ancrés dans le système départemental et régional, autant les autres essayent d'avoir des institutions plus adaptées à leur situation. Quand vous allez dans le Pacifique Sud, la Polynésie française représente une surface maritime équivalente à la dimension de l'Europe. Wallis et Futuna, entre la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, a ses propres problèmes. On ne comprendrait pas la raison d'en faire un département. Ce n'est certainement pas l'institution qui est la mieux adaptée. Par ailleurs, il y a les relations internationales : la France ne s'est pas assez appuyée sur les élus de ces territoires, qui ont des responsabilités et qui doivent pouvoir favoriser la coopération régionale. J'observe que tous les États qui sont autour, que ce soit dans l'océan Indien, dans l'océan Pacifique, dans la Caraïbe, se tournent aujourd'hui vers la France parce que les Américains et les Anglais se désengagent. Ils se tournent vers la France, qui non seulement a une présence, mais qui estime avoir des devoirs. Prenons l'exemple de la coopération entre la Nouvelle-Calédonie et Vanuatu qui est très importante…

RFO : Il en va de même pour la coopération avec le Canada…

Jean-Jacques de Peretti : Exactement. Certains s'interrogent : « À quoi servent toutes ces possessions ? » Je réponds que ce ne sont pas les possessions de la France, c'est la France elle-même. Aujourd'hui, dans le monde, qu'est-ce que ça veut dire ? C'est comme si vous me disiez : « vous avez cinq doigts, pourriez-vous en enlever un ? ». La France est faite comme ça aujourd'hui. Doit-on la remettre en cause ? Si les populations le souhaitent, personne ne pourra s'y opposer. Mais aujourd'hui, il y a une forte volonté de rester français au sein de tous les peuples d'outre-mer. Lorsque l'on dit « peuples d'outre-mer », on nous dit aussi : « Comment ? Vous avez dit le “peuple kantak”, qu'est-ce que ça veut dire ? ». C'est inscrit dans la Constitution. Dans la Constitution il y a la reconnaissance des peuples d'outre-mer. Le général de Gaulle l'avait dit lui-même…

RFO : La prise en compte d'un certain vocabulaire pour vous…

Jean-Jacques de Peretti : La prise en compte de ce vocabulaire, c'est la prise en compte de la réalité du terrain. Il ne faut pas en avoir peur. Je suis fier de l'outre-mer dans l'ensemble français, cela fait partie de la diversité française, du peuple français : les Guyanais, les Amérindiens, les Kanaks, l'ensemble des Mélanésiens, les Polynésiens, les gens des Marquises, ceux de Wallis et Futuna qui sont, par ailleurs, d'excellents joueurs de rugby et dont on a besoin assez souvent, c'est cela la diversité française. De même que les Guadeloupéens sont très divers. La communauté réunionnaise est faite d'une diversité extraordinaire.

RFO : Dans quelques jours, sur votre bureau, vous devriez avoir le rapport de l'observatoire des coûts implantés à La Réunion. Connaissez-vous les premiers résultats de ce rapport ?

Jean-Jacques de Peretti : Non, mais beaucoup de choses ont été dites sur le sujet. J'attends que ce rapport soit publié pour recevoir l'intersyndicale, même si je ne sais pas de quelle manière cela se fera. Je leur dirai : « Vous voyez, vous avez manifesté pour rien parce qu'il n'y a pas de décret en préparation, le gouvernement n'a pas encore pris de décision et nous en sommes maintenant à nous demander si nous allons engager des négociations. Dans cette affaire-là, les syndicats ont fortement communiqué tandis que le gouvernement pensait que l'on ne pouvait pas communiquer sur quelque chose qui n'était pas. Que va-t-il se passer ? Le rapport de M. Pécheur, qui est un rapport d'étape, sera remis dans les prochains jours.

RFO : Vous nous rappelez quelle en est la philosophie ?

Jean-Jacques de Peretti : Elle est très simple. À la demande de l'ensemble des syndicats, nous avons pérennisé l'observatoire. Un arrêté l'institue. Je souhaiterais que dans tous les départements d'outre-mer, il y ait un observatoire économique. Bien sûr il y a l'INSEE, mais ce qui nous manque, c'est un outil économique pour savoir quoi en matière d'exportation, quoi en matière de coût de la vie, quoi en matière de système de distribution…

RFO : Et gommer définitivement l'idée préconçue que l'outre-mer coûte cher.

Jean-Jacques de Peretti : Exactement. Parce que l'outre-mer ne coûte pas plus cher qu'un autre département. J'en ai déjà fait dix fois la démonstration, par tête d'habitant, l'outre-mer coûte moins cher que la moyenne des départements métropolitains. L'observatoire économique, ça sert au développement économique de l'outre-mer. C'est un outil. Le rapport Pécheur va être là. J'ai noté que le représentant de l'intersyndicale a déclaré qu'il y avait de très bonnes fiches dedans. D'autres nécessiteront des précisions ou des enquêtes complémentaires, nous le ferons. C'est une espèce d'institution qui doit maintenant être pérennisée et qui doit fonctionner, se réunir 2 ou 3 fois par an, à mon avis, sous la responsabilité du préfet, avec les parties prenantes. De telle sorte que ce soit un peu le « tableau de bord » de pilotage de l'économie.

RFO : La crainte des syndicats réunionnais, c'est que l'on se serve de ce rapport pour supprimer les primes dont bénéficient les fonctionnaires.

Jean-Jacques de Peretti : Il faut être clair là-dessus. Je refuserai dorénavant d'aller à une seule négociation si l'on me dit que l'on va toucher aux acquis des fonctionnaires en place car cela est faux. Les choses sont simples : vous êtes fonctionnaire. Si je décide d'engager des négociations sur la sur-rémunération, vous ne serez jamais touché dans votre situation. Votre fiche de paie ne sera jamais touchée. Votre retraite ne sera jamais touchée. En revanche, si vous vous tournez derrière vous et que vous avez deux enfants qui sont bac + 2 ou bac + 3, lorsque vous partirez à la retraite, en équivalence de coût, l'État pourrait les embaucher tous les deux plutôt qu'en embaucher un. Quelqu'un peut-il expliquer à l'opinion publique qu'il ne faut pas faire cela ? Je ne sais pas comment l'on peut tenir sans cela, d'autant moins que nous sommes outre-mer, dans une situation plus difficile qu'en métropole. Si nous sommes d'accord sur cette approche, d'accord pour en parler, regardons ensemble comment entrer dans la négociation, comment en discuter, comment la mettre en place pour ne pas commettre d'erreur, pour que chacun se sente protégé. Je sais bien qu'il faut protéger les situations et les acquis sociaux. C'est là notre engagement. Et surtout, mettons en place un système qui permette à ceux qui font l'effort et ceux qui s'engagent dans cette voie de dégager des marges de manœuvre qui restent sur le département. Nous avons, par exemple, un fantastique projet avec l'Office national des forêts à La Réunion. Nous pourrions créer plus de 300 emplois pour les jeunes…

RFO : Mais il faut parvenir à les financer.

Jean-Jacques de Peretti : Il faut parvenir à les financer. Aujourd'hui, la situation du budget de l'État est connue. Nous sommes au pied du mur. Si l'on ne met pas de « l'ordre dans la maison », dans trois ans, nous irons vraiment dans le mur, en plus en « klaxonnant ». Il faut redonner à ce pays des équilibres de croissance. Jour après jour sont annoncés les déficits du Crédit Lyonnais, d'Air France, de la SNCF, de ceci ou de cela. Je ne parle pas en plus des déficits d'un certain nombre de sociétés outre-mer qu'il faut recapitaliser… Si on ne le fait pas, la situation sera encore plus dramatique. Stoppons-la.

RFO : Et ce qui serait valable pour La Réunion pourrait l'être pour tous autres départements qui y trouveraient leur compte ?

Jean-Jacques de Peretti : Attendons que l'expérience s'engage à La Réunion. Cela ne pourra être que progressif sur dix ans. Imaginez le traitement des flux des fonctionnaires qu'il faut coupler avec des emplois réservés. Je ne sais pas encore de quelle manière…

RFO : C'est une façon de favoriser l'emploi local ?

Jean-Jacques de Peretti : Mais bien sûr ! Vous vous rendez compte, aujourd'hui, que malgré les difficultés de l'éducation nationale, nous allons créer 350 postes d'enseignants à La Réunion, pour la rentrée prochaine, c'est l'engagement du président de la République. 350 ! Comment sont créés ces postes ? Ils sont créés par redéploiement de ceux supprimés en métropole. C'est comme ça qu'ils vont être financés. Il faut savoir que pour deux postes redéployés en métropole, nous en créons un à La Réunion. 350 postes ! L'IUFM de La Réunion ne pourra pas faire face à ces 350 postes. Des enseignants viendront de métropole. Il faut renforcer les moyens de l'IUFM, de manière à ce que des Réunionnais eux-mêmes puissent accéder à ces emplois. Parallèlement, arrêtons de mettre des jeunes dans des filières de formation qui les conduisent à l'échec. Là, il y a des besoins, il y a des besoins en termes d'emplois publics, il y a des besoins en termes d'environnement, il y a des besoins en termes de tourisme, tout cela c'est du service, c'est de la demande que l'on disait avant « non solvable » mais qui, aujourd'hui, devient très solvable surtout à La Réunion.

RFO : Le nombre d'ultramarins résidant en métropole est important et l'on sait les difficultés qu'il y a pour beaucoup d'entre eux à repartir dans leur région au terme d'études, au terme de formations, au terme parfois de début de carrière professionnelle. Que répondez-vous à ceux qui, comme le député Moutoussamy récemment, demandent une priorité à l'emploi pour les ressortissants de l'outre­mer ?

Jean-Jacques de Peretti : Cela pose un problème législatif.

RFO : Est-ce légalement possible ?

Jean-Jacques de Peretti : Nous nous heurtons à un problème législatif. Je suis tout à fait favorable à ce que l'on ouvre ce dossier mais il faut, à ce moment-là, que tous les élus de tous mouvements politiques soient d'accord. Je parle des élus d'outre-mer. Je suis tout à fait prêt à l'ouvrir. C'est vrai qu'il y a des Domiens qui sont, ici, en métropole, notamment en région parisienne, que l'on va nommer à Lille alors que l'on ouvre 350 postes à La Réunion. Il y a une absurdité dans ce système mais pour le voir, il ne faut pas aborder ces problèmes avec un parti pris politique ou une arrière-pensée. Il faut l'aborder concrètement en disant : « là, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas très bien, quelles solutions peut-on y apporter ? ». Si tout le monde est dans cet état d'esprit, nous trouverons des solutions, avec les responsables syndicaux qui sont très responsables, qui ont une très grande intelligence, une très grande dialectique, une puissance de raisonnement qui, bien souvent, m'étonne. En tous les cas, je le ferai uniquement dans la concertation et le dialogue. Je n'ai pas envie d'arriver avec quelque chose qui a été concocté par mon cabinet, ou par mon administration et de dire : « Voilà, c'est comme ça ! ». Les choses ne marchent plus de cette manière-là. On le faisait à une certaine époque mais nous sommes heureusement sortis de l'époque coloniale.

RFO : Il nous reste peu de temps mais Éric Raoult revient justement d'une visite aux Antilles-Guyane, où il a vérifié et constaté l'urgence et la nécessité d'adapter le pacte pour la ville, décidé au plan national mais qui nécessite des adaptations outre-mer. Quelle vision avez-vous des zones franches par exemple, est-ce vraiment une solution possible dans ces quartiers difficiles ?

Jean-Jacques de Peretti : Je l'ai vu dès son retour. Je lui avais conseillé d'aller un peu partout, notamment de voir dans quelles conditions se développaient les squats, les bidonvilles, même si on les appelle différemment, etc.  Je crois qu'il a tout fait. Il est revenu en me disant : « Le travail que l'on a à faire est incommensurable. » Éric Raoult avait plutôt une propension à bien être sensibilisé à ces problèmes-là. Je lui ai dit : « Tu comprends lorsque je fais des demandes d'outils adaptés, ce ne sont pas des demandes qui sont faites pour le plaisir. » Il faut tenir compte de la diversité et de la spécificité de l'outre-mer. La situation en outre-mer est différente. Vous ne traitez pas des espaces qui ont 30 % en moyenne de chômage comme ceux qui en ont 12 % en métropole.

RFO : Après une année d'exercice Jean-Jacques de Peretti, est-ce que vous n'êtes pas parfois frustré, comme dans le cas que nous venons de vérifier sur la ville, de ne pas pouvoir plus directement agir ? Vous saisissez les réalités, dans vos fonctions et il vous faut ensuite convaincre d'autres que vous, d'autres ministères. À quoi sert ce ministère de l'outre-mer ?

Jean-Jacques de Peretti : Ce ministère sert à faire bouger les choses, à défendre l'outre-mer, à être son meilleur avocat.

RFO : Il est un médiateur indispensable ! ?

Jean-Jacques de Peretti : Il est plus qu'un médiateur, il est un acteur pour l'outre-mer. Je vais cet après-midi à Matignon, avec le Premier ministre, pour parler du budget de l'outre-mer, dans un contexte difficile. Pour en parler mais aussi pour qu'en même temps soient surveillées les lignes budgétaires de l'outre-mer dans les budgets des autres ministères. C'est un combat permanent mais c'est la vie. C'est passionnant et fantastique.

RFO : Alors, vous le faites pour quoi ?

Jean-Jacques de Peretti : Pour bien comprendre les choses et pour prendre fait et cause pour ce que l'on est supposé défendre et faire bouger, je crois qu'il faut se laisser imprégner. Il faut se laisser prendre et à ce moment-là on se laisse guider. On n'arrive pas avec « ils vont voir ce qu'ils vont voir ! » « C'est moi qui ! », ou « il y a qu'à, faut qu'on ! ». Non, il ne faut pas avoir d'idée préconçue, il faut écouter et après assumer la direction politique que l'on prend. On prend des décisions qui ne font pas plaisir à tout le monde mais c'est ainsi.

RFO : La garden-party de l'outre-mer du 14 juillet n'aura pas lieu cette année. C'est presqu'un événement dans le monde ultramarin de la métropole. Pourquoi cette décision ?

Jean-Jacques de Peretti : C'est simple. Depuis cinq ans, mon budget de fonctionnement du ministère est en diminution de 22 %. Ce n'est pas rien. Le ministère vit sur un câble électrique de secours. Le remplacement de ce câble électrique de secours coûte 600 000 francs. Après le remplacement, on pourra avoir une installation électrique normale. La grande fête, la garden-party, c'est 350 000 francs, la Fête de la musique, c'est 150 000 francs, ça me fait 500 000 francs. Ce n'est pas une économie de façade.

RFO : À quoi servait la garden-party ?

Jean-Jacques de Peretti : Elle servait à accueillir. Mais elle n'est pas supprimée. Nous l'organiserons une fois tous les deux ans.

RFO : C'est un geste symbolique pour prouver que l'État peut être modèle ?

Jean-Jacques de Peretti : C'est plus que symbolique parce que, dans mon budget, j'ai trouvé le moyen de pallier ce problème électrique. Je n'ai pas fait grand tapage là-dessus. Vous me posez la question, donc j'en parle, mais je n'ai pas fait une annonce. En revanche, je vous assure que cela se ressent dans mon budget. Nous ferons, pour le personnel du ministère, un petit pot entre nous, mais l'an prochain, il y aura une belle fête.

RFO : Et le temps du livre au mois d'octobre sera maintenu ?

Jean-Jacques de Peretti : Le temps du livre : oui ! C'est une manifestation plus modeste dans son organisation et donc un moindre coût ; en plus, nous avons d'autres financements. Je compte bien à la Fête de l'outre-mer l'an prochain, c'est pour ça que nous n'avons pas eu le temps de la préparer, c'est associer tous des producteurs, industriels… de l'outre-mer, pour permettre justement de participer à cette fête et d'en assurer une partie du financement.

RFO : Une dernière question, peut-être prématurée : le président de la République se rend-il dans une région de l'outre-mer d'ici la fin de ce mois et pour ne pas la citer, la Guyane ?

Jean-Jacques de Peretti : Pour l'instant, le président de la République s'est rendu à La Réunion et il compte bien se rendre dans d'autres régions de l'outre-mer.

RFO : Pas de dates de déplacement confirmées pour l'instant ?

Jean-Jacques de Peretti : Je crois que le président de la République a une attention toute particulière vis-à-vis de l'outre-mer et qu'il a envie de se rendre dans tous départements, territoires et collectivités d'outre-mer. C'est programmé et c'est, bien sûr, en perspective. Il y a toujours des voyages en préparation.

RFO : Il est donc trop tôt pour savoir quand cela pourrait se faire ?

Jean-Jacques de Peretti : Puisque vous le dites !

RFO : Puisque je le dis ! Eh bien, écoutez Jean-Jacques de Peretti, je vous remercie de nous avoir permis de conclure ces questions pour l'année 1995-1996. C'était le dernier numéro de « Questions ». Nous nous retrouvons à la rentrée, au mois de…

Merci !

Bonnes vacances !